Le 19 octobre 1983, au Parc des Princes, la meilleure équipe du monde venait affronter le Paris Saint-Germain sur ses terres. C’était dans le cadre des huitièmes de finale de la Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupe, pour le compte du match aller. Ce soir-là, les stars étaient turinoises mais l’étoile était yougoslave. Retour sur un match d’exception réalisé par la légende parisienne, Safet Sušić.
L’équipe de rêve de la Juventus contre un Paris Saint-Germain émergent
Avant d’entrer dans le vif du sujet, rappel du contexte entourant cette rencontre. En 1983, la Juventus faisait office de grande favorite avant la double confrontation contre le club de la capitale française.
Lors du dernier exercice, le PSG a confirmé sa progression au sein du football français en remportant pour la deuxième fois consécutive la Coupe de France et en terminant sur la troisième marche du podium en championnat. Cependant, leurs résultats et leur effectif sont très loin de ce que proposent les Bianconeri. Sur les trois dernières saisons, les Turinois ont ramené à la maison deux Scudetti, une Coupe d’Italie et se sont inclinés en finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions 1982-1983 contre les Allemands d’Hambourg.
« Il s’agit sans doute de la meilleure équipe de club du monde. » Ce sont les mots de Thierry Roland, qui occupe le poste de commentateur aux côtés de son compère historique, Jean-Michel Larqué. La Juventus aligne une équipe qui faisait saliver tous les amateurs de football de cette époque. Ce n’est pas la formation la plus offensive, car leur plan de jeu se base tout d’abord sur une défense de fer, mais leur solidité et leur efficacité sont certaines. Pour cette rencontre, les joueurs majeurs du onze turinois sont :
- Le libéro et leader défensif, Gaetano Scirea.
- Le « poète » et (très) rugueux Claudio Gentile, positionné sur la droite de la défense.
- L’un des meilleurs joueurs du monde au poste de latéral gauche, si ce n’est le meilleur, Antonio Cabrini.
- L’efficace milieu de terrain, Marco Tardelli.
- Ainsi que la star du mondial 1982, positionné à la pointe de l’attaque, Paolo Rossi.
A noter que ces cinq joueurs ont gagné la Coupe du monde 1982 avec l’Italie. Plus que des vainqueurs, ils étaient surtout titulaires lors de cette édition victorieuse.
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Mais les Italiens ne sont pas les seuls éléments majeurs de l’effectif. Bien qu’à l’époque, les joueurs étrangers occupaient une place moins importante car leur nombre était limité, ceux qui sont présents dans la capitale du Piémont sont loin d’être des peintres. Ces joueurs sont nul autres que :
- Le virevoltant et inusable Polonais, posté au milieu du terrain, Zbigniew Boniek.
- Et bien sûr, le légendaire Michel Platini.
A la tête de ce groupe cinq étoiles, un entraîneur dont vous avez déjà entendu le nom, au palmarès long comme le bras, l’italien Giovanni Trapattoni.
Du côté de l’effectif parisien, certains joueurs sont bien connus du public français mais leur renommée n’est pas comparable à leurs adversaires du jour. Il y avait les Dominique, Baratelli, Bathenay et Rocheteau. Luis « Allez mon petit bonhomme » Fernandez ou encore Mustapha Dahleb. Les stars sont donc du côté turinois lors de ce huitième de finale de C2. Cependant, un homme est prêt à faire vaciller la confiance de ces footballeurs aux CV bien remplis. Ce joueur se nomme Safet Sušić, il est né à Zavidovići en Yougoslavie et porte le maillot du Paris Saint-Germain depuis un an déjà.
Le match – 1ère mi-temps
Avant même le début de cette rencontre, il faut savoir que Sušić n’est pas inconnu des joueurs italiens. Sa performance ne relèvera donc aucunement de l’effet de surprise. En effet, le 13 juin 1979, le numéro 10 yougoslave a déjà eu l’occasion de briller face à la Squadra Azzurra, sous les yeux de Gentile, Scirea et Paolo Rossi. Le terme « briller » est même un euphémisme car lors de cet amical opposant la Yougoslavie à l’Italie, Sušić a inscrit un triplé et était reparti avec une victoire 4 buts à 1. Les Italiens avaient certainement échangé à propos de ce milieu offensif avant le match.
