On dit souvent dans le foot que l’histoire est tragique. Il existe en effet des losers. Il est étonnant qu’une équipe comme l’Angleterre, ayant connu tant de talents tels que Beckham, Lampard, Gerrard ou Scholes n’ait rien gagné depuis 1966 et une « Coupe à la maison ». Les Anglais sont malheureusement (ou pas) des perdants. Qui dit malédiction, dit Benfica, maudit par son ex-coach Bela Guttmann dans les années 1960 et qui depuis essuie les échecs européens. Les Pays-Bas, eux, combinent les deux : la loose et la malédiction. Malgré Cruyff, Bergkamp, Kluivert, Van der Saar, Van Nistlerooy ou encore Robben, leur palmarès n’est presque pas étoffé. Mais entre plusieurs échecs en finale de Coupe du Monde ou lors de demi-finales perdues aux tirs au but, les Oranje ont vu la lumière. C’était en 1988.
Soyons honnêtes. A l’époque, le chemin pour remporter un trophée international pouvait sembler plus facile qu’aujourd’hui. Il ne s’agit pas de dénigrer les titres, mais il est important de rappeler que dans les années 1970, seules seize équipes participaient à la Coupe du monde, et huit nations au championnat d’Europe. On pensait que les Pays-Bas étaient destinés à gagner la Coupe du Monde bien avant de remporter l’Euro 1988. Aujourd’hui encore, certains spécialistes du football n’arrivent pas à comprendre l’échec essuyé par la génération Cruyff à la coupe du monde 1974. En effet, avant la finale, rien ne semblait pouvoir arrêter les Néerlandais. Remettons-nous dans le contexte : à la tête de l’équipe nationale il y a Rinus Michels, aujourd’hui considéré comme le père du football moderne (qui transmet sa philosophie à Johan Cruyff qui l’enseigne à son tour à Pep Guardiola ). En capitaine, Johan Cruyff, triple vainqueur de la Coupe d’Europe des clubs champions (ancêtre de la C1). En patron du milieu, Johan Neeskens, coéquipier de Cruyff à l’Ajax, qui terminera meilleur buteur de son équipe. En plus de cela, il ne faut pas oublier Johnny Rep et d’autres cadres de l’Ajax. Le fonctionnement de la Coupe du Monde n’est pas le même que celui que nous connaissons aujourd’hui : il y a en fait deux phases de groupes. Une fois sorti des poules, c’est d’un nouveau groupe de 4 qu’il faut sortir premier pour parvenir en finale. Après un deuxième tour de haute volée, dont un 4-0 mémorable face à l’Argentine du jeune Mario Kempes – avec un doublé de Cruyff – les Pays-Bas se hissent en finale.
En face et à domicile, l’Allemagne de l’Ouest de Franz Beckenbauer et Gerd Müller a le statut d’outsider tant les Néerlandais ont impressionné jusqu’ici. Mais avant la rencontre, une polémique vient tout bouleverser. Griezmann et M’Vila qui vont en boite de nuit en période de rassemblement ? Cette polémique est l’une des toutes premières du genre dans l’histoire du football. A la veille du match, le célèbre média allemand, Bild, titre « Cruyff, champagne, filles nues et bain froid », faisant référence à une soi-disant soirée arrosée que certains joueurs auraient eu après avoir défait le brésil 2-0 pour se qualifier en finale. Auke Kok, journaliste néerlandais, auteur d’un livre sur l’épopée des Pays-Bas en 1974, raconte qu’à la veille du match, certains joueurs sont davantage préoccupés par leur mariage que par la finale. Par eux, Johan Cruyff. Aujourd’hui, personne n’est en mesure de prouver que ce fut une campagne de déstabilisation de Bild, ni si cette soirée a vraiment eu lieu. Mais si le but était de déstabiliser les Oranje en vue du match, c’est mission réussie. Au Stade Olympique de Munich, les hommes de Michels prennent d’abord l’avantage sur un penalty transformé par Neeskens et obtenu par Cruyff à la 2e minute. « On a oublié de marquer un deuxième but », déclare Ruud Krol après la rencontre. A juste titre. 24 minutes plus tard, un nouveau penalty est sifflé, mais en faveur de l’Allemagne cette fois-ci. Le défenseur Paul Breitner égalise, tout est à refaire pour les Néerlandais. Mais rien ne sera refait. Pire, Gerd Müller donne l’avantage aux Allemands juste avant la pause sur un service de Rainer Bonhof. Dépassés, déconcentrés…il est difficile de trouver une explication. En deuxième période, aucun but n’est inscrit et l’Allemagne de l’Ouest est sacrée championne du monde. Première désillusion internationale pour cette sélection, dont une grande partie des joueurs étaient pourtant triple championne d’Europe de suite avec l’Ajax.
