Aujourd’hui habitué de la lutte pour le maintien, Aston Villa, club de Birmingham, a connu un glorieux passé. Équipe phare de l’avant-guerre, les Villans vont rapidement plonger dans l’anonymat par la suite. À l’orée des années 80, le sort va leur sourire. Entre entraîneur bâtisseur, hooliganisme et gardien réserviste, les Claret & Blue vont écrire leurs plus belles pages.
Ville de province prospère dans les années 70, Birmingham fait la gueule quand les années 80 se profilent. Sur un air de Steel Pulse, récession, chômage et tensions sociales rythment le quotidien des fans d’Aston Villa. Alors que la ville semble chuter, le club va d’ailleurs suivre une trajectoire contraire qui va être impulsée par Ron Saunders. Le colosse au visage buriné d’acteur hollywoodien va rejoindre Aston Villa en 1974.
Viré de Manchester City, il rejoint un club en perte de vitesse qui ressasse son faste passé de l’avant-guerre qui a vu les Villans s’offrir six titres de champion et sept FA Cups. Depuis ? Cela fait bien longtemps que le club de Birmingham n’évolue plus dans la lumière. Empêtré dans les divisions obscures, il vient juste d’accéder à la seconde division lorsque Ron Saunders s’assoit sur le banc du Villa Park. L’ancien buteur détient un pédigrée de solide entraîneur de division deux qui suffit amplement à une ville de Birmingham en manque de sensations.
L’histoire lui donnera raison puisqu’un an plus tard, le club remporte la League Cup et finit second du championnat de division deux derrière Manchester United. D’abord seizième pour leur retour dans l’élite, en 1976/1977, Aston Villa finit quatrième avec la meilleure attaque du championnat portée par le duo Brian Little/Andy Gray. Après une nouvelle League Cup en 1977, en 1977/1978, Saunders renforce sa défense en recrutant Allan Evans, Ken McNaught et surtout le gardien Jimmy Rimmer débauché d’Arsenal contre la modique somme de 65 0000 livres. Malgré cela et le titre de meilleur buteur et meilleur joueur d’Andy Gray, le club chute à une piètre huitième place. En 1978/1979, les Villans continuent de se renforcer avec Des Bremner qui signe en provenance d’Hibernian et donne à l’arrière-garde d’Aston Villa un fort accent scottish. Septième la saison suivante avec une équipe jeune pleine de promesse, Ron Saunders sent que son équipe est arrivée à maturation.
Quand Saunders fit la leçon à Bob Paisley et Bobby Robson
Le mercato annonce une fin de cycle avec la fin de carrière de Brian Little qui fait suite au transfert la saison précédente de Andy Gray. Peter Withe alors à Newcastle et ancien attaquant du Nottingham Forest de Clough, rejoint Evans sur le front de l’attaque. Bonne pioche, l’athlétique avant-centre vivra ses meilleures saisons sous le maillot des Villans. La saison commence difficilement avec des résultats en demi-teinte. Pourtant, toujours placé dans le premier tiers, Aston Villa bat deux buts à zéro Liverpool en janvier et enchaîne huit succès d’affilée. La suite ? Rimmer garde sa cage inviolée à quinze reprises, Withe enchaîne vingt buts dans la saison dans un rôle de pivot suppléé par Gary Shaw, qui score dix-huit fois. Dans un championnat que Liverpool et Nottingham Forest vampirisent depuis cinq années, Aston Villa est intraitable en défense et létal devant.
Le finish sera un mano à mano avec le Ipswich Town de Bobby Robson et une victoire face à Arsenal lors de la dernière journée permettra aux Villans d’obtenir le titre de champion 1981. Leur premier succès en championnat depuis 71 ans. La victoire des Claret & Blue est celle d’un football pragmatique joué par un groupe de quatorze joueurs, tous âgés de moins de trente ans (à l’exception de Rimmer) et quasi inconnus du grand public avec aucun international dans leurs rangs. Mieux, Ron Saunders en plus de donner la leçon à Bobby Robson, alors champion de la Coupe de l’UEFA, vient aussi de corriger le Liverpool du mythique Bob Paisley, triste cinquième et Brian Clough dont le Nottingham Forest s’est égaré à une anecdotique septième place.
