Stéphane Grichting est l’une des figures de l’AJ Auxerre au début du XXIème siècle. Défenseur intraitable, l’international suisse nous raconte tout de ses belles années, des exploits européens à la descente de l’AJA en passant par la légende Guy Roux. Retour sur le roc de l’Abbé Deschamps.
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Pendant ton adolescence, l’AJ Auxerre signe un doublé Coupe-Championnat en 1996 et atteint les quarts de finale de Ligue des Champions, où elle est éliminée par le Dortmund de ton futur sélectionneur Ottmar Hitzfeld, en 1997. Comment voyais-tu cette AJA, depuis la Suisse ?
En Suisse, on est un peu au carrefour de tous les championnats. La partie germanophone suit énormément la Bundesliga, la partie tessinoise suit un peu plus la Serie A et nous, les Romands, on est bercés par la Ligue 1. En plus, comme notre championnat est très moyen, on a les yeux rivés sur le grand Marseille, le grand Paris, l’école de formation à la Nantaise de Coco Suaudeau…
Je savais déjà quasiment tout de l’AJ Auxerre quand j’ai eu des contacts avec, j’avais déjà une grande connaissance du football français. Je connaissais déjà une bonne partie de l’histoire de l’AJA. En plus, quand un entraîneur comme Guy Roux t’appelle, ça amplifie encore le truc.
Du coup, pour toi, quelle est l’épopée la plus marquante ? Celle de 1993 en Coupe de l’UEFA ou plutôt le quart de finale de Ligue des Champions en 1997 ?
Pour moi : 1997. Ils étaient dans le groupe de l’Ajax, des Grasshoppers et des Rangers ! En tant que Suisse suivant le foot français, on avait pu déjà les voir dans la vitrine européenne mais en allant aussi loin, ils m’ont marqué.
Tu dis que tu t’y intéresses encore plus quand l’AJA vient te chercher, avec cette fameuse anecdote de Guy Roux qui entend parler de toi dans un bar valaisan …
(il coupe) L’anecdote de Guy Roux, je pense qu’il y a eu un petit coup d’Alzheimer entre deux (il rigole). J’étais en fin de contrat au FC Sion, en 2002, j’avais plus de 100 matchs de Super League et j’avais été élu meilleur espoir suisse en 96-97 donc j’avais déjà pas mal fait de choses, gagné un titre, une Coupe de Suisse, disputé quelques matchs de Coupe UEFA … J’ai commencé jeune, à 17 ans, donc j’avais pas mal roulé ma bosse avant d’arriver à Auxerre. En 2002, je joue l’Euro Espoirs avec la Suisse qui organisait le tournoi. On avait dans notre groupe l’Angleterre, le Portugal et l’Italie, où on termine second avant de jouer une demi-finale contre la France (la Suisse perdra 2-0 en jouant à 10 plus de la moitié de la rencontre). On avait affronté Mexès, Boumsong, Landreau, Reveillere, le tout sous les yeux de Daniel Rolland, qui avait pris la succession de Guy Roux pendant son problème au coeur avant de revenir à la formation. J’avais fait un super match. J’étais déjà dans les radars de l’AJA et quand Auxerre cherchait un défenseur central francophone libre, j’étais sur la liste de Rolland. Guy Roux était consultant pour la radio à l’occasion de la Coupe du Monde, il est rentré le samedi et j’ai commencé l’essai le lundi. Et au retour du camp, qui se déroulait en Suisse, à 10 minutes de chez moi, il m’a dit qu’ils me signaient pour 4 ans. Voilà la version non-revisitée. Vu que j’étais connu à Anzère, où avait lieu le camp, il a dû demander aux personnes qu’il croisait au bar s’ils me connaissaient. J’avais tout connu en Valais, quiconque suivait le football me connaissait, ils ont dû parler de mes qualités. À partir de là, Guy Roux a fait comme si c’était l’alcoolique du coin qui m’a fait venir à Auxerre.
Au moment où tu signes à Auxerre, tu as quand même une sacrée concurrence !
Non justement, j’en avais aucune ! Quand j’ai signé, Guy Roux avait été très clair, je venais pour me former. Sion, c’était de la préformation mais lui voulait vraiment que pendant un ou deux ans je m’habitue au très haut niveau. Il y avait Boumsong et Mexès titulaires et mon rôle c’était de suppléer dès que l’un se blessait ou était suspendu. Dès qu’un des deux serait vendu, je reprendrais le poste, et c’est exactement ce qu’il s’est passé. La première année, je fais 16 matchs et on gagne la Coupe de France face à Paris et, même si je ne joue pas la finale, je participe aux tours précédents. J’ai pu affronter Dortmund et le PSV en Champions League mais on ne sort pas des poules. Pour une première année et pour un petit Suisse qui vient de son championnat, c’était hyper intéressant. À partir de là, j’ai pu jouer beaucoup plus les neuf années suivantes où, mises à part quelques blessures et suspensions, j’étais quasiment toujours titulaire.
On connaît beaucoup le côté de Guy Roux “à la recherche de pépites aux quatre coins de la France” mais c’est une autre facette de son génie d’aller faire confiance à un jeune venu d’un championnat moins connu ?
Je pense que le gros point fort de Guy Roux – et c’était propre à Auxerre – était qu’il préparait les remplaçants pour ses futures ventes. Moi, il m’a fait venir en prévision des ventes de Boumsong et Mexès par exemple. Il a déjà le remplaçant de Cissé avant sa vente à 20 millions chez Liverpool. Il avait toujours un coup d’avance et il savait mettre les joueurs dans les meilleures dispositions. Il me disait : “Tu as une année pour t’adapter, ne te mets pas la pression, monte en puissance et termine de te former”. Et ça, les clubs d’aujourd’hui ne le font plus forcément en France : ils vendent, ils vendent, ils vendent et puis ils vont acheter 5 joueurs avant de se rendre compte que ça ne colle pas forcément, l’année qui suit ils en remettent 2 sur le banc, ils en reprennent 3… Ils n’anticipent jamais.
Tout ça, c’était la force de Guy Roux. Bien sûr qu’on a la pression, quand on est jeune et qu’on découvre le championnat, mais il avait toujours ce coup d’avance et ça faisait la plus-value de l’AJA de l’époque.
Quand tu commences réellement à jouer avec l’AJA, c’est en 2004 ?