1988. Nouvelle génération, nouveaux objectifs. Non sans coïncidence, c’est une nouvelle fois Rinus Michels qui est à la tête des Oranje cette année là, en poste pour son deuxième mandat depuis son retour en 1986. Entre temps, il a remporté le championnat et la coupe d’Espagne avec le FC Barcelone. Côté effectif, il y a toujours de la qualité. On retrouve ainsi le capitaine Ruud Gullit, mais aussi Frank Rijkaard, les frères Koeman et un certain Marco Van Basten alors âgé de 23 ans. 8 équipes participent, il y a donc deux groupes. Les Pays-Bas figurent dans la poule de l’Angleterre, l’Irlande et l’URSS. Les deux premiers de chaque poule se hissent en 1/2 finale. Si en 1974, les hommes de Michels n’ont fait qu’asseoir leur supériorité au fil des matches, cette campagne là démarre plus difficilement. En effet, le premier match disputé est une défaite (1-0) face au futur leader du groupe, l’URSS du ballon d’Or 1986, Igor Belanov. Trois jours plus tard face à l’Angleterre, Michels décide de titulariser Van Basten, le « freshman » du Milan AC. Résultat ? Triplé et victoire 3-1 face Lineker et ses copains. Lui, tu ne lui parles pas d’âge. Avec une défaite face à l’URSS et deux victoires sur l’Angleterre et l’Irlande, les Pays-Bas sortent tout de même deuxième de leur groupe.
Tiens tiens tiens. Mais qui se met en travers de leur route en 1/2 finale ? Une certaine Allemagne de l’Ouest, et encore à domicile. Plus la même évidemment, mais 1974 est toujours dans les mémoires. Le scénario est quasiment le même que celui de la finale 1974, mais cette fois-ci dans le sens inverse. Victoire 2-1 des Pays-Bas. C’est pourtant Lothar Matthäus qui ouvre le score sur penalty à la 55e minute. Ronaldo Koeman, également sur penalty, égalise quelques minutes plus tard avant que l’inévitable Van Basten ne fasse la décision à la 88e minute pour envoyer son pays en finale. Sur cette dernière marche, les Néerlandais retrouvent… l’URSS, seule équipe du tournoi à les avoir battu. En 1/2, les Soviétiques ont facilement disposé de l’Italie de Maldini, Mancini et Ancelotti (2-0). La grandeur d’un match ou d’un joueur se reconnaît aux buts inscrits. Nous vous avons déjà parlé des buts de Maradona lors du Argentine – Angleterre 1986, ou bien de celui de Bergkamp lors du Argentine – Pays-Bas au Stade Vélodrome en 1998. Et bien c’est, en partie, sur ce match que s’écrira la légende de Marco Van Basten. Passeur décisif pour la tête de Gullit sur le premier but Néerlandais, c’est lui, qui, d’une sublime reprise de volée dans la lucarne opposée, permet aux siens de faire le break. Admirez.
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L’histoire ne fut donc pas tragique cette année-là. Enfin si, pour Igor Belanov. Alors que le score est de 2-0, l’URSS a l’occasion de réduire la marque grâce à un penalty obtenu. Mais ce soir, la bonne étoile est bien au-dessus des Oranje et plus particulièrement Hans Van Breukelen, le portier néerlandais, auteur d’un superbe arrêt sur la tentative de Belanov. Le seul raté de sa carrière sur penalty.
Les Pays-Bas sont donc sacrés champions d’Europe, le premier titre de leur histoire, et encore aujourd’hui, le seul.
