Il existe des joueurs que nous sommes presque forcés d’aimer. Par leur talent, leur virtuosité, leur musicalité sur le terrain… parce qu’ils respirent l’imperfection, l’humanité, le football. Ariel ‘El Burrito’ Ortega est de ceux-là. De ceux qui ont terrorisé des centaines d’adversaires, qui ont fait rêver des milliers d’enfants, qui ont conquis le coeur de millions de supporters.
L’Argentin commence sa carrière en 1988 à l’Atlético Ladesma, club de sa région natale, dès l’âge de 14 ans. Il marque directement un but dans le derby contre le Sportivo Alberdi, ce qui lui vaut d’être rapidement considéré comme l’un des prodiges du club. Au début de l’année 1991, alors qu’Ariel est âgé de 16 ans, le directeur technique de l’équipe Roberto Gonzalo l’informe des intérêts de Boca Juniors et l’Independiente, deux noms qui feraient rêver n’importe quel jeune joueur. Mais pas Ortega. Lui ne veut jouer que pour un seul club, celui qu’il supporte depuis toujours : River Plate. Roberto Gonzalo contacte alors les Millionarios et leur parle de son jeune talent. Sans beaucoup de négociations, Ariel Ortega est recruté. Direction Buenos Aires.
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C’est à River qu’Ortega écrit les plus belles pages de son histoire, dans une équipe qui domine le championnat argentin tout au long des années 1990. Moins d’un an après ses débuts dans l’équipe jeune, Daniel Passarella, entraîneur des Millionarios, décide de le convoquer en équipe première. Le 14 décembre 1991, lorsqu’Ortega foule la pelouse face à Platense, l’histoire est lancée. Cette année, River remporte l’Apertura, premier titre d’El Burrito (petit âne) avec les rouge et blanc. Le 5 juillet 1992, il inscrit son premier but, face au Quilmes AC. L’année suivante, en 1993, il remporte un second Apertura avec son club.
Lors de son premier passage à River Plate, Ariel Ortega a joué aux côtés d’immenses noms du football sud-américain : Enzo Francescoli, Hernán Crespo, le jeune Marcelo Gallardo, Javier Saviola et le modèle d’Ortega, Pablo Aimar.
« C’était mon héros. Je voulais bouger comme lui avec la balle, pouvant battre n’importe quel joueur. Il rendait cela beaucoup plus facile que ça ne l’était, c’est pour ça qu’il était si spécial. » Ariel Ortega sur Pablo Aimar
Le club, au cours de cette période, rafle de nombreux trophées. Quatre Aperturas (1991, 1993, 1994, 1996), le Clausura 1997 et, surtout, la Copa Libertadores en 1996. Ortega a distribué 41 passes décisives et marqué 38 buts, s’imposant comme un incontournable du club pendant près de six ans. Mais la légende d’El Burrito s’est faite ailleurs, sur le terrain de l’éternel rival qu’il ne voulait pas rejoindre en 1991.
La Bombonera à ses pieds, le numéro 10 endossé
30 avril 1994, La Bombonera. Boca Juniors accueille River Plate, l’ennemi de toujours. Les chants et les cris font trembler le stade, les papelitos pleuvent sur la pelouse. Boca, alors entraîné par Menotti, n’a plus perdu dans son antre face aux Millionarios depuis huit ans. Dès la douzième minute de jeu, Boca obtient un penalty lorsque le gardien de River, Sodero, pousse Sergio Martinez dans la surface. Ce dernier se charge de le tirer… et Sodero l’arrête. L’espoir est maintenu, et le score reste vierge jusqu’à la mi-temps.
