Le 02 mars 1999, les Girondins de Bordeaux reçoivent le Parma Calcio en quart de finale de la Coupe UEFA. Ce match est resté dans la mémoire des supporters du club au Scapulaire. Il est aussi un symbole d’une France qui gagne et pleine d’espoirs. Plus de vingt ans après, il représente le modèle de football que nous avons tant aimé : la passion avant les ronds.
Après une Coupe du Monde remportée par les Bleus sur leur sol, le moral des Français est au beau fixe. Alors que le Pays a été marqué en début d’année 1998 par des manifestations anti Front National ayant rassemblé des milliers de personnes, que le taux de chômage n’a jamais été aussi important, le parcours et la victoire finale de l’Equipe de France ont permis de donner un nouvel élan d’espoir aux citoyens. Un pays « black, blanc, beur » qui a vibré et chanté à l’unisson. Une unité que seul le sport est capable de créer. Et une union bien représentée par le groupe créé par le sélectionneur Aimé Jacquet. Un savoureux mélange d’individualités reconnues et de jeunes pétris de talent qui est allé au bout de son rêve grâce à un esprit solidaire et un collectif fort.
Les émotions ressenties alors étaient indescriptibles. Quelle joie ! Quel bonheur ! Et comme il arrive que le supporteur de football puisse être chauvin, il est possible que les fans des Girondins se soient sentis plus glorieux que d’autres. L’apport du trio légendaire Lizarazu-Dugarry-Zidane a été indéniable bien que l’attaquant chevelu (vous devinerez lequel) ait été blessé durant la majeure partie de la compétition. S’ils ont tous les trois quitté Bordeaux juste après avoir atteint la finale de la Coupe de l’UEFA 1996, ils sont restés dans le cœur des gens. Ils font partie de l’Histoire.
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Et l’Histoire des Girondins de Bordeaux a été marquée par la saison 1998/1999. Trois semaines après le sacre français, le Championnat de Première Division reprenait déjà. L’effectif qui avait terminé le précédent exercice à la cinquième place s’est vu renforcé par l’arrivée de quelques joueurs de premier plan : Hervé Alicarte et Ali Benarbia (auxquels nous pouvons ajouter Victor Torres Mestre et Igor Vukomanovic). Les départs de Peter Luccin et Jean-Pierre Papin ont été compensés en interne par les promotions de Lassina Diabaté et Kaba Diawara. Le recrutement selon Triaud.
Bordeaux fait durer le plaisir
Les hommes au Scapulaire ont vécu l’été indien. Cinq victoires en autant de rencontres pour démarrer et les voilà en tête du classement en compagnie de l’Olympique de Marseille. Ces deux clubs se livreront bataille pour l’obtention du titre toute la saison durant. Jolie renaissance après leur rétrogradation administrative respective, en 1992 pour les Girondins et un an plus tard pour les Phocéens. La première confrontation entre les leaders a eu lieu lors de la sixième journée et s’est soldée par un match nul 2-2 au Stade Vélodrome.
Cinq jours auparavant, les Girondins venaient d’entamer leur campagne en Coupe de l’UEFA avec la réception du Rapid Vienne (1-1). Puis, Bordeaux a écrasé Rennes par quatre buts d’écart avant de se qualifier en Autriche sur le score de 2 à 1 grâce à un but en fin de match de Diabaté. La première défaite de la saison à Bastia a suivi ce bref déplacement. Si le Championnat est prioritaire, les hommes d’Elie Baup ont démontré qu’ils entendaient faire un parcours honorable en Europe, quitte à perdre des forces en route. En 1997/1998, ils avaient été éliminés au premier tour face à Aston Villa. Ils ont donc déjà fait mieux dans une compétition désormais importante aux yeux de leurs supporteurs.
En effet, chacun a encore en mémoire ce parcours exceptionnel lors de la saison 1995/1996 qui a vu les Marine et Blanc au maillot bordeaux atteindre la finale après avoir éliminé le grand Milan AC en quarts. Cette rencontre restera à jamais comme un des plus grands exploits du football français de club et une des plus grandes joies des Girondins. L’ambiance du Parc Lescure, l’armada milanaise, les deux buts de retard, l’ouverture du score de Tholot et le doublé de Dugarry… L’immense fierté ressentie n’a donné aux supporteurs qu’une hâte : revivre ce genre de moment.
Le 02 mars 1999, entre passé et futur
Après avoir éliminé les Grasshoppers de Zurich au tour précédent, Bordeaux s’apprête à recevoir un club italien pour le compte des quarts de finale de la Coupe d’Europe. Ou quand les souvenirs du passé ressurgissent et deviennent les espoirs de demain. Il n’est pas question du Milan cette fois mais du Parma Calcio 1913.
