Les dernières semaines ont été marquées par les propos de Pablo Longoria, président de l’Olympique de Marseille. Il a critiqué la formation française au niveau des joueurs et des entraineurs avant d’être railler par la ligue corporatiste de ces derniers. Certains ont souligné que les coachs Français n’avaient pas la chance d’avoir un bon réseau pour entrainer à l’étranger. Par exemple, avant Zinedine Zidane, aucun entraineur tricolore n’avait remporté la Ligue des Champions depuis le franco-argentin Helenio Herrerra double lauréat au milieu des années 60. Au même moment, un autre tacticien français, à l’idéologie contraire, faisait parler de lui à l’étranger. Malgré une moins grande résonance, Pierre Sinibaldi, sur le banc d’Anderlecht, est le symbole que la compétence n’a pas de frontière.
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Cela fait près de 10 ans que l’homme à l’accent corse est décédé et si ses innovations tactiques restent dans l’air du temps, son nom semble oublié. Malgré sa naissance insulaire et sa carrière de joueur entre Troyes, Reims ou Nantes, c’est en Belgique que Pierre Sinibaldi va se faire connaître. Il ira même, plus tard, du côté de l’Espagne en entraînant l’UD Las Palmas et le Real Gijón pour de moins grands succès. C’est au Royal Sporting Club Anderlecht qu’il va, durant huit années cumulées en deux mandats, révolutionner la tactique et accumuler les trophées. Une ligne unique en défense et plusieurs pour son palmarès, voici la carrière de Pierre Sinibaldi.
Nationalité commune, idéologies plurielles
Lorsqu’il arrive à Anderlecht, en 1960, il n’est ni connu ni reconnu dans le paysage des entraîneurs mondiaux. Il s’inscrit pourtant dans la lignée des tacticiens français de l’époque. Nous parlions d’Helenio Herrera, celui-ci signa à l’Inter la même année après un excellent passage à Barcelone. Albert Batteux venait d’emmener le Stade de Reims pour la seconde fois en finale de Coupe d’Europe des clubs champions. Jean Snella entamait sa seconde saison au Servette après son expérience remarquée à Saint-Étienne. Pour clôturer cette liste non-exhaustive, José Arribas venait d’arriver sur le banc du FC Nantes pour donner naissance au jeu du même nom.
S’il est difficile de parler d’âge d’or pour les entraineurs français, cette période n’en reste pas moins exceptionnelle. Notamment au niveau de sa pérennité car, plus tard, Hidalgo, Suaudeau, Gourcuff ou Wenger se diront tous inspirés de certains de ses techniciens des années 60. En plus d’une relative quantité, c’est la qualité de leur formation qui est à louer. Alors que le béton d’Helenio Herrera puis le froid pragmatisme allemand deviennent la norme du football européen, quelques entraîneurs tricolores se présentent comme défenseurs du romantisme.
Pierre Sinibaldi fait partie de ceux-là, à l’instar d’Arribas ou Batteux. Ce sont ces coachs qui vont être constamment loués par Le miroir du football. Le magazine de François Thébaud aux inspirations communistes se voulait unique et prenait le contrepied de L’Equipe et France Football, détenteurs du monopole médiatique footballistique. Ils étaient surtout adeptes du jeu physique quand Le Miroir n’avait d’yeux que pour le “vrai football”. Cette pluralité d’idées va faire la force du football français bien avant le duel Menotti-Bilardo.
Un jeu protagoniste
Sinibaldi a été joueur du Stade de Reims d’Albert Batteux et se disait admirateur du Brésil champion du monde en 1958 et de la Hongrie de Gusztav Sebes finaliste quatre ans plus tôt. Il s’inspira donc de ces équipes notamment au niveau du système. À une époque où le WM était de mise, il bâtit son équipe mauve autour d’un 4-2-4 autour de joueurs comme Van Himst, Heylens ou Hanon. L’entraîneur avait à cœur de déployer un football protagoniste qu’il explique au journaliste belge, Bruno Govers :
“Je partais invariablement du principe que c’était mon Sporting qui, sur le terrain, devait dicter la marche à suivre, quelle que fût la nature de l’opposition. À mes yeux, s’adapter à l’adversaire équivalait à perdre 50% de ses moyens. Et je suis toujours de cet avis de nos jours”
Cette idée de jeu enthousiasmant est résumée par une légende d’Anderlecht qui était alors un enfant ébahi devant la formation de Sinibaldi, qui mêlait « du spectacle et des joueurs qui font se lever le public. L’équipe pratiquait un football de stylistes”. Cette obsession du romantisme allait de pair avec une intransigeance. Celle notamment de refuser de jouer avec un libéro puisque c’est ce qui lui fera quitter le club en 1966 avant d’y revenir quatre ans plus tard. C’est justement en ce point qu’il diffère totalement du jeu pratiqué par la majorité de clubs du Vieux continent.