Trente premières minutes timides
L’arbitre siffle le début de la rencontre. Dès le départ, une première preuve montre que les Italiens ont effectivement parlé de cet excellent joueur venu de l’Est. Le défenseur Nicola Caricola est chargé du marquage individuel de Sušić et ne lui laisse pas un seul centimètre de liberté. Pendant les trente premières minutes, la défense turinoise est dans un fauteuil, les Parisiens étant incapables de déstabiliser cette ligne défensive. Le peu de fois où un joueur francilien s’aventure au-delà du premier rideau, un Italien est toujours assez réactif pour commettre une faute, quand ce n’est pas Scirea qui se charge de venir au secours de ses coéquipiers.
La partition est parfaitement maîtrisée, la Juventus joue au petit trot et semble se dire qu’elle n’aura pas besoin de trop forcer pour venir à bout de ce jeune adversaire, encore nouveau sur la scène européenne. La Juve joue bas, ronronne, laissant Boniek, Penzo et Rossi se charger d’attaquer à trois. Platini, qui subit les sifflets du public parisien ne semble pas dans un grand jour. Certainement déstabilisé par cet accueil inattendu. Les commentateurs diront même à la fin du match, qu’en retournant aux vestiaires, Platoche aurait adressé un doigt d’honneur au public parisien.
Heureusement, côté PSG, le capitaine Dominique Bathenay est bien présent pour montrer qu’il faudra plus que trois joueurs pour parvenir à faire trembler les filets de son équipe. Mais pour le moment, Safet Sušić ne parvient pas à sortir du marquage. Seul un exploit individuel au quart d’heure de jeu annonce qu’il est en forme. Un exploit où il a éliminé successivement trois adversaires italiens. Une série de dribbles annonciatrice : il était prêt à réaliser une grande performance.
15 dernières minutes tambour battant
Puis, sans prévenir, après trente minutes de léthargie, le Yougoslave décide de mettre le feu. Caricola et Gentile s’apprêtent à vivre de longs instants, de longues minutes pendant lesquelles ils ne parviendront pas à arrêter le meneur de jeu parisien. Le numéro du Yougoslave démarre par un beau coup-franc qui frôle le poteau transalpin. Deux minutes plus tard, en deux touches foudroyantes, il élimine Gentile qui n’a pas d’autre choix que de faire faute alors que le Parisien était collé à la ligne de touche, dos au jeu. Puis, dos au but cette fois, il décale parfaitement, une passe millimétrée pour Zaremba qui se crée une énorme occasion.
Le festival ne s’arrête pas là : il se retourne en un éclair pour se mettre face au jeu et offrir un espace, encore une fois, pour Zaremba. Il récupère un ballon aux abords de la surface turinoise et est à un mètre de se créer une occasion en or. Il saute au-dessus des tacles italiens. Pour résumer : Il déstabilise tout le bloc adverse grâce à ses déplacements et surtout parce qu’il trouve toujours la solution aux problèmes qui lui sont posés.
« Il aura pris quelques cafés crèmes ce soir Caricola, le pauvre garçon. » Thierry Roland
Caricola est dépassé, Gentile doit lui apporter main forte. Mais ce n’est pas suffisant car c’est bel et bien le PSG qui rentre aux vestiaires avec un but d’avance. Une réalisation de Couriol.
1-0
Sušić n’est pas directement impliqué sur ce but mais est-ce vraiment important tant il enflamme la défense turinoise et les supporters présents au Parc des Princes ?
