Bien avant l’arrivée des Qataris au Paris Saint-Germain, la ville de Paris a connu son premier mécène dans le paysage footballistique au cours des années 1980. Jean-Luc Lagardère, par l’intermédiaire de son entreprise Matra et fort de ses succès dans le sport automobile, a pour ambition de créer une deuxième place forte du foot à Paris. Il décide de prendre en main le Racing Club de France, club historique au passé riche. Suivra une vague d’investissement historique sur le marché français pour tenter de faire du club francilien un incontournable du football français. Les sommes investies en transferts et en salaires témoigneront de l’impatience de l’homme d’affaire. Dans le cas du Matra Racing, cette impatience se traduira en précipitation et le club ne parviendra pas à gagner son pari, ni à faire se lever les foules.
Le Racing Club de France Football, souvent appelé le « Racing » et ou encore « Racing Club de Paris », est un club de football parisien créé en 1896. Tout au long de son histoire, ce club a connu de nombreuses évolutions, jonglant entre le niveau professionnel et amateur. Initialement fondé par des étudiants du Lycée Condorcet à Paris, il est actuellement basé à Colombes (92), en banlieue de la capitale. Ceux que l’on surnomme les Ciels et Blancs ont connu pas moins de neuf noms depuis leur création, chacun témoignant d’une époque et d’un élan différents.
L’histoire moderne du Racing commence au lendemain de la professionnalisation du football français en 1932. Le club investit le désormais célèbre stade Yves-du-Manoir de Colombes et quatre ans plus tard, les hommes de George Kimpton (entraineur anglais) remportent le doublé Coupe-Championnat. C’est la période la plus faste de l’histoire du club. Au total, le Racing remporte 5 Coupes de France durant cette première partie de siècle. S’en suivent de longues années difficiles pour le club qui perd son statut professionnel en 1967.
L’arrivée de Lagardère
Il faudra attendre 1982 pour voir l’espoir renaitre au sein du club francilien. Le chef d’entreprise Jean-Luc Lagardère décide de reprendre le club en présentant de grandes ambitions : contester l’hégémonie du jeune nouveau, le Paris Saint-Germain, au sein de la capitale.
L’objectif est clair, créer un nouveau club compétitif aussi bien à l’échelle nationale qu’à l’échelle européenne. Pour ce faire, l’homme d’affaire envisage de fusionner le Paris FC, qui évolue en D2, et le Racing, qui évolue au niveau amateur. Les dirigeants de ce dernier, inquiets de l’état financier du club de D2 refuseront la fusion dans un premier temps. Lagardère se contente donc de racheter le Paris FC. Comme pour anticiper la fusion, il renommera le club « Racing Paris 1 » et changera les couleurs historiques pour le bleu et le blanc (couleurs historiques du Racing). Un an après ce rachat, le RP1 fusionne avec le Racing Club de France. Les équipes de jeunes et la réserve sont envoyées sous pavillon du PFC tandis que l’équipe fanion garde les traits du Racing.
Les objectifs sont ambitieux et une montée rapide en D1 est indispensable. Lagardère fait le nécessaire pour s’attacher les services de joueurs confirmés et talentueux, notamment Rabah Madjer, alors grand espoir algérien. Dès l’été suivant, les hommes emmenés par Alain de Martigny accèdent à l’élite au terme de barrages spectaculaires. Le troisième et dernier adversaire de ces playoffs n’est autre que l’AS Saint-Etienne, alors en pleine tourmente suite au scandale de la caisse noire. Cette affiche attire quelques 40.000 supporters des ciels et blancs mais se solde par un score nul et vierge. Le Racing créera la surprise à Geoffroy-Guichard en s’imposant 2-0 et accède à la D1 en 1984.
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La montée en D1 se conjugue avec déménagement de l’équipe au Parc des Princes, abandonnant l’historique stade situé à Colombes au grand regret de nombreuses personnalités du club, comme Victor Zvunka, joueur et futur entraîneur du club : « Nous n’aurions jamais dû venir jouer au Parc des Princes. Ici, nous ne sommes pas chez nous et les adversaires sont particulièrement motivés. Il fallait rester à Colombes … ». Leur première saison dans l’élite est une énorme désillusion et les ciels et blancs terminent bon dernier du classement malgré l’arrivée de bons joueurs et notamment du néo-international Philippe Mahut.
Pas découragé par cette première expérience non concluante, Lagardère continue ses investissements en dépit de la descente. Ainsi, Maxime Bossis, cadre de l’équipe de France championne d’Europe en 1984, s’engage à la surprise générale avec le club parisien alors en D2, à un an de la Coupe du Monde au Mexique. Les tractations autour de ce transfert ont été longues, mais le défenseur international privilégia les 300.000 francs mensuels de Lagardère, au détriment de Tottenham. Il se dit séduit par l’ambition du club et veut s’inscrire comme le chef de file d’un projet énorme. Sans surprise, les Racingmen terminent champions de D2 à l’issue d’une saison dominée de bout en bout.
L’arrivée de Bossis n’était que le début d’une politique de grands noms. De retour parmi l’élite, le Racing ne compte plus faire figuration et se donne les moyens de ses ambitions. Lagardère veut frapper fort et vite. Cette politique agressive et les énormes sommes investies vont lui permettre d’attirer de nombreux internationaux comme le champion du monde allemand Pierre Littbarski ou encore l’Uruguayen Enzo Francescoli, idole d’un certain Zinédine Zidane. Mais le symbole de ce changement d’ère est le recrutement du chouchou du Parc des Princes, Luis Fernandez. Devenu capitaine la saison précédente au PSG, l’espagnol de naissance se laisse convaincre et signe au Racing en pleine force de l’âge à 26 ans. Les observateurs prédisent une grande saison pour le Racing. Rapidement, l’équipe déçoit dans le jeu et les résultats ne suivent pas. À l’issue d’une saison frustrante, le club altoséquanais conclut l’exercice à une anonyme 13ème place.
