Le nom de Joël Quiniou fait figure de référence dans le monde de l’arbitrage français mais aussi international. Il évoque pour beaucoup, y compris les plus jeunes, un arbitrage intransigeant, précis et juste. Mais aussi une discrétion et une pédagogie omniprésente, qui marquera durablement les esprits. Son portrait, après ceux de Robert Wurtz et Michel Vautrot, vient compléter et clôturer cette trilogie d’articles dédiée à l’arbitrage français des années 80-90. Une période qualifiée « d’âge d’or » de l’arbitrage français, qui a vu ses trois mousquetaires se partager les plus hautes distinctions hexagonales et les plus prestigieuses rencontres internationales de leur temps.
Des bancs franciliens, au centre des terrains du monde
Joël Quiniou, est né le 17 novembre 1950 en région parisienne. Il est d’origine bretonne par ses parents, son père étant de Brest, et sa mère de Concarneau. Ses parents étaient tous les deux enseignants à Bourg-la-Reine. Il est issu d’une fratrie de triplés, ses frères s’appellent Yves et Alain. C’est un véritable passionné de sport, et en particulier de football, où il joue pour le club de Bourg-la-Reine. Une carrière de bonne facture mais qui atteint ses limites à l’âge de 17 ans, où il use plus souvent son short sur le banc des remplaçants que ses crampons sur la pelouse.
« À mes 17 ans, j’étais joueur en banlieue parisienne et j’étais souvent sur le banc de touche pour les dernières rencontres. Je ne sais pas pourquoi, mais à chaque décision que l’arbitre prenait, j’allais voir mon entraîneur et je lui demandais des explications. J’étais attiré par cette fonction, inconsciemment en tout cas. »
Et c’est justement parce qu’il allait encore entamer un match, de Coupe Gambardella, en position assise, que le hasard fit de ce jour « où tout a basculé », le premier acte d’une formidable carrière au plus haut niveau :
« Sur une rencontre de Gambardella, l’arbitre officiel ne s’était pas déplacé. Mon entraîneur m’a demandé si je voulais diriger la rencontre, j’ai accepté. »
L’affaire tourne mal, et une bagarre générale éclate. Cet incident loin de constituer un frein, s’avèrera être au contraire un élément déclencheur. Une évidence, comme un coup de poing :
« Un joueur de l’équipe adverse m’a insulté alors j’ai pris la décision de l’expulser. Il a été obligé de sortir mais il m’a attendu à la fin du match, il m’a donné un violent coup de poing et ça a entraîné une bagarre générale. Tout ça a été réglé ensuite en commission de discipline. Le jour où on a été entendus devant la commission, mon entraîneur m’a parlé des cours d’arbitrage et m’a proposé de continuer dans cette voie. J’ai réfléchi et j’ai décidé de me lancer. Peut-être que je ne voulais pas rester sur ce geste insensé. Je me suis dit que l’arbitrage ne pouvait pas ressembler à ça. Cela a été comme un challenge par rapport à ce geste ! Un déclic ! »
A partir de là c’était clair, car s’il a eu bien mal au blair, il a quand même eu le flair, de bien mener son affaire : maintenant il ne regarderait plus les autres jouer au foot depuis le banc, mais il dirigerait le jeu depuis le centre du terrain. Il débute sa carrière d’arbitre de D1, seulement 12 ans après cet épisode, au stade Grimonprez-Jooris lors de la 35e journée de la saison 1978/79. Il s’agit d’une confrontation entre Lille de Bergeroo et Dréossi, et Sochaux de Ruty, Genghini et Revelli, le 18 mai 1979 (4-2). Sa progression est fulgurante, et il se place rapidement parmi les meilleurs arbitres français de l’époque. Il en viendra même à concurrencer, dès 1986, Michel Vautrot l’homme en noir bisontin, qui est alors la référence héxagonale du sifflet. Pour preuve, cette année-là, alors que tout le monde est persuadé de la nomination de Michel Vautrot pour la Coupe du monde au Mexique, c’est finalement Joël Quiniou qui sera appelé à représenter la France lors de cette compétition. Il faut savoir qu’à cette époque, un seul arbitre peut être désigné par pays. On désigne donc celui que l’on considère comme étant le meilleur du pays. Règle qui disparaitra dès l’édition de 1990, ce qui permettra à Vautrot et Quiniou d’y prendre part tous les deux. Au total, il arbitrera la bagatelle de 275 matchs de D1 jusqu’au 31 mai 1995 où il bouclera la boucle au stade Grimonprez-Jooris au soir de la dernière journée de la saison. Ce jour-là il dirige un bouillant derby entre Lille, de Bonalair et Assadourian et Lens, de Warmuz, Sikora et Walemme (3-1). Il finira d’ailleurs le match en se prenant lui-même un carton rouge de la part de… Bonalair. Au niveau national, il arbitrera également 3 finales de Coupe de France, en 1986, 1989, et 1991, privilège (généralement) accordé à l’arbitre considéré comme le meilleur de la saison écoulée.
