L’Allemagne fait aujourd’hui partie des meilleures nations du football. Les nombreuses compétitions internationales qu’elle a remportées font d’elle l’une des équipes les plus titrées de ce sport (quatre Coupes du Monde et trois Championnats d’Europe). Toutefois, rien de tout cela n’était imaginable quand cette même Allemagne était alors un pays meurtri, ravagé par la guerre et divisé en deux au retour de la Seconde Guerre mondiale. Il faut rappeler qu’avant ce conflit, l’Allemagne n’avait jamais rien gagné. La guerre finie, l’heure est à la reconstruction et à la reconquête d’une fierté nationale. Le football reprend sa place. Après l’édition de 1950 organisée par le Brésil, l’Europe accueille de nouveau la Coupe du Monde quatre ans plus tard, avec la Suisse comme pays organisateur. Elle ne le sait pas encore, mais cette année l’Allemagne va vivre sa première grande prouesse footballistique. Retour sur un acte fondateur du palmarès du football allemand.
A quelques semaines de la Coupe du Monde, l’Allemagne va un peu mieux. Le pays se reconstruit après avoir été dévasté par la guerre, perdu des territoires et beaucoup d’hommes. Si des Allemands sont toujours retenus prisonniers plus à l’Est, le chômage disparait néanmoins, petit à petit, et le niveau de vie augmente. Le pays semble être à l’aube d’une renaissance. Les malheurs de la guerre ont rendu difficile l’expression d’un nationalisme allemand, notamment dans le domaine culturel. De plus, au début des années 1950, l’Allemagne est scindée en deux : l’Allemagne de l’Est d’un côté et l’Allemagne de l’Ouest de l’autre. Malgré tout, cette dernière possède une petite équipe de foot qui peut se présenter timidement à la Coupe du Monde 1954. En effet, la République démocratique allemande, n’a pas inscrit son équipe. Cette participation permet à l’Allemagne de retrouver un Mondial après sa suspension lors de la dernière édition.
L’Allemagne se relève, la nécessité de retrouver une union
L’entraineur de la sélection, Josef « Sepp » Herberger a déjà co-entraîné l’Allemagne dans les années 30, et de 1936 à 1942 il est le sélectionneur du Reich. Lors de l’après-guerre il est rappelé pour diriger l’équipe. Il incarne la continuité entre l’Allemagne nazie et celle de l’après-guerre. C’est un entraineur révolutionnaire, il sait faire tourner l’équipe. Son plan est clair, l’équipe doit former une communauté, il faut renforcer le tissu social. Il souhaite construire « l’équipe idéale », et cette primauté du collectif sur l’individualité peut avoir des effets positifs sur la réalisation du jeu final.
Il ne faut pas oublier que la sélection allemande est constituée principalement d’amateurs. A cette époque, le foot allemand, pas très populaire encore, est un sport réservé à la classe moyenne. Le professionnalisme n’est pas encore d’actualité. Loin d’être professionnels et bien que l’équipe comporte des joueurs de talents comme le capitaine Fritz Walter, et Helmut Rahn qui deviendront, par la suite, des joueurs emblématiques, les joueurs allemands ne figurent pas parmi les favoris de la compétition.
C’est la première fois que la télévision retransmet les matchs d’une Coupe du Monde partout en Europe. C’est l’occasion pour les Allemands de se retrouver entre eux au café pour regarder les matchs. Ainsi, petit à petit se crée un partage, une communion nationale autour de l’équipe. Toutefois, la majorité des personnes écoute encore le football à la radio.
Le chemin vers la finale
Nous sommes en juin 1954, le train comportant l’équipe de football de la RFA arrive en Suisse, pour cette 5ème édition de la Coupe du Monde de football. C’est alors qu’un douanier allemand aperçoit ses compatriotes et leur dit «mais qu’est-ce que vous allez nous mettre la honte en Suisse ? Rentrez chez vous, l’Allemagne en a marre d’être humiliée.»
La Coupe du monde de 1954 est la première compétition importante à laquelle elle participe depuis l’édition de 1938 en France. À son entrée dans la compétition, l’Allemagne croit difficilement en ses chances de passer le premier tour. L’Autriche, l’Uruguay et la Hongrie font figures de favoris. La Hongrie est l’équipe la plus attendue. Le “onze d’or” avait imposé, ces dernières années, une nette supériorité technique et tactique. La Hongrie incarne un football « total » avec des attaquants qui défendent et des défenseurs qui participent aux phases offensives. Ce football hongrois est révolutionnaire, beau et efficace. Entre 1950 et 1954, la Hongrie est invaincue pendant 31 matchs avant la finale.
Dans un groupe composé de la Corée du Sud, de la Turquie et de la Hongrie, la RFA parvient à se qualifier pour les quarts de finale en terminant deuxième derrière l’équipe hongroise. Le 20 juin, la Hongrie affronte la République fédérale allemande. Le sélectionneur Sepp Herberger décide de ne pas aligner sa meilleure équipe face au onze magyar car il sait que son équipe est inférieure. De ce fait, il laisse au repos ses meilleurs éléments. De plus, cette défaite s’apparente à un choix stratégique car il souhaitait réduire ses chances d’affronter le Brésil et l’Uruguay pour la suite de la compétition, adversaires jugés difficiles par le technicien allemand. Les Hongrois menés par Puskás l’emportent facilement sur le score de 8-3, mais la RFA se qualifie tout de même pour les quarts. Elle bat la Yougoslavie 2-0, puis écrase l’Autriche 6-1 en demie finale. L’exploit est déjà de taille, et l’Allemagne arrive en finale. Elle y retrouve la Hongrie, un adversaire qu’elle connait autant qu’elle redoute. Les Hongrois, impressionnants tout au long de la compétition, ont confirmé leur statut de favoris en venant à bout du Brésil et de l’Uruguay, tenant du titre.
