Les bouleversements et les migrations induits par les tragédies de la fin des années 1930, vont finir d’achever la lente mutation opérée par les Girondins de Bordeaux vers le professionnalisme. Une professionnalisation et des premiers exploits marqués au fer rouge… et jaune de l’Espagne.
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L’apparition du football à Bordeaux
Si le club omnisport « Société de Gymnastique et de Tir des Girondins » est créé en 1881, la section football, n’apparait quant à elle, qu’en 1910. Ce sont des débuts difficiles, poussifs, car le football n’est pas encore très populaire dans l’Hexagone. L’ancêtre de L’Equipe, alors appelé L’Auto, n’en parle pour ainsi dire jamais. Pour illustration, au sortir du premier conflit planétaire, la section football ne compte qu’une vingtaine de licenciés ! Elle doit également faire face à des soucis financiers et de gouvernance. Finalement, elle ne survit, à l’orée de la saison 1918-1919, que grâce à la fusion avec l’Argus Sport, un autre club de Bordeaux. C’est d’ailleurs à partir de ce rapprochement salvateur que le club arborera ses magnifiques et mythiques couleurs « marine & blanc ». Le club prend alors le nom de « Girondins Guyenne Sport ». Pendant les années 1920, le football connaitra un développement progressif en France. Un développement qui restera pourtant timide dans le port de la Lune et sa région. Le football bordelais (et même aquitain) brillera d’ailleurs par son absence lors de l’apparition du professionnalisme en France en 1932.
L’apparition du professionnalisme en France
Le professionnalisme dans le football français fait donc son apparition en janvier 1932. Plus qu’une obligation, il s’agit alors d’autoriser les clubs à aligner des joueurs rémunérés. Jusque-là, les clubs de football s’arrangeaient pour rémunérer discrètement les joueurs, ou leur trouver un emploi de complaisance. L’autre objectif est de favoriser le resserrement de l’élite. L’instauration du professionnalisme coïncide donc avec la mise en place d’un championnat à caractère national. Pas moins de 50 clubs présentent leur candidature au statut professionnel à travers l’Hexagone, mais 20 seulement seront sélectionnés.
Une première division à deux groupes de dix clubs est alors constituée pour la saison 1932-1933. Dès la saison suivante, 17 clubs sont admis à rejoindre les pros et une Division 2 est également mise sur pied. Une Division 3 voit même le jour brièvement pour la saison 1936-1937, mais elle ne sera pas reconduite.
L’arrivée du professionnalisme a pour autre conséquence de voir le football français rentrer de plain-pied sur le marché des transferts européens. Ainsi, lors de la première édition de 1932-1933, sur les 387 joueurs ayant le statut professionnel, 113 étaient des étrangers soit 29 %. Ils seront 35 % la saison suivante. En parallèle, une politique de quota est alors instaurée, limitant ainsi rapidement le nombre des étrangers à trois puis à deux par équipe (sur la feuille de match) dès 1938, dans une volonté affichée de ne pas compromettre l’émergence de talents du cru.
La lente et tumultueuse mutation du football girondin vers le professionnalisme
C’est lors de la première saison de la deuxième division (saison 1933-1934) que figureront finalement deux clubs girondins. Il s’agit de clubs qui résident du côté de la rive droite de la Garonne : le Sporting Club de la Bastidienne et le Club Deportivo Español. Ce dernier a la particularité de n’aligner qu’exclusivement des joueurs de la communauté espagnole, issus principalement du quartier Saint-Michel de la ville de Bordeaux.
Pourtant, une décision de la Ligue va bouleverser l’échiquier local. Elle exige en effet la fusion de ces deux clubs « ennemis », pour des raisons financières (risque de dépôt de bilan) et devant le souhait de ne pas avoir deux clubs de la même ville dans la même division. C’est ainsi que va voir le jour un nouveau club au sein de la ville de Bordeaux : le F.C. Hispano-Bastidien, aussi surnommé « Hispano-Bastidienne de Bordeaux ».