Un club jeune, certes moins mythique que celui de Berlusconi mais avec une grande équipe, championne d’Europe quatre ans plus tôt et qui compte dans ses rangs deux récents champions du monde, Thuram et Boghossian. L’équipe s’articule autour d’un 3-5-2 solide et efficace. Le rôle des pistons est primordial et le jeu dépend énormément de Veron. L’effectif, à consonance latine, n’a rien à envier aux autres cadors de Série A : Gianluigi Buffon est déjà considéré comme un futur très grand gardien, à seulement 21 ans. Les défenseurs Thuram, Sensini et Cannavaro allient solidité et expérience. Le milieu de terrain est composé de joueurs d’expérience et de jeunes prometteurs (Boghossian, Baggio, Longo, Veron). Les attaquants Chiesa et Crespo sont complémentaires et d’une adresse redoutable.
Bien placés en Championnat et qualifiés pour la finale de la Coupe d’Italie, les Parmesans se présentent au Parc Lescure dans le costume de favori. Et ce, malgré les difficultés lors des tours précédents. Sûrs de leur force et engagés sur plusieurs tableaux, ils vont laisser des titulaires habituels sur le banc. L’attaque est complètement renouvelée, Asprilla et Balbo remplaçant Chiesa et Crespo. Baggio s’assoit également sur la touche. La blessure de dernière minute de Boghossian oblige l’entraineur Malesani à aligner Longo et Fuser à la récupération et à décaler Stanic sur le côté droit. Même avec ces remaniements, force est de constater que ces Gialloblù ont « de la gueule ».
De quoi effrayer cette équipe des Girondins ? Pas forcément. Organisée dans le désormais célèbre 4-4-2 à plat cher à Elie Baup, c’est avec confiance et conviction qu’ils s’apprêtent à défier l’ogre italien.
Ramé dans les buts, Alicarte et Saveljic en défense centrale et accompagnés par Ferrier et Grenet sur les côtés. Pavon, longtemps incertain, est finalement aligné au milieu en compagnie de Diabaté. Micoud et Benarbia auront la tâche d’animer le jeu et Laslandes et Wiltord celle de conclure. Un bloc-équipe compact et un onze porté vers l’avant et qui a le sens du spectacle. Comme l’a dit un jour Elie Baup : « on joue tous les matches pour les gagner ».
Le regard déterminé des joueurs à leur entrée sur la pelouse ne trompe pas : ils peuvent le faire. Dans les tribunes, l’ambiance est extraordinaire. Manifestement, le public a envie d’y croire. C’est que depuis l’été dernier, impossible n’est plus français. Et depuis trois ans, il n’est plus girondin. Le début de saison canon des Marine et Blanc et leur récent exploit sur la scène continentale sont deux bonnes raisons d’espérer. Chaque spectateur en âge (et en nage) de se remémorer cette fameuse soirée de 1996 commence à pousser l’équipe.
Les fans de ballon rond, devant leur téléviseur, ne sont pas en reste. La rencontre est diffusée en direct et les commentateurs vont leur faire participer à la fête à leur manière. Thierry Gilardi, avec sa voix et sa bonhommie, arrivait à transmettre sa passion comme personne d’autre avant lui. A ses côtés, un certain Aimé Jacquet, l’homme qui a apporté à la France son premier titre mais aussi celui qui a dirigé l’équipe bordelaise au cœur des années 1980. L’ancien sélectionneur était alors considéré comme une icône dans le Pays. Passer deux heures en leur compagnie était l’assurance de prendre du plaisir.
La fin du XXè siècle était une époque où un joueur blessé acceptait de monter dans la cabine et d’accompagner les journalistes pour commenter le match. Combler l’ennui avec les réseaux sociaux était encore impossible et l’hypothèse que l’absence d’un terrain de golf à proximité ait pu l’y contraindre est plausible mais le fait est qu’Alain Boghossian ait suivi la rencontre aux côtés de Jacquet et Gilardi. Le Champion du Monde en titre, un des vingt-deux hommes entrés au Panthéon du supporteur, pouvait ainsi faire partager sa connaissance du jeu et de l’équipe adverse (son équipe, du coup) et permettre au téléspectateur de replonger dans le bonheur vécu quelques mois plus tôt.