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Et le miracle s’accomplit
A la surprise générale, l’Allemagne a donc atteint la finale. Absolument pas favoris, les Allemands attendent la pluie avec impatience. Un certain Adi Dassler, le fondateur d’Adidas et membre du staff de l’équipe met au point des crampons vissés permettant de s’ajuster en fonction de l’humidité du terrain. Grâce à cela, les Allemands sont plus stables que les Hongrois. Cette innovation a conféré un avantage technique conséquent pour l’équipe allemande évoluant sur le terrain détrempé. Le souhait des Allemands finit par se réaliser, puisqu’en ce 4 juillet 1954, la pluie s’abat sur Berne.
Au niveau tactique, deux visions différentes s’opposent : face au football « total » des Hongrois, un jeu pragmatique et fermé, d’une rigueur digne de l’Allemagne. Le match est lancé. Après une première parade de Gyula Grosics sur une tête de Morlock, les favoris hongrois confirment rapidement leur statut grâce à un but de Puskás dès la sixième minute de jeu. Deux minutes plus tard la réalisation de Czibor, qui profite d’une mésentente entre le défenseur Werner Kohlmeyer et le gardien de but allemand, permet à la Hongrie de mener 2-0 au bout de 8 minutes de jeu seulement. Le match est mal embarqué et seul un miracle semble pouvoir venir en aide au naufrage annoncé de la RFA. Toutefois, les Allemands ne baissent pas les armes. À la dixième minute, Max Morlock marque contre le cours du jeu, réduisant ainsi l’écart à 2-1. L’équipe, emmenée par leur stratège Fritz Walter, joue mieux. L’égalisation allemande ne tarde pas. A la 18ème minute, Walter tire un corner pour l’équipe d’Allemagne. La balle, jouée en hauteur, atteint Helmut Rahn qui profite d’un mauvais marquage pour envoyer la balle au fond du but de Grosics sans que celui-ci ne puisse rien faire. L’Allemagne a remonté deux buts en dix minutes, le score est désormais de 2-2. Les Hongrois poussent toujours, sans pour autant réussir à marquer. À la 23ème minute, Turek arrête d’un superbe réflexe un tir de Hidegkuti. Trois minutes plus tard, Hidegkuti tire sur le poteau du but allemand.
La deuxième mi-temps commence avec des attaques intenses des forces hongroises, dominant incontestablement le jeu. Puskás tire depuis les huit-mètres, mais une nouvelle fois, l’héroïque gardien Turek dévie. Ensuite, les défenseurs allemands Posipal puis Kohlmeyer dégagent le ballon alors qu’ils sont sur leur ligne de but. À la 59ème minute, la tête de Kocsis est repoussée par la barre transversale. Le match est d’un grand niveau et les deux équipes enchaînent les actions « pour le plus grand plaisir des spectateurs ». À la 67ème minute, à la suite d’une feinte de Kocsis, Puskás frappe et trouve le cadre, mais le ballon est puissamment dégagé par le gardien allemand. À la 73ème minute, la possession de balle est alors globalement allemande. Les attaquants hongrois poussent le jeu vers l’avant pendant toute la seconde mi-temps, sans parvenir toutefois à reprendre l’avantage car le gardien allemand Toni Turek arrête les nombreuses tentatives hongroises.
C’est alors que match bascule à la 84ème minute. Sur une action initiée par Schäfer et relayée par Walter, Rahn s’empare du ballon aux abords de la surface, élimine deux défenseurs hongrois par un enchaînement de crochets avant de placer une frappe victorieuse du pied gauche. Le gardien hongrois est impuissant. L’Allemagne prend l’avantage dans les ultimes minutes. Les derniers instants du match sont terribles pour Puskás qui croit marquer pour son équipe. Cependant, l’arbitre refuse son but pour un hors-jeu qui n’en reste pas moins douteux. Les Hongrois ne reviendront pas. Un miracle a eu lieu. A la stupéfaction de tous, l’Allemagne terrasse la grande Hongrie et devient championne du monde pour la première fois de son histoire.
Première et unique nation non-tête de série à avoir remporté la Coupe du Monde depuis que ce système a été instauré, l’Allemagne, par ce sacre, marque l’histoire du football. La finale de Berne est la consécration de la stratégie mise en place tout au long de la compétition par le sélectionneur allemand Sepp Herberger. Par la suite les Allemands s’identifient plus vite à cette équipe, à leur équipe, plutôt qu’à leur nouvel Etat. L’accueil triomphale à Munich où 300 000 personnes les attendent en héros illustre cette humeur. Cette victoire a un fort retentissement symbolique car elle incarne le renouveau politique, économique et identitaire de l’Allemagne de l’Ouest. L’Allemagne semble enfin renaitre. Le pays retrouve également « sa fierté », fortement ébranlée par le conflit mondial. Un miracle teinté de résurrection. Cette victoire de la RFA marque le retour d’un pays dans la cour des grands. Parallèlement, la Hongrie ne s’en remettra pas et cette génération dorée ne se renouvellera pas. Cette défaite fait mal à la Hongrie, mais la bonne étoile était du côté de l’Allemagne ce soir-là. Puskás affirmera « En six ans, nous n’avons perdu qu’un match mais c’était le plus important ». Cependant les rumeurs de dopage tâchent la prouesse. Ces accusations sont confirmées et révélées en 2010 par une étude universitaire commandée par le Comité olympique allemand. Les joueurs allemands auraient été dopés à la pervitine durant la compétition et en particulier durant la finale. Malgré tout, cette victoire constitue un véritable tournant pour le football allemand, un nouveau départ vers des lendemains couronnés de succès.