Mais c’est une fusion contre-productive, car non désirée. Pire, une autre décision, qui obligera le club à n’aligner que cinq joueurs espagnols dans son équipe, va faire définitivement capoter le projet. Les dirigeants espagnols, ivres de mécontentement, décideront alors d’abandonner le statut professionnel à l’issue de la saison 1934-1935 afin de reprendre leur autonomie au niveau amateur. Il n’y a alors plus de club de football professionnel en Gironde. Le FC Hispano-Bastidien remportera le championnat amateur d’Aquitaine en 1938, mais finira par disparaître à l’issue de la saison 1939-1940. La disparition du F.C. Hispano-Bastidien profitera au développement d’un autre club amateur de la ville : le Football Club de Bordeaux, qui réuni alors en 1935 les meilleurs joueurs locaux.
Dès l’année suivante, un mariage de raison sera cette fois célébré. Les noces annoncées sont celles du F.C. de Bordeaux, qui consent à épouser la destinée du Girondins Guyenne Sport issue du club omnisport de 1881. Des noces consommées rapidement, ainsi qu’une gestation précoce qui donneront naissance, le 17 octobre 1936 au Girondins de Bordeaux Football Club. Sa véritable date d’anniversaire, son véritable nom. L’objectif est clair, constituer l’équipe d’élite de la ville, de la région, et tendre vers le professionnalisme et les sommets du football en France. L’histoire des Girondins de Bordeaux peut alors s’écrire, blanc sur marine.
Mais le Girondins de Bordeaux FC, n’est alors qu’un club amateur, et un premier succès d’envergure permettrait certainement d’achever la mutation vers le professionnalisme. Un succès qui ne tardera pas du tout à venir. Un succès précoce même. Probablement accéléré par la situation politique, et la tragédie qui se dessine de plus en plus clairement de l’autre côté des Pyrénées. Un succès avec une pointe d’accent espagnol.
L’impact de la terrible guerre d’Espagne et de la migration qu’elle provoque
L’année 1936 est surtout marquée par le début de la terrible guerre d’Espagne. Au départ, il s’agit d’un putsch militaire débuté le 17 juillet 1936. Un échec relatif qui provoquera un enlisement du conflit, et son inexorable évolution vers une guerre meurtrière et fratricide pendant trois longues années. Un conflit annonciateur des futurs tumultes planétaires. D’un côté les Républicains de la jeune IIe République de 1931, et autres défenseurs de la démocratie à travers l’Europe (dont les Brigades Internationales), de l’autre les Nationalistes composés pour la majorité de militaires espagnols, menés par le général Franco, renforcés en effectifs et équipés par Mussolini et Hitler.
Le Pays Basque est totalement sous le contrôle nationaliste, dès septembre 1936, initiant une première vague de migration vers le proche Sud-Ouest français (Hendaye, Pau, Bordeaux, etc). D’autres vagues de migration se succéderont durant ces trois années de conflit, au gré de l’avancement des nationalistes et d’une violence toujours plus importante et meurtrière dont ils usent pour asseoir leur domination.
C’est ainsi que dès octobre 1936, le tout récent Girondins de Bordeaux FC accueille deux renforts basques de poids, dans deux secteurs clefs, l’attaque et la défense. Si ce sont effectivement deux renforts de poids, c’est à prendre au sens figuré. Car au sens propre, leur gabarit est bien différent.
D’un côté du terrain, en défense : Jaime Mancisidor Lasa, que l’on surnommera « El Pape », et qui rend un poids de 76 kg pour 1m74. Quand il arrive au club, c’est un joueur confirmé de 26 ans, déjà professionnel (la Primera Division voit le jour en 1929), qui évoluait jusque-là sous les couleurs du Real Unión Club de Irún (ville basque espagnole collée à la frontière franco-espagnole). Un club qui compte alors de l’autre côté des Pyrénées, puisqu’il évolue en première division pendant quatre saisons, de 1929 à 1932. Ce club fait partie des 10 membres fondateurs de la Liga lors de la saison 1929. Il obtient son meilleur classement en première division lors de la saison 1929-1930, où il se classe sixième championnat. Il est relégué en 1932 et évolue pendant 10 saisons en deuxième division jusqu’en 1942.