C’est ça, j’avais pas mal enchaîné avec les blessures de Boumsong et la suspension de Mexès, mais j’ai commencé vraiment en 2004 avec une trentaine de matchs dans la saison, ce qui est assez énorme quand on sait que devant moi il y a la charnière Boumsong-Mexès. On a eu les coupes d’Europe avec la Coupe UEFA et ainsi de suite et ça permet d’être au plus haut niveau. Auxerre, à cette époque, c’est la meilleure équipe du moment en terme de rapport budget/efficacité. Avec l’un des plus petit budget on arrivait toujours dans le premier tiers du championnat donc c’est ce qui faisait cette force : le mélange de la formation et de joueurs venus de l’extérieur pour amener une vraie plus-value année après année.
En 2004-2005, vous atteignez les quarts de finale de Coupe UEFA en sortant l’Ajax de Sneijder, de Maxwell mais aussi le LOSC. Qu’est ce qui apporte plus de satisfaction à ce moment là, un grand d’Europe ou un concurrent français ?
La satisfaction provient du parcours en général. Jusqu’au moment où on perd 4-0 contre le CSKA (en quart de finale – le club russe finira par remporter la compétition, ndlr) et je ne joue pas le match car j’étais blessé. On fait un super match au retour où on mène 2-0 chez nous rapidement et juste avant la mi-temps un pénalty n’est pas sifflé. Un 3-0 à ce moment, ça pouvait tout changer, surtout qu’on les avait bien bousculés… Je ne retiens pas un moment particulier, mais la campagne ! On était formatés pour cette Europe, on allait deux ou trois jours avant dans le Morvan, il n’y avait pas de réseau donc on courait tous dans les cabines pour appeler nos familles, il faisait aussi froid dans les chambres que dehors … C’était vraiment des opérations commando, et pas une mise-au-vert dans un hôtel 5 étoiles comme le font certains clubs aujourd’hui. Ça nous a forgé et on a fait des campagnes fantastiques avec un vécu fou où on rééditait nos exploits alors que chaque année on nous donnait perdants !
Le championnat c’est ton pain quotidien, tu y penses tous les jours mais l’Europe… Tu dois te mettre dans des dispositions spécifiques ! Un entraîneur qui fait tourner l’effectif en disant “j’ai un match difficile en Ligue 1 le week-end prochain”, il n’a rien compris ! Tu fais 38 matchs ou des matchs de Coupe pour être en Champions League ou en Europa mais quand tu y es tu brades les matchs ? C’est pas possible… Soit tu bâtis ton contingent pour jouer les premiers rôles, soit tu joues la dixième place, tu fais pas de matchs super excitants sauf quand tu joues Marseille ou Paris et point barre ! Nous, l’Europe, c’était l’Abbé Deschamps plein et des ambiances extraordinaires.
Le fait d’être considéré perpétuellement comme un outsider était un moteur ?
Oui, je pense. En 2010, contre le Zénith, c’était poussé à l’extrême. On nous snobait, ils pensaient déjà nous mettre 5-0 et aligner la B pour en mettre 4 au retour. On voyait qu’on était méprisés mais ça faisait notre force. On était sûrs de nous et si on nous laissait la moindre brèche on s’engouffrait dedans parce qu’on défendait bien et très bas. C’est une approche tactique qu’on optimisait aussi à cause de nos moyens parce qu’on savait qu’on n’allait pas produire beaucoup de jeu : tout le monde défendait et, dès qu’on voyait une brèche, on s’engouffrait. On battait des grandes équipes parce qu’on ne jouait pas de fausses partitions en étant perdus à la fin.
Toujours dans cette saison 2004-2005, vous gagnez la 5ème Coupe de France du club et tu marques, en quart de finale, à la dernière seconde pour envoyer l’AJA en prolongations…
(il coupe) C’était à Lens contre Boulogne ! Ils étaient quasiment promus en Ligue 2 donc c’était une équipe super performante, ils étaient en pleine bourre et en confiance. Le match était bizarre, super ouvert, on ne maîtrisait pas notre sujet et on prend un coup-franc, avec une frappe assez sèche. On essayait de revenir au score et sur le tout dernier corner, où tout le monde monte, la balle revient en cloche et je tente pied droit. J’arrive à marquer juste avant que l’arbitre ne siffle la fin du match. Luigi (Pieroni, ndlr) marque ensuite et ça nous envoie en demi-finale. C’était un but super important, à un corner près on ne jouait pas contre Sedan. Ca fait partie des petits moments qui forment les grandes joies.
Malgré cela, tu ne joues pas la finale cette même année.
Non, j’étais sur le banc mais c’est une longue histoire. La finale tombe le même jour qu’un match de sélection, Îles Féroés – Suisse. J’étais convoqué en sélection, Auxerre faisait des pieds et des mains pour que je n’y aille pas. Au final c’est Jean-Pascal Mignot qui jouait les matchs de préparation pour la finale et malgré l’arrangement trouvé avec la Nati, Guy Roux avait fait son choix. C’est lui qui dispute la finale et tant mieux, c’est un de mes meilleurs potes. Dommage pour moi, je suis passé à côté d’une finale, mais le but à la fin c’est que j’ai pu mettre ma pierre à l’édifice et c’est le plus important. Je n’aurais sûrement pas dit ça à ce moment là, mais une victoire n’est pas individuelle, on n’est pas au 100 mètres ou sur un Grand Chelem au tennis, c’est un groupe qui est champion. Ceux qui me disent que je ne joue pas la finale, je suis désolé mais j’ai envie de leur dire qu’avant, je joue un quart de finale, une demi-finale et je qualifie l’équipe alors qu’elle est éliminée.
Est-ce que les compétitions européennes étaient nécessaires aux objectifs de l’AJA afin de pérenniser le modèle ?
Ça montre surtout que le modèle était performant puisqu’on jouait forcément la Ligue des Champions ou la Coupe UEFA chaque année, que ce soit par le championnat ou par les Coupes. Nécessaire, oui, parce qu’il y a un équilibre à trouver : l’Abbé Deschamps, c’est 20 000 spectateurs et on n’avait pas un actionnaire du Qatar pour mettre 500 millions chaque année, donc oui, il fallait trouver une pérennité pour pouvoir continuer d’acheter des jeunes et pouvoir vendre ! Quand tu finis quatorzième de Ligue 1, tes joueurs ne valent pas grand chose. Quand tu finis trois, quatre ou cinquième chaque année, tu montres tes joueurs et ça te permet de vendre Cissé 20 millions d’euros à Liverpool. Et ces 20 millions de l’époque ils en valent 150 aujourd’hui. Maintenant, 20 millions, c’est un presque-tocard qui signe à Rennes ! Aujourd’hui, Cissé il partirait à 80 millions. Tous les jeunes de l’AJA de l’époque étaient sélectionnés dans les équipes de France, junior ou en A. Ca mettait une sacrée plus-value sur la formation puis à la revente. De ce côté là, l’Europe c’est nécessaire. Sans ça, il y aurait eu moins de bonnes ventes et beaucoup moins d’argent redistribué.