Toujours aussi investi, Jean-Luc Lagardère ne lésine pas et s’offre les services du tout récent champion d’Europe avec le FC Porto, Artur Jorge, pour rebondir. La venue du technicien portugais illustre l’ambition du club : atteindre la coupe d’Europe dès cette nouvelle saison. Profitant de ses réseaux et d’un lobbying intensif auprès des autorités, l’homme d’affaire parvient à apposer le nom de sa marque au club, pratique jusque-là interdite en France. Le Racing Club de Paris franchira une nouvelle étape dans le lien entre football et business. Le club devient le « Matra Racing », du nom de l’entreprise de Lagardère.
Le début de saison est prometteur et les voyants semblent enfin au vert pour ce club pas comme les autres. Une troisième place encourageante à la mi-saison rassure les supporters et l’organisation en interne. Toutefois, la fin de saison catastrophique des ciels et blancs (aucune victoire sur les douze derniers matchs de championnat) annihile tout espoir de coupe d’Europe et le Racing terminera à une frustrante 7ème place. Cette saison sonne comme un gros coup dur pour Lagardère qui n’aura pas réussi à passionner les foules et à se créer une frange de supporters fidèles. Le déménagement au Parc des Princes ne se montre pas bénéfique et le Matra Racing peine à attirer plus de 10.000 spectateurs, avec des affluences parfois inférieures à 7.000 spectateurs.
C’est le début de la fin de la folie des grandeurs de l’institution, comme si le club avait laissé passer le train. La motivation du propriétaire est entamée et les critiques autour du club sont de plus en plus virulentes. Ceux que l’on appelle les Matraciens connaitront une saison suivante proche du fiasco malgré l’arrivée du nouveau phénomène du football français, David Ginola. Enchainant les mauvais résultats, les hommes de la capitale flirteront avec la zone de relégation toute l’année, se sauvant à l’ultime journée à la différence de buts. C’en est trop pour Lagardère, qui commence à s’agacer des railleries à l’encontre d’un projet qu’il qualifiera comme son plus gros échec personnel. Au-delà de l’aspect sportif, le club est une véritable pompe financière pour l’entreprise; plus de la moitié du budget marketing du groupe Matra est investie dans le club, sans les résultats promotionnels escomptés. Les performances médiocres ainsi que les critiques sur l’aspect artificiel du club ternissent l’image de l’entreprise. Le 6 avril 1989, l’inévitable se produit, Lagarère renonce : « Matra va arrêter son engagement dans le football ». Tous les joueurs de l’effectif sont placés sur la liste des transferts, c’est la fin du Matra Racing. Retour aux sources et au premier nom donné après le rachat de Lagardère, le Racing Paris 1 va tenter de se sauver la saison suivante.
Une politique peu adaptée au football de l’époque
Amputé de toutes les stars de son effectif, le club compte sur de très jeunes joueurs pour tenter de se sauver. Dans ce marasme, l’équipe réussit tout de même l’exploit de se qualifier pour la finale de la Coupe de France en éliminant les deux premiers du championnat en quart et demi-finale. Bien que combattifs, les jeunes racingmen ne pourront se sauver et termineront la saison à la 19ème place et le club sera relégué en deuxième division. Outre la situation sportive, les finances du club obligent le président Jean-Louis Piette à chercher de nouvelles sources de financement pour sauver le club. Faute de moyens et de partenaires, le club demande la rétrogradation en D3 pour éviter tout risque de faillite. Le club garde néanmoins son statut professionnel.
Comme pour symboliser ce retour aux sources, le Racing retourne dans son stade historique de Colombes en 1991 mais perd son statut professionnel l’année suivante. C’est la fin de l’ère professionnelle du club francilien qui ne s’en remettra jamais. Depuis trois décennies, le club oscille entre les différents échelons amateurs et est aujourd’hui en National 3.
Pari raté, donc, pour Jean-Luc Lagardère qui n’aura pas réussi à réitérer ses succès du sport automobile au football. Il qualifiera le milieu du football d’« archaïque » et regrettera d’être allé « à contre courant trop longtemps ». Il quitte donc ce monde sous le feu des critiques, accusé d’avoir gangrené le foot avec l’argent, ce à quoi il répond « Fichtre ! Je vous jure que jamais nous n’avons eu le budget le plus élevé et le plus haut salaire de France ! ».
La gestion de ce club à part sous pavillon Matra restera une exception dans le milieu du football français. A la différence de certaines relations clubs/entreprises plus ordinaires (on peut citer les exemples de Casino et de Saint-Étienne ou encore de Peugeot et de Sochaux), le club ne comptait que sur le soutien financier du groupe Matra qui lui garantissait 80 millions de francs de budget annuel. Le club incarnait la vitrine de l’entreprise Matra, et les fins de Lagardère étaient purement marketing et promotionnelles. Cette artificialité et le manque de passion transmis par Jean-Luc Lagardère à une époque où les présidents paternalistes et charismatiques fleurissent dans le football français (Roger Rocher à Saint-Étienne, Claude Bez à Bordeaux, Bernard Tapie à Marseille…) n’aideront pas le Matra Racing à conquérir l’amour des français.
Sources :
- Le Monde – La décision officielle de M. Jean-Luc Lagardère Matra Racing, c’est fini !
- Sur la touche – Une histoire du Sponsoring: Lagardère et le Matra-Racing
- Le Figaro – Série « De la gloire à l’anonymat » : La Racing, un monument en reconstruction
- Racing Foot – L’histoire du Racing
Crédit photos : Icon Sport