De l’autre côté du terrain, en attaque : Santiago Urtizberea, que l’on surnommera quant à lui le « Taureau de Guipuzkoa » ou « el Tanke », qui rend un tout autre poids de 90 kg pour une taille quasi identique de 1m76 ! Lui aussi est, à son arrivée, un joueur confirmé, de 27 ans, professionnel. Son armoire à trophée contient déjà une Coupe du Roi, gagnée en 1927 avec le club de ses débuts à 18 ans : le Real Irun Club (dejà la quatrième du club !). En 1929 il termine même troisième meilleur buteur du championnat espagnol de première division avec la Real Sociedad, le club bien connu de San Sebastian. Excusez du peu. En 1936 il arrive donc en provenance de la Real Sociedad, le club est alors en deuxième division, comme Irun. Mais c’est bien le football basque qui domine le championnat espagnol de 1936 (le dernier avant 1939 et la fin de la guerre d’Espagne), car c’est l’Athletic Club qui est sacré champion.
Mancisidor et Urtizberea joueront pour le FCGB dès octobre 1936. Ils sont titulaires immédiatement et déjà indispensables à cette équipe, qui se lance dans le championnat de France amateur, que l’on nomme également Challenge Jules-Rimet.
Mancisidor est considéré comme l’un des meilleurs défenseurs de l’histoire des Marines & Blancs. Les adjectifs calme et serein reviennent le plus souvent, ce qui lui vaudra probablement ce surnom de « El Pape ». On le décrit comme toujours bien placé, dur dans les duels mais juste dans ses interventions, avec des relances propres. C’est un joueur indispensable à l’équipe et à son équilibre. Quant à Urtizberea, s’il apparaissait lourd, il n’en était rien. Ses qualités athlétiques, son agilité, sa détente et son sens de l’anticipation, lui confèrent alors un jeu de tête de grande qualité. Il est doué d’une grande efficacité devant le but, et possède également un tir puissant. Il s’installe donc naturellement au poste d’avant-centre de l’équipe.
Ils intègrent alors une équipe composée de joueurs déjà présents au club et talentueux, tels que Roger Catherineau, Saïd Ben Arab, André Gerard (gardien) ou encore le capitaine Pierre-Michel Miramon. Cette équipe, à la pointe d’accent espagnol, va être sacrée championne du Sud-Ouest et va se qualifier pour la finale du championnat de France amateur qui aura lieu le 23 mai 1937 à Colombes. Les Girondins affrontent alors le club de Haute-Savoie du F.C. Scionzier. Un match disputé, mais surtout une victoire girondine : 2-1, avec des buts d’Urtizberea et de Catherineau. Par ailleurs cet évènement est mis en grande visibilité médiatique, puisqu’il est aussi le lever de rideau d’un match international France-État Libre d’Irlande, un match qui sera joué devant plus de 17 000 spectateurs.
Le succès girondin porte clairement l’empreinte espagnole. La prestation d’Urtizberea est particulièrement mise en lumière dans la presse :
« Urtizberea (…) n’eut pas pour seul mérite de marquer le premier but bordelais et de faciliter la réussite du second : il fut encore beaucoup plus précieux par sa clairvoyance et par sa grande expérience. Il suffit d’un footballeur éprouvé comme celui-là pour donner de la tenue à une ligne d’avants, et doubler son rendement. L’ennui, c’est qu’Urtizberea se trouvait contraint d’ordonner les attaques et de les mener à conclusion, double rôle qui lui pesa beaucoup aux épaules. À coup sûr, Urtizberea ne pourra suffire à la besogne l’an prochain si son équipe est admise parmi les équipes professionnelles, ainsi qu’elle le demande. »
Il ne manquait effectivement plus que ce sacre d’envergure, ce succès significatif, pour justifier, et obtenir, le statut professionnel en aout 1937 !
Les débuts professionnels du Girondins de Bordeaux F.C.
