Il est sans conteste le stade le plus connu d’Argentine, voire d’Amérique latine. La Bombonera. Un nom qui fait vibrer ceux qui l’entendent, qui l’associent directement à une ambiance hors du commun, probablement la plus impressionnante du globe. Il gronde comme un puissant orage, vibre comme un coeur qui bat. Derrière ce nom et cette aura se cache une histoire teintée de bleu et or, qui a fait la grandeur de cet antre mythique.
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L’histoire de La Bombonera commence lorsque Boca Juniors, club de Buenos Aires, achète un terrain pour son futur stade en 1931. Ce n’est que neuf ans plus tard que le stade des Xeneizes (génois, surnom de Boca en lien avec la nationalité des créateurs du club) ouvre ses portes au public, le 25 mai 1940. C’est contre San Lorenzo, autre club des « cinq grands » d’Argentine, que Boca joue son match d’inauguration. Un match remporté sur le score de 2 à 0. La rencontre n’a pas duré 90 minutes, seulement 70 : le stade n’était pas équipé en projecteurs et en lumières, et n’a pas compté comme un match officiel. La première rencontre jouée de bout en bout est contre Newell’s Old Boys, le 2 juin 1940, et une nouvelle fois remportée 2-0.
« La Bombonera ne tremble pas, elle palpite. » – Proverbe des Xeneizes
L’origine du nom de La Bombonera, la bonbonnière en français, vient d’une anecdote étonnante. Si son nom officiel est l’Alberto J. Armando Stadium depuis 2000, il est possible de ne jamais avoir lu ce nom pour parler de l’antre des Xeneizes. En effet, ce nom a été adopté par tout le monde dès l’ouverture du stade : supporters, rivaux, et mêmes dirigeants. Ce nom est intervenu lors du développement du stade, alors que Viktor Sulčič, architecte, travaillait sur le projet. Le jour de son anniversaire, il reçoit une boite de chocolats de la part de ses proches, dont la forme lui rappelle les dessins réalisés par lui et ses collègues pour le stade de Boca. Après cet événement, Sulčič vient à chaque réunion avec cette boîte, ayant pour objectif de créer un stade avec une forme similaire à celle-ci. Le stade aux trois tribunes naît donc de cette idée, et avant-même que le premier mur ne soit construit, La Bombonera avait déjà son surnom, dont l’aura dépasse largement le nom officiel.
Les hinchas de Boca, coeur et âme de La Bombonera
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Les supporters de Boca font la légende de ce stade. En 2020, France Football place La Bombonera tout en haut de son classement des 30 stades les plus chauds du monde. Les Xeneizes fascinent, leur passion est plus forte que tout. Chaque match de Boca est un événement à part, un moment unique que chaque hincha du club se doit de vivre. Les résultats sont également au rendez-vous lorsque La Bombonera accueille la sélection nationale : l’Albiceleste n’a perdu que deux matchs dans ce stade sur 27 disputés. Quant à Boca, le club a enchaîné de nombreuses séries d’invincibilité dans son histoire, porté par son mythique douzième homme.
« Ils ont commence à crier, et les murs ont tremblé. » – Roberto Ayala
La particularité de ce stade vient de son aura. Connu mondialement, présenté partout comme un lieu explosif et hors du temps, le nombre de fans qui ont pu profiter de cette expérience ne sont pas nombreux, surtout s’ils n’habitent pas en Amérique du Sud. À l’heure où tout est médiatisé, jugé et filmé, impossible de se rendre compte de l’atmosphère qui envahit cet endroit lorsque les bleu et jaune foulent la pelouse. Des milliers de fans, tatoués des couleurs de leur club et du visage de leurs idoles se rassemblent comme un seul homme. Chaque jour de match, tout le quartier de La Boca retient son souffle avant l’explosion du soir.
« La vraie chaleur, c’est La Bombonera. » – Zico
« Je n’ai jamais ressenti de tremblement de terre comme celui-ci » déclarait Pelé en partageant son expérience à La Bombonera. En 2012, Nike a pris cette étude à cœur, et a décidé de demander l’aide d’un sismologue lors d’un match. Un sismographe enregistre les secousses à quatre endroits du stade grâce à des capteurs, et le résultat n’est pas décevant. Lorsque Boca marque un but contre le Racing, en 2012, la terre tremble. Lorsque les 49 000 fans se lèvent, chantent, crient et dansent d’un seul homme, on enregistre un séisme d’une magnitude de 6,4 sur l’échelle de Richter : un chiffre équivalent à de véritables tremblements de terre.