C’est à la 59ème minute qu’El Burrito écrit l’une des plus belles pages de son histoire. Ariel Ortega, 20 ans, est lancé dans la profondeur, vers la droite du but. Sa course de quelques secondes se termine à l’entrée de la surface, lorsque le jeune Argentin décide de tirer malgré l’espace restreint : un défenseur le gêne, le gardien est sur la trajectoire, l’angle est fermé. Et pourtant, d’un missile du pied droit, Ortega loge le ballon dans la lucarne. C’est l’explosion : Ortega danse devant les hinchas de Boca et saute dans les bras de ses coéquipiers. La chute continue à la 80ème minute pour l’équipe de Menotti, quand Peralta est expulsé. Hernán Crespo marque le but du break six minutes plus tard, et le score ne bouge plus. 2-0 pour River sur le terrain de l’ennemi, l’histoire est écrite… mais pas terminée.
L’arrivée de l’été est synonyme de Coupe du Monde. El Burrito ne joue que trois matchs dans l’Albiceleste menée par Diego Maradona. Il était encore trop tôt pour que le jeune Ortega ne s’impose. Pourtant, à 20 ans, il a la responsabilité de remplacer El Pibe de Oro, suspendu, contre la Roumanie de Gheorghe Hagi en huitièmes de finale. Malgré un rôle rempli et un bon match du jeune héritier, l’Argentine est éliminée (3-2).
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Huit mois après la première humiliation infligée à Boca, le 11 décembre 1994, River est de retour à La Bombonera. Daniel Passarella, parti reprendre la sélection argentine, a laissé la place à son adjoint Americo Galelgo. Après 17 journées, alors que le tournoi approche de la fin, le club est toujours invaincu et n’est plus qu’à deux succès de son 24ème titre. Dès la 14ème minute, Ortega fait valser les hommes de Menotti et déborde sur le côté droit, avant de se faire faucher dans la surface par Nestor Fabbri. Penalty incontestable, et Enzo Francescoli – revenu d’Europe pour finir sa carrière à River – s’avance. Sans trembler, il marque le premier but de la rencontre. El Burrito avait déjà commencé son festival, mais ne comptait pas en finir là. Dix minutes plus tard, il reçoit un magnifique ballon aux abords de la surface. Il n’a plus qu’à le contrôler et à l’envoyer frôler l’intérieur du poteau droit de Boca. A 20 ans, Ortega avait marqué lors des deux Superclasicos de la saison. Il retire son maillot, hurle et fonce devant ses supporters, en transe. L’expulsion de Márcico à la 40ème minute et le penalty marqué par Marcelo Gallardo, 18 ans, scelle le sort de Boca et fait l’histoire de River, qui remporte le championnat peu après.
Sa légende grandit encore lorsque Ramón Díaz arrive à River en 1995 en tant qu’entraîneur, formant alors l’une des plus grandes équipes de l’histoire du club, menée par l’armada offensive composée de Crespo, Francescoli et Ortega. La même année, ce dernier est sélectionné avec l’Argentine pour disputer les Jeux panaméricains. Il hérite alors du plus grand poids de toute sa carrière : le numéro 10 de Diego Maradona. Les comparaisons, déjà présentes depuis l’explosion du jeune joueur, ne s’arrêtent plus. Ariel devient alors le premier de la longue liste des héritiers de Diego. L’Albiceleste remporte alors la médaille d’or aux Jeux panaméricains, et la légende d’Ortega continue.
Devenu une figure de River, c’est en 1996 qu’il reçoit logiquement l’immense numéro 10 du club. Avec ce maillot sur le dos, il remporte la Copa Libertadores et l’Apertura la même année.
Le 26 février 1997, comme Maradona avant lui, Ortega s’envole vers l’Europe, direction Valence.
