Si comme tous les arbitres on lui a attribué des noms d’oiseau, il est surtout connu pour être le seul arbitre affublé d’un surnom de danseur étoile. Les adjectifs « théâtral » ou « fantasque » ont souvent accompagné les résumés de ses matchs, et pourtant ça ne l’a pas empêché d’être considéré comme l’un des meilleurs arbitres de sa génération. Voici le portrait d’un arbitre génial : Robert Wurtz, le « Nijinski du sifflet ».
Le football, une passion ; l’arbitrage, une raison
Robert Wurtz est né le 16 décembre 1941 à Strasbourg, à seulement 800 mètres à vol d’oiseau du mythique stade de la Meinau. Sa mère était chanteuse, soprano, et son père était clarinettiste à l’opéra de Strasbourg.
Wurtz possède une histoire étroitement liée au club de football de Strasbourg et à son stade de la Meinau qu’il fréquentera avec son père dès ses 5 ans. Dès l’âge de 10 ans, Wurtz va jouer pour le club de sa ville natale, qui s’appelle alors le Racing Club de Strasbourg, et qui vient de remporter son premier titre national à savoir la Coupe de France 1951. Il y côtoie alors des joueurs qui vont marquer l’histoire du Racing, comme Gérard Hausser et Gilbert Gress. Il a joué comme arrière droit, et n’avait pas de doute quant à son niveau footballistique « je faisais ce que je pouvais ». Il est malgré tout allé jusqu’à disputer un quart de finale de coupe Gambardella. Pour autant, Wurtz se savait « limité » et a décidé dès 19 ans de ne pas poursuivre plus avant une carrière au Racing, qui semblait se diriger tout droit vers le banc.
» Je n’ai pas fait de carrière de footballeur, car j’étais limité. Je jouais latéral droit et je devais monter avec la balle jusqu’à la moitié de terrain, c’était les consignes de l’époque (sic). Gilbert Gress me disait toujours de lever la tête, mais comme j’étais un peu limité je regardais toujours le ballon ! «
Il entame alors des études en licence de chimie, dans l’optique d’être laborantin. Son appétit de football est toujours important, il décide alors simplement de traverser la frontière franco-allemande, pour aller jouer en niveau amateur à Khel. Il se détourne finalement du football en tant que joueur à seulement 20 ans et demi, devant des soucis physiques et surtout la volonté de poursuivre ses études. Cependant, quelques mois seulement après son arrêt forcé, il ressent un manque. Le manque du terrain. Il veut courir sur un terrain de foot, mais sans pouvoir être joueur. Il ne restait donc plus qu’une place à prendre sur le rectangle vert : arbitre.
Dans les années 1960 les arbitres ne sont pas payés, les déplacements se font en train et sont couteux. C’est pour cette raison que l’on retrouve à cette époque parmi les arbitres une majorité d’anciens cheminots ou militaires qui bénéficient d’avantages sur les prix des billets. Quand il entame sa carrière d’arbitre, en 1962, Wurtz est donc alors un étudiant de 21 ans. C’est peu dire s’il fait tache dans le décor de l’époque.
Mais ce vent de fraicheur charrie aussi évidement ses relents nauséabonds de jalousie. Il doit avoir les nerfs solides pour faire son trou, puis pour gravir une à une les marches vers les sommets. Il y parvient pourtant. Car même s’il était déterminé et possède un vrai caractère, il n’ignore pas avoir eu la chance de côtoyer des personnes dont l’aide a été précieuse. On pense à ses connaissances du Racing, Hausser et Gress, mais aussi à Pierre Schwinte. Il s’agit d’un arbitre international, originaire de Strasbourg comme lui, qui terminera sa carrière lors de l’année 1966-1967 et qui décide de le prendre sous son aile.
Cette irrésistible ascension, les dirigeants de l’arbitrage français de l’époque avaient voulu y mettre fin prématurément en lui confiant des matchs à forte résonance médiatique, et surtout aux forts enjeux dès sa première saison en première division. Il en sortira encore plus fort. Le début d’une carrière exceptionnelle.
Plus de 20 ans au plus haut niveau
Wurtz arbitre son premier match de première division le 4 juin 1969 lors d’un Sedan-OM (3-1), il avait 27 ans. Il arbitrera la bagatelle de 450 matchs de première division entre 1969 et 1990.
