L’estadio Antonio Vespucio Liberti – nommé ainsi depuis 1986 en l’honneur de l’ancien président de River Plate – plus connu sous le nom de Monumental est l’un des stades les plus connus au monde. Il est le théâtre de nombreuses rencontres mythiques, a fait le succès des Millioniarios et de la sélection nationale argentine, et est devenu une antre légendaire de l’histoire du football. Aujourd’hui, l’aura du stade d’El más grande rayonne dans le monde entier.
L’histoire du Monumental est immense, et rivalise avec celle des plus grands stades. Elle commence le 31 octobre 1934. Les Millionarios – surnommés ainsi après les transferts de Carlos Peucelle en 1931 et Bernabé Fereyra en 1932 qui révolutionnent le marché de l’époque – achètent le terrain où doit être construit leur stade, à proximité du Río de la Plata. Le 1er décembre 1935, le gouvernement prête suffisamment d’argent au club pour que la construction commence l’année suivante, le 27 septembre 1936. C’est le 26 mai 1938, devant près de 70 000 supporters, que le stade fut inauguré par un match amical entre River et Peñarol. Le prêt du gouvernement ne suffit cependant pas à terminer la construction, et la tribune Nord doit attendre.
Entre 1954 et 1958, le club connaît 47 matchs d’invincibilité à domicile, record national. Un succès notamment dû aux immenses performances d’Omar Sivori. C’est d’ailleurs son transfert à la Juventus pour un montant record, en 1957, qui fait accélérer les choses pour le Monumental. L’argent du transfert est réinvesti dans la tribune Nord, concluant la construction du stade. Ce choix empêche le club d’investir dans des joueurs, et explique les 18 ans de disette en championnat qui ont suivi. Lors du match pour le titre entre le Racing et River, en 1975, on compte 100 000 personnes présentes au Monumental, pour assister à ce renouement avec la victoire. Le stade est ensuite rénové et remis à neuf pour la Coupe du monde qui suit, en 1978.
La Coupe du monde 1978 : la légende de l’Albiceleste s’est faite au Monumental
C’est sans aucun doute l’événement qui a propulsé le Monumental au rang de stade immortel. A ce moment là, la sélection argentine enchaînait les échecs en Coupe du monde : défaite au premier tour en 1958 et 1962, une élimination en quarts en 1966, pas de qualification en 1970, une élimination au deuxième tour en 1974. En 1978, l’Argentine accueille sa toute première Coupe du monde, et a rendez-vous avec l’histoire. Après l’échec de 1974, c’est César Luis Menotti qui hérite des clés de la sélection, dans un contexte difficile. River Plate et Boca Juniors refusent de mettre leurs cadres à disposition de la sélection, misant tout sur le championnat. Menotti doit donc aller chercher chez de jeunes joueurs : Passarella, Kempes, Tarantini… Journalistes et spécialistes critiquent ces choix, pensant alors que Menotti n’est pas à la hauteur.
Le Monumental accueille les trois premiers matchs de l’Argentine : deux victoires 2-1 contre la Hongrie et la France, et une défaite 1-0 contre l’Italie. Des résultats permettant à l’Argentine de passer au second tour, qui n’est pas disputé au Monumental. Dans ce deuxième groupe, l’Albiceleste hérite du Brésil, du Pérou et de la Pologne. En l’emportant 2-0 contre ces derniers et en faisant un match nul contre le pays voisin, l’Argentine doit l’emporter par 4 buts contre le Pérou pour aller en finale et finir devant le Brésil à la différence de buts. Six buts à zéro et une polémique plus tard, l’Argentine est en finale.
Et quel autre stade que le Monumental pour accueillir ce rendez-vous ? Jusqu’ici, l’Albiceleste n’était arrivée en finale qu’une seule fois, en 1930. Le 25 juin 1978, ce sont les Pays-Bas, orphelins de Cruyff depuis un an, qui se dressent contre les hommes de Menotti. Près de 80 000 spectateurs prêts à rugir, deux équipes d’anthologie : le Monumental s’apprête à accueillir le match le plus légendaire de l’histoire de son pays.
