Récemment, dans une interview à la Gazzetta dello Sport, José Mourinho déclarait quand il avait pris sa décision de rejoindre le Real Madrid en 2010 : «J’ai pris la décision après le deuxième match de la demi-finale contre Barcelone, car je savais que nous allions gagner la Ligue des Champions». Alors entraîneur de l’Inter Milan, le Special One était convaincu du triomphe des Nerazzuri. Il ajoute : «Si j’étais revenu à Milan après la finale au Santiago Bernabéu, avec les fans scandant mon nom, je n’aurais peut-être pas quitté l’Inter». Voilà qui fait la légende complexe du passage de Mourinho à l’Inter : partir en gagnant, être convaincu de la victoire, partir en pleurant, être triste de son choix de départ.
L’installation de Mourinho à Milan
José Mourinho arrive à l’Inter à l’été 2008. Après une année sans club et des rapprochements avec le Barca, Mou débarque dans un club triple champion d’Italie. Pas si impressionnant pour un entraîneur quatre fois champion avec ses deux derniers clubs (Porto en 2003 et 2004, Chelsea en 2005 et 2006). L’Inter Milan est un grand club italien mais son palmarès est maigre par rapport aux autres géants du pays. Ses victoires nationales remontent à longtemps ou sont au contraire très récentes grâce à Roberto Mancini. Pour ce qui est de l’Europe, les dernières belles aventures interistes remontent aux années 1990 et se sont vécues en C3. Le club nerazzurro n’a plus atteint une finale de Ligue des Champions depuis 1972.
Le seul entraîneur qui a gagné en Italie et en Europe avec l’Inter fut Helenio Herrera dans les années 1960. Ainsi, l’un des pères du catenaccio (une assimilation aujourd’hui contestée par ailleurs) est le seul coach à avoir marquer durablement l’histoire des Nerazzurri. José Mourinho, en seulement deux saisons à Milan, réussit l’exploit de concurrencer Herrera dans le cœur des Interistes.
A l’Inter, Mourinho a un effectif de qualité composé de vieux briscards : Zanetti, Samuel, Materazzi, Dacourt ou Crespo ; de joueurs dans la fleur de l’âge : Ibrahimović, Chivu ou Maicon ; et de jeunes Italiens qui se font une place dans le groupe professionnel à l’image de Mario Balotelli. Le Special One remporte le Scudetto promis depuis plusieurs années maintenant à ces joueurs, en plus d’une Supercoupe d’Italie face à la Roma en début de saison. En Ligue des Champions, l’Inter est éliminé en huitièmes de finale par Manchester United. Mais ce n’est pas grave, le meilleur arrive…
La saison 2009-2010 démarre idéalement
Pour la saison 2009-2010, Mourinho complète son effectif de nouveaux vétérans (Lúcio, Diego Milito), de grands joueurs traversant un creux (Wesley Sneijder, Thiago Motta) et de deux attaquants : Goran Pandev en provenance de la Lazio et Samuel Eto’o, échangé contre Zlatan Ibrahimović avec le Barca. Un échange comprenant beaucoup d’importance quelques mois plus tard.
Pour le moment, nous sommes à la fin août et Sneijder, 25 ans, vient d’arriver du Real Madrid où il est en échec. Mourinho veut le relancer et croit en lui. Le lendemain de son arrivée, Milan reçoit l’Inter. Le coach portugais lance au nouvel arrivant : «Demain tu joues. Titulaire. Dès la première minute. J’ai confiance en toi, on va gagner le derby». Les Interistes remportent le match 4-0, Sneijder juge ce match comme l’un des meilleurs de sa carrière, il déclare à la fin de la saison «Tout ce qui est arrivé après, tout ce qu’on a gagné ensemble, est une conséquence de jour-là». La machine est lancée, Mou a déjà réussi un pari, a conquis ses joueurs et les supporters.