Sinibaldi et la ligne
Alors que placer un libéro en dernier rempart était la norme continentale, “Sini” voulait construire plutôt que détruire. La Hongrie avait battu l’Angleterre sur ce postulat, le Stade de Reims avait régné en France et le Brésil sur le monde. Dès ses débuts à Perpignan, il voyait dans le jeu cette idée novatrice de la ligne. Une défense haute. Si haute que ses deux défenseurs centraux se trouvaient souvent “dans l’œuf”, soit dans le rond central. Anderlecht monopolisait la possession du ballon dans le camp adverse grâce à cette ambition.
Beaucoup d’entraîneurs n’oseraient pas laisser un tel espace dans le dos de la défense par crainte du kick and rush encore très présent. Mais lui n’avait pas peur du risque, il tentait sa chance. Pierre Sinibaldi et sa ligne de quatre profitaient de cette hauteur pour piéger ses adversaires. On leur reprocha de trop hacher le rythme des rencontres lorsque l’arbitre de touche levait son drapeau, ce à quoi l’entraineur dira avoir inspiré Rinus Michels et son football total. “Pour tous ces censeurs, j’avais simplement eu tort d’avoir raison trop tôt” s’exclama-t-il même.
Pierre Sinibaldi se refusait de se résoudre au marquage individuel et rompait donc avec toutes les idéologies défensives de l’époque. Heureux de voir cela, Le miroir du football écrit : “L’utilisation de la loi du hors-jeu et de la couverture font de la ligne Heylens-Verbiest-Lippens-Cornelis l’exemple le plus convaincant qui existe aujourd’hui de cette défense offensive dont on peut attendre la résurrection du vrai football”. L’entraineur français n’était pas qu’un savant fou – futur révolutionnaire – il était un motif d’espoir dans un marasme de béton.
Victoires, départ et retour
En plus de ses idées, Pierre Sinibaldi laisse de nombreux trophées à Anderlecht. Lors de ses six premières années au club, il glana quatre fois (1962 puis de 1964 à 1966) le championnat belge ne laissant qu’une seule bouchée au Standard. Il emporta dans son escarcelle une coupe nationale et des tonnes d’histoires. Parmi lesquelles celles en Coupe d’Europe où malgré de lourdes défaites, il ne garde qu’un souvenir romantique du jeu déployé. Il y eut aussi la victoire historique face à l’immense Real Madrid en 1963 où sa ligne eut raison de la force individuelle de Gento ou Di Stefano.
Des histoires moins belles également comme celle de son premier départ. Départ précipité par son intransigeance idéologique liée au poste de libéro. Il revint finalement en 1970 à Bruxelles pour chasser ses vieux démons continentaux et (enfin) emmener Anderlecht en finale de coupe d’Europe, la première d’une équipe belge. En Coupe des villes de foires, les Mauves s’inclinèrent face à Arsenal. Ils avaient pourtant battu l’Inter Milan façonné par Helenio Herrera. Une victoire d’idée qui lui faisait, en 2008, toujours aussi plaisir :
“Tout au long de ma trajectoire sportive, je n’ai d’ailleurs jamais été évincé d’une épreuve européenne par une formation italienne. Je ne l’aurais pas supporté. Pour moi, le football généreux doit toujours l’emporter face à un jeu frileux. Et, à de très rares exceptions près, les Transalpins ont toujours manié la règle à calcul”
Pierre Sinibaldi s’inscrivait dans une lignée d’entraineurs français aux principes différents. À l’instar de Batteux, Arribas ou, plus tôt, Paul Baron, il prônait un jeu aussi offensif qu’enthousiasmant. Il reste pourtant celui qui eut le plus grand impact sur le football avec… Helenio Herrera. Une pluralité d’idée qui a fait avancer le football français et qui pourrait faire réfléchir les acteurs actuels de celui-ci.
Sources :
- Thibaud Leplat, «Football à la française »
- Florian Lefèvre, « La ligne mauve », So Foot
- Bruno Govers, « Pierre Sinibaldi : « mon Anderlecht, c’était l’Arsenal actuel » », Sport Magazine
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