En 2005, vous tombez au premier tour et en 2006-2007 vous allez en phase de groupe mais ça ne se passe pas bien. Est-ce que c’est la Coupe UEFA qui lance les années plus difficiles en championnat ou l’inverse, l’équipe étant moins forte, les prestations européennes deviennent plus compliquées ?
C’est l’année post-Guy Roux, où il est remplacé par Jacques Santini et où on est éliminés bêtement par le Levski Sofia. Ce sont des choses qui arrivent, avec un fait de jeu ridicule et anodin mais qui nous plombe. Il y a eu un moment aussi où on était à la limite des ventes, on venait de perdre Cissé, Mexès, Boumsong et Fadiga, qui était faussement parti à l’Inter. On a eu de bons joueurs qui sont arrivés mais ça a quand même moins bien pris. Et on changeait de standing, les joueurs déjà formés étaient d’un tel standing que lorsqu’on les perd, c’est difficile de les remplacer par des achats à 3, 5 ou 10 millions, Auxerre ne pouvait pas se le permettre. On a compensé ça par des joueurs “paris”, le club casse sa tirelire pour Pedretti, on récupère Akalé, Pieroni… On a juste eu une période plus creuse, on voit sur les périodes suivantes que le niveau est remonté. C’est quand même assez cyclique, quand tu n’as une grande puissance financière, tu dépends de beaucoup de paramètres et tu ne peux pas tous les maîtriser.
Le niveau est tout de même remonté, comme on le voit avec cette année 2010 où vous terminez 3èmes à un point de Lyon, en battant Sochaux à la dernière journée. À quel moment débute le cycle qui aboutit sur cette 3ème place ?
Il débute l’année d’avant. On a tout gagné en fin de championnat, on a enchaîné je ne sais combien de victoires à la suite. On perd juste le dernier match face à Nantes, alors qu’on était assurés de finir 8èmes. Mais il y a eu de belles victoires, notamment contre Lyon… Le groupe était injouable, dès qu’il était formé. Dans ces moments-là, le meilleur transfert à faire, c’est de garder tout le monde. C’est ce qu’a fait l’AJA. Tu rajoutes un ou deux joueurs à gauche, à droite, mais tu gardes le même groupe qui va mûrir ensemble.
On recommence la championnat et, après 3 ou 4 journées, on est derniers. Franchement, on était vraiment bons malgré les défaites. Et un soir, j’ouvre le Canal Football Club et Pierre Ménès parlait. Je peux te dire que ça m’a marqué. On lui demande ce qu’il pense du championnat après la trêve des équipes nationales et il dit “Tel et tel c’est bien ils peuvent jouer l’Europe” et il ajoute “la seule chose que l’on sait c’est que Grenoble et Auxerre vont tomber. C’est tout ce que je peux vous dire”. Et le mec dit ça après 4 journées de championnat ! Tout ça pour dire que le match d’après, on va jouer à Boulogne en faisant 0-0 alors qu’on doit gagner 10 fois ! Et dès lors, on enchaîne 13 ou 14 matchs sans défaite. Au bout de cette série on bat Montpellier chez nous et on glane la première place. Dès lors, on a traversé le championnat en étant 2ème. Quelques journées avant la fin, on perd contre Lyon alors qu’on ne doit jamais perdre (2-1, ndlr). Eux et Lille nous passent devant. Avec notre victoire face à Sochaux, on récupère notre 3ème place lors de la dernière journée. Après un début catastrophique, on a su avancer et c’est propre à ces équipes qui doivent lutter avec les moyens qu’ils ont, des fois c’est du bricolage mais ça passe mieux qu’une base saine quelques fois.
L’une des particularités de ces deux saisons c’est que vous réalisez l’exploit de terminer le championnat avec moins d’un but encaissé par match à chaque fois : 35 en 2008-2009 et 29 en 2009-2010.
On était de loin la meilleure défense, on était hyper performants. On jouait avec Olivier Sorin qui était excellent, Jean-Pascal Mignot et Adama Coulibaly dans l’axe. Moi je jouais comme troisième stoppeur, mais à gauche, et c’est pas anodin ce que je dis parce qu’on jouait avec 3 stoppeurs et Hengbart, à droite, qui jouait quasiment ailier. Et c’est lui qui fait la différence contre Sochaux d’ailleurs. Moi, je ne passais jamais la ligne médiane comme ça on évitait le déséquilibre, Coulibaly comblait le vide à droite et Mignot restait central. On était vraiment monstrueux, les équipes en face de nous étaient dégoûtées. Des fois, ils n’avaient pas eu une occasion et, dès qu’on avait le ballon, on le donnait rapidement à Pedretti et il lançait en profondeur d’un long ballon. On était à fond dans notre schéma, au point que s’il ne marchait pas on était emmerdés car on ne savait faire que ça mais on terminait à 0-0 parce qu’on ne prenait pas de but derrière.
On revient sur la composition de cette défense : Mignot est là de longue date…
(il coupe) Mignot est déjà là au centre de formation bien longtemps avant mon arrivée, depuis ses 14 ans. En fait on était tous là depuis un bon moment. Il n’y a qu’un seul mot : complémentarité ! Chacun savait ce qu’il devait faire et ce que l’autre allait faire.
Il y avait un architecte de cette défense ?
Non, je ne pense pas. Si tu regardes bien, Jean-Pascal (Mignot, ndlr) c’est un aboyeur, Coulibaly on l’appelait “Popo la Police”, pas besoin de préciser pourquoi ! (il rit) Hengbart, il avait beaucoup d’expérience et une super capacité à se projeter vers l’avant sans pour autant être le gamin qui dit amen à tout. Et moi, j’avais 300 matchs de D1 entre la Suisse et la France, un Euro et une Coupe du Monde déjà… On avait Sorin qui nous canalisait énormément et Pedretti devant qui ne bougeait pas : c’était le triangle des Bermudes ! Le ballon arrivait vers l’attaquant et on ne le revoyait plus.