A l’entame de la saison 1937-1938, le club est alors inscrit en deuxième division. Il va évoluer dans le groupe Sud, en compagnie de l’Olympique Alès, le SO Montpellier, l’OGC Nice, le Nîmes Olympique, l’AS Saint-Etienne et le Toulouse FC. Le club prendra alors un peu plus l’accent espagnol.
En effet, septembre 1937 voit une autre arrivée significative et déterminante pour le club : Bénito Diaz Iraola, surnommé « le sorcier basque ». Il s’agit d’un ancien joueur professionnel, qui a évolué exclusivement sous les couleurs de la Real Sociedad. Il prend les rênes de l’équipe fanion de San Sebastian en 1930. En 1935 il quitte le Pays Basque espagnol pour se réfugier à Hendaye, juste de l’autre côté de la frontière.
Il glissera d’ailleurs une annonce dans un journal local :
« Bénito Diaz, ancien entraîneur de Real Sociedad San Sebastian, réfugié à Hendaye accepterait de s’occuper de la formation de cadets et de minimes d’un club français »
Les dirigeants de l’époque auront alors la bonne idée de ne pas passer à côté de cette opportunité rare d’enrôler un entraineur expérimenté. Ils lui proposeront un contrat dès septembre 1937, juste après avoir obtenu le statut de club professionnel. Bénito Diaz devient donc le premier entraineur professionnel du Girondins de Bordeaux F.C.
Dans son sillage, Diaz entraine un autre compatriote : José Arana Gorostegui. Encore un joueur confirmé, de 26 ans, déjà professionnel lui aussi. Il arrive en provenance du club d’Osasuna Pampelune, qui termine alors sa première saison en première division espagnole. Un très bon joueur lui aussi. Il va former une défense intraitable et sûre avec son compatriote Mancisidor.
Sous la houlette de leur tout nouvel entraineur, les Girondins disputent leur premier match professionnel à Toulouse le 23 août 1937. Une première qui se solde malheureusement par une défaite 3 à 2. Mais leur début à Bordeaux, lui, est victorieux face à Nîmes. Avec 8 défaites et une seule victoire en 12 matchs, ils termineront sixième sur sept, et seront reversés dans la poule relégation avec 8 autres clubs. Ils se sauveront sans peine en terminant troisième de cette poule.
La saison suivante, le championnat de deuxième division reprend sur le format d’une poule unique avec 23 clubs. En ce début de saison 1938-1939, on note également l’entrée en vigueur de la limitation à deux étrangers par feuille de match. Le club comptant déjà dans ses rangs les indispensables Mancisidor et Urtizberea, il va être obligé de se séparer d’Arana dès décembre 1938. Il s’en ira du côté de Roubaix, mais c’est une vraie perte pour le club. Les résultats s’en trouvent mitigés, et cette fois les Girondins termineront dans le ventre mou à la 11e place. C’est la dernière saison avant le second conflit planétaire…
L’épilogue de la guerre d’Espagne
En début d’année 1939, le dénouement de la meurtrière Guerre d’Espagne est proche. Mais si c’est la fin de la guerre, c’est malheureusement le crépuscule pour les Républicains, et l’aube dorée pour le régime totalitaire franquiste.
La Catalogne constitue alors le dernier bastion Républicain, et l’avancée des troupes franquistes allait provoquer la dernière grande vague de migration, connue sous le nom de Retirada, où près d’un demi-million d’Espagnols essayèrent de trouver refuge en France. Avant même la Retirada, plusieurs décrets-lois ont été édictés par le gouvernement Daladier, dont celui du 12 novembre 1938 qui prévoit l’internement administratif des étrangers « susceptibles de troubler l’ordre public et la sécurité nationale ». Une méfiance vis-à-vis de réfugiés étrangers et estampillés « communistes », dans une France rongée par la crise économique et repliée sur elle-même.
Tiraillé entre le respect des valeurs républicaines qui accordent asile et hospitalité aux persécutés, et cette réticence devant un tel afflux, la frontière est finalement ouverte fin janvier 1939. Mais le gouvernement de Daladier n’avait jamais envisagé une migration dans de telles proportions, et face à ce véritable exode, les autorités françaises sont totalement dépassées. Elles réagissent tout de même en faisant construire à la hâte des camps d’internement tout le long de la frontière. Des camps très rapidement rebaptisés, et de manière décomplexée, « camps de concentration ». Un terme qui, dans la bouche des autorités, se veut surtout optimiste, par opposition à un « lieu pénitentiaire ».