Alors que tous les grands clubs occidentaux se modernisent petit à petit, se dirigeant vers un football toujours moins populaire en passant par la construction de nouveaux stades, impossible pour Boca d’en faire de même. Lorsque le président du club s’est mis à penser tout haut et a évoqué cette idée, les réactions ont été unanimes : La Bombonera doit rester le stade des Xeneizes, il n’y a pas d’autres choix. Et ce magnifique engouement des supporters a instantanément été respecté par le club, qui a décidé de rénover son stade actuel au lieu d’en construire un autre. Lorsque les barras bravas (groupes de supporters) de Boca parlent, l’institution écoute. Ce geste magnifique cache une réalité bien plus triste.
« La Bombonera est ce qui se rapproche le plus de l’enfer. » – Romario
C’est malheureusement l’autre face de certains rares supporters de Boca : La Doce, barra brava réputée et crainte en Argentine, pousse quelques fois le fanatisme trop loin. Si la ferveur qu’ils dégagent fait partie de la beauté de ce stade, leurs actions parfois extrêmes entachent l’image du club, du stade et des autres supporters.
Ces fans ont un pouvoir inimaginable, dépassant largement ceux des clubs européens. Si le club grandit, La Doce grandit également. Si le club s’enrichit, La Doce aussi. Annie Kelly en parle dans The Guardian : « plus le club est lucratif, plus la part du gâteau est grande pour les fans. Il est estimé que les barras les plus puissantes gagnent des milliers d’euros chaque mois grâce aux produits dérivés du club qu’ils détiennent et les boissons vendues dans le stade. Et cela ne s’arrête pas là. Les plus grosses barras reçoivent également jusqu’à 30% de l’argent des transferts des joueurs quittant le club, et jusqu’à 20% du salaire des joueurs. »
Et avec l’argent vient le pouvoir, un pouvoir entre les mains de personnes dangereuses. Parfois, il est utilisé à bon escient et sans aucune volonté de conflit, comme lorsque les barras bravas ont demandé à ce que Coca-Cola change la couleur de ses affiches sur La Bombonera. Le rouge et le blanc représentent River, et impossible pour Boca de laisser les couleurs du rival intact sur son stade.
Malheureusement, ces actions vont parfois beaucoup plus loin, dépassant largement le cadre du chambrage. Deux exemples frappants viennent en tête. Le premier en 2015 lorsque Boca accueille River en Copa Libertadores, et qu’un réel drame intervient. Rogelio Funes Mori, défenseur de River, est aspergé de gaz lacrymogène. « Je ne vois rien, je ne vois rien, je brûle, ce n’est pas une guerre ! » Il se trompait grandement, car pour les supporters des deux côtés, chaque match entre les deux clubs est synonyme de bataille. Boca Juniors écopera d’une amende de 200 000 euros et, surtout, d’une expulsion immédiate du tournoi.
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Trois ans plus tard, même compétition, même match, mais enjeu bien plus important. Boca et River se rencontrent en finale. Il n’était jamais arrivé qu’un derby ne se joue à ce stade de la compétition, encore moins entre deux clubs d’un même quartier et ennemi depuis toujours. L’occasion était trop grande, trop forte pour les barras bravas des deux institutions. Le match aller à La Bombonera se déroule sans encombre, car les hinchas de River n’ont plus le droit d’y aller après de trop nombreux incidents. Cependant, avant le match retour, des supporters des Millionarios s’en prennent au bus des joueurs Xeneizes. Plusieurs blessures en découlent, et cet événement a véhiculé une bien triste image du football de Buenos Aires, qui avait l’occasion de faire rêver le monde entier. Les barras bravas de Boca ont riposté à plusieurs reprises, forçant le match retour a se dérouler au Bernabéu et non au Monumental.
Pourtant, de nombreux fans de Boca ont pris la parole sur les réseaux sociaux pour condamner ces événements, y compris ceux causés par leurs propres groupes de supporters. Les autorités sont impuissantes (ou corrompues) face à ces fans, qui détiennent trop de pouvoir. Les clubs ne savent pas comment remédier à ce problème majeur du football argentin, et les violences ne risquent pas de s’arrêter de sitôt.
Si ces événements font logiquement beaucoup de bruit, ils ne doivent pas entacher la magnifique ferveur dégagée par ces hinchas et ce stade, que le monde entier envie à Boca. Au-delà du supportérisme, c’est une question de vie ou de mort pour les fans du club… et leurs joueurs, qui se donnent tout entier à ces couleurs pour ne pas décevoir.
Numéros 10, entrez dans l’arène
C’est l’essence même de La Bombonera. Chaque supporter présent dans ses tribunes y vient pour voir Boca gagner, et pour voir du football. Mais pas n’importe quel football : le football vrai, dans sa forme la plus pure. Celui qui rappelle les après-midis passés à humilier ou à se faire humilier par les petits ponts de ces amis. Le championnat argentin est loin d’avoir l’attractivité de l’Europe, mais les hinchas vivent pour vibrer devant des dribbles et des gestes mystiques.