Comment s’est passée la transition entre Guy Roux et Jacques Santini ? La réaction du vestiaire a dû être spectaculaire.
La transition a été assez abrupte. Son annonce a eu lieu dans les vestiaires du Stade de France, pendant qu’on fêtait la Coupe de France remportée. Il est arrivé pendant qu’on faisait les cons en buvant du champagne et il a rassemblé tout le monde… Il a dit : “Voilà, j’arrête, je passe à autre chose”. C’est là qu’on l’a appris. Dans la foulée, il a nommé Santini avec Cuperly comme adjoint. C’est un sacré changement.
Guy Roux, c’est le mec qui chronomètre ses entraînements, très minutieux. On refait chaque jour l’exercice de la veille et, si on gagne le week-end, on recommence. Superstitieux et rigide, l’ancienne méthode, il parlait énormément, tout le temps même !
Et puis arrive Santini, qui n’arrivait pas à parler. On ne comprenait pas ses causeries d’avant match. Par contre, les entraînements sont hyper structurés, c’est toujours en relation avec l’adversaire, il y avait toujours un calcul par rapport à l’adversaire, à nos forces et à nos faiblesses. C’était hyper ludique et, personnellement, l’année 2006 est celle où j’ai le plus appris tactiquement. C’est d’ailleurs l’une de mes plus belles années en tant que footballeur : à chaque entraînement, je ne savais pas ce qu’on allait faire ! En fait, la transition est dans la lignée du club mais, niveau management, c’était le jour et la nuit. On s’en tire bien au final (l’AJA finira à la 6ème place mais 4ème ex-aequo au nombre de points, ndlr), on gagne tous les matchs à domicile.
Et la seconde transition, avec Jean Fernandez cette fois ?
Santini avait signé pour 3 ans mais ils l’ont remercié au bout d’une seule année, le fonctionnement différait trop de celui de Guy Roux et ce dernier a mis la pression pour qu’il parte. Ça n’allait pas au niveau de la communication, mais virer un entraîneur qui fait 6ème avec Auxerre, c’est culotté ! Avec Fernandez, on est revenus à un management à la Guy Roux, quelqu’un qui verrouille beaucoup et pour qui la meilleure attaque c’est la défense. Il est très pragmatique, pas de place pour la fantaisie avec lui ! Mais c’est quelqu’un d’hyper compétent et cohérent au niveau de son coaching. J’ai pu faire 5 ans avec lui, et ce n’aurait pas été possible si je n’avais pas adhéré. J’aimais la rigueur qu’il imposait, il y a eu des ratés mais on a toujours vécu une collaboration professionnelle et les résultats suivaient.
La campagne de Ligue des Champions en 2003 est mémorable mais quid de celle de 2010 ? Se qualifier, presque une décennie plus tard, pour un club comme Auxerre, c’est quelque chose !
En 2003, on se qualifie contre Boavista avec une belle carte à jouer tandis que quand on voit le tirage avec le Zenith on se dit “qu’est ce que c’est que ça encore…”. On a analysé leurs matchs et après 5 matchs ils n’avaient que des victoires avec 18 buts marqués et très peu encaissés. L’avant-veille, à Saint-Pétersbourg, on regarde toujours une mi-temps comme on le fait d’habitude : ils gagnaient 2-0 et on se disait qu’on allait en prendre 5. Ils étaient dynamiques, explosifs, chaque ballon dangereux finissait au fond, ils avaient même un Portugais transféré pour 30 millions !
L’équipe était tétanisée par l’enjeu, on prend le premier but après 2 minutes sur un centre. On se dit tous qu’il faut se remotiver, qu’on n’est pas venus en Russie pour ça… On s’est serré les coudes, en deuxième mi-temps on termine mieux qu’eux et à 1-0, on avait notre carte à jouer. Ils nous prenaient de haut et si on était dans notre prochain match, on n’allait rien encaisser. Au retour, on marque deux fois sur coups de pieds arrêtés et on se qualifie. Par rapport aux forces en présence, c’était un sacré exploit ! Et ça nous ouvre la voie pour le groupe de la mort en Champions League (le groupe G sera composé de l’AC Milan, du Real Madrid et de l’Ajax Amsterdam).
Quelle a été votre réaction lors du tirage ? C’est la satisfaction de tirer des gros ou l’envie de passer qui était prédominante ?
Pour nous, la grande hantise c’est de tomber dans un groupe assez fort pour t’emmerder mais sans prestige. Si le groupe est abordable, tu vises la seconde place, sinon tu joues des matchs de gala. Là on joue le grand Real, le grand Milan et le plus grand club des Pays-Bas. On a joué dans des stades mythiques et on a affronté des joueurs légendaires ! On peut se dire qu’on a affronté ces mecs-là et qu’on a offert ça à nos supporters. Mourinho, quand il a vu notre vestiaire, il pensait que c’était pour entreposer les ballons et ranger les cônes ! On était qualifiés et on méritait de jouer avec eux mais il y avait trois mondes à part entre nous.
En tant que défenseur, qu’est ce qui est le plus traumatisant : affronter le trio Ibrahimovic-Ronaldinho-Pato ? La jeune garde Emanuelson-Eriksen-Suarez ? Ou les galactiques Ronaldo-Benzema-Di Maria ?
Celui qui m’a le plus fait souffrir, et c’est un secret de polichinelle, c’est Ibra. C’est quelqu’un qui est hyper grand, technique, puissant, il saute haut, il est bon de la tête, c’est le pro des amortis… Quand on l’affronte, il n’a vraiment aucun défaut, tu ne peux rien faire quand il est en pleine possession de ses moyens ! C’est clairement celui qui m’a le plus fait baisser mon chapeau. J’ai joué contre Benzema ou contre Higuain, qui ont énormément de qualités, mais qui ne sont pas hors-normes. Ibrahimovic, il l’est. Suarez aussi m’en a fait baver mais dans un autre domaine. Ca te casse les couilles, ça te marche 600 fois sur le talon avec les crampons, ça te pousse, ça simule, ça te tient le maillot. Il y avait trop de vice. Au Real tu avais Di Maria qui allait à 2000, Benzema toujours bien placé et Ronaldo qui a les mêmes caractéristiques qu’Ibra. C’est mieux quand tu es avec ta bière le mercredi soir et que tu te dis “les défenseurs vont morfler ce soir !” Mais là, c’est toi sur le terrain. J’étais personnellement assez content au final de mes prestations.
Statistiquement parlant, est-ce une satisfaction de sortir avec 4 buts encaissés à domicile et une moyenne de 2 buts pris par match, quand on voit votre groupe ?