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Ron Saunders n’explique pas plus cette victoire qui rappelle celles (beaucoup) plus tard de Montpellier ou Leicester, et préfère tomber dans le lieu commun lorsqu’il s’agit de s’exprimer au micro des télévisions britanniques : « Nous avons du caractère, nous avons du cœur, nous avons de la bravoure, nous avons de l’agressivité, nous avons du rythme ». Laconique.
L’effectif regorge de qualité à l’instar du playmaker Gordon Cowans, meilleur joueur de l’histoire d’Aston Villa, du chien de garde Des Bremner, du capitaine Dennis Mortimer ou encore de la paire McNaught / Evans en défense centrale. Mais pour reprendre une expression usée jusqu’à la corde : la star demeure le collectif. Pour rendre compte de l’état d’esprit des Villans cuvée 81, il faut rappeler que leur coach Saunders comptait, du bord de touche, le nombre de tacles de chaque joueur, tançant celui qui n’en réalisait pas assez !
Avec son équipe commando, Saunders aborde la saison 1981/1982 en pleine confiance. Pourtant l’alchimie a perdu de sa superbe, au bout de neuf matchs les Claret & Blue ne se sont imposés qu’une seule petite fois. En février le club pointe à la dix-septième place et Ron Saunders, la mort dans l’âme, décide de démissionner. C’est la fin d’une histoire de sept ans, dans la foulée il se retirera d’ailleurs du milieu du football durant trois décennies. Il est alors remplacé par son adjoint, l’illustre inconnu Tony Barton (aucun lien avec Joey).
Qualification aux forceps et hooliganisme
Avec Barton, les préceptes tactiques et l’état d’esprit de Saunders, à savoir un jeu direct fait de transitions rapides et de grinta, demeurent. L’équipe se remet à tourner, malgré des éliminations de la FA Cup et de la League Cup, et le club remonte peu à peu la pente jusqu’à se retrouver dans le ventre mou d’un championnat qui verra Liverpool reprendre sa couronne.
Dans une saison terne, la Coupe d’Europe des clubs champions et son format couperet aller/retour à élimination directe fait figure de bouffée d’air frais. Avec, dans un premier temps, Saunders sur le banc, Aston Villa dispose d’abord facilement du club islandais de Valur. Le tour suivant, les Villans battent le Dynamo Berlin avec un Rimmer héroïque qui sort un penalty. Avec Barton sur le banc, en quart de finale, dans un Villa Park comble aux allures de champs de patates rendu boueux par la pluie, le club sort le Dynamo Kiev. Dans le même temps le Liverpool de Kenny Dalglish et Ian Rush se fait sortir par le CSKA Sofia. À la surprise générale, Aston Villa devient le dernier représentant anglais de la compétition.
En demi Shaw et les siens affrontent Anderlecht. Si aujourd’hui les mauves peinent à atteindre les phases de poules européennes, à l’époque c’était un sacré client. La bande à Vercauteren est très solide, tombeuse de la Juventus de Dino Zoff et Claudio Gentile au tour précédent. À l’aller le club de Birmingham s’impose sur la plus petite des marges. Les Villans doivent aller défendre leur but d’avance la boule au ventre à Bruxelles. Sur place, c’est plus l’extra sportif qui monopolise les regards. Les décennies 70 et 80 apparaissent comme une période dorée pour les hooligans et les Anglais sont alors réputés pour faire de chaque déplacement une démonstration de leur force.
En 1976 déjà des centaines de supporters des Rangers et de Aston Villa s’étaient battu sur la pelouse du Villa Park. À Bruxelles, 600 supporters des Villans se seraient rendus dans la capitale belge sans ticket. Les hooligans de Birmingham saccagent les terrasses de bars et rejoignent le stade Emile Verse surexcités. Mouvements de foule, bagarres dans les tribunes puis l’inévitable : un supporter envahit le terrain provoquant sept minutes d’arrêt de jeu.