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8 juin 1991 – Finale de la Coupe de France 1991. Jean Luc Ettori, Joel Quiniou et Jean-Pierre Papin
Il compte bien évidemment à son palmarès des joutes européennes, et ce dès 1981. Il se verra même confier les reines de la finale de Supercoupe de l’UEFA en 1989 et la finale de la Coupe de l’UEFA en 1991. En 1993 il dirige même la finale de la Coupe intercontinentale opposant le Sao Paulo FC de Télé Santana, Cafu et Leonardo, à l’AC Milan de Capello, Baresi et Costacurta (3-2). Au niveau international, il dirige sa première rencontre seulement 5 ans après ses débuts en D1, lors des Jeux olympiques de Los Angeles de 1984. Une compétition qui reste dans les mémoires françaises comme étant la seule médaille d’or de l’équipe de France de football à ce jour. Puis il officie lors d’une Coupe du Monde U20 en 1985. Il va enfin et surtout participer à trois Coupe du Monde (Mexique en 1986, Italie en 1990 et Etats-Unis en 1994).
24 juin 1990, Argentine – Bresil, Coupe du Monde 1990
Avec 8 rencontres, il a longtemps co-détenu (avec l’Uruguayen Jorge Larrionda et le Mexicain Benito Archundia) le record du nombre de matchs arbitrés pour cette compétition, jusqu’au 5 juillet 2014 où l’Ouzbek Ravshan Irmatov a arbitré son 9e match. Voici le détail des 8 rencontres en question : Uruguay-Écosse en 1986, Italie-Tchécoslovaquie, Brésil-Argentine et Italie-Angleterre en 1990, puis Suède-Russie, Allemagne-Corée-du-Sud, Brésil-États-Unis et Bulgarie-Italie en 1994. Joël Quiniou reste à ce jour toujours détenteur d’un record dans l’histoire de la Coupe du Monde, plus insolite celui-là : il est le recordman du carton rouge le plus rapide. Lors du match Uruguay-Ecosse en 1986, il avait expulsé l’uruguayen José Batista à la 53ème secondes de jeu seulement.
« J’avais dû sortir un carton rouge contre Batista dès la première minute de jeu dans ce match qui opposait l’Uruguay à l’Ecosse. J’ai pris mes responsabilités à l’époque, car on n’avait pas l’habitude d’avoir un arbitre qui sanctionne un tacle méchant, un geste prémédité pour affaiblir l’équipe en début de match. Je ne me suis pas posé de question »
Une décision logique, mais forte, qui peut étonner, d’autant plus qu’il s’agit là de son premier match en Coupe du Monde. On aurait pu croire à une décision impulsive, favorisée par le stress de l’événement. Non, car Quiniou n’est pas impressionnable, mais il n’est pas non plus hermétique, et le contexte d’avant match aura quand même influencé cette prise de décision :
« Il s’agissait de mon premier match de Coupe du Monde, seulement un mois après la finale de la Coupe de France entre Marseille et Bordeaux. Ce jour-là mon arbitrage avait été critiqué car je n’avais pas sifflé un penalty pour Bordeaux suite à une main. Ça a été un match à polémiques et beaucoup ne comprenaient pas pourquoi j’avais été choisi pour ce match. J’ai été un peu vexé mais il faut savoir accepter les critiques. Il y avait aussi un deuxième élément au début de cette Coupe du Monde : beaucoup de critiques étaient tombées sur les arbitres car les tacles n’étaient pas suffisamment sanctionnés. Nous avions eu un rappel à l’ordre des instances. J’avais été marqué par ces propos. »
Il a fait preuve d’intransigeance tout simplement. Cette intransigeance, comme une arme fidèle, qui l’accompagnera sur tous les terrains du monde, tout au long d’une riche carrière au plus haut niveau. Mais une carrière qui comportera aussi son lot d’événements douloureux. Un en particulier, terrible. C’est en effet Joël Quiniou qui est désigné pour arbitrer l’une des demi-finales de Coupe de France 91-92, entre le SC Bastia et l’Olympique de Marseille, et qui se tient le 5 mai 1992 à Furiani. Une tragédie humaine, que l’on qualifiera de « Catastrophe de Furiani », qui marquera le football français à jamais, mais aussi Quiniou qui en fut l’un des témoins « privilégié ».