La fin du XXè siècle était une époque où « le troisième homme » pouvait interviewer l’entraineur juste avant la rencontre en l’absence de panneau publicitaire. Sans protocole pour s’entretenir avec un technicien, l’impression que le ressenti de ce dernier ou le jeu lui-même était encore au centre des débats. Ainsi, ce soir-là, Elie Baup a pu esquisser un sourire spontané et à peine retenu lorsqu’Eric Besnard lui a demandé s’il avait été surpris à l’annonce de la composition de l’équipe adverse, confirmant les absences de Chiesa, Crespo et Baggio.
« On avait prévu que ces trois là joueraient
mais l’opposition reste aussi féroce ! » – Elie Baup
Derrière ces mots, l’air taquin de celui qui est connu pour avoir le sens de l’humour traduit un bonheur qui semble inaltéré par l’enjeu.
La fin du XXè siècle était enfin une époque où les Girondins de Bordeaux pouvaient encore offrir une bouteille de vin à un champion du monde (en l’occurrence Thuram ce soir-là) sans compromettre son passage devant la DNCG.
Le match : Première période
La rencontre démarre fort. D’un coup-franc tiré depuis la ligne médiane, Veron trouve Balbo dans la surface. Il s’emmène le ballon de la poitrine et enchaîne une demi-volée du pied gauche, heureusement juste à côté. La première incursion bordelaise, à la suite d’un une-deux entre Benarbia et Laslandes ne donnera rien, si ce n’est le ton du match : une volonté de faire le spectacle de la part des joueurs et un public ultra-chaud, qui pousse à la moindre occasion. Comme lorsque Wiltord hérite par chance du ballon aux seize mètres avant que Buffon ne sorte à sa rencontre.
A chaque ballon récupéré par Bordeaux, la première intention est de trouver de la verticalité au jeu. Pavon soulève les foules en réalisant un tacle « à la Desailly », soit en parvenant à contrôler le cuir en glissant et ensuite se relever pour repartir. Les Girondins posent de nombreux soucis à leurs adversaires, étouffés par le pressing. Le capitaine Benarrivo écope du premier carton jaune de la rencontre suite à un tacle par-derrière non maitrisé, tout du moins très dangereux sur Grenet (certainement un des derniers hommages aux années 1990).
Un trois contre trois se met en place sur une attaque rapide girondine mais Wiltord appuie trop sa passe pour Laslandes. Puis Benarbia tente sa chance mais ce n’est pas cadré. Le meneur de jeu envoie ensuite Wiltord seul face à Buffon qui là encore, gagne son duel. Le stade, dans un bruit de tonnerre s’était levé comme un seul homme.
Aux commentaires, un échange très intéressant entre Gilardi et Jacquet :
« Vous connaissez la règle d’or en Coupe d’Europe, c’est de ne pas prendre de but à domicile. N’est-ce pas, Aimé ?
– Je ne pense pas qu’il y ait une restriction comme cela. C’est surtout être maître qui est beaucoup plus important ! »
Cette notion de maîtrise est tellement importante ! Et les hommes de Baup semblent avoir adopté ce concept. Le jeu est bordelais. Les Italiens semblent paniquer ce qui est assez rare pour le souligner. Seul Veron parait dans un bon jour et peut être capable de d’apporter du danger. Mais Alicarte et Saveljic montrent qu’ils sont physiquement présents. A la suite d’un coup-franc parmesan, Benarbia récupère le ballon. Une-deux avec Diabaté et le voilà qui renverse vers Wiltord. Qu’et-ce que le ballon circule vite ! Presque autant qu’un Buffon qui sort à toutes enjambées, encore…
Après la demi-heure de jeu, les Girondins commencent à se montrer plus menaçants. Benarbia se défait de deux adversaires en infligeant à l’un un petit-pont avant de centrer pour la tête de Laslandes qui oblige Buffon à se détendre.
Quelques minutes plus tard, Diabaté se trouve à la retombée d’un dégagement parmesan. D’une balle en cloche, il sert Micoud devant lui. Amorti de la poitrine, dos au jeu. Tranquillement, il donne à Benarbia arrêté à côté de lui. Après avoir temporisé pour attendre la montée de Pavon dans le couloir gauche, il lance son capitaine qui donne à Wiltord, qui met en retrait pour Benarbia. Sans contrôle, ce dernier décale à nouveau Pavon qui crochète Stanic et adresse un merveilleux centre dans la course de Micoud qui s’envole et qui ouvre le score d’une magnifique tête plongeante. Le ballon a heurté la barre transversale avant de retomber derrière la ligne comme pour souligner un peu plus la beauté de cette action tant dans la construction que dans la finition (1-0, 40è).