« La sécurité était nulle. Les supporters argentins étaient comme fous. » – Ruud Krol, défenseur des Oranje
La suite est connue de tous et a fait la légende du Monumental. Encore aujourd’hui, c’est probablement le match le plus connu de l’histoire de ce stade, synonyme de gloire et de succès. En première mi-temps, à la 38ème minute, l’inévitable Mario Kempes ouvre le score, et offre à l’Albiceleste l’espoir d’une première Coupe du monde. Un espoir remis en question lorsque Dick Nanninga égalise à la 84ème, rendant le Monumental plus silencieux que jamais. Le score reste inchangé jusqu’à la fin du match, qui se dirige vers les prolongations.
Là encore, El Matador permet aux Argentins de reprendre l’avantage, juste avant la mi-temps des prolongations. 2-1 pour l’Argentine dans son stade, quinze minutes à jouer. Dans un match qui s’ouvre peu à peu avec la fatigue des joueurs, la lumière vient à nouveau du même homme, à la 115ème minute. Kempes s’élance à l’assaut des buts néerlandais, avant de servir Daniel Bertoni sans vraiment le vouloir. Ce dernier envoie le ballon dans les filets sans trembler, à l’inverse des filets. Un but synonyme de titre presque certain pour l’Albiceleste, qui maintient le score inchangé jusqu’au bout. Le 25 juin 1978, la première étoile de l’Argentine vient de naître au cœur du Monumental, l’inscrivant dans la légende.
Kempes a fait l’histoire de ce stade. N’ayant passé qu’une seule saison à River entre 1981 et 1982, il n’a pas pu s’y épanouir complètement. Pourtant, depuis cette soirée, Kempes est un héros du Monumental.
« Nous lui sommes tous très reconnaissants pour ce qu’il a fait en 1978, mais nous ne lui avons jamais vraiment dit merci. Il était l’âme et le buteur de cette équipe. Je l’adore. » – Diego Maradona
Si la légende de la sélection argentine à échelle mondiale s’est faite ce soir-là, elle est aujourd’hui perpétuée. Un record hallucinant y a contribué : entre 1993 et 2015, l’Albiceleste n’a perdu aucun match de qualification pour la Coupe du monde au Monumental.
Aujourd’hui, ce stade est réputé pour sa ferveur et ses supporters enflammés, les matchs de l’Albiceleste rassemblant les hinchas de tous clubs derrière un même étendard. Mais lorsque la sélection ne joue pas, le Monumental arbore ses plus belles couleurs. Teinté de rouge et blanc, il propose une ambiance unique, notamment lorsque le principal rival de Buenos Aires, Boca, y joue.
Le Superclásico, une rivalité qui décuple l’aura du Monumental
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Ce stade a accueilli des événements inoubliables pour les fans de River Plate : les neuf titres entre 1990 et 2000, les victoires en Libertadores, et tant de matchs aux ambiances exceptionnels. Ici, la Super Copa 1997 contre São Paulo, et des tribunes toujours aussi animées.
Buen Jueves para todos pic.twitter.com/Rhyps3NjvE
— JuanaFernanda Quintera (@so_ferrari_CARP) March 11, 2021
Mais à plus grande échelle, à travers tout le continent et jusqu’en Europe, c’est le Superclásico qui a fait sa légende. En étant l’un des derbys les plus réputés du monde, avec une ambiance explosive et parfois incontrôlée, cette rencontre a rendu l’aura du Monumental et de la Bombonera retentissante à travers le globe. Car si aujourd’hui ces stades sont aussi réputés, le manque de médiatisation du Superclásico les a empêchés de croître en tant qu’antres historiques. C’est avec la retransmission des matchs à la radio, à la télévision et avec la disponibilité des replays sur YouTube ou les réseaux sociaux que les Européens ont pu se rendre compte de l’atmosphère inégalable qui envahit le Monumental lorsque Boca se présente à sa porte.
La naissance d’une certaine nostalgie d’un temps d’avant, d’un football qui n’existe plus, y est également pour quelque chose. Les amateurs se prennent à rêver devant des compilations de Riquelme, Maradona, Francescoli ou Gallardo, des joueurs qui ont marqué cette rencontre de leur empreinte.