Loin de River et de sa terre natale, entre déceptions et regrets
Dès son arrivée à Valence, Ortega doit porter un nouveau poids sur ses épaules. Après le 10 de Maradona et celui de River, Ortega devient le joueur le plus cher de l’histoire de l’Argentine, transféré pour 12 millions de dollars. Cumulant les responsabilités et les fardeaux, il installe un climat de gêne lorsqu’il déclare, juste après l’officialisation de son transfert en Espagne : « Je ressens beaucoup d’émotions, de la joie, mais aussi de la tristesse. En fait, je me sens bizarre…«
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Il y reste une saison et demie, sans jamais vraiment marquer les esprits malgré ses neuf buts et ses sept passes décisives en 35 matchs. Une rencontre se démarque du reste, et est encore aujourd’hui l’une des plus belles de l’histoire des Blanquinegros. Le 19 janvier 1998, au Camp Nou, le FC Barcelone mène 1-0 à la mi-temps, lorsqu’El Burrito entre en jeu. Rivaldo creuse l’écart à la 49ème minute, avant qu’un but contre son camp de Fernando Cáceres ne vienne définitivement crucifier les espoirs des Ches. Ortega prend un jaune à la 59ème minute, et deux de ses coéquipiers suivent. La rencontre semble être à sens unique. La lumière vient finalement de Claudio López, qui sert Guillermo Morigi, tout juste rentré en jeu, dans la surface. Une légère frappe dans le petit filet droit suffit à réduire l’écart. López enchaîne ensuite avec un doublé inespéré à la 73ème puis 88ème minute. La remontada est faite, le nul est accroché.
Mais cela ne suffit pas. Une minute après l’égalisation, Ortega est lancé. Une course effrénée de plusieurs dizaines de mètres se termine dans la surface. De son pied gauche, il lobe le gardien d’une puissante frappe qui se loge dans les filets. Il retire son maillot et écope d’un carton rouge dont il n’a que faire : l’histoire était à nouveau écrite.
Claudio Ranieri, entraîneur de Valence, lui fait cependant de moins en moins confiance, l’irrégularité de l’Argentin ne plaisant pas au tacticien italien. Cette mésentente mène à son transfert à la Sampdoria avant la Coupe du Monde 1998.
A Gênes, El Burrito marque neuf buts en 27 matchs, et distribue sept passes décisives. Sa plus grande performance est effectuée lors du 4-0 infligé à l’Inter, lorsque Montella marque un triplé, qu’Ortega distribue une passe décisive… et marque un but irréel. Un but incompréhensible, magique, qu’il faut regarder plusieurs fois pour comprendre. Un coup de génie dont lui seul avait le secret.
Il est ensuite transféré à Parme, équipe phare de la Serie A de l’époque, et rejoint Hernán Crespo, son coéquipier légendaire de River. Il y remporte une Supercoupe d’Italie, son seul fait d’armes avant qu’il ne retourne à River au cours de l’été 2000.
Et quand le coeur y est, les grandes performances sont au rendez-vous. « Je suis à nouveau heureux » déclarait-il à son retour à la maison. Il marque 28 buts et distribue 34 passes décisives en deux saisons après son retour dans son club de toujours. Aux côtés de Javier Saviola, Pablo Aimar et Juan Pablo Ángel, il devient l’un des Cuatros Fantasticos, quatre attaquants légendaires de River constituant l’une des meilleures attaques du continent. Malheureusement, il ne remporte aucun trophée cette année-là et doit attendre 2002, et le départ de ses coéquipiers, pour soulever le Clausura avant d’être à nouveau transféré. Le joueur qui enflammait l’Argentine à la fin des années 1990 était de retour, et les offres pleuvent : Manchester United, l’Inter… et Fenerbahçe, qui s’arrache les services du virtuose argentin. « Dès mon arrivée, j’ai compris que ce pays n’était pas pour moi », écrivait Ortega dans son autobiographie. Il ne joue que 14 matchs et ne marque qu’à cinq reprises. À nouveau loin de chez lui, ce transfert est un échec.
Un tel échec qu’El Burrito n’honore même pas son contrat et rentre et reste en Argentine à l’improviste, décidant de ne plus en partir après un match amical joué avec sa sélection, « pour échapper à cette torture ». Un geste qui lui coûte cher, et qui provoque son expulsion des terrains par la FIFA. Ortega tente de faire appel, sans succès. Les scandales et l’alcool s’en mêlent alors rapidement. Son complexe d’infériorité vis-à-vis de Maradona et son sentiment de ne pas accomplir son devoir le rendent encore plus seul et timide qu’il ne l’était avant.