Le spectacle continue…
Dégagement au pied de Ramé. Au bord de la ligne de touche et au niveau de la ligne médiane, Micoud enchaîne amorti de la poitrine et élimination de son adversaire d’un coup du sombrero (Duga-Zizou avec seulement deux jambes). Il s’avance et sert Wiltord qui transmet en retrait à Pavon. Il trouve Micoud qui avait poursuivi son effort jusque dans la surface et qui, d’une subtile remise sans que le ballon ne touche le sol, donne un caviar à Wiltord. Sa reprise sans contrôle ne laisse aucune chance à Buffon (2-0, 44è) !
« Ça, c’est magnifique, ça ! Magnifique action ! Très, très belle action ! » – Aimé Jaquet
« Oh ! Le jeu bordelais ! Buffon est dépité, Dominique Dropsy et Pierrot Labat sont debouts. Ca, c’est signé Bordeaux !Pavon au départ, Micoud en retrait et Wiltord qui va frapper ! » – Thierry Gilardi
L’arbitre siffle la mi-temps dans la foulée. Tous les spectateurs se lèvent pour accompagner le retour au vestiaire des joueurs. Nous n’en sommes qu’à la moitié du match mais les Girondins ont déjà droit à l’ovation de tout un stade. Au vu de l’énergie déployée et du jeu pratiqué, c’était on ne peut plus mérité.
Le match: Seconde période
Dès le début de la seconde période, les Parmesans jouent plus haut et semblent plus en jambes. Sans pour autant se montrer dangereux. Souvent pris au piège du hors-jeu, les attaquants ne sont que trop rarement trouvés.
Michel Pavon poursuit sa Masterclass au milieu de terrain. Il est absolument partout. Il tacle Stanic avec autorité avant de dégager un ballon de la tête dans ses vingt mètres. Chiesa, tout juste entré en jeu, centre pour Balbo qui cadre sa tête mais Ramé se couche bien.
Laslandes décroise trop sa frappe sur un service de Wiltord. Ce dernier enchaine par un jeu à une ou deux touches de balle avec Micoud et Benarbia, faisant lâcher un « Oh… » admiratif à Gilardi.
Chiesa, bien servi par Stanic, envoie une mine de volée bien boxée par Ramé. Benarrivo, sur contestation, reçoit un deuxième carton jaune et doit regagner les vestiaires. Il reste moins de quinze minutes à jouer, il devrait les atteindre au moment où l’arbitre sifflera la fin de la rencontre.
Bordeaux était à deux doigts (ceux de Buffon) d’alourdir le score ! D’une nouvelle tête plongeante, Micoud a obligé le gardien transalpin à réaliser un arrêt de grande classe. Quasiment dans la foulée, c’est Parme qui parvient à réduire la marque. Chiesa, intenable depuis son entrée, centre depuis le côté droit pour Crespo qui inscrit un but d’une subtile « Madjer » (2-1, 85è).
Bordeaux repart à l’attaque. Après un gros travail de Jemmali, qui avait remplacé Ferrier (titulaire ce jour), Wiltord enroule une frappe que Buffon détourne en corner.
La dernière occasion de la rencontre sera pour Parme. Sur un centre de Thuram, Chiesa pourtant seul aux six mètres, se rate complètement. Il avait la balle d’égalisation dans les arrêts de jeu !
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Les Girondins ont remporté ce match aller avec un but d’avance. Le but encaissé en fin de rencontre a été un coup dur pour des Bordelais talentueux et auteurs d’un match magnifique, plein d’envie. L’Histoire retiendra que même s’ils avaient gardé leur cage inviolée, il leur aurait été difficile de résister au match retour. Le set (6-0) qui suivra ne laissera aucune chance aux Français. Si cette seconde manche pourrait être un sujet à traiter en ces lieux tant elle a marqué les esprits à sa façon, ce Bordeaux-Parme restera comme un match immense joué par un club français face à un grand du championnat italien et futur vainqueur de l’épreuve. Pendant une soirée de folie, les supporteurs se sont replongés dans leurs souvenirs magiques tout en écrivant une nouvelle page de leur Histoire et en surfant sur la période victorieuse de la France du ballon rond. Et les personnes n’ayant pas eu la chance de pouvoir se rendre au stade ont pu profiter de l’engouement d’un journaliste sportif passionné ainsi que de l’expertise et l’émotion de celui qui restera à jamais LE premier : Monsieur Aimé Jacquet. Une soirée inoubliable, en somme.
Sources :
Crédits photos: Icon Sport