Le match – 2ème mi-temps
En deuxième mi-temps, Sušić trouve son rythme de croisière. Il prend souvent la balle dans les situations compliquées, ce qui est la marque des leaders techniques, il fait des passes qui cassent des lignes, il ouvre des espaces pour ses coéquipiers… Et ne surtout pas oublier qu’il réalise ce match face à des joueurs exceptionnels et très rugueux. Ce ne sont en aucun cas des « fermiers », terme péjoratif trop souvent utilisé par des personnes qui souhaitent dénigrer les exploits de Pelé, Maradona et compagnie. La partition du Yougoslave est belle et elle aurait mérité de mener son équipe à la victoire.
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Malheureusement, un événement changera le cours du match. Car si Sušić est le leader offensif, capable de tous les exploits, un autre homme réalise une performance des plus solides. Le capitaine Dominique Bathenay arrête la majorité des offensives turinoises. Le défenseur parisien devait se dire, tel Claude Makélélé : « Platini, Rossi, Boniek, machin chouette, je m’en bats les c*******. » Leur réputation ne l’empêche pas de leur tenir tête. Sauf qu’autour de l’heure de jeu, le capitaine parisien doit sortir sur blessure et laisser sa place à Mustapha Dahleb.
La rentrée de l’Algérien oblige le Yougoslave à partager la partie créative du jeu. Voir Dahleb et Sušić combiner et attaquer une défense ensemble est un régal pour les amateurs d’esthétisme combiné à de l’efficacité. Mais ce choix tactique n’est pas sans conséquences, il déséquilibre le bloc parisien et offre des espaces aux joueurs turinois. Ces derniers se montrent de plus en plus pressants et font le forcing pour revenir à la marque. Une-deux entre Boniek et Rossi aux abords de la surface, le Polonais transperce la défense et propulse la balle au fond des filets.
1-1
A 15 minutes de la fin du match, Penzo provoque aux abords de la surface une nouvelle fois et obtient un coup-franc. Le ballon est parfaitement positionné, une sorte de mini corner, sur le côté droit parisien. Boniek, encore lui, dépose le cuir sur la tête de Cabrini qui marque malgré un Baratelli à deux doigts d’arrêter le tir.
1-2
Malgré cet avantage pris à la 75ème minute, les Bianconeri ne sont pas sereins. Ils plient mais ne rompent pas sous les coups de boutoir de Dahleb, Sušić et Fernandez. La fin approche, la défaite semble imminente malgré les occasions qui se multiplient. Une victoire à l’italienne dirait le dicton. C’était sans compter sur Dahleb qui centre à la 90ème minute, Ngom à la réception qui envoie le Parc des Princes au paradis.
2-2
Au terme d’une bataille de haute volée, et d’une performance de Safet Sušić fantastique, le PSG tient tête à l’ogre italien et s’offre le droit de rêver pour le match retour…
« Son problème (à Sušić), c’est qu’il choisissait ses matchs. Il fallait lui mettre la balle dans les pieds. Par contre, quand il l’avait, c’était un peu Verratti. Tu ne lui prenais pas la balle sans faire faute sur lui. » disait « Giscard », un supporter historique du PSG, à Paris United dans Une histoire populaire du PSG. Cette rencontre en est l’exemple parfait, même contre les meilleurs joueurs défensifs, Sušić était insaisissable. Il n’hésitait jamais à prendre des risques pour trouver des solutions. Et il les trouvait très souvent.
Le PSG sera malheureusement éliminé par la Juventus, la faute à la règle du but à l’extérieur car la seconde opposition se soldera par un match nul et vierge. Mais les parisiens pourront au moins se dire que l’espace d’une soirée, ils auront réellement fait trembler la Juventus de Michel Platini. La Juve qui fera le doublé Championnat – Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupe en 1983-1984. Safet Sušić a été l’élément déclencheur, le leader technique qui a déstabilisé une défense extrêmement solide. Caricola et Gentile auront été obligés de s’y mettre à deux et de multiplier les fautes pour l’arrêter.
Sources :
- Footballia, Paris Saint-Germain vs. Juventus
- RSSSF, Yugoslavia National Team List of Results 1970-1979
- Paris United, Une histoire populaire du PSG
Crédits photo : Icon Sport