En août 2004, plus d’un an après les événements, les Newell’s Old Boys font appel à l’international argentin. En deux saisons, il remporte l’Apertura en 2004, dispute 60 matchs, marque onze buts et effectue 18 passes décisives. Si les performances sont là, son coeur reste ailleurs. Lors du Clausura 2006, lorsqu’El Burrito croise le fer avec son ancien club, il marque inévitablement, et sa célébration fait polémique. Maillot sur les yeux, il imite un aveugle. En parallèle, il secoue ses mains en mimant de l’argent : un message droit vers les dirigeants de River Plate, qui refusent de le recruter.
Finalement, la même année, il retourne à Buenos Aires pour deux ans. Il remporte le Clausura 2008, mais n’est plus ce qu’il était. Malgré l’amour des hinchas et la volonté d’Ortega, ce dernier n’est plus au maximum de ses capacités. Il boit, beaucoup, et sa maladie est rendue publique. Daniel Passarella, qui a repris les commandes du club en 2006, ne lui fait plus confiance et l’écarte de l’équipe : retard aux entraînements, comportements incontrôlés… la fiabilité d’Ariel n’est plus. Lorsque Diego Simeone, son ancien capitaine en sélection, reprend les rênes un an plus tard, Ortega fait partie de ses plans. Brassard de capitaine sur le bras en numéro 10 sur le dos, il emmène River jusqu’au titre de 2008. C’est sa dernière année à son plus haut niveau, et il termine sa carrière en enchaînant quatre clubs en quatre ans : l’Independiente Rivadavia, River Plate, All Boys et Defensores de Belgrano, avant de prendre sa retraite en 2012.
En 2011, les adieux à River sont déchirants. Tatouages, pleurs, désespoir : les hinchas viennent de perdre leur idole, un joueur qui a tout gagné avec eux. Lorsqu’il était retourné au club en 2009 pour une saison et demi, il avait déclaré : « Je suis amoureux de ce maillot. Je suis un fan de River et cela vient du coeur. Sans ce maillot je ne peux pas vivre, j’ai l’impression qu’il fait partie de moi. » Une phrase qui s’est ressenti lorsqu’El Burrito était loin des Millionarios, à des années lumières de son plus haut niveau.
« Je veux tous vous remercier. Merci infiniment, et merci à Dieu de m’avoir rendu fan de River. » Ariel Ortega lors de son départ de River Plate en 2011.
Ces adieux et ses pleurs feront leur retour à deux reprises. D’abord à Jujuy, sa terre natale, pour un match d’adieu au football. Puis au Monumental, en 2013, pour un match d’adieu aux Millionarios.
Dans une interview à So Foot en mai 2014, Facundo Pastor, hincha de River Plate et auteur d’un livre sur les adieux d’Ortega au ballon rond, parlait de la relation entre El Burrito et River Plate :
« Ortega, en vérité, c’est la dernière grande idole de River. C’est le dernier rescapé de la victoire en Libertadores 96, une équipe folle qui a tout gagné avec Salas, Francescoli, Gallardo, Sorín, Aimar, etc. Mais Ortega a quelque chose en plus que ces mecs-là, il incarne la dimension populaire de River Plate. Tu sais, nous, c’est pas Boca : il y a très peu d’idoles millonarios dont on se tatoue le nom sur le bras ou dont on peint le visage sur des tifos. Dans toute notre histoire, il y en a 3 ou 4, et Ortega en fait partie. »
Ariel Ortega a fait rêver tous les hinchas de River, et même ceux d’autres clubs. Ses dribbles enchanteurs, ses buts que seul lui pouvait prédire, ses déclarations d’amour à son club de toujours : il avait tout pour conquérir le coeur des supporters. Malheureusement, loin du terrain et de l’amour qu’on pouvait lui donner, El Burrito était un homme seul, portant un immense fardeau sur ses épaules. Une solitude et un poids qui se faisaient parfois ressentir sur le rectangle vert, comme lors d’une triste soirée d’été 1998.