Non, il n’y a aucune satisfaction. On a beau faire 3 points, on subit 2 erreurs d’arbitrage qui nous pénalisent : à l’Ajax on doit ramener un point et faire 0-0 contre le Real à domicile. A la 83ème, Ramos touche le ballon de la main et nous, on s’arrête tous. Il lance Di Maria en profondeur et ça fait but. A l’époque il n’y avait pas la VAR donc on a pas pu faire de réclamation. Dans tous les cas, on n’était pas là pour soigner les stats, on n’avait pas un grand groupe. Quand tu joues le mercredi devant 70 000 personnes à San Siro, que le lendemain, tu rentres, tu vois à peine ta famille, tu fais un décrassage et le surlendemain tu joues à Arles-Avignon… se remotiver et se remettre dedans, c’est chaud ! C’était une saison où c’était le grand écart. En championnat on n’était pas bien, la Ligue des Champions nous a coûté émotionnellement : on ne voulait pas passer pour des cons tous les mercredis. Vu qu’on était moins bons, on a énormément couru à côté du ballon et ça nous a coûté du jus, beaucoup de jus. Je pense qu’on a dû perdre 8 ou 10 points en championnat à cause de ça. Et 8 points, quand le championnat est serré, c’est ce qui fait que tu joues la 8ème place ou la 16ème place. On ne voulait pas des stats en Ligue des Champions, on cherchait l’expérience. À la fin, c’est comme dans les films, ce sont les meilleurs qui gagnent.
Pour le public, c’était important de ramener une victoire de ce groupe de la mort ?
On a ramené une performance très bonne de San Siro, où on perd 2-0 contre le cours du jeu. On a été très bons, meilleurs même. Contre le Real, on a de vraies occasions et contre l’Ajax on n’a pas été bons mais on aurait dû glaner un point. On n’a pas forcément ramené un ou trois points à chaque fois mais je pense que tout le monde était satisfait de ne pas prendre 5 buts à chaque match ou de finir avec 0 point comme certains clubs français l’ont fait après nous. Mais je ne dirai pas de nom (rires).
Le match contre l’Ajax c’est quand même un sacré ascenseur émotionnel ! Tu fais un double sauvetage sur ta ligne, vous encaissez sur le corner qui suit et vous marquez le 2-1 ! C’était une soirée de folie, non ?
Ouais, clairement, c’était beau. On peut dire que ce n’est que contre l’Ajax mais ce sont des souvenirs en tant de défenseur qui marquent. Puis mine de rien, tu gagnes un match de Ligue des Champions, contre l’Ajax à l’Abbé Deschamps, à Auxerre, qui n’est pas une grande périphérie. Quand tu arrives à rendre un peu d’émotions sur un match comme ça, c’est vrai que ça te remplit doublement de joie ! J’ai voulu faire ce métier pour donner le meilleur de moi-même et puis pour, en étant à 100%, donner du bonheur aux gens qui viennent au stade, qui paient des abonnements pour nous voir.
Je n’ai aucun regret par rapport à mes performances, parce que j’ai toujours donné le 100% de ce que je pouvais donner. Des fois, ça ne suffisait pas. Des fois, j’ai été nul. Même très nul. Mais j’ai au moins essayé de donner le maximum de la nullité que j’étais à ce moment-là. De ce côté-là, je suis notamment fier parce que je suis parti d’Auxerre dans des conditions difficiles – le club fait tout faux la dernière année et tu descends -, ça te met une espèce de cicatrice dans le cœur qui ne s’est toujours pas fermée, mais quand tu pars sur ça, que tous les joueurs de l’effectif se sont fait siffler et que les personnes viennent te voir, toi, pour te féliciter et t’embrasser, ça fait chaud au cœur.
Comment est-ce que tu expliques cette descente un peu curieuse, un an après la Ligue des Champions ?
Cette descente n’est pas curieuse. Dans le sport, et pas seulement dans le football, quand tu manques d’humilité, ça te revient comme un boomerang. Plus tu tires fort, c’est-à-dire moins tu es humble, et plus le retour est tonitruant et douloureux. Quand on a commencé le championnat, il y a tout de même eu – et je n’avais jamais entendu ça dans le foot français – un putsch pour qu’on destitue le président et que notre ancien président Bourgoin reprenne le club. C’est quand même mal engagé, quand tu dois faire un putsch pour reprendre un club et t’adonner à ce genre de pratiques.
La dernière année, des choses ont été très mal faites, beaucoup de joueurs ont été prolongés à prix d’or dans une optique de business, pour peut-être pouvoir les vendre. Du coup, de l’autre côté, ils n’avaient plus beaucoup de masse salariale disponible, donc ils allaient chercher des joueurs de Ligue 2 et de National. Si, avant, on parlait de seconds couteaux européens, quand un (Kanga) Akalé ou un Benjani arrivaient, là, il faut parler de troisièmes couteaux du championnat français. On est descendus de trois étages en standing. Je le disais toujours en rigolant, jusqu’à ce que ça se retourne contre nous : recruter majoritairement en Ligue 2 est le meilleur moyen d’y aller. J’étais un des premier à le dire, six ou huit mois avant qu’on ne descende, certains qui avaient déjà quitté le club en sont témoins. Je le disais un peu sur le ton de la boutade, mais ça s’est vérifié, et on a tout fait faux. Je dis “on”, parce que j’étais partie prenante, et quand la manivelle tourne dans un sens, c’est difficile de l’arrêter.
Au final, à combien de journées de la fin êtes-vous relégués ?
À l’avant-dernière. On va à Marseille, et si on gagnait on avait notre destin entre nos mains, parce que trois journées plus tôt on était sortis de la zone rouge en gagnant à Dijon. On perd contre Bordeaux, dans un match incroyable, ce qui nous force à faire un résultat à Marseille, on perd à Marseille, et on est relégués à Marseille. Au dernier match, on reçoit Montpellier qui doit à tout prix gagner pour être champion.
On assiste un peu à des destins croisés, puisqu’un autre club débrouillard est sacré champion lors de votre dernier match de Ligue 1. Est-ce qu’il y a une saison, parmi ton aventure auxerroise, où tu as rêvé de faire le coup qu’ils ont fait à Montpellier, d’aller surprendre tout le monde et arracher le titre ?
