« Un vrai gentleman ne quitte jamais sa dame. » A travers cette déclaration, Alessandro Del Piero expliquait son choix de rester à la Juventus, reléguée en Serie B en 2006. Le joueur cochait alors toutes les cases d’un joueur pouvant s’épanouir dans n’importe lequel des meilleurs clubs du monde. Cette phrase reflète l’amour et la passion que portait le numéro 10 pour son club de toujours, avec lequel il a tout gagné.
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Quand on parle d’Alessandro Del Piero, impossible de ne pas visualiser ces rayures blanches et noires pour lesquelles il a tout donné. Et quand on pense à la Vecchia Signora, l’image de son éternel capitaine vient directement en tête. Ce fut la force de Del Piero : laisser une trace indélébile dans les mémoires du club, assuré que personne ne servirait ces couleurs comme il l’a fait depuis le 12 septembre 1993. En effet, après deux saisons en Serie B avec Padova, le jeune italien est recruté par son club de cœur, réalisant son rêve. Quelques semaines plus tard, il foule la pelouse en tant que bianconero contre l’US Foggia, remplaçant Ravanelli. L’héritier était là, sans que personne ne s’en doute. Il inscrit son premier but lors du match suivant contre l’AC Reggiana, avant d’infliger un sévère triplé à Parme quelques jours plus tard. En une semaine, Alessandro Del Piero avait conquis les fans de la Juventus. Pourtant, à cause de la grosse concurrence qu’il y a en attaque, Del Piero doit patienter. Proche d’un prêt à Parme, il effectue finalement sa saison entre la première équipe et la Primavera. Il doit attendre la saison suivante pour s’imposer comme l’homme à tout faire de la Juventus. Et c’est ce qu’il va faire : tout. Alessandro donne sa vie à sa dame, sans jamais flancher.
Tout gagner, tout perdre, recommencer
La carrière de Del Piero a été semblable à la vie de chaque club de football : des montagnes russes. Quasiment resté toute sa carrière chez les bianconeri, il Pinturicchio a tout vécu à leurs côtés. De ce match au cours duquel il remplace un numéro 10 que les fans ne pensaient jamais revoir à la finale de Coppa Italia opposant les Bianconeri au Napoli en 2012, Ale a traversé toutes les émotions possibles.
Un an après ses débuts, la Juventus prend une décision qui va révolutionner la carrière de Del Piero. Au cours de l’été 1994, le club recrute celui qui restera comme l’un des plus grands coachs de l’histoire de la Vieille Dame, et un grand ami de Del Piero. Veste grise et cigare allumé, Marcello Lippi allait révéler toute la magie coincée dans les pieds de Del Piero. Celui-ci devient un titulaire incontestable, et fait chavirer le cœur des tifosi. Entre 1995 et 1998, il inscrit 23 buts en 30 matchs de Ligue des Champions, permettant au club de remporter celle de 1996 et d’accéder à la finale en 1997 et 1998.
« Pour moi, aucune couleur ne sera jamais plus brillante que le noir et le blanc. »
Et aucun trophée ne sera plus brillant que cette Ligue des Champions glanée un soir de mai 1996, au cœur de Rome.
Les années qui suivront se ressemblent : la Juventus compte toujours sur son joyau pour l’emmener au sommet. En 2001, il devient capitaine des Bianconeri, titre qu’il gardera plus de dix ans. Plusieurs Scudetti, une finale de Ligue des Champions et un duo explosif avec David Trezeguet rythment la carrière de Del Piero, jusqu’au drame de 2006.
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Lorsque la Juventus est prise dans les affaires du calciopoli, Del Piero vient de remporter une Coupe du Monde avec la Squadra Azzurra. Jusqu’ici beaucoup critiqué pour ses occasions manquées contre les Bleus à l’Euro 2000 et ses performances en dents de scie en 2002, Del Piero sauve l’Italie contre l’Allemagne, pays hôte, en inscrivant un but mythique au cours des prolongations. C’est donc en tant que protagoniste d’une équipe championne du monde qu’Alessandro rentre à Turin. La Juventus est reléguée en Serie B et le capitaine du club, courtisé par le Real Madrid et Manchester United, doit prendre une décision.