« La catastrophe de Furiani est le souvenir le plus fort et le plus triste de ma carrière. Quand vous allez diriger une demi-finale de Coupe de France, vous êtes tendu forcément car il y a un contexte particulier entre les Marseillais et les Corses. Un stade en ébullition, des tribunes montées spécialement pour cette rencontre, et au moment de rentrer sur le terrain, dans le couloir, vous entendez un bruit assourdissant ! Vous vous posez la question, vous rentrez sur le terrain, mais vous ne comprenez pas tout de suite car cette tribune qui est tombée n’était pas dans mon champ visuel. Ensuite, forcément lorsque l’on a vu ces corps étendus, ce sont des images qui me sont restées à double titre. Mon épouse est Corse, mes beaux-parents étaient là pour assister à la rencontre. Tout ça a été très pénible à vivre. Par la suite, j’ai pris du recul sur les décisions que je pouvais prendre, j’ai relativisé par rapport à cet événement tragique. »
La version 3.0 de l’excellence française au sifflet
Joël Quiniou conçoit le rôle d’arbitre comme le garant des règles du jeu, le régulateur de la prestation des joueurs. Il n’a, par contre, pas de vision simpliste, car au delà des règles et des qualités techniques et physiques d’un arbitre, il sait aussi qu’il y a une dimension humaine pour toute prestation réussie.
« À côté de ça, il y a les qualités humaines, de psychologie, d’intelligence de jeu, de comportement de jeu. Pour être respecté, il faut avoir une attitude respectable. On peut facilement dédramatiser une situation avec de la pédagogie, c’est capital dans l’intérêt d’une rencontre. Cette philosophie m’a aidé dans ma façon d’évoluer, dans ma vie professionnelle, ça a été une école de la vie. Ça n’a pas de prix ! »
Des questions se posent alors. Comment Joël Quiniou a-t-il pu, à son tour, marquer autant cette époque de son empreinte ? Comment a-t-il su tirer son épingle du jeu face à ces deux monstres de Robert Wurtz et Michel Vautrot ?