On a eu un match, un fameux match, où on a joué le titre, lors de l’année 2009-2010. On perd à Lyon, alors que juste avant on avait fait 0-0 contre Marseille qui était premier. Si on avait battu Lyon à Gerland, on serait revenus à un ou deux points de l’OM, et là, pour la première fois, dans la semaine qui précédait le match, on s’est mis la pression pour le titre : “Les gars, il reste quelques journées, on joue le titre !”
Du coup, on n’a pas gagné, après ça s’est mal enchaîné, mais après on finit 3èmes à six ou sept points de Marseille. C’est la seule fois où on y a pensé, parce qu’à part ça on était toujours super bien placés mais on n’a jamais été trop proches du premier. Il ne faut surtout pas oublier que, sur 10 ans, j’ai eu 7 fois Lyon champion ! C’étaient des extra-terrestres, ils achetaient tout le monde, ils avaient un budget de fou… ils étaient tout simplement au-dessus. On se battait pour la deuxième place.
Avec un petit budget dix fois plus petit que le premier, c’est difficile de régater pendant toute une saison. Pendant 6 mois, ça se fait, c’est une lancée, mais pendant tout le championnat, dès que tu as 2-3 blessés et 2-3 suspendus, c’est très dur de garder le niveau. Dans le football récent, les seuls à être partis d’aussi loin pour chercher le titre, c’est Leicester et Montpellier. Plus les journées passaient, plus on se disait “ils vont s’écrouler, oh tiens ils ont fait un nul, ils vont s’écrouler”... quand tu as le rouleau compresseur derrière et que tu as les arbitres contre toi, ça te fait vite sentir que tu n’es pas à ta place.
Depuis ton départ, l’AJA a sorti peu de grands noms, pour le club formateur qu’il devrait être…
L’AJA est tombée en 2012, on est en 2020, et si en 8 ans on arrive à sortir deux joueurs, c’est dramatique. On parle d’Auxerre, pas d’un autre club qui n’arrive pas à faire la formation. On ne s’est pas servis de cette relégation pour continuer à prendre le manche par le bon côté. On a malheureusement tourné le manche, et ça ne donne pas ce que ça devrait donner parce qu’on a changé de standing, on a des présidents délégués, des présidents qui ont été dans des grands clubs et je me demande si c’est vraiment à la taille humaine de ce qu’on a connu. On était des “paysans”, mais on savait se retrousser les manches, et on était des morts de faim. Pas des gars en costard-cravate qui se la pètent pour dire “on finit 16èmes avec le 3ème budget de Ligue 2”. À un moment donné, il faut se mettre dans la tête qu’être 16èmes en Ligue 2 n’est pas une finalité. Ça ne te paie pas les employés à la fin du mois, il faut se poser les bonnes questions et avoir une réflexion globale. J’ai eu beaucoup d’espoir quand Furlan a pris le club, je me suis dit “enfin quelqu’un qui a cette expérience et cette expertise-là”, et je suis un peu déçu. Surtout déçu du résultat, pas forcément de lui parce que peut-être que tout n’est pas réuni pour qu’il puisse faire le travail optimal, comme il a su le faire à Brest et plusieurs fois à Troyes. Je ne comprends pas pourquoi à Auxerre, qui a un plus beau passé et de meilleures structures que Brest ou Troyes, on ne peut pas le faire.
Ce sont deux clubs, comme Lorient, qui sont remontés avec une politique intéressante, en proposant du jeu, en achetant des joueurs en devenir… on a l’impression que le jeu paie chez les outsiders.
Bon, cette année n’est pas un bon exemple parce que le COVID n’a pas laissé d’autres choix à ces clubs que d’acheter des jeunes, et en plus au rabais. Quand on voit le trou que ça a amené dans la trésorerie de tous les clubs… mais c’est vrai que dans la politique, dans les idées, on retrouve toujours une vraie philosophie, avec des personnes qui luttent tous les jours, et qui sont dans l’action, pas dans la réaction. À Auxerre, je regarde des matchs et je ne vois rien, j’ai l’impression qu’ils ont mis onze personnes qui ne se connaissent pas. Il n’y a pas de fil rouge, rien. On a eu ces valeurs, ça a fait le succès de ce club, donc ça fait d’autant plus mal. On doit retrouver ça, et je ne suis pas sûr que sans ça on arrivera, un jour, à remonter. C’est pas en empilant des joueurs de gauche à droite qu’on va retrouver la Ligue 1. Mathématiquement, on retrouvera peut-être la Ligue 1 un jour, mais si c’est pour faire l’ascenseur, en étant ridicule en haut…
Pour revenir à la formation, juste après ton départ, il y a quelques joueurs qui sortent, comme un Paul-Georges Ntep, un Sébastien Haller, un Christopher Jullien…
Certes, mais ce sont des joueurs qui étaient déjà là bien avant. Ils sont sortis quand on a été relégués, mais Haller et Ntep s’entraînaient déjà avec nous depuis des années. Ils n’ont pas été formés après qu’on soit tombés.
Il y a eu, depuis Evan Ndicka, qui s’est imposé à Francfort à 21 ans, ou Jean Marcelin, vendu à Monaco en janvier pour 10 millions…
Oui, bon, ça c’est un truc d’agent. Jean Marcelin, j’en ai entendu parler, mais je ne sais pas s’il a fait 10 matchs comme il faut dans sa carrière. Et puis ça se saurait s’il avait vraiment flambé. Du grand Monaco, 10 millions pour un gars qui a fait 16 matchs, et sur ces 16 matchs j’aimerais bien voir comment il a joué, aussi. Bref, tout ça pour dire qu’on a cité trois noms, dont deux qui étaient formés à mon époque, comme Haller, qui montait toujours pour faire des oppositions et à qui j’ai eu affaire pendant 2 ans. Ntep aussi, qui était dans la formation depuis un moment et qui a profité qu’ils vendent quelques joueurs à la descente pour vraiment éclore.
Pour ne rien arranger, deux des meilleurs joueurs actuels formés à l’AJA, Nicolas Gavory et Florian Ayé, ont été révélés à Clermont…
Exactement. Et si un Clermont arrive à former des joueurs, et qu’en même temps un Amiens arrive à monter, et que nous on arrive ni l’un ni l’autre, le signal est extrêmement mauvais. Tu formes, tu exportes, tu as des résultats mauvais. Et on n’est pas en train de dire qu’ils ont échoué trois fois à un poil du podium, hein ! Là, c’est 16ème, 13ème, 15ème ! ça fait peur.
Autre chose qui se perd, c’est le fait que l’AJA est un club très apprécié, par toute une génération, ça fait partie du folklore.