« Après un match contre la Juventus, Ryan Giggs et Gary Neville m’ont demandé de tout faire pour recruter Del Piero à Manchester United car il avait détruit toute notre défense. Je l’ai donc contacté, mais il a refusé d’écouter ma proposition. Ensuite, en 2006 […] je l’ai recontacté, sachant que le Real Madrid le voulait aussi. J’étais sûr qu’il finirait par jouer pour nous ou pour le Real cette fois, alors je lui ai dit : ‘Alessandro, après tant d’années, je te veux toujours. Ne va pas à Madrid, c’est le moment de venir ici en Angleterre. Tu seras la star de notre équipe’. Il m’a répondu : ‘Mister, je crois que nous avons déjà eu cette conversation il y a plusieurs années. Je vous respecte beaucoup, mais la Juventus a des problèmes actuellement (reléguée en Série B) et je ne peux pas être un lâche maintenant.’ » Sir Alex Ferguson.
Un vrai gentleman ne quitte jamais sa dame.
« Ce fut normal pour moi, j’étais le capitaine d’une équipe en difficulté qui m’avait tout donné. Quand le club m’a demandé ce que je voulais faire, je n’ai pas hésité une seconde. J’ai simplement dit : me voici. »
Lançant un appel à d’autres légendes du club, Del Piero est suivi par Trezeguet, Nedved, Buffon et Camoranesi. La remontée est immédiate, et le club renoue rapidement avec la Ligue des Champions. Sans grand succès cependant, et sans Scudetto non plus. Cette équipe est forcément affaiblie par les événements de 2006, et doit attendre 2012 pour se hisser à nouveau à la tête du championnat italien. 2012, une année glorieuse pour le club qui retrouve enfin le chemin de la victoire, mais synonyme de départ de sa légende.
Del Piero n’a pas d’égal à la Juventus. Même Boniperti, resté au club toute sa carrière, n’a pas laissé la même empreinte. Gianluigi Buffon, icône des Bianconeri restée au club aussi longtemps qu’Ale, n’est pas non plus comparable à l’éternel capitaine. Le numéro 10 de la Vieille Dame a traversé toutes les épreuves, emmené le club au sommet avant de lui témoigner son amour en restant en deuxième division, pour enfin retrouver les titres et la gloire. Il y a remporté entre autres six championnats, une Ligue des Champions, une Coppa Italia, a fini meilleur buteur de la Ligue des Champions de 2005 en inscrivant 10 buts, meilleur buteur de Serie A en 2008… le tout sans être un buteur à proprement parler. Del Piero a tout gagné avec la Juventus, ce qui lui a permis d’avoir l’un des palmarès les plus riches du football italien, ajoutant la Coupe du monde 2006 à son armoire. Titanesque.
En 2011, alors qu’il est poussé dehors par Agnelli, Del Piero signe un contrat blanc avec le club : une dernière saison en noir et blanc, mais pas de salaire.
« Signer un contrat en blanc avec la Juve, c’est un geste fort que je referais. »
Il quitte finalement sa Dame en 2012, contraint de se diriger vers la porte de sortie par la direction du club. Il finit sa carrière en Australie puis en Inde, avant de prendre sa retraite des terrains.
705 matchs, 289 buts et un nombre infini de souvenirs en bianconero.
« Il Pinturicchio », un artiste avant tout
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Le lien entre Del Piero et la Juventus est toujours fait lorsqu’on mentionne l’ancien capitaine de la Vecchia Signora. Si ce lien est logique, il est également réducteur.
Il Pinturicchio. Un surnom donné par Gianni Agnelli, ancien président et propriétaire de la Juventus, pour définir son joyau. Il reprend le nom du célèbre peintre de la Renaissance, comparant son joueur phare à un artiste, un virtuose. Un surnom que Del Piero va honorer à la perfection, proposant un football que très peu dans l’histoire ont été capables d’offrir.
« L’argent ne fait pas tout. Mon ambition, c’était le football en lui-même, pas l’argent que j’en dégagerais. »
C’est ce que faisait Del Piero sur un terrain : jouer un football totalement unique. Le numéro le plus iconique de ce sport sur le dos, Ale savait tout faire : dribbler, passer les défenseurs, placer le ballon juste devant les buts pour qu’un coéquipier finisse le travail, caresser la lucarne sur coup-franc. Tout ce que le football permet de faire était à la portée du numéro 10 bianconero.
