Disparu en novembre 2020, Diego Armando Maradona a écrit les plus belles pages de son histoire à Naples. Au cœur de la ville, l’âme du D10s subsiste. Aujourd’hui, les Napolitains, nostalgiques, n’oublient pas celui qui a élevé le club et la cité au centre de la carte.
Nuit de pèlerinage
17h30, le mercredi 25 novembre 2020.
Diego Armando Maradona s’en est allé. Il a succombé à un arrêt cardiaque, chez lui, à Buenos Aires. Bientôt, ce sont toutes les chaînes d’informations du monde qui ne relaient qu’une seule et même nouvelle. À quelques milliers de kilomètres de là, à Naples, les lumières s’éteignent. La ville, déjà plongée dans l’obscurité, accueille avec stupéfaction la mort de l’enfant prodige.
Des milliers de personnes, censées être confinées chez elles, sortent dans la rue. Avec elles, des bougies, des écharpes, ou autres maillots du Dio. De nombreuses reliques, qui seront ensuite déposés dans des lieux symboliques de la ville, citons le stade San Paolo, renommé depuis en sa mémoire, ou le Murales Maradona , immense fresque à l’effigie de l’Argentin située dans le quartier espagnol de la ville.
Au pied du Vésuve, le temps est figé, les horloges se sont arrêtées. Dans les rues escarpées du quartier populaire de la Sanità, les klaxons et le brouhaha incessants ont laissé place au recueillement. Des groupes de tous âges se forment, devant des cafés ou au détour d’une rue, extériorisant la mélancolie d’une époque dorée, désormais révolue, par des prières et des pleurs.
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Le deuil durera quelque temps pour nombre d’enfants de la ville : « J’ai pleuré en revoyant le but du siècle de 1986. Ensuite, je me suis senti mal pendant 3-4 jours. » témoigne Paolo, jeune tifoso napolitain. À l’instar de ce dernier, ils sont des milliers à se rendre aux abords du stade le lendemain. Le SSC Napoli y accueille le club croate de Rijeka pour tenter de se qualifier en 16ème de finale d’Europa League. Les caméras de nombreux pays, venus couvrir l’avant match, assistent à un véritable pèlerinage de fidèles venus prier celui qui s’était élevé, au fil des années, aux côtés de San Gennaro, saint patron des Napolitains.
Le mythe Maradona
À Naples, l’histoire de Diego Armando Maradona se dresse en un véritable livre de chevet d’une jeunesse admirative, connaissant sur le bout des doigts chaque ligne, chaque chapitre, d’un conte où le héros est un petit Argentin venu rendre sa splendeur à une cité déchue des bords de la Méditerranée. Ici on se rappelle un stade San Paolo comble pour accueillir le Messie, une ville en fusion un soir de mai 1987, lors du premier Scudetto glané à l’ennemi turinois, et une joie incommensurable deux ans plus tard, après un nouveau titre de champion, couplé à une Coupe de l’UEFA, remportés grâce au Pibe de Oro .
Le génie argentin, auteur de 115 buts en 259 matchs avec les Azzurri, a réussi à placer la cité de Parthénope à égale hauteur de ses rivaux du Nord de la péninsule, citons Turin, l’Inter ou l’AC Milan. « Ce n’était pas seulement un joueur de foot. C’est un héros. Il a rendu Naples fière », témoigne Paolo. Une icône telle que, lorsqu’en 1990, l’Argentine se déplace au San Paolo de Napoli pour y affronter l’Italie en demi-finale de Coupe du Monde, c’est toute une population qui se retrouve confrontée à un dilemme cornélien. Choisir le « Dieu » Maradona, qui a apporté à la ville son second Scudetto quelques mois auparavant, ou supporter une Squadra azzurra composée en grande partie de joueurs de la triade Juventus, Milan et Inter. Problématique légitime lorsqu’on connaît les disparités économiques, politiques et culturelles entre les régions du Nord et du Sud.
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Les Napolitains, caricaturés à longueur d’année en maladie humaine, en paysans, ou se lavant dans le cratère du Vésuve par leurs voisins « riches » du Nord, ont pour la plupart décidé d’adopter pendant ce match une politique de neutralité. À l’issue d’une séance de tirs au but en apnée, c’est Diego Maradona qui envoie l’Argentine en finale, rendant muet un stade dans lequel il a brillé six années durant, et marquant le début d’une fracture avec une Italie qui l’a tant aimée.
L’importance sociale
En remportant deux championnats d’Italie au nez et à la barbe du mastodonte Juventus, ce sont des dizaines d’années de revers sportifs, culturels et économiques qui ont été vengées. En effet, depuis l’unification italienne en 1861, Naples, à l’instar du Sud de l’Italie, a subi les conséquences de la centralisation des pouvoirs économiques et politiques vers le Nord de la péninsule. Exit Napoli, ses industries du textile et de la métallurgie. Ce sont, de facto, des villes comme Turin, Milan, ou même Rome qui prospèrent désormais.
Dans une ville où le taux de chômage approche les 20% de la population active, le football fait figure d’exutoire face à la pauvreté. La violence, commune et orchestrée par la mafia locale, la Camorra, est tentaculaire et gangrenée par l’apparition de baby-gangs. Elle régit le quotidien d’une population métropolitaine de 4 millions de personnes, entre ramassage des ordures ménagères et comptes des commerçants locaux.