Exactement, parce que ce sont de belles histoires. Quand tu as David contre Goliath, à la base, tu es toujours pour David parce qu’il est toujours plus sympathique que le grand ogre. On a toujours eu ce “capital sympathie”, on a toujours eu plein de supporters qui venaient nous voir à l’extérieur, qui nous suivaient. C’était l’Auxerre que tout le monde aimait voir, parce qu’ils n’avaient pas ça dans leur club. Ils habitaient peut-être à 5 km de Lille, et ils aimaient venir nous voir à Lens, Boulogne, Metz, Nancy ou Lille parce qu’ils n’avaient pas ça avec leur club. Ils étaient auxerrois dans l’âme, parce que c’était le modèle qui marchait, et qu’ils se disaient : “oh ouais, cette équipe me fait vraiment rêver, et ils ont pas de budget, ils ont rien, ils sont toujours à fond, ils sont toujours un peu atypiques donc c’est beau à voir jouer, comme quand Guy Roux a fait le 4-3-3 avec marquage à l’homme”. Ce sont des choses qui ne se voyaient plus à part en ex-URSS. Il y a des choses que tu ne peux plus faire, comme relancer des joueurs pour qu’ils retrouvent leur grand nom et reviennent en équipe nationale, parce que si Benzema ne joue pas au Real, tu ne peux pas le prêter à Auxerre ou à Brest. Alors qu’à l’époque, tu pouvais le faire avec un (Enzo) Scifo ou un Laurent Blanc. C’est une autre génération, mais ça fait partie de cette légende d’Auxerre, que tu avais envie d’aimer même si tu n’étais pas pour eux.
Guy Roux, aussi, avait cette aura…
Bien sûr ! Il y a toujours eu un effet Guy Roux. C’est tous ces mythes, avec le mec “un franc c’est un franc”, qui va gueuler sur le supporter qui rend pas le ballon, qui font que tu deviens sympathique pour l’opinion publique. Et ça, il faut qu’ils y reviennent, parce que si t’as un Chinois qui met 30 millions et que tu fais trois années comme ils viennent de faire, je pense qu’il va finir par couper le robinet et, déjà qu’avec ce qu’ils ont ça ne se passe pas bien, si en plus ils n’ont plus rien, ils vont finir par aller jouer contre Carpentras et je ne sais pas qui en National 1, 2 ou 3 ! Je parais négatif, mais à l’heure actuelle, on est plus près de ça que de voir l’AJ Auxerre au Stade de France soulever une Coupe, ou contre les Rangers en Coupe UEFA (sic).
Souvent, les antichambres ne pardonnent pas et des clubs passés à quelques points de la montée se retrouvent avec deux descentes d’affilée parce que les joueurs partent, les sponsors aussi et tout s’effondre…
C’est ça, et ça vient aussi d’un équilibre très précaire dans les petites équipes. Il suffit que ça marche bien, et tu finis à six points de la montée, tu perds ton attaquant parce qu’il a mis 18 buts, ton défenseur central parce qu’un club à côté met 500 000€ dessus, tu as deux joueurs qui faisaient la diff’ et qui ne la font plus, et t’es à la rue. Puis tu n’as pas de marge de manœuvre, parce que c’est les petits clubs, tout le temps sur le fil du rasoir. Un équilibre, dans le football, c’est des déclics, six mois dans la galère pour tout à coup avoir l’étincelle, mais ça peut s’éteindre pour un rien : un entraîneur qui pète un câble, trois joueurs qui se mettent à dos l’entraîneur, et c’est déjà parti. Il y a beaucoup de paramètres que vous, de l’extérieur, vous voyez avec vos yeux, mais il y a surtout beaucoup de choses qui ne finissent jamais dans l’Équipe mais qui sont très négatives pour le groupe. On a vu un groupe s’entredéchirer pour des conneries. À ce niveau, tu essaies de tout mettre bien en place, mais il n’y a pas de garanties : c’est soit déclic, soit des claques.
Par curiosité, qu’est-ce que tu fais maintenant ?
Je suis en formation de préparateur physique, à Macollin, qui est un peu le Clairefontaine suisse, en un peu plus militaire. Il y a les deux entités à côté, tous les sports et la partie militaire, mais c’est vraiment deux choses à part. C’est très intéressant, de reprendre le bout en tant que préparateur physique. Je n’aurais peut-être pas pensé rester dans ce milieu-là, mais tu y as vraiment une influence et sur la qualité des athlètes, et c’est vraiment très intéressant.
Tu bosses avec un club ?
Non, j’ai quitté le foot, complètement, je suis préparateur dans une structure privée d’entraîneurs de skieurs. On est à côté de Sion, on a 19 athlètes, mon boss s’occupe des athlètes Coupe du Monde et moi je m’occupe des jeunes de 17 à 20 ans. C’est très intéressant, et quand tu as connu le monde du football, et que tu sors de ta zone de confort pour découvrir un autre sport, tu te dis “punaise ! c’est vrai ce qu’on dit, les footeux c’est des branleurs !”. C’est véridique, on est sous-préparés, parce que quand je vois ce qu’on fait avec des athlètes de 18-19 ans, qu’ils ont des barres chargées à 180 kg et qu’ils font un squat sauté avec, je me dis “avec un footballeur, même avec 40 kg, il se tue”.
Certaines personnes disent que la surmusculation est inutile, voire négative dans le football…
Je ne parle pas de surmusculation mais de préparation physique. Préparation de force, de puissance, de stabilité, de propre réception, de freinage excentrique… ça, pour moi, c’est des choses qui ne sont pas utile mais vitales. Pourquoi est-ce que tu penses que l’ischio du footballeur lâche chaque 10 minutes ? C’est simple, parce qu’on n’est pas préparés.
Il y en a qui disent “non mais tu as vu combien de matchs ils font ? Ils font 80 matchs par saison, c’est normal que les adducteurs pètent” Mais quand tu regardes ce qu’ils font dans les autres sports, tu te dis bien que c’est pas ça. Une mi-temps de 45 minutes, s’il y a 22 minutes de jeu effectif, c’est déjà un bon match… le reste, tu es en marche, et puis sur les 22 minutes, tu as peut-être seulement 500m de sprint pur. Des fois tu as un tacle, un sprint, mais si tu mets bout à bout ce que fait un joueur, c’est peut-être 45 minutes d’activité par match. Le reste, c’est du placement, des pas chassés !