Pourtant, le 8 novembre 1998, tout semblait terminé pour le Del Piero insolent et créatif que l’on voyait sur toutes les pelouses d’Europe. A la fin d’un match contre l’Udinese, Ale se blesse au genou. Le verdict est clair : rupture des ligaments croisés, et neuf mois à l’écart des terrains. La Juventus, championne en titre, tombe en bas de la première moitié du classement. Sans son capitaine, la Vieille Dame est perdue. Au cours de l’été 1999, Il Pinturrichio est de retour, différent. Il l’admet lui-même : son style de jeu et son niveau n’ont plus jamais été les mêmes, la peur de la blessure planant au-dessus de lui.
Si son niveau n’a probablement plus jamais été le même, Del Piero a su s’adapter à sa nouvelle condition de joueur plus fragile. Cela ne l’a pas empêché de rester l’un des meilleurs tireurs de coup-francs de l’histoire, et l’un des plus grands numéros 10 italiens.
Juventus – Real Madrid 2008, une double confrontation pour tout démontrer
Ce n’est un secret pour personne. Alessandro Del Piero a été le bourreau du Real Madrid a plusieurs reprises. Cinq buts et deux passes décisives contre le club de la capitale espagnole, en neuf rencontres. Parmi celles-ci, une double confrontation en 2003 qui voit Del Piero marquer deux buts et offrir une passe décisive à Trezeguet pour l’emporter 4-3 contre le Real (1-2 à l’aller, 3-1 au retour).
Mais c’est bien en 2008 qu’il Pinturicchio va mystifier le Santiago Bernabéu et y inscrire son nom en lettres d’or. Un match qui montre à toute l’Europe que Del Piero est toujours présent, lui qui a permis à la Juventus de renouer avec la plus prestigieuse des compétitions, seulement une saison après l’enfer de la Serie B.
« Il serait beaucoup plus simple de faire une seconde Mona Lisa qu’un autre Del Piero. » Iker Casillas
Il était le triste principal concerné de ces deux soirées européennes. La Juventus revient de Serie B en 2007, et parvient à se hisser dans les hauteurs du classement dès 2008, grâce à un Del Piero qui finit meilleur buteur du championnat. Le club n’est donc pas le favori du groupe H. Cet honneur revient naturellement au Real Madrid, champion en titre de Liga. Ale permet dans un premier temps à son club de l’emporter 2-1 à Turin, grâce à un but dès la cinquième minute.
Mais c’est dans l’antre des Merengues que la légende de Del Piero grandit encore plus. Les images parlent d’elles-mêmes : deux buts, un coup-franc magistral, une standing-ovation de l’un des stades les plus mythiques d’Europe.
Alessandro Del Piero aura marqué les esprits du monde entier. Même s’il n’avait déjà plus rien à prouver, il a montré que son pied droit était au moins aussi doré que le maillot qu’il portait ce soir-là.
« Del Piero est le plus grand joueur italien de tous les temps. » Raúl
Raúl a le droit de penser cela, tant Del Piero était immense. Comparable aux plus grands artistes que le football italien a pu produire, Alessandro était tout. Il était le buteur, le passeur, le dribbleur, le créateur, le capitaine, le fidèle. Il était le football dans sa forme la plus pure, un virtuose, un musicien. S’amusant toujours sur le rectangle vert, un sourire jusqu’aux oreilles au moindre but des siens, il nous rappelait pourquoi ce sport nous est si précieux. Il était le jeu.
Alessandro Del Piero était unique. C’était un romantique amoureux de son club. C’était un artiste, un créateur. Il représentait un profil de joueur trop rare dans l’histoire récente du football européen. Jusqu’au bout, il a mystifié les défenseurs de toute l’Europe, se faisant une place parmi les étoiles de ce sport. Il Pinturicchio était un tel virtuose qu’on en oublierait presque son immense palmarès, qui ferait rêver chaque footballeur. Alessandro Del Piero a tout gagné, à commencer par le cœur des fans de football du monde entier.
Sources :
- Black and White stripes: the Juventus story, Marco et Mauro la Villa
- Stile Juve : Del Piero : « je n’ai jamais signé à la Juve pour l’argent »
- These Football Times : Calcio II
- These Football Times : European Cup
- These Football Times, in celebration of Alessandro Del Piero
Crédits photos : Icon Sport