Quand on pense à Álvaro Recoba, deux maillots viennent directement en tête. Le nerazzurro de l’Inter et le céleste de l’Uruguay. Près de dix saisons à l’Inter, douze ans de sélection pour son pays natal. Danubio, Panionios, Nacional et le Torino ont également vu passé l’international uruguayen. Pourtant, parmi ces grands clubs qui ont permis au joueur de remporter de nombreux trophées, l’une des plus belles périodes de la carrière de Recoba s’est faite en six mois. Janvier 1999, Recoba prend l’avion à Milan, direction Venezia.
LIRE AUSSI – Roberto Baggio, quand la virtuosité bataille avec la malédiction
A ce moment de sa carrière, l’épopée de Recoba à l’Inter a déjà commencé. Malheureusement, l’Uruguayen de 22 ans n’a que peu de temps de jeu : Baggio, Ronaldo et Zamonaro bloquent toute possibilité de s’imposer en Lombardie, et le gaucher ne joue que 68 minutes. Pour Álvaro, l’idée d’un prêt paraît logique : partir pour grandir et évoluer pour mieux revenir. En Vénétie, la situation est difficile. L’AC Venezia (actuel Venezia FC), venu de Serie C en 1991, a passé sept ans en Serie B avant de décrocher une promotion lors de la saison 1997-1998. Ce début de saison en Serie A est particulièrement compliqué pour les arancioneroverdi : huit défaites, six nuls et trois victoires à la mi-saison, n’offrant au club que quinze petits points et une quinzième place au classement. La Serie A ne compte alors que 18 équipes, et cette place est synonyme de relégation et d’un rêve bien trop éphémère pour le club de la Cité des Eaux. L’association se dessine alors, et une romance de six mois commence.
Un transfert contesté
En janvier 1999, Venezia doit absolument lutter pour se maintenir au sein de l’élite. Si recruter un joueur aussi talentueux que Recoba semble être un choix incontestable, la réalité est ailleurs : l’Uruguayen représente l’opposé de ce que l’Union cherche. Recoba n’est pas constant, pas stable et joue avant toute chose pour se divertir. C’est un artiste. Álvaro avait besoin de son pied gauche et de son envie d’esthétisme pour être au sommet de son football. Venise cherchait des bagarreurs, des hommes prêts à mourir pour maintenir le club dans l’élite.
La transfert a tout de même lieu, et certains tifosi accueillent l’international uruguayen en héros salvateur. Un tel fuoriclasse, aussi inconstant soit-il, représentait l’espoir. Le gaucher devait briller. Pour Venise certes, pour l’Inter surtout. Il était nécessaire de marquer, de créer et de faire rêver les supporters, pour revenir par la grande porte chez les nerazzurri.
Nous sommes donc à la mi-saison, et 17 matchs ont été joués. Pour Venezia, la phase aller ressemble à un cauchemar. Onze buts marqués, vingt-trois encaissés, quinze points gagnés : direction la Serie B.
L’espoir porte alors un nom. El Chino (le Chinois, surnom donné à Recoba en référence à ses yeux bridés) arrive en Vénétie, et les Leoni Atlati (lions ailés) s’éveillent. La deuxième partie de saison est l’une des plus belles de l’histoire du club. Vingt-sept buts marqués (plus du double de la phase aller), vingt-deux encaissés, vingt-sept points gagnés… et une sixième place au classement de cette deuxième partie de saison.
Naturellement, cette deuxième partie de saison tonitruante est récompensée. Au classement général, l’AC Venezia termine onzième, à quatre points de la relégation. Le miracle uruguayen avait eu lieu.
Un virtuose au sommet de son art
Les chiffres sont sans appel, et Venezia a bien été sauvé en deuxième partie de saison. Etait-ce vraiment grâce à El Chino ? Sans grande surprise, oui. Encore plus que ce que l’on pourrait croire. Sur les 31 buts marqués par le club lors de son passage, 20 viennent directement de l’Uruguayen (onze buts et neuf passes décisives), et il a contribué à la construction de la majorité des autres. Seul, Recoba a donné un second souffle au club de la Cité des Doges. Il a offert à ses nouveaux coéquipiers l’espoir de se maintenir, et a brillamment mené l’équipe sur le terrain.
A l’Inter, El Chino était un incompris parmi les géants. A Venise, c’est un artiste auquel on a enfin donné l’occasion de s’exprimer.
Il n’attend pas longtemps. Après avoir négocié un nul contre la Juventus de Lippi, Venezia accueille Empoli pour jouer son match de retard. A la fin de la première mi-temps, le drame : un penalty à la 17ème et un deuxième à la 38ème pour Empoli, tous deux signés Arturo di Napoli, plonge Venezia dans une situation difficile… et force le virtuose uruguayen à s’exprimer. Moins de dix minutes après la reprise, Fabian Natale Valtolina marque le but de l’espoir de l’extérieur de la surface. A la 76ème minute, El Chino déborde sur le côté gauche, centre et dépose le ballon sur la tête de Maniero qui fusille la lucarne opposée. L’international uruguayen offre alors un espoir de victoire à Venezia. Dribblant deux joueurs, il frappe mais dévisse sa frappe. Le nul est déjà un excellent résultat… mais insuffisant. Un coup franc de Recoba à la 86ème minute offre un but d’anthologie : reprise de volée du talon de Filippo Maniero qui scelle le sort d’Empoli, victime du premier coup d’éclat d’Álvaro, auteur de deux passes décisives.