Toutefois, les rencontres entre Millionarios et Xeneizes sont parfois synonymes de débordements, de la part des hinchas ou d’une sécurité trop laxiste. Ces événements ont, eux aussi, tristement fait la légende du Monumental.
La tragédie de la porte 12 : malgré le rouge et le blanc omniprésents, tout n’est pas rose au Monumental
C’est une soirée qui a grandement fait croître la popularité du Monumental, pour de mauvaises raisons. Le 23 juin 1968, Boca et River se neutralisent lors d’un Superclásico ennuyeux. Un score nul et vierge, qui pousse les supporters à partir du stade plus tôt pour éviter la foule. Les hinchas de Boca se dirigent alors vers la porte 12, au bout d’un couloir étroit et sinueux. Arrivés au bout, le désastre : la porte est fermée, et les supporters continuent d’affluer par centaines. Impossible de retourner en arrière, ni en avant. De nombreuses personnes meurent asphyxiées ce soir-là, et le bilan est extrêmement lourd : 71 morts et environ 150 blessés.
Aujourd’hui encore, les explications et sources ne concordent pas, et aucune version n’est avérée. Les hinchas de Boca comme ceux de River sont mis en tort, les uns accusés d’avoir fui après avoir brûlé des drapeaux de River, les autres d’avoir volontairement envoyé les supporters de Boca dans un couloir sans issue. Mais les deux principales théories ne mettent pas directement en cause les supporters.
D’un côté, la police est soupçonnée d’avoir créé cette embuscade. Des témoins pensent que la porte a été fermée seulement dix minutes avant la fin de la rencontre. Au début du match, des supporters auraient envoyé des bouteilles remplies d’urine à destination des policiers, les rendant furieux. C’est en tout cas ce que le président de River pense avoir vu. Mais la théorie principale concernant la police est politique. Sous la dictature de Juan Carlos Onganía, des hinchas auraient chanté la Marché Péroniste, interdite à l’époque.
« Longue vie à Perón ! Longue vie à Perón ! Pour ce grand argentin qui a su rallier la grande masse du peuple dans la lutte contre le capital. » – La Marche Péroniste, en l’honneur de Juan Perón, acteur politique majeur et défenseur d’une justice sociale.
Cette opposition aurait attiré le courroux du gouvernement, qui aurait demandé aux policiers de sévèrement punir les supporters de Boca. Cette version est restée cependant au stade de la théorie, il n’y a jamais eu de suite à celle-ci.
Une dernière théorie pointe du doigt les dirigeants de River Plate, accusés d’avoir retiré les tourniquets de la Puerta 12. Encore une fois, rien d’avéré aujourd’hui. Cette affaire n’a quasiment eu aucune conséquence juridique pour les clubs, qui ont réuni 32 millions de pesos avec l’AFA pour dédommager les familles. Un maigre coût pour des milliers de vies ruinées à jamais, sans que justice soit faite.
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Le Monumental est sans conteste dans le cercle très fermé des antres les plus mythiques de l’histoire du football. Théâtre des innombrables succès de l’un des plus grands clubs d’Amérique latine, il a aussi fait la légende de l’Albiceleste. Considéré comme le stade avec la sixième ambiance la plus chaude du monde par France Football en 2020, il est également le lieu d’une rencontre connue de tous, le Superclásico. Un match réputé pour ses ambiances explosives et uniques, pour le meilleur comme pour le pire. Au-delà du ballon rond, le stade est également réputé pour avoir accueilli d’immenses concerts, parmi les plus grands de l’histoire : U2, les Rolling Stones, AC/DC, Paul McCartney, Michael Jackson, David Bowie et tant d’autres ont fait la légende du Monumental, sans son rectangle vert.
Sources :
- « The Monumental de River, pure football », Colgados por el futbol
- « The Monumental, Argentina’s home of football », FIFA.com
- « L’histoire va encore s’écrire au Monumental », Le Matin
- « 23 juin 1968, la tragédie de la Puerta 12 », Lucarne Opposée
- « L’histoire d’un nom : Club Atlético River Plate », Lucarne Opposée
- « CARP », These Football Times
Crédits photos : Icon Sport