Juventus – Fiorentina, peut-être la rivalité la moins comprise du football italien. Une simple question de jalousie de la part de la Viola selon certains, une haine basée sur l’étoile qu’était Roberto Baggio selon d’autres. Si les tifosi florentins détestent effectivement plus les Turinois que l’inverse, cette rivalité n’est pas qu’une question de jalousie. Pour les tifosi de la Viola, c’est une question de justice, de récupérer quelque chose qui leur a été volé.
Mai 1982, 30ème et dernière journée de Serie A. Deux équipes se sont démarquées des autres, plusieurs points devant l’AS Roma, déjà certaine de voir le titre lui échapper. La Juventus et la Fiorentina comptent 44 points chacune, avec un match restant et tout à jouer. Un contexte déjà brûlant, qui attendait la moindre polémique pour que tout s’embrase. La Fiorentina, qui joue contre Cagliari, doit battre un club qui a tout à perdre : une défaite entraînerait la descente du club sarde en Serie B. La Juventus, de son côté, affronte Catanzaro, déjà mathématiquement maintenu. Tout est calme pendant 75 minutes de jeu pleines d’anxiété et d’espoir, jusqu’au quart d’heure qui a fait naître une nouvelle rivalité au sein de la Botte. Graziani trouve le chemin des filets pour la Viola, mais le but est annulé pour une faute pas particulièrement flagrante sur le gardien sarde. De l’autre côté, la Juventus s’impose 1-0 contre Catanzaro sur penalty. Comme si cela ne suffisait pas, une autre polémique éclate : Catanzaro s’est vu refuser un penalty qui aurait sans doute permis au club d’égaliser et de relancer le match. Un quart d’heure, et tout a basculé.
« J’ai vu Boniperti manger des cacahuètes en tribunes, on aurait dit un mafieux américain. » – Franco Zeffirelli
Les paroles du célèbre réalisateur et grand tifoso florentin, après ce scandale, l’emmènent au tribunal contre Boniperti, président de la Juventus. Ce dernier est interdit d’aller au Stadio Comunale pour le match qui suit, une opération trop risquée selon les circonstances actuelles. Zeffirelli, déjà condamné, n’en a pas fini avec le président bianconero : « Mieux vaut être mort que supporter de la Juve ! »
La haine des tifosi de la Viola envers les Turinois n’est pas prête de disparaître. La Fiorentina ne sera plus jamais prise en compte dans la lutte du titre lors des saisons qui suivent, alors que la Juventus reste dans le haut du tableau.
L’espoir florentin revient alors en 1985, et cet espoir porte un nom. Un nom qui fait rêver n’importe quel fan de football aujourd’hui : Roberto Baggio. Victime d’une rupture des ligaments croisés juste avant son transfert à la Viola, Baggio doit attendre plus d’un an avant de faire ses débuts pour la Fiorentina, club qui va le propulser au rang de meilleur joueur italien de son ère.
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Roberto Baggio, symbole de cette rivalité malgré lui
Baggio est une révolution pour les Florentins. D’abord utilisé en numéro 10, il passe faux numéro 9 en 1988, inscrivant alors 24 buts et distribuant 11 passes décisives. Une explosion totale, qui va permettre à la Fiorentina de se qualifier pour l’édition 1989-1990 de la Coupe UEFA.
Cette saison est un échec en Serie A, le club échappant d’un seul point à la relégation. Pourtant, le parcours de la Viola en Coupe UEFA est une réussite totale. Elle se défait de l’Atlético de Madrid, du FC Sochaux, du Dynamo Kiev, de l’AJ Auxerre et du Werder Brême, pour se hisser en finale.
Et pour continuer dans la dramaturgie de cette rivalité, le club qui se hisse face à cette Fiorentina guidée par Roberto Baggio n’est autre que la Juventus. C’est la première finale européenne de la Fiorentina, et la première fois que deux clubs italiens se retrouvent en finale de cette compétition.
La Juventus l’emporte 3-1 à Turin, pour son dernier match au Stadio Comunale. L’arbitre ne remarque pas une faute subie par Celeste Pin, qui crie « Voleurs! » derrière Dino Zoff – entraîneur de la Juventus de l’époque – alors qu’il donnait une interview d’après-match.
Roberto Baggio lors du premier match de la finale de 1990
« Ils ne sortiront pas vivants du terrain. Ce sera un massacre. Aujourd’hui, les gens savent pourquoi la Juve est haïe à Florence. Mais nous gagnerons ce match 2-0. »
Les tifosi florentins donnent le ton avant le match retour. Cependant, celui-ci ne se joue pas dans le stade de substitution de la Fiorentina. En effet, le club joue à Pérouse en attendant la fin des travaux de l’Artemio Franchi, son stade mythique. Après une invasion de la pelouse par les tifosi de la Viola et des incidents contre le Werder Brême en demi-finale, la Fiorentina doit accueillir la Juve au Partenio d’Avellino, partant donc avec un handicap. Le match se termine par un score vierge, offrant le titre à la Juventus.
Les Florentins, déjà secoués par cette finale perdue contre leurs ennemis de la décennie, vont alors vivre un cauchemar. Le lendemain même, la bombe tombe à Florence : Pontello, président du club, annonce que la situation financière de la Fiorentina l’oblige à vendre Baggio. Il comptait notamment sur un succès en Europe pour pallier ce problème, mais la Juventus s’est dressée contre lui. Et c’est justement la Vieille Dame qui achète Baggio contre son gré, lui qui était attaché à son club. Comme une goutte d’eau faisant déborder un vase, cette information est celle de trop pour les tifosi. Ils défilent et manifestent devant les bureaux du club, menacent leur président de mort, demandant sa tête… On leur retirait leur joyau, leur icône, leur idole, pour l’envoyer chez l’ennemi. Un ennemi devenu encore plus fort et inatteignable pour les Florentins, nourrissant un peu plus leur haine.