Le match en lui-même est un nul vierge anecdotique qui verra Aston Villa composter son billet pour la finale. Anderlecht fera appel à cause des violences lors du match, sans succès. Le club de Birmingham écopera d’une amende de 14 500 livres et l’obligation de jouer ses futurs matchs européens à huis-clos. Avec 27 arrestations et 20 blessés, ces scènes de violence apparaissent maintenant comme un triste signe prémonitoire du drame du Heysel, trois ans plus tard.
Un gardien réserviste face à Rummenigge
En finale, l’ensemble des spectateurs neutres sont persuadés que la victoire finale est promise aux Bavarois. Le Bayern, troisième de Bundesliga ne peut pas chuter face à Aston Villa, onzième du championnat anglais. Le rouleau compresseur munichois regorge de stars: Paul Breitner, Dieter Hoeness, Wolfgang Dremmler et le double ballon d’or 81 et 82 Karl-Heinz Rummenigge font figure d’incontournables face à des Villans bien souvent inconnus hors du Royaume-Uni.
Alors que le match vient de débuter, Jimmy Rimmer se blesse au cou au bout de neuf minutes. C’est la tuile pour les Claret & Blue qui n’ont que Nigel Spink gardien de la réserve sur le banc. Un match en senior dans les jambes, vingt-trois ans au compteur, un piètre CV face à l’expérimenté Karl-Heinz Rummenigge.
Et le miracle a lieu, le gardien illumine les écrans cathodiques de Birmingham. Aérien, intraitable, les superlatifs manquent pour qualifier Nigel Spink et quand ce n’est pas le dos d’un de ses défenseurs, c’est Dieter Hoeness qui envoie sa reprise au loin, Breitner croit marquer d’une tête décroisée mais c’est sauvé sur la ligne. Spink est de la race des Eder, ces joueurs que rien ne prédestine à se retrouver à ce niveau-là, à ce moment-là mais qui répondent présents contre toute attente rationnelle. Poussés par un public bouillant qui donnera de la voix tout le match, sublimés par l’enjeu, il semble écrit que les Villans vont s’imposer.
Alors que le dernier quart d’heure se profile, côté gauche, lancé en profondeur, Tony Morley se met à faire danser son vis-à-vis. Le reste appartient à l’histoire, commenté par la voix de Brian Moore commentateur de ITV: « Shaw, Williams, prepared to venture down the left. There’s a good ball in for Tony Morley. Oh, it must be and it is! It’s Peter Withe ! ». Ce dernier vient d’offrir d’un plat du pied imparable le premier succès européen de l’histoire d’Aston Villa.
Barton, cinquante-six jours après avoir été nommé entraineur remporte la plus prestigieuse des coupes d’Europe et Birmingham plonge dans une nuit d’euphorie loin du contexte social lourd de l’époque. La saison suivante, ils seront éliminés en quart par la Juventus mais remporteront la Super Cup, dernier exploit avant une chute inexorable. Si Spink jouera quatorze saisons pour le club, en 1984 Barton quitte le club et en 1987, Aston Villa est relégué, la fin d’une période dorée que Villa Park n’a plus jamais connu.
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En sept ans les Villans sont passés de la seconde division au pinacle européen. Aston Villa succède à Liverpool dans une décennie où les clubs anglais ont monopolisé le titre lors des cinq dernières éditions. Ron Saunders, champion 1981 est le grand artisan de ce succès qui a vu Aston Villa en haut de l’affiche durant un moment fugace. Relégués cinq ans plus tard, les Claret & Blue n’ont plus connu telle euphorie. Demeure aujourd’hui l’une des plus inattendues victoires du football anglais. Comme un rappel de ce glorieux moment, le commentaire de Brian Moore orne toujours une banderole de Villa Park lorsque Jack Grealish et ses coéquipiers foulent la pelouse en 2021.
Sources :
- TheseFootballTimes, Ron Saunders, Aston Villa and the often overlooked glory of the early 1980’s
- The Guardian, How Aston Villa won the European Cup (and were then relegated five years later)
- SoFoot, 77-82 Great Great Britain, Quand les Anglais dominaient l’Europe
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