La Coupe du Monde 1998, illustration du paradoxe qu’était Ortega
L’Albiceleste fait partie des équipes favorites lorsqu’elle arrive en France pour le mondial. Diego Simeone, Javier Zanetti, Juan Sebastián Verón, Hernán Crespo, Gabriel Batistuta, Ariel Ortega… sur le papier, l’équipe est exceptionnelle. Elle sort d’ailleurs des phases de poules avec aise : 1-0 contre le Japon, avec un Ortega explosif et présent tout au long du match, puis une victoire assommante 5-0 contre la Jamaïque, marqué par un doublé d’Ortega et un triplé de Batistuta. Pour le dernier match, l’Argentine l’emporte 1 à 0 face à la Croatie. Cette fois-ci, El Burrito ne joue que 52 minutes, distribuant tout de même une passe décisive.
À la sortie des phases de groupes, Ariel Ortega a déjà marqué deux buts et donné trois passes décisives. En bon numéro 10, il est le métronome de l’équipe et dicte le rythme de cette Albiceleste prometteuse.
Alors que l’Angleterre se présente face à l’Argentine au stade Geoffroy-Guichard, El Burrito s’apprête à jouer l’un de ses meilleurs matchs en sélection. Pas de buts ni de passes décisives, mais une créativité et une hargne à toute épreuve. Il enchaînait les occasions, dribblait la défense anglaise impuissante, distribuait des ballons bien placés à Batistuta… Ortega était partout, et sans doute le meilleur joueur de la rencontre. C’était là son apogée, l’Argentin inarrêtable et inépuisable, à qui personne ne pouvait prendre le ballon. Pourtant, sa sélection va buter face à des Anglais au rendez-vous. Malgré le penalty obtenu par Simeone après une magnifique transversale d’Ortega et converti par Batistuta, les Three Lions égalisent rapidement, sur penalty aussi. La chevauchée de Michael Owen, l’un des plus beaux buts de la compétition, leur permet même de prendre l’avantage face aux hommes de Passarella. Il faut attendre la dernière minute de cette première mi-temps pour voir arriver l’égalisation argentine, signée Javier Zanetti, après une action lancée par l’inévitable numéro 10. Pourtant, avant cela, El Burrito avait rempli sa part du contrat : des dribbles mystiques, des petits espaces trouvés, de jolies passes données. Des occasions qui auraient pu donner un score bien différent, mais sans grand succès.
Lorsque David Beckham est expulsé à la 47ème minute, l’Albiceleste y voit une occasion de prendre ce huitième de finale en main. Pourtant, les attaquants butent sur la défense anglaise, inébranlable. La deuxième mi-temps est épuisante pour les deux équipes, et Ortega, déjà essoufflé, continue de donner son corps et son âme à sa nation. Quand Passarella voit que son milieu offensif est épuisé, son changement pour Crespo semble logique. Il n’en est rien : El Burrito veut continuer à se battre, et c’est Batistuta qui cède sa place au coéquipier du numéro 10. Le score reste inchangé jusqu’aux prolongations, puis jusqu’aux tirs au but. Cette fois-ci, Ortega prend une décision bien différente : alors qu’il vient de s’effondrer, souffrant de crampes, il décide de ne pas tirer de penalty. Un choix qui s’avère payant, puisque l’Albiceleste s’impose 4 à 3 lors de la séance.