Des tifosi désespérés après ce transfert : ‘Roberto avec nous, Pontello (président de la Fiorentina) à la Juve !’
A la suite de ce transfert controversé, Pontello a été contraint de quitter la Fiorentina, un an après l’événement. Mais avant cela, en 1991, la Juventus de Baggio se déplaçait à Florence, premier retour du joyau florentin dans le club qui lui avait tout donné. Un retour électrifiant, comme prévu. Giancarlo Rinaldi, tifoso de la Viola présent ce jour-là, se souvient.
« C’était l’atmosphère la plus intense que j’aie vu avant un match. Il y avait une tension énorme, et un air menaçant dans les rues. Florence souffrait toujours de ce transfert, et il y avait une grande peur que les choses dérapent ce jour-là. »
Le match fut à la hauteur des attentes, apportant son lot de dramaturgie à cette histoire. Les Florentins accueillirent Baggio avec des sifflets, toujours tristes de son départ. La Juventus, menée 1-0, obtient un penalty. Baggio, chargé de le tirer, refuse. Il se justifiera à la fin du match, expliquant que le gardien florentin connaissait ses habitudes. Pour les supporters des deux clubs, le symbole est tout autre : Robby est toujours attaché à ses anciennes couleurs. De Agostini, qui tire le penalty, le rate et le score reste inchangé.
Pour ne rien arranger, Baggio fait un dernier geste, celui de trop pour les Juventini. Alors qu’il est remplacé, il reçoit toutes sortes d’objets des tifosi de la Fiorentina. Parmi eux, une écharpe qu’il ramasse et qu’il colle contre son cœur, avant de saluer la Curva violette. Un épisode qui rajoute sa dose d’huile sur le feu.
Baggio et l’écharpe du club qu’il n’a jamais cessé de chérir
La Fiorentina en quête de justice
Certains événements viennent enflammer cette rivalité, et tristement en ternir l’image. En effet, aux abords du stade de la Fiorentina, certains objets « anti-Juventus » sont vendus. Si cela ne dépasse jamais le stade de la moquerie, des gestes bien plus graves, dans l’enceinte du stade, sont trop souvent présents. Que la Juve soit sur le terrain ou pas, des t-shirts « -39 » ont longtemps été visibles dans les tribunes. -39, comme le nombre de supporters de la Juventus morts lors du drame du Heysel. Une tragédie dont il ne faudrait pas rire, mais la rivalité fait parfois oublier toute empathie.
Car la blessure est profonde. Si les tifosi de la Fiorentina agissent de la sorte, c’est parce qu’ils estiment que quelque chose qui leur revient leur a été volé. En plus de cela, l’honneur du club de Florence a été remis en question à plusieurs reprises par la Juventus. Aujourd’hui encore, les deux pires défaites de la Viola ont été infligées par leurs rivaux bianconeri : 11-0 en 1928, 8-0 en 1953. Deux événements qui sont arrivés bien avant le début de cette rivalité et devenus bien plus marquants après la naissance de celle-ci. Pour ne rien arranger, la plus large défaite de la Fiorentina à domicile date de 2012, une nouvelle fois contre les hommes de la Vecchia Signora. De tels événements créent forcément des débordements. Côté juventino, l’ignorance se transforme parfois en mépris : la Fiorentina est un club inférieur qui ne mérite aucune attention ni respect. Un comportement qui, fatalement, enflamme cette rivalité. Le 1er décembre 2005, notamment, alors que les deux clubs s’affrontent en Coppa Italia, les supporters se battent à l’extérieur du stade. Des grenades lacrymogènes interviennent, empêchant les joueurs de respirer. Un événement qui entraîne l’arrêt de la rencontre pendant une demi-heure.
Cependant, la victoire et les humiliations ne vont pas que dans un sens. Plus récemment, la Fiorentina a pu se satisfaire d’une victoire. Un événement suffisamment rare pour le souligner, surtout lors d’une rencontre avec un tel contexte. En octobre 2013, la Juventus a déjà remporté deux Scudetti de suite, entamant son règne incontesté sur la décennie. Pour continuer dans ce sens, la Juve, qui n’a toujours pas perdu de match cette saison toutes compétitions confondues, arrive à l’Artemio Franchi en immense favori. Juste avant la fin de la première mi-temps, Carlos Tévez marque un penalty. Ce dernier surprend alors tout le monde et imite la célébration « mitraillette » de Batistuta, légende incontestée de la Viola, pour enfoncer le clou. Juste après, Paul Pogba marque… et refait le même geste. C’est la pause, 0-2 pour la Juventus.
Pogba imite Batistuta, alors que la tempête violette approche
Sources :
- « Battle of the 10s », These Football Times
- « Calcio », These Football Times
- « Calcio II », These Football Times
- « Fiorentina v Juventus: a rivalry stoked by ‘theft’, Roberto Baggio and machine guns », The Guardian
- « The transfer that sparked a riot: Baggio to Juventus (1990) », Gentleman Ultra
- « The 1990 UEFA Cup final: An infamous chapter in the Juventus – Fiorentina rivalry », Gentleman Ultra
Crédits photos : Icon Sport