Son palmarès est impressionnant. Il a été élu meilleur arbitre français lors de l’année 1971 soit seulement deux ans après ses débuts dans l’élite, mais également à 4 autres reprises, en 1974, 1975, 1977 et 1978. Il a arbitré les matchs les plus importants de son époque, comme par exemple, 2 finales de Coupe de France en 1973 et 1976, mais aussi la finale de la Coupe des vainqueurs de Coupe en 1976 (Anderlecht-West Ham 4-2), et surtout la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions en 1977 (Liverpool-Mönchengladbach 3-1). Il va officier également dans les compétitions les plus emblématiques telles qu’une phase finale de Coupe du monde en 1978 (2 matchs), et 2 Championnats d’Europe des nations en 1976 et 1980. Il est également le premier directeur de jeu français à être sollicité par des ligues ou fédérations étrangères (Mexique en 1971, Brésil en 1974).
Une carrière riche, et d’une longévité remarquable. Mais où rien ne lui sera épargné pour autant, car elle sera aussi semée d’embuches.
Dans son livre « Au Cœur du Football, 25 ans d’arbitrage« , sorti en septembre 1990, il revient longuement sur l’une d’entre elles. On est alors en 1971, et il prend la destination du Mexique. Il y dirigera des rencontres du championnat mexicain, dont un terrible barrage où des faits de jeu et une terrible pression venue des tribunes fera dégénérer le match. Il sortira alors les spectateurs, les joueurs, et lui-même du piège de la violence où ils allaient s’enfermer eux-mêmes, en utilisant une facétie dont lui seul a le secret.
« Des bagarres éclataient un peu partout. Des pierres pleuvaient sur la pelouse, et je dus arrêter le jeu. Je ne savais comment me tirer de là et ne tenais pas à interrompre la partie. Aucun délégué pour m’aider dans cette situation difficile. Alors j’eus tout à coup une idée, et je ne sais toujours pas d’où elle m’est venue. Je me suis dirigé vers un endroit « chaud », dans un virage où les pierres tombaient à verse et je fis comme si l’une d’elles m’avait touché : je tombais foudroyé sur la pelouse, me jetant à plat ventre sur le sol, et ne bougeais plus. Comme mort. Je sentis la stupeur qui parcourut la foule. L’arbitre est mort. Il y eut une vague de compassion et de pitié pour l’homme en noir qui gisait inerte, sur le terrain, et les gens se calmèrent. On me releva. Comment ça va ? demandait-on au mort. Je me laissais relever et simulais l’inconscience. On annonça enfin dans les hauts parleurs : si les jets de pierre continuent, la partie sera arrêtée. » Pour moi, ce fut une phrase libératrice. La menace d’arrêter le match équivalait pour les locaux à celle d’une défaite de deux ou trois à zéro. Aussi valait-il mieux pour eux que tout rentrât dans l’ordre et que la partie se poursuivit normalement. Ce qui fut fait. »
Il ne fuyait pas les difficultés mais il arrivait à les contourner en faisant des pitreries … ô combien ingénieuses.
Mais il lui arrivait aussi de se tromper. Par exemple, en 1973 lors de la finale de Coupe de France opposant Lyon à Nantes. Preuve qu’il était déjà un acteur majeur de son sport, Léon Zitrone avait annoncé : « ce match au parc des Princes arbitré par le prince des arbitres ». Hélas ! Les joueurs eux aussi sont facétieux. Wurtz ne voit pas le très réussi contrôle orienté de la main de Bernard Lacombe, qui lui permet de décocher un superbe tir croisé à l’entrée de la surface pour tromper Bertrand-Demanes. Il semblerait même que Didier Couécou, l’attaquant de Nantes, ait réduit le score en s’aidant de la main également. Et plus rien ne pu empêcher le prince de s’emmêler… A la fin du match ce même Coucécou dira en direct à la télévision : « Ce soir, c’est Ray Charles qui arbitrait ». Un surnom qui aurait pu durablement lui coller à la peau. Ces mots raisonneront durement dans l’esprit de Wurtz, et pour longtemps. S’en suit une quasi-dépression : « J’ai traversé les Alpes à vélo pour oublier et j’ai mis cinq mois à remonter la pente. » Bien aidé en cela par ses proches et son ami Schwinte.