« C’était comme si nous avions joué ensemble pendant dix ans, alors que nous ne nous connaissions pas. Un regard suffisait à comprendre ce que nous devions faire, je savais directement où il allait placer la balle. Je ne peux pas l’expliquer, nous avions une alchimie naturelle. Au cours de ces six mois, il n’a jamais joué de match imparfait. » Filippo Maniero
Il enchaîne ensuite : une passe décisive contre Bari, puis une contre Parma, avant de marquer son premier but de la saison contre la Roma. Il marque un coup d’arrêt lors de la première défaite des arancioneroverdi depuis son arrivée, contre l’AC Milan. El Chino marque ensuite contre Perugia, puis contre l’Udinese, avant de marquer un second coup d’arrêt contre Bologne, deuxième défaite de Venise sur cette phrase retour.
L’apothéose de sa demi-saison vénitienne arrive alors, lorsque Venezia accueille la Fiorentina, deuxième du championnat à ce moment. Les mots ne pourraient décrire un tel match. Un triplé incluant deux magnifiques coups francs et une passe décisive plus tard, Venezia l’emporte 4-1 contre la Viola.
« Et il y avait ses coups francs. Ce n’est pas comme s’il les pratiquait toute la semaine et qu’il arrivait à les reproduire en match, non. Il ne s’entraînait pas beaucoup, mais en match, le ballon trouvait tout de même le chemin des filets naturellement. A Brescia, je voyais Baggio s’entraîner tous les vendredis soir. Mihajlovic faisait la même chose, et tirait dix à vingt coups francs chaque soir. Recoba ne le faisait pas, mais connaissait ses capacités. Et dès que l’occasion se présentait, le ballon faisait trembler les filets ou passait juste à côté. » Filippo Maniero
Il est ensuite auteur de deux passes décisives et un but sur les six matchs suivants, synonyme de sa plus grande méforme de la saison. Des statistiques qui feraient pourtant rêver plus d’un attaquant.
Une empreinte indélébile laissée en seulement six mois
Une fin de saison parfaite va faire de Recoba un joueur inoubliable pour les tifosi de Venezia. Le 9 mai, lorsque les lagunari se déplacent à Empoli, la défaite semble proche à vingt minutes de la fin, alors que le club hôte mène 2-0. Une étincelle de Recoba apporte un élan d’espoir lorsque celui-ci obtient un penalty, qu’il marque. Finalement, dans les derniers instants du match, à la 95ème minute, Venezia obtient un coup franc. À une vingtaine de mètres du but, légèrement sur la droite, l’occasion est parfaite. Et comme un signe, Recoba marque un énième coup franc, offrant un point précieux au club. Il ne manque alors que trois points à Venise pour se maintenir.
Deux obstacles de taille se dressent cependant face aux Leoni Atlati. D’abord, l’Inter de Baggio, Zanetti, Djorkaeff et Ronaldo. Ensuite, la Juventus de Del Piero, Zidane, Deschamps, Davids et Conte. Deux colosses qui pourraient priver Recoba et ses coéquipiers d’un maintien tout proche.
Mais si l’histoire est restée, c’est parce qu’elle est si belle. Lorsque l’Inter arrive au stade Pier Luigi Penzo, Recoba sait qu’il a beaucoup à prouver à son club s’il veut y retourner. Le coup d’envoi est lancé, et il ne faut qu’une poignée de secondes pour que les choses prennent une magnifique tournure pour les arancioneroverdi. Recoba déborde sur le côté, effectue une passe en retrait à Sergio Volpi situé à vingt mètres du but intériste. Il la prend du droit, comme elle vient, et la loge dans la lucarne de Sébastien Frey. 1-0 pour Venezia, l’espoir est permis.
Trois minutes plus tard, le club obtient un coup franc bien placé, naturellement donné à l’Uruguayen. Forcément, comme un signe du destin, El Chino caresse le ballon de son pied gauche. Il frappe la barre transversale au niveau de la lucarne droite, avant de rebondir sur un Sébastien Frey impuissant et de se loger dans le but.
https://youtu.be/G09vmMmu1xE?t=41
Recoba venait d’offrir à son équipe le maintien dans l’élite en quatre minutes, face au club qui ne lui avait pas fait confiance. Filippo Maniero, acolyte de Recoba devant les buts, enfonce le clou à 19ème minute. 3-0 pour Venezia, et le penalty de Ronaldo à la 52ème ne sauvera pas les nerazzurri. Le maintien est assuré, et l’histoire est écrite.
El Chino termine sa saison par un but et une passe décisive contre la Juventus, insuffisants pour offrir une victoire à Venise cependant (défaite 3-2). Le match n’avait toutefois plus aucun enjeu, et les lagunari terminent à la onzième place du classement, chose totalement inespérée à la mi-saison.
Álvaro Recoba, prodige de 22 ans bloqué à l’Inter par certains des meilleurs joueurs de l’histoire, a marqué celle de Venezia en seulement six mois. Depuis, les tifosi le considèrent comme l’un des joueurs les plus importants du club, malgré son passage éphémère. Après une telle demi-saison, l’Inter n’hésite pas une seconde à le reprendre, et lui fait jouer plus de 30 matchs dès la saison suivante. Il y reste ensuite neuf saisons et devient une légende du club nerazzurro, après avoir conquis le coeur des arancioneroverdi.
Recoba à Venezia c’était de la magie, du talent, de l’audace, du génie. Recoba à Venezia, c’était ça :
https://youtu.be/9wr2aWRnClw
Sources :
- Alvaro Recoba: The Inter Enigma who had a Venetian love affair, Gentleman Ultra
- Maniero ci racconta il Recoba del Venezia: « Odiava la corsa e parlava… dialetto veneto! E le sue punizioni… », gianlucadimarzio.com
- Recoba y Venecia: un amor unico, Panenka
- Calcio II, These Football Times
- Álvaro Recoba, Transfermarkt
Crédits photos : Icon Sport