La réalité est bien plus amère, dure. Les familles de réfugiés seront séparées, déchirées. Les hommes sont parqués, entassés, dans ces camps construits à la hâte, en quelques semaines. Ces camps sont parfois même montés à même les plages et par les réfugiés eux-mêmes… Les hommes sont également enrôlés de force dans le contingent des « Compagnies de Travailleurs Étrangers » qui sont organisées dès le mois d’avril 1939 par un nouveau décret-loi. Ainsi, des milliers d’Espagnols, de sexe masculin et âgés de 20 à 48 ans, sont embauchés dans le but de fortifier les frontières et de participer à des travaux publics de grande envergure.
Alors que le championnat d’Espagne reprend ses droits pour la saison 1939-1940, dès la fin de la guerre, la fuite des talents vers la France n’est pourtant pas terminée. Et c’est dans ces conditions humiliantes et précaires que de jeunes hommes appelés à marquer le destin des Girondins de Bordeaux font leur apparition dans le camp de Gurs. C’est un camp qui a été construit en mars-avril 1939. Il se situe à proximité d’Oloron-Sainte-Marie en Basse-Pyrénées (actuellement département des Pyrénées-Atlantiques).
Le premier de ces jeunes hommes est Salvador Artigas, il a alors 25 ans. Il fait ses débuts au F.C. Barcelone puis à Levante. La guerre civile vient inévitablement mettre sa carrière en parenthèse, alors qu’il commençait à attirer l’attention de grands clubs. Il s’engagea alors non pas en faveur d’un nouveau club… mais en faveur d’une cause. Il rejoint les rangs des forces républicaines comme pilote de chasse !
En 1939, la situation l’oblige alors à fuir son pays à bord de son avion pour rejoindre le camp de Gurs. Il réussit à alerter un entraineur espagnol qu’il connaît bien et qui vit non loin de là, à Bordeaux : Benito Diaz, évidemment. L’entraîneur basque des Girondins fait alors le voyage jusqu’au camp de Gurs afin d’initier les démarches pour le sortir de là et pour qu’il puisse venir grossir les rangs espagnols des Marines & Blancs. Malheureusement, dès le premier entraînement, Artigas se blesse grièvement à l’un de ses genoux. Une blessure jamais totalement guérie, tandis que cette articulation allait céder dès qu’il frappait un peu fort et le handicaper durablement.
La visite de Diaz au camp de Gurs, ne sera tout de même pas vaine. Car qu’elle ne fut pas sa surprise lorsqu’il apprit l’identité d’un autre joueur de football présent au même moment : Francisco Mateo Vilches, surnommé simplement « Paco ». Les documents de l’époque ne précisent pas si Diaz a dû se pincer, ou s’il a fait un malaise vagal… Mais ce Paco Mateo, c’est un véritable cadeau de Noël. L’histoire aura en tout cas retenue que Diaz, en fin limier – il venait déjà d’enrôler une autre future légende du club en la personne de René Gallice, chipé à l’OM à l’âge de 19 ans – ne laissera pas passer une telle opportunité.
Car Paco Mateo est un joueur de très grand talent. Ancien pensionnaire de Séville, Valence puis du F.C. Barcelone, il évolue au poste d’avant-centre. En 1938 alors qu’il intègre l’équipe du F.C. Barcelone (à 21 ans seulement) il marque la bagatelle de 53 buts en 14 rencontres ! Mais Paco Mateo c’est aussi un style atypique, il était « magnifique balle au pied ». A juste titre il était considéré comme l’un des meilleurs joueurs d’Europe, un top-player. Un nouveau coup de maître de Diaz, de quoi encore plus apprécier la justesse de ce surnom de « Sorcier Basque ».