Bien sûr qu’il y a beaucoup de contraintes, mais si tu fais le cahier des charges d’un match, c’est 10 km pour les stoppeurs, 12 km pour les milieux de terrain, c’est pas deux marathons. Je pense qu’on peut mieux faire, parce qu’avec une bonne préparation, tendineuse et tout ça, sans trop en faire bien sûr, tu peux avoir une meilleure structure et être beaucoup moins blessé. Par contre, on ne va pas faire d’hypertrophie en ayant des muscles comme les haltérophiles, mais tout ce qui est renforcement musculaire tu peux largement le faire et que ce soit bénéfique pour les préventions de blessure.
Ibrahimovic, et désormais Ronaldo, montrent cette image de footeux qui font attention du début à la fin. Tu penses que ça va avoir une influence sur les nouveaux joueurs ?
Je pense que tu as deux méthodes. La méthode Cristiano Ronaldo, qui, à presque 36 ans, doit avoir un âge biologique de 28 ou 30 ans, parce qu’il a une super régénération, il fait gaffe, il est bien musclé, il a des tendons et des muscles très fins. À l’antipode, un Lionel Messi ne travaille que sur le talent, et à la fin ça peut être l’un ou l’autre pour le Ballon d’Or. Personnellement, je pense que la majorité des gens doivent se structurer comme Cristiano Ronaldo. Le plus grand défi qu’on va avoir ces prochaines années, c’est de pouvoir personnaliser un entraînement, de personnaliser un sport collectif. Les grands clubs ont déjà commencé à le faire.
Ce que ça veut dire, c’est qu’on a 7 ou 8 séances dans une semaine normale, on en fait 4 avec le groupe, pour la tactique, la technique, des choses qu’il faut vivre avec tous les joueurs, et le reste c’est individualisé. Tu cherches ta force. Est-ce que tu as besoin d’explosivité ? Est-ce que tu as besoin de prendre de la masse ? Est-ce que tu as besoin d’être plus rapide ? De sauter plus haut ? Et bien tu personnalises, tu construis ça. Là, le football a besoin de passer un cap.
Certains clubs le font, mais surtout beaucoup de joueurs le font à titre personnel. Cristiano Ronaldo, il a son préparateur personnel, qu’il avait déjà à côté du Real Madrid, et pour une construction de carrière c’est ce qu’il te faut. Il ne faut pas oublier que, quand tu arrives à 20 ans dans un club, et quand tu finis à 35, tu rencontres peut-être 10 préparateurs physiques différents avec 10 méthodes différentes et 10 visions différentes sur toi. Donc comment est-ce que tu construis ta carrière là-dedans ? C’est comme toi, quand tu vas chez le médecin, si tu as un bon médecin, tu le gardes jusqu’à ce qu’il aille à la retraite. Dans le football, c’est la même chose, à chaque fois que tu changes de staff et de préparateur physique, comme tu n’as pas de fil rouge, tu retombes dans des choses qui ne sont pas productives. Si tu as toujours un préparateur physique qui te connaît, c’est déjà une adaptation totalement différente. Avoir son propre préparateur physique, je trouve ça extraordinaire.
Maintenant, combien de préparateurs physiques par club ? Il y a un coût, mais c’est la marge pour les grands clubs et les grands joueurs. Mbappé, il s’en fout pour l’instant, il a 21 ans donc s’il se blesse il revient trois semaines après. Mais ça fait déjà 2 ou 3 fois qu’il se blesse, il faut faire attention. J’ai parlé de Messi, j’ai parlé de Ronaldo, mais il y a la troisième case avec un Neymar. Le mec est talentueux comme Messi, mais certainement pas rigoureux comme lui. Un Neymar qui se blesse chaque deux semaines, ce n’est pas une surprise pour moi. Il dribble mais dès qu’il fait un sprint c’est l’ischio, la cheville ou le genou qui pète. Bien sûr qu’il prend des coups mais, au bout d’un moment, si t’es fort, t’es moins blessé que si t’es aussi peu stable que lui.
Après, c’est pas juste aller à la salle tous les lundi, mardi mercredi et soulever des 180 kg comme je t’ai dit, c’est adaptable par rapport aux morphologies, aux postes, aux besoins.
On a une “américanisation” du football, un peu comme dans les sports US où tu aurais un coach de touches courtes, un coach de touches longues, un coach de coups francs etc. ?
C’est ça ! Tout s’inscrit dans un fonctionnement de “tout maîtriser”. C’est un peu un passage obligé. Ils ont commencé, à mon époque, par avoir un “conseiller du président”, parce que le président n’était pas assez intelligent pour être stratégique au niveau sportif. Après, il y a eu un adjoint, un autre adjoint, un mec qui fait l’entraînement, un entraîneur des gardiens, un préparateur physique, un entraîneur des défenseurs, un entraîneur des attaquants, un responsable des talents, et gentiment ils commencent à personnaliser.
Alors ils ont pris des postes, ça reste global, l’entraîneur des défenseurs a quand même 12 ou 15 joueurs dont il s’occupe, mais je pousserai encore le vice en disant qu’entre un défenseur central gauche et un défenseur central droit tu peux avoir deux profils d’entraînement différents. Un grand attaquant comme Hoarau et un petit attaquant, tu ne travailles pas la même chose avec eux. Il y a un grand progrès à faire, et pour l’instant c’est les joueurs, sur initiative personnelle, avec leur argent, qui le font, et les clubs sont sur le frein. Ils se disent “ah mais on paie 25 000€ notre préparateur physique mais il peut rien dire à Cristiano Ronaldo puisqu’il a le sien”. Les clubs ont le cul entre deux chaises, à se dire que si chacun à son préparateur physique, le leur ne servira à rien. Mais il faut outrepasser cette espèce de jalousie.
À notre époque, c’était Yann Lachuer qui avait fait ça pour la première fois. Il avait un préparateur physique qui venait une fois par semaine à la maison et il faisait des exercices physiques avec. Le problème, c’est que quand Yann était cuit dans un match, on lui disait “bah avec ton préparateur physique, c’est néfaste ce que tu fais”. Alors que le cheminement est excellent, à la fin tous ces petits plus amélioraient le niveau de l’équipe. Si t’as des latéraux qui sont explosifs, des centraux qui sautent haut et vont vite, des milieux de terrain qui font des kilomètres et des attaquants adroits sous fatigue, tu sais que tu vas passer une belle saison. S’ils sont tous en sous-régime, c’est compliqué.
Propos recueillis par Jonathan Tunik et Thomas Rodriguez