Ariel Ortega vs England, France '98. (via @MedietaENn) pic.twitter.com/jcieBg9bZH
— 90s Football (@90sfootball) September 27, 2020
Le scénario du match suivant face aux Pays-Bas, au Vélodrome, le 4 juillet 1998, est bien différent. Tout Argentin qui l’a vécu doit l’avoir ancré dans sa tête, comme un triste souvenir qui ne partira jamais. Bien évidemment, Ortega est de nouveau titulaire. Pièce maîtresse de cette Albiceleste, impossible de s’en passer. Mais ce match ne sera pas aussi long que le précédent. Dès que les Pays-Bas prennent l’avantage sur un but de Kluivert, l’atmosphère se tend. Cette Argentine, aussi forte soit-elle sur le papier, ne semble pas de taille face à la nation du football total. Fort heureusement, Claudio Lopez égalise cinq minutes plus tard, profitant d’une erreur de la défense hollandaise. Le score reste inchangé dans un match ouvert et d’une qualité technique exceptionnelle entre deux équipes qui ont les armes pour aller chercher les demi-finales. Les occasions s’enchaînent, mais aucune n’aboutit. Et la lumière semble arriver à la 76ème minute, lorsqu’Arthur Numan est expulsé. Quinze minutes à jouer à 11 contre 10, pour marquer l’histoire. A la 86ème minute, Ortega passe un premier joueur et se présente devant le second, Jaap Stam. Alors que celui-ci commence à lever sa jambe, il se retient finalement : un deuxième jaune et un penalty viendraient crucifier les espoirs de son pays. Et Ortega plonge. Immédiatement, l’abitre Arturo Brizio Carter brandit un carton jaune pour simulation. Edwin van der Sar en profite : il vient se coller à Ortega lorsque celui-ci se relève, et lui chuchote quelque chose. C’est le geste de trop pour El Burrito, qui commet sûrement la plus grande erreur de sa carrière : un coup de tête pour repousser le gardien des Oranjes. Un deuxième jaune se lève, puis un rouge. Le rêve d’Ortega de sauver sa sélection s’éteint. Derrière, Dennis Bergkamp marque un but mythique et connu de tous : l’Albiceleste est éliminée, un numéro 10 au talent inouï en éclipse un autre.
El Burrito s’exprimera près de vingt ans après sur le sujet.
« C’était un match que j’ai encore du mal à oublier. Une des choses les plus tristes qui me soient arrivées sur un terrain de football. C’était un mondial merveilleux, j’étais à l’apogée de ma carrière. Nous étions sur le point de gagner après l’expulsion d’un joueur adverse. Pourtant, lorsque je plonge, je sais que je n’aurai pas de penalty. À la seconde, je regrette ce geste, et je le regrette encore aujourd’hui. J’ai craqué face a Van der Sar en essayant de lui donner un coup de tête. Ensuite, sur le trajet vers les vestiaires, j’entends un but. Je demande de qui il est : il vient des Pays-Bas. J’avais envie de retourner en Argentine en marchant. Lorsque j’ai vu mes camarades rentrer… c’était terrible pour ma vie, pour ma carrière. J’ai eu du mal à m’en sortir, c’est insurmontable. J’ai eu d’autres problèmes liés au foot, mais aucun n’était aussi fort. On a perdu à cause de moi. »
« Dans un sens, Ortega est assez maradonesque : c’est une idole incomplète. Il a tout eu : les scandales, les problèmes d’alcool. Il a gagné beaucoup d’argent, a traversé des sales moments, il a souvent été malheureux mais, du premier au dernier jour, il n’a jamais perdu sa joie d’être sur un terrain. Et là, au milieu des stades, il a toujours représenté le football de rue, celui qu’on apprend ici sur les terrains vagues. » Facundo Pastor à So Foot, 31 mai 2014.
Ariel Ortega a illuminé le monde du football de ses deux pieds. En Europe, il n’a jamais su vraiment démontrer son talent. En Argentine, il était le prodige du Monumental, le numéro 10 le plus cher du pays, l’héritier de Maradona. Toutes ces attentes ont un poids, que même El Burrito n’a pas pu supporter. C’était un homme malade, triste et mélancolique, en guerre avec lui-même. Et pourtant, Ortega a tout donné aux Millionarios, offrant son coeur et son corps aux rouge et blanc.
Sources :
- « Ariel Ortega, le dribbleur enchanteur », Le Monde
- « A tribute to Ariel Ortega, a frustrating rebel you couldn’t help but love », Planet Football
- « Ariel Ortega, les mots ne suffisent pas », So Foot
- Le jour où Ariel Ortega a fait fantasmer Valence, So Foot
- « Argentina », These Football Times
- « Ariel Ortega: the little donkey », These Football Times
- « CARP », These Football Times
Crédits photos : Icon Sport