L’ossature de l’équipe des Girondins en cette année tragique de 1939 s’en trouve finalement renforcée, et l’accent espagnol de plus en plus présent, pour leur plus grand bonheur.
Le début de la seconde guerre mondiale
L’année 1939, c’est aussi l’apparition d’un autre conflit : la Seconde Guerre mondiale. Le 3 septembre 1939, faisant suite à l’envahissement de la Pologne par les Allemands deux jours auparavant, l’Angleterre et la France établissent conjointement une déclaration de guerre à l’Allemagne. Les répercussions sur le football hexagonal seront évidemment importantes. La Fédération Française de Football Association (ancêtre de la FFF), s’active et prend immédiatement la décision d’abolir tous les statuts professionnels. Puis elle propose mi-novembre la création d’un championnat divisé en deux groupes : le groupe Nord avec dix clubs, et le groupe Sud lui-même subdivisé en deux poules (A et B) de cinq et six clubs respectivement.
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Dans le même temps, la fédération instaure la Coupe Charles-Simon (aussi appelée « coupe de guerre »), en remplacement de la Coupe de France. Les Girondins sont défaits dès le deuxième tour par Strasbourg. Et c’est le Racing Club de Paris qui l’emporte face à l’OM.
En championnat, les Girondins intègrent la poule B du groupe Sud. Emmenés par Mancisidor, nouveau capitaine, ils remportent ce mini championnat, quand Nice en fait de même dans la poule A. Ces deux clubs s’affrontent donc, et c’est Bordeaux qui remporte le match 3-0. Mais les Niçois récupèrent la victoire sur tapis vert pour une histoire de licence non homologuée. Par ailleurs, la dernière journée prévue pour le championnat du groupe Nord est fixée au 2 juin 1940. Mais ce groupe prend beaucoup de retard, car la priorité est donnée à la Coupe Charles-Simon. Et à l’heure où la finale aurait dû se jouer, les blindés allemands entrent dans Paris…
Une nouvelle identité pour un premier trophée
Le 15 octobre 1940, les Girondins proposent d’effectuer une nouvelle fusion « sociale » avec l’Association Sportive du Port. En effet, le but de cette fusion est de favoriser l’enrôlement des joueurs Girondins dans le corps des pompiers du port de Bordeaux. Le maillot s’orne dès lors d’une ancre de marine à la base du scapulaire. Grace à ce tour de passe-passe administratif, les dirigeants évitent ainsi plus tard aux joueurs d’être déportés dans le cadre du Service du Travail Obligatoire ou par l’organisation Todt pour la construction du mur de l’Atlantique. L’inscription des Girondins A.S.P. (nouvelle dénomination à la suite de cette fusion) est validée, et ils vont pouvoir disputer le championnat ainsi que la Coupe Charles-Simon 1940-1941.
En raison de la géopolitique de l’époque, l’organisation des compétitions de football se trouve une nouvelle fois chamboulée. En effet, la France étant elle-même divisée principalement entre zone « occupée », « non occupée » et « interdite », l’organisation de ce championnat obéit à la même règle. Il existe donc 3 divisions, mais aucune finale ne sera organisée entre ces trois zones. Les Girondins se classent troisième sur sept dans leur championnat. Dans le même temps, il a été décidé que la Coupe Charles-Simon, désignerait un vainqueur après avoir disputé plusieurs finales inter-zones. Un parcours du combattant.
Les Girondins entrent en lice en Coupe Charles-Simon lors des seizième de finale de la zone occupée. Ils remportent leurs cinq matchs, dont la finale face au Red Star au Parc des Princes le 13 avril (3-1). Puis ils disputent une deuxième finale face au vainqueur de la zone non-occupée : Toulouse. Les Bordelais se défont de Toulouse de nouveau sur le score de 3-1, cette fois au stade olympique de Colombes.
Ils disputent enfin la finale nationale face au représentant de la zone interdite, le SC Fives. Issu d’un quartier de Lillee, le SC Fives est l’un des premiers clubs à obtenir le statut professionnel en 1932 et est alors un grand rival de l’Olympique Lillois. Il fusionnera finalement avec ce dernier en 1944 et prendra le nom de LOSC en novembre 1944. C’est donc bien une redoutable équipe qu’affrontent les Girondins.