Mourinho insiste sur la nouvelle importance du numéro 10 néerlandais et installe un 4-3-1-2 permettant à Sneijder de montrer toutes ses qualités. L’Inter enchaîne en championnat mais n’y arrive pas en Europe : trois nuls consécutifs à Barcelone, à Kazan et face au Dynamo Kiev. Il faut une victoire en Ukraine avec un but de Sneijder à la dernière minute pour permettre aux Nerazzuri de croire en la qualification. Finalement, Mou s’incline au Camp Nou et l’emporte face au Rubin Kazan, l’Inter est deuxième de son groupe et qualifié en huitièmes de finale.
L’entraîneur portugais ne s’ancre pas dans un unique schéma tactique. Au cours de la saison, il passe du 4-3-2-1 au 4-2-3-1 et visualise toutes les faiblesses de son équipe. Battue par Barcelone pourtant sans Messi et Zlatan, dépassée par la Roma en Serie A, ces échecs permettent à Mourinho de réajuster son onze pour en créer la forme la plus parfaite. Cambiasso et Motta progressent, Eto’o se cantonne sur la gauche de l’attaque, Milito est clinique, Balotelli entre parfois pour jouer à droite. Les leçons sont retenues et Mourinho bat par deux fois Chelsea, son ancien club, pour rejoindre les quarts de finale de la C1.
Capolavoro
Après avoir facilement éliminé le CSKA Moscou en quarts grâce à deux victoires 1-0, l’Inter Milan retrouve le Barca en demies. Avant cela, les Interistes s’imposent face à la Roma, repassent devant au classement et enchaînent six victoires lors des sept dernières journées pour conserver le Scudetto. L’Inter remporte également la Coupe d’Italie, face à la Roma encore une fois. Mourinho fait le doublé mais ne veut pas s’arrêter là. Pas face à la marche immense qui s’impose devant lui. Il est le Special One. Celui dont la presse italienne en a marre, celui qui s’est payé Carlo Ancelotti ou Claudio Ranieri ne veut pas, ne peut pas s’arrêter là-dessus. Il est venu pour faire briller l’Inter en Ligue des Champions. Il va le faire. Barca ou pas Barca. Messi ou pas Messi. Guardiola ou pas Guardiola.
Le FC Barcelone de Guardiola est celui de la maîtrise totale du ballon. Cette équipe met une grande pression lorsqu’elle ne l’a pas. Elle devient alors très rapide et punit ses adversaires de lui avoir pris la balle pour des poignées de secondes. Il faut surprendre cette équipe dans les schémas bien et trop entérinés qu’elle a acquis. Mourinho ne favorise pas le contrôle du ballon mais celui des émotions. Il se présente avec cette arme face au club catalan dont il a été l’adjoint et qu’il a failli rejoindre avant de venir en Italie.
A l’aller, à Giuseppe Meazza, Mourinho lance les siens en 4-3-1-2. Les Nerazzurri brisent au bon moment les offensives barcelonaises, ils défendent parfaitement avec un bloc compact : Samuel et Lúcio se baladent face au profil peu mobile de Zlatan. Xavi et Alves ne trouvent que très peu le géant suédois titularisé certainement à tort par Guardiola (en effet, on imagine Messi en pointe mettre plus en difficulté les deux défenseurs pré-retraités). Pep s’en rend compte et remplace Ibrahimović par Abidal à l’heure de jeu. Mais c’est trop tard : l’Inter mène déjà 3-1 et le score ne bouge plus. L’Inter exploite les montées de Maxwell et Alves, les contres sont foudroyants. S’ils se créent plusieurs occasions en première mi-temps, ils ne trouvent qu’une fois le chemin des filets. Cependant, le Barca ne change rien à la mi-temps, l’Inter peut continuer et marque encore deux fois en profitant des errements défensifs des latéraux barcelonais. 3 à 1 donc. Mourinho a gagné. Il a choisi l’offensive : Sneijder, Pandev, Eto’o et Milito titularisés. Tandis que les montées de Maicon sont compensées et que Xavi est muselé tour à tour par Cambiasso-Motta ou Motta-Sneijder. Guardiola a perdu.