Peu nombreuses sont les nations qui peuvent se targuer d’avoir un titre international. En soit, avoir à son actif un championnat d’Europe n’est pas à négliger. Mais quand on s’appelle les Pays-Bas et qu’on voit les différents effectifs qui se sont succédés ainsi que leurs parcours, il y a de quoi avoir des regrets. Enumération.
Premier échec en 1974 donc, suite (ou pas) à la polémique lancée par Bild et cette finale perdue contre la RFA. 4 ans après, même scénario, bien que les attentes n’étaient pas les mêmes. Les Néerlandais essuient une nouvelle défaite en finale contre l’Argentine d’un Mario Kempes bien plus aguerri que lors de leur affrontement en 1974 et ce revers, 4-0. L’emblématique numéro 10 argentin inscrit d’ailleurs un doublé dans cette finale pour l’emporter 3-1, en prolongations. 4 ans après leur sacre européen, en 1992, les Pays-Bas échouent en 1/2 finale, au tirs-au-but après avoir pourtant usés de leur botte secrète : l’égalisation en toute fin de match. Euro 1996 ? Défaite en 1/4 de finale contre la France, encore au tirs-au-but, avec un raté de Clarence Seedorf.
A la Coupe du monde 1998, et à juste titre, les espoirs sont grands. Lorsque l’on regarde l’effectif présent, c’est du très lourd : Kluivert, Bergkamp, Staam, Davids, Overmars, Van der Saar… Par deux fois, en 8e et en 1/4, Davids puis Bergkamp inscrivent le but du 2-1 synonyme de qualification à la 90e minute. Mais en 1/2 finale, les Oranje tombent sur le Brésil de Ronaldo, Rivaldo et Roberto Carlos. R9, « Il Fenomeno », ouvre le score à la 46e minute. Mais comme en 8e et en 1/4, Patrick Kluivert permet aux Néerlandais d’égaliser dans les derniers instants pour décrocher les prolongations. Ce sont finalement les tirs-au-but qui déterminent l’issue de la rencontre, et la malédiction continue. Suite au raté de Ronald de Boer, les hommes de Guus Hidink échouent aux portes de la finale. Ça commence à faire beaucoup non ? Et pourtant, ce n’est pas fini.
En 2000, Kluivert et ses camarades dominent, en phase de poule, le futur vainqueur français 3-2. En 1/4 de finale, nous assistons à un récital offensif contre l’ex Yougoslavie, avec à la clé un triplé pour Kluivert et une victoire 6-1. Le plein de confiance est fait avant la 1/2 finale contre l’Italie de Totti et Maldini. Mais encore une fois…après 120 minutes sans le moindre but, les Néerlandais s’inclinent aux tirs-au-but n’inscrivant qu’un seul penalty. Vous connaissez le dicton : « Jamais 2 sans 3 ». Après 1974 et 1978, les Pays-Bas échouent une nouvelle fois en finale de Coupe du monde, en 2010 contre l’Espagne de Xavi, Xabi Alonso, Piqué et Ramos. Un but inscrit en prolongation par Iniesta (116e minute) donne la victoire aux Espagnols alors que plus tôt dans le match, Arjen Robben manquait un face-à-face avec Iker Casillas (62e minute). Et enfin, dernière désillusion en date : 2014. Une fois n’est pas coutume, l’Argentine de Messi se dresse face aux Oranje en 1/2 finale de la Coupe du monde au Brésil. Je pense ne pas avoir besoin de vous faire un dessin, mais tout de même. Au terme de 120 minutes sur un score nul et vierge, les Pays-Bas s’inclinent 4-2 au terme d’une cruelle séance de tirs-au-but contre le futur vice-champion du monde.
Aujourd’hui, les Pays-Bas semblent être sur la bonne voie de la reconstruction, bien que le vivier de talents ne soit pas aussi fourni qu’à certaines époques. Depay, De Jong, Van Dijk, De Ligt… il y a peut-être de quoi être optimiste lorsque l’on sait que la victoire est encore possible en Ligue des Nations.
Mais malgré cela, qui ? Qui les amis ? Qui peut s’asseoir à la table des Pays-Bas et dire « Je suis une nation plus maudite que toi » ?
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"Si je meurs, je veux renaître et devenir footballeur. Et je veux redevenir Diego Armando Maradona. Je suis un joueur qui a donné du bonheur aux gens, ça me comble et ça me suffit."