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Car il faut bien avouer que Quiniou était moins démonstratif que Wurtz, et probablement moins décontracté que Vautrot. La première réponse à cette interrogation est que sa façon d’appréhender l’arbitrage semble se situer à la croisée des styles de ses deux ainés. La quintessence de l’époque, pour une dernière version aboutie du logiciel de l’arbitrage d’alors. Comme Wurtz, il était tout à fait exigeant vis-à-vis de sa préparation physique, pour être au plus près du jeu. Ce qui était loin d’être la priorité pour Vautrot. Par contre, à l’instar de Vautrot, il érigeait en vérité cet adage qui veut que « le meilleur arbitre est celui que l’on ne voit pas ». Une pure hérésie pour Wurtz, qui abhorrait cette expression, lui qui estimait avoir un rôle tout aussi important que les joueurs dans le spectacle. Mais Quiniou n’était pas pour autant un simple hybride de ses deux compères, car il a su forger son propre style. Dans les journaux spécialisés de l’époque on y décrit un arbitre consciencieux sans être pointilleux, ferme et autoritaire. Il était réputé très régulier, et comme étant le « plus concentré ». Ses prestations ont parfois été qualifiées d’austères, ce qui fait par définition référence à un manque de plaisir n’était évidemment pas le cas. Le terme d’intransigeance, déjà évoqué, semble être un qualificatif plus approprié. Une intransigeance dont il doit d’ailleurs faire preuve dans son métier de tous les jours en tant que cadre administratif du ministère de l’Intérieur. Quand, des années après les faits, il évoque l’expulsion expéditive de Batista, ses propos sont très clairs :
« Si j’avais à reprendre cette décision je ferais pareil. Certes, il faut appliquer les règles avec intelligence, psychologie, mais psychologie ne veut pas dire faiblesse. Quand une erreur s’impose, qu’elle soit prise dès la première minute ou la dernière, vous devez la prendre sans réfléchir aux conséquences. C’est ça l’arbitrage. C’est une activité humaine. »
Intransigeant on vous dit. Mais attention, Quiniou n’était ni rigide ni orgueilleux. Il a toujours eu à cœur d’être pédagogue dans l’exercice de son art. Une volonté qui a perduré au moment de prendre sa retraite à l’âge de 46 ans. C’est à ce titre qu’il a intégré le Conseil National de l’Ethique de la Fédération Française de Football. Puis plus particulièrement le monde des médias, tout d’abord en écrivant des chroniques sur l’arbitrage dans L’Equipe, puis en intervenant très régulièrement à l’antenne de RMC, les soirs de grands matchs. Lors de ces interventions, il tente d’expliquer, d’éclairer les choix de l’arbitre face à une action litigieuse. Un rôle extrêmement apprécié du grand public, car il fait toujours autant preuve de justesse et de pédagogie. Mais un exercice délicat, d’équilibriste, car il commente les décisions prises par ces successeurs au sifflet.
« J’ai été suffisamment critiqué, contesté, pour savoir qu’il ne faut pas se focaliser sur l’erreur mais se mettre à la place de l’arbitre et pourquoi l’arbitre a pu prendre telle ou telle décision. C’est un aspect un peu pédagogique. Les gens ne connaissent pas forcément toutes les lois. J’essaie d’apporter un plus sur la lecture de la décision par rapport aux textes de l’arbitrage. »
Un discours, précis et juste, comme lorsqu’il était sur le terrain.
Le digne dernier représentant d’une génération exceptionnelle
Il n’y a que neuf ans qui séparent le plus vieux d’entre eux (Wurtz, 1941) du plus jeune (Quiniou, 1950). Leur éclosion au plus haut niveau, dans un si court laps de temps, a certainement favorisé une émulation saine. Si nos trois mousquetaires sont uniques, il ne faut pas croire que tout les oppose. On admet qu’il existe le plus de similitudes entre Vautrot et Quiniou. Mais ces trois grands personnages ont en commun la certitude qu’un arbitre de haut niveau, doit avoir une personnalité affirmée ; il doit savoir se faire respecter. Etre ferme sans négliger l’ouverture et le dialogue. Et chacun dans leur style a su marquer au fer rouge l’arbitrage français, et a su le porter au plus haut, ensemble.
« Je suis content d’avoir représenté la France notamment pendant les rencontres de Coupe du Monde. J’ai des collègues notamment Michel Vautrot ou d’autres qui ont porté l’arbitrage français comme des joueurs français. Il n’y a pas de meilleur. On a participé à faire en sorte que l’arbitrage français soit reconnu. C’est surtout ça ma satisfaction ! »
Mais si ces hommes, aux origines et aux parcours si différents, ont excellé dans leur art et porté au plus haut l’arbitrage à la française, c’est parce qu’ils ont un talent unique, une grande intelligence et parce qu’ils ont fait preuve d’une détermination à toute épreuve pour passer les obstacles les uns après les autres. Une période exceptionnelle, nostalgique, qui a certainement vu ses plus illustres représentants officier dans les plus grands rendez-vous du football à l’international.
Sources :
- Farid Rouas, « Joël Quiniou : Nous sommes des hommes, il ne faut jamais l’oublier », actufoot.com.
- Biographie de la Documentation de Radio France, juillet 2013, « Joël Quiniou », franceinter.fr.
- Remi Broute, « Joël Quiniou : « l’enjeu ne va t il pas encore l’emporter sur le jeu ? », humanite.fr.
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