Au match retour, Chivu est placé haut sur le terrain, Eto’o compense l’expulsion litigieuse de Motta dès la 28e minute et joue un rôle très défensif à gauche. Le 4-4-1-1 de Mourinho devient un 4-5-0. Le Portugais ne fait aucun changement alors qu’un joueur défensif est exclu et qu’il évolue avec trois joueurs offensifs. La gestion est totale. Alors que les Interistes ne voient pas le ballon et le laissent volontairement aux Blaugranas, ces derniers sont impuissants. Le bloc est trop compact, même Sneijder en première ligne suffit parfois à empêcher Xavi à lancer ses attaquants. Le Barca réalise 738 passes, l’Inter seulement 137. Alors que les Lombards sont en infériorité numérique, les Catalans sont les plus tendus. Mourinho et ses hommes maîtrisent parfaitement l’évènement. Même le but de Piqué à la 84e minute ne fait pas trembler l’Inter et ne change rien. Qu’ils gardent le ballon, Mourinho va en finale.
Des larmes pour la fin
Le 22 mai 2010 à Madrid, l’Inter s’impose face au Bayern Munich et remporte la Ligue des Champions. Mourinho réalise le Triplete. C’est historique, aucun club italien ne l’avait fait. A la fin du match, le Portugais en costume gris salue les supporters et pleure. Ses joueurs viennent un à un le remercier en le prenant dans leurs bras. C’est fini. La finale s’est déroulée au Santiago Bernabéu à Madrid et Mourinho ne rentre pas à Milan, il reste en Espagne. Nous l’avons dit, sa décision était prise après la victoire face à Barcelone. Mourinho signe au Real Madrid en mai 2010. Lui ne part pas, ce sont les autres qui regagnent l’Italie. Alors ils pleurent. Zanetti, Milito, Cambiasso, Stankovic. Tous partent. Ils prennent leur ancien entraîneur dans les bras, lui disent quelques mots et pleurent.
«Quand nous avons gagné la Champions avec l’Inter, j’ai tout à coup ressenti une immense tristesse. Après avoir travaillé avec un groupe formidable de joueurs qui venaient de réaliser un rêve qu’ils avaient toujours cru impossible, j’ai eu le sentiment que tout se terminait. C’est possible que dans ma vie d’entraîneur je retrouve quelques-uns des plus jeunes dans dieu sait quelle équipe. Mais avec la majorité d’entre eux, même si je resterai ami avec eux, c’était nos adieux»
Mourinho quitte le stade qui devient le sien quelques jours plus tard, en larmes. A bord de l’Audi A8 de Florentino Perez, José voit quelqu’un et arrête la voiture. Marco Materazzi est là, à l’entrée du parking, seul. Les deux hommes se prennent dans les bras pendant vingt-trois secondes. Ils pleurent. José l’agrippe puis repart dans la voiture, le visage défiguré par la tristesse. Mourinho est triste parce que c’est la fin avec l’Inter. Peut-être aussi parce que c’est la fin tout court ? Face au Barca, face au Bayern, avec l’Inter Milan, il a accompli des choses inimaginables. Il a réalisé son chef d’œuvre. A quoi bon continuer ? On ne réalise pas deux chefs-d’œuvre. Certains pensent José Mourinho dépassé aujourd’hui. Lui n’a pas réussi à remporter la Décima avec le Real, ce que Carlo Ancelotti a réussi ensuite. Lui avec qui tout se finit toujours mal. Cependant, Mourinho est toujours entraîneur, il reste un très grand mais n’a rien accompli de semblable à cette saison 2009-2010. Parce que c’était lui, parce que c’était eux.
Sources :
– LEPLAT Thibaud , Le cas Mourinho, Hugo Sport, Paris, 2013
– BRIGAND Maxime, Les leçons tactiques de l’Inter 2010, publié le 14 mai 2020 sur sofoot.com
– Pourquoi Mourinho est allé au Real, publié le 22 mai 2020 sur beinsports.com
– Le compte rendu statistiques du Barcelone 1-0 Inter du 28/04/10 de whoscored.com
Crédits photo : IconSport