Au cœur de La Bombonera, sur ce rectangle vert qui représente tout pour ces fans présents à chaque match, l’art du dribble est aussi beau que l’art du but. Le numéro 10 a une place particulière dans l’histoire des Xeneizes, et plusieurs légendes du club ont porté ce numéro. Diego, Riquelme, Tévez… sur la pelouse de Boca, le 10 est le symbole du football vrai, du football populaire. Lorsque Daniele De Rossi – inconnu au bataillon en Argentine mais suffisamment pour savoir qu’il était un milieu « offensif » venu d’Europe – a été annoncé au club, les hinchas l’ont accueilli en héros.
« Ce n’est pas vouloir être un voyou, parce que je n’aime pas ça, mais la plus belle chose c’est ce qu’on voit dans les gradins. C’est une chaleur que nous n’avons plus en Italie, c’est une passion pure et désintéressée. La Bombonera est le stade le plus absurde et retentissant du monde, je souhaite à tous les passionnés de pouvoir le visiter pendant un match de Boca. Je me sens privilégié d’y avoir joué. » Daniele De Rossi à Sky Italia, 2020.
Ce n’est pas un secret : même Boca, un des plus grands clubs d’Amérique latine, n’a pas l’attractivité sportive des clubs européens. Sa légende réside dans ses supporters et son stade, sans cesse mis en avant par les joueurs et spectateurs qui ont eu la chance d’assister à une rencontre des Xeneizes à La Bombonera.
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La légende de La Bombonera en Europe a commencé lorsque le plus grand joueur de l’histoire du football argentin est arrivé à Naples. S’il n’a passé qu’un an à Boca, Diego était déjà marqué à vie par cette ambiance hors du commun, dont il parlait régulièrement. Alors, quand il est retourné en Argentine pour y finir sa carrière, de nombreux amateurs de football se sont intéressés à cet antre. Maradona a fait la légende de Boca jusqu’en Europe, alors que la médiatisation du club était encore loin d’être ce qu’elle est aujourd’hui. Il a exporté cette passion des hinchas, et montré au monde comment les Xeneizes assistaient à un match, surtout quand Diego est sur le terrain. Sans être resté très longtemps à Boca, Maradona y a laissé une empreinte indélébile, et les photos du joueur sont visibles à divers endroits du stade. Diego avait même sa propre loge à La Bombonera, restée allumée la nuit de sa mort.
« Je suis Boca. Personne n’est plus grand que le club, mais moi, je suis Boca. Mon coeur est bleu, mon sang est doré. » Diego Maradona
S’il est le symbole du club pour beaucoup, Maradona n’a toutefois jamais eu l’aura de Riquelme, élu « joueur le plus populaire de Boca » devant Diego. Il était tout : la fidélité, l’amour, le bleu et doré, la légende absolue du club et de son antre. Difficile de poser des mots sur la légende qu’était ‘El Ultimo Diez‘, emplissant de joie et de chaleur tous les hinchas qui assistaient à ses festivals de dribbles, de buts et de passes décisives dont lui seul connaissait le secret.
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Difficile d’évoquer les numéros 10 légendaires de Boca sans parler du plus récent, et peut-être du plus passionné de tous : ‘Carlitos’ Tévez. Son départ a chamboulé tout un peuple et suscité d’innombrables réactions de fans sur les réseaux sociaux et à travers Buenos Aires. Tout ce que Tévez faisait, il le faisait pour les fans.
« Boca vous demande de donner le maximum, et beaucoup plus. » Carlos Tévez
Les numéros 10 ont fait la légende de ce stade à travers le globe, renforçant son aura intemporelle. Sans eux, Boca n’aurait pas été aussi mythique. Sans eux, La Bombonera ne serait probablement pas aussi connue. Ils en ont fait un stade encore plus légendaire, souhaitant combler les hinchas qui font son histoire.
La Bombonera représente ce qu’il y a de plus pur dans le football. Des amoureux de couleurs et d’une institution qui les font vibrer, des joueurs qui se donnent corps et âme pour être à la hauteur des attentes. À chaque match, l’ambiance est au rendez-vous. Si cet antre a été élu stade le plus chaud du monde, c’est parce que les hinchas répondent toujours à l’appel, parfois avec excès. Théâtre de festivals de Maradona et Riquelme, de Superclásicos à l’ambiance explosive et de rencontres mythiques de l’Albiceleste, ce stade fait partie des plus importants du globe. La terre y tremble, les larmes y coulent, l’histoire s’y écrit en bleu et or.
Sources :
- « Los Superclásicos históricos de Boca en La Bombonera », AS
- « La Bombonera, un volcan en éruption », Le Routard
- Stades mythiques du foot, Rémy Fière
- Annie Kelly, « The barra bravas: the violent Argentinian gangs controlling football », The Guardian
- « Argentina », These Football Times
- « CABJ », These Football Times
Crédits photos : Icon Sport