Les Girondins vont l’emporter. Une victoire 2-0 grâce à deux réalisations d’Urtizberea dans la dernière demi-heure de la rencontre (64e et 80e). Mancisidor est toujours le capitaine de cette équipe, dirigée par le Sorcier Basque, Benito Díaz. A noter les absences remarquées de Paco et Artigas. Le dernier, à cause de son genou récalcitrant, et à cause de la règle des quotas toujours d’actualité, et qui limite à deux le nombre d’étrangers présents sur la feuille de match, se verra toujours préférer Mancisidor et Urtizberea. Quant à Paco, il est victime d’un très grave accident de la route en décembre 1940. Un terrible accident, à l’origine d’un grave traumatisme de la colonne vertébrale, et qui va clouer Paco sur un lit. Le pronostic quant à sa capacité à remarcher un jour est même initialement engagé. Convalescent pendant plus de 9 mois, il assista comme spectateur au premier sacre majeur des Girondins en cette année 1941, dont voici le résumé.
Un premier sacre qui donne des idées
En 1941-1942, les Girondins ASP intègrent encore le championnat de guerre d’élite, qui ne compte que neuf équipes. Le championnat est toujours divisé selon les trois mêmes zones. Et il n’est pas toujours pas organisé de finale nationale. Les Girondins ASP se classent cinquième. Cette même année ils sont éliminés de la Coupe Charles-Simon dès les demi-finales de la zone occupée par… le Red Star.
En 1942-1943, cette fois le championnat d’élite est divisé en deux groupes, tout simplement nord et sud. Mais il s’agit de deux compétitions distinctes, et il n’y a pas de confrontation finale ni de titre national décerné. Les Girondins se classent quatrième sur seize, avec 15 victoires pour 9 défaites. Mais par ailleurs ils font de nouveau un parcours remarquable en Coupe Charles-Simon. Après un premier match qui se solde par un 0-0, les Girondins remportent leur finale de zone 6-3 face au Stade CA Paris. Puis ils remportent la finale interzone face au RC Lens de la zone interdite, victoire 2-1.
Ils se présentent donc en finale face au vainqueur de la finale de la zone libre : l’Olympique de Marseille. Cette finale se dispute au Parc des Princes, devant 30.000 spectateurs. C’est une finale très disputée, qui se soldera par un score nul de 2-2 après prolongations. Le match devra donc être rejoué. Mais à la stupeur générale l’OM porte réclamation à cause d’une licence non conforme et remporte le titre sur tapis vert. Un évènement que certains considèrent comme le début de la rivalité entre Bordelais et Marseillais. Car c’est une décision qui est alors jugée comme injuste par les Bordelais.
Cependant c’est un autre évènement qui viendra chambouler cette finale. Un bombardement allié raté, qui frappe très durement les quartiers nord de la ville de Bordeaux. Le colonel Pascot, alors à la tête du Commissariat aux Sports du régime de Vichy, cherche à faire un geste envers la population bordelaise et prend alors une décision unilatérale et annule purement et simplement cette victoire sur tapis vert de l’OM et faire rejouer le match. La deuxième confrontation ne soufrera d’aucune contestation. Les Girondins, peut-être encore marqués par cette tragédie, s’inclineront sur un score sévère de 4-0.
Les légendes Espagnoles des Girondins de Bordeaux
Mancisidor, « El Pape », jouera urbi et orbi avec le scapulaire sur le torse jusqu’en 1942, date à laquelle il décidera de repartir vers son pays natal, et jouer pour la Real Sociedad. Il restera comme l’un des meilleurs défenseurs passés par le club, aux côtés des Trésor, Swiatek, Battiston et autres Lizarazu. Il restera surtout, à jamais, le premier capitaine Marine & Blanc à avoir soulevé un trophée national.