Pour échapper à ces fléaux chroniques, une grande majorité de Napolitains, bercés par les exploits d’un fantasque argentin, trouve du réconfort parmi leurs nouvelles idoles, citons Marek Hamsik, Edinson Cavani ou Ezequiel Lavezzi. L’Argentin auteur de 5 saisons pleines en Italie, fut considéré à son arrivée comme le successeur présumé du D10s : «Lavezzi était mon idole, c’était un nouvel Argentin après Maradona », se rappelle Paolo.
Naples, encore plus qu’ailleurs, vit pour le football. Cette passion, parfois déraisonnée, se traduit dans la rue, où des dizaines de portraits à l’effigie de Diego Maradona ornent les murs délabrés du centre historique de la ville. Une omniprésence dans le quotidien dont témoigne Paolo : « L’année passée, j’ai obtenu ma licence après que le Napoli a battu la Juventus. Nous avons fêté mon diplôme, mais sur le gâteau, aucune allusion à ma réussite, seulement l’inscription : ‘L’important est que nous ayons battu la Juve ».
Démystifié ?
En dehors de ses exploits au San Paolo, Diego Maradona fit tout autant parler de lui par ses frasques extra-sportives. Lors de son passage au FC Barcelone, le Dio commença à consommer des substances illégales comme la cocaïne. En 1984, alors qu’il est transféré à Naples depuis la Catalogne, il est approché par le clan Giuliano. Cette famille, dirigée par Don Luigi Giuliano, était basée dans le quartier de Forcella, au cœur de la ville. Elle contrôla jusqu’en 1990 une grande partie des activités illégales de la cité napolitaine. Puissante et riche, la pieuvre attira en quelques mois le natif de Lanús dans ses tentacules.
Le joueur, qui cohabitait avec une horde de paparazzi, postée 24/24 devant sa maison, trouva sécurité et refuge au sein même de ce clan. Erreur qui lui sera fatale. Le principe de « Camorra Mécène » allait très vite montrer ses limites. D’abord couvert de cadeaux, montres et voitures, c’est avec la drogue que le fantasque Argentin survit. Carmine Giuliano, membre du clan, aujourd’hui repenti, s’exprima à son sujet : « Il aurait tout fait pour avoir de la coke, y compris saborder son équipe ». En effet, en 1988, le Napoli, tout fraîchement auréolé du titre de champion d’Italie, fait figure de favori pour le prochain Scudetto. Au sein de la ville, une majeure partie des habitants décide de placer ses économies dans le totonero, une pratique illégale du pari, contrôlée par la mafia. Un business censé être très rentable pour la famille Giuliano, laquelle va très vite déchanter.
Dès les prémices de la saison, le SSC Napoli domine le championnat. A quatre journées de la fin, les pensionnaires du San Paolo foncent vers le titre. Avec 5 points d’avance sur leur rival milanais, seule une catastrophe pourrait venir priver les Partenopei du sacre. Finalement, le Napoli perdra trois de ses matchs, et verra les coéquipiers de Paolo Maldini les dépasser sur la ligne d’arrivée.
Cette mystérieuse crise de résultat fera couler beaucoup d’encre. Nombreux étant sceptiques quant aux explications tendant sur une baisse généralisée du niveau de l’équipe. C’est donc assez naturellement que les yeux se braquèrent sur le lobby mafieux. D’après les calculs, un sacre du Napoli aurait fait perdre quelques 100 millions d’euros à l’organisation illégale, et entraîné par la même occasion une faillite du clan Giuliano. Ce dernier exerçait un contrôle total sur Diego Maradona, accro et consommateur quotidien de stupéfiants.
Aujourd’hui, aucune trace de transaction n’a jamais été retrouvée. Seuls éléments probants : des voitures de joueurs brûlées, des cambriolages au domicile des proches, et de nombreux messages de menaces envoyés à l’équipe. Quelques trente années plus tard, il est de notoriété publique que quelques kilos de cocaïne et d’importantes sommes d’argent entrèrent aussi dans la combine.
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Cette affaire remit en cause l’impunité dont jouissait le phénomène argentin dans la péninsule italienne. Finalement, le SSC Napoli reprit très rapidement sa marche en avant. Le club remportera la saison suivante le deuxième championnat national de son histoire grâce au génie du numéro 10, faisant oublier dans la ville au moins, cette affaire ayant eu lieu un an auparavant.
Par la suite, à l’heure où le reste de l’Italie ne lui pardonnera plus aucun écart, la ville de Naples restera à jamais derrière celui qui l’a illuminée. Suspendu quinze mois après un contrôle antidopage positif, il quitte le Sud de l’Italie en 1991. Il laisse derrière lui des milliers d’orphelins d’une époque dorée, la plus belle de l’histoire du club.
Aujourd’hui, le football n’est pas seulement un jeu, il a une portée sociétale, politique et fait même figure d’agent économique. À Naples, Diego Maradona ne fut pas qu’un protagoniste de ce sport. C’est toute une cité qu’il a mise debout, et toute une population qu’il a émerveillée. Diego Maradona et cette ville sont indissociables. A vrai dire ils sont les mêmes : fantasques, extrêmes, parfois déraisonnés, mais aimés jusqu’à l’irrationalité par ceux qui osent s’aventurer dans cette folie.
À 17h30, le mercredi 25 novembre 2020, Diego Armando Maradona s’en est allé, oui, mais le souvenir qu’il laisse ici restera intact des années encore.
« Chi ama, non dimentica ».
Sources :
–Paolo Esposito (interview)
-So foot–« Argentine-Italie, le jour où Diego a divisé Naples »
-Today.it-« Quando la Cammora rubo uno scudetto al Napoli e a la Camorra »
Crédits photo : IconSport