Urtizberea, le « taureau de Guipuzkoa », restera au total 9 ans au club. Très régulièrement décisif, il est de tous les trophées et campagnes victorieuses des premières années du professionnalisme à Bordeaux. Il endossera même le rôle d’entraineur-joueur en 1943. Il achèvera finalement sa carrière de joueur en novembre 1948. Il assurera un autre intérim d’entraineur dans le courant de l’année 1957. Mais après sa carrière, il fut surtout reconnu comme l’entraîneur emblématique de l’équipe du CFA, de 1946 à 1963. Educateur du club par la suite, il occupa également les fonctions d’intendant. Un véritable amoureux des Girondins ! De fait, le souvenir de son passage aux Girondins ne s’effacera probablement jamais.
Diaz, le « Sorcier Basque », quitte le club des Girondins dès 1942, trop désireux de rentrer dans son pays. Il reprit alors les rênes de la Real Sociedad, accompagné par Mancisidor. Puis il entrainera également l’Atlético de Madrid. Il connut également l’honneur d’occuper les fonctions de sélectionneur national. Il termina sa carrière de technicien comme responsable de l’école de formation des entraîneurs espagnols. Lui aussi a laissé une trace indélébile lors de son passage dans le port de Lune. Il est tout simplement le premier entraineur professionnel du club, et surtout le premier à remporter un titre national.
Artigas, toujours barré par la concurrence, les quotas, et un genou instable, est parti en prêt en 1942 du côté du Mans. Il reviendra en 1943, avant de gagner le Stade Rennais où il endossa le costume d’entraîneur-joueur. Il finit par revenir dans son pays, à la Real Sociedad, puis il raccroche les crampons aux côtés de son mentor Diaz. Mais c’est surtout le deuxième passage d’Artigas aux Girondins qui va forger sa légende Girondine. En 1960 il décide de partir seul, laissant épouse et fille à Saint-Sébastien, afin de se poser sur le banc de Bordeaux. En provenance de la Real Sociedad, il devint durant 7 ans l’emblématique entraîneur des Girondins, qu’il fit remonter en première division dès 1962. C’est un technicien sans concession, imposant un régime de fer à ses joueurs. Mais c’est surtout une période dorée pour le club, avec trois finales de Coupe et trois places de vice-champion de France… Malheureusement que des places d’honneur, sans trophées à la clef. En 1967, il partit s’occuper du FC Barcelone.
Francisco « Paco » Mateo, à son retour de convalescence, va non seulement remarcher, mais surtout courir, sauter, feinter, et régaler les terrains verts de sa virtuosité. Dans un premier temps il est victime de l’efficacité d’Urtizberea au poste d’avant-centre. Il devra donc connaître une reconversion inattendue mais surtout réussie. Il va se fixer en défense, au départ de Mancisidor, et va encore éclabousser les rencontres de sa grâce. Il évolua au poste de libéro. Un libéro moderne, très en avance sur son temps, dans un style « Kaiser » avant l’heure. Il possède une vision de jeu incomparable et un goût pour les grandes chevauchées vers l’avant, tel un Franz Beckenbauer. Très charismatique, il apportait beaucoup de bonheur aux spectateurs lors des tristes heures de la Seconde Guerre mondiale. La guerre terminée, il quitta les Girondins pour Strasbourg où il fit les belles heures du Racing. Il séjourna en Alsace jusqu’à son décès tragique dans un nouvel accident de la route en juillet 1979, en compagnie de son épouse…
Entraineur, capitaine, buteur décisif, joueurs d’un talent rare, les Espagnols ont indéniablement marqué de leur empreinte le premier trophée majeur des Girondins de Bordeaux, puis les années qui ont suivies. Malgré leurs origines étrangères, et les raisons tragiques qui les ont amenés à intégrer les rangs Marines & Blancs, ils ont grandement participé à l’obtention du statut professionnel, et au statut de club phare de la région. Ils ont surtout réussi à confirmer ces statuts au travers d’un style reconnu et de résultats significatifs. Ils sont le socle des succès futurs des Girondins de Bordeaux.
Sources :
- Jean-Michel Le Calvez et Cyril Jouison, « FC Girondins de Bordeaux, depuis 1881 », M6 éditions.
- www.girondins.com