Mais le surnom qui restera, à vie, heureusement pour lui, est celui de « Nijinski du sifflet ». Nijinski (1889-1950) était un danseur et chorégraphe russe d’origine polonaise. Il était considéré comme le plus grand danseur de son époque, et il était particulièrement connu pour son exceptionnelle virtuosité et pour ses sauts. Ce rapprochement entre la grâce de Nijinski et les saltations de Wurtz, on le doit à un journaliste brésilien du quotidien O Globo. Ce surnom flatteur vient sanctionner la prestation de Wurtz lors d’un match amical entre le Brésil et la Roumanie. La Seleçao voulait que ses matches amicaux soient dirigés par des arbitres européens en vue de la préparation à la Coupe du Monde 1974 en Allemagne. La rencontre se déroule dans l’enceinte du São Paulo Futebol Clube. Le match est sans enjeu, les tribunes à moitié pleine, et l’issue ne fait déjà plus de doute après le 2e but des brésiliens dès la 26e minute. Wurtz se fait alors la réflexion qu’en plus d’un match terne, ils ont affaire à un jeune arbitre inconnu, alors autant qu’il marque cette rencontre de son empreinte. Il sort son épingle du jeu en faisant étalage de sa très bonne condition physique en multipliant les sprints de 80 mètres, mais également en effectuant des gestes incontrôlés et une attitude à la limite du grand-guignolesque. Il a donné un intérêt certain à un match qui en manquait certainement. A la fin du match des dizaines de journalistes (dont la télévision) le rejoignent, lui l’arbitre, sur le terrain afin de recueillir ses impressions post-ballet. La légende est en marche.
Une conception bien précise de son propre rôle et de comment le tenir
« Je souhaitais faire comprendre aux joueurs que j’étais là pour qu’ils puissent évoluer dans les meilleures conditions, que je devais être près de l’action, que je mouillais moi aussi le maillot, que je me battais pour eux. Je savais pertinemment que le footballeur était l’acteur numéro un de ce sport. Mais je voulais être leur chef d’orchestre, en quelque sorte. »
Pour y parvenir, Wurtz a toujours considéré qu’un arbitre devait posséder certaines qualités essentielles. Et lors de cette rencontre, qui lui valut d’être le « Nijinski du sifflet », l’ensemble de sa prestation a permis de mettre en évidence ces qualités.
Tout d’abord la condition physique. Robert Wurtz tenait particulièrement à avoir une condition physique optimale, et il est probablement l’un des premiers arbitres à s’en soucier. L’une de ses particularités était de courir plus vite que certains footballeurs. La raison principale était son souhait de se retrouver « toujours près du ballon, comme ça on ne peut pas me reprocher de ne rien voir ». Pour se faire il s’en donnait les moyens, et s’entrainait de façon intensive 3 fois par semaine, en effectuant « 10 longueurs de stade toutes les 30 minutes, pour garantir des sprints lors des arbitrages », il courait aussi régulièrement dans les forêts de son Alsace natale. Mais les facéties ne sont jamais loin… Parfois, le Strasbourgeois se laissait volontairement décrocher des actions pour les rattraper grâce à des sprints tonitruants, la foulée ample et bondissante.
L’autre qualité essentielle à ses yeux était d’avoir de la personnalité.
« On avait parfois des jours sans. En revanche, quand on était en bonne forme, on avait peur de rien. Et d’ailleurs, quand on était dans ces dispositions, les joueurs le sentaient. C’est pareil aujourd’hui : les joueurs sentent quand l’arbitre gère la musique. Il suffit de dix minutes pour qu’ils prennent la température. Au bout de ce laps de temps, ils savent si l’arbitre est là pour déconner ou non. À ce moment-là, le match tourne. On le sait déjà : l’arbitre va dominer la partie… ou se faire manger. Et même lorsqu’il y a une erreur en fin de match, si les joueurs ont admis son autorité, ils respectent la décision. »
Cela se traduisait généralement par un désir assumé de faire le show, et d’attirer un peu de lumière à lui. Mais pas seulement, car il savait où était sa place, quel était son rôle, et comment le tenir. Car la finalité de tout ça était de servir le jeu. Il avait cette volonté farouche de désamorcer toute situation de violence, y compris verbale. Le football est un jeu, un jeu avec des enjeux sérieux, mais avant tout un jeu et il doit le rester.
« Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que j’avais, et j’ai toujours d’ailleurs, une sainte horreur de la violence. Qu’elle concerne les joueurs, l’arbitre, l’entraîneur… Je sais bien que les décisions de l’arbitre ne peuvent échapper aux sifflets lorsque la décision va à l’encontre de l’équipe locale. Mais j’ai très vite remarqué que, lorsqu’on ajoute, après cette décision, un petit grain de fantaisie, un geste, une explication, ça change pas mal de choses. Ces attitudes particulières font que le public sourit avant de crier. Il m’est donc arrivé de me faire applaudir malgré ce genre de décisions. Souvent, une équipe tente de monter son public contre l’arbitre. Sauf que si l’arbitre a du succès auprès de ce public, l’équipe agit tout à fait autrement. Tout ça pour dire que mes attitudes étaient à la fois calculées, dans le sens où elles servaient à quelque chose, et spontanées, dans le sens où elles n’étaient pas programmées. Je savais ce que je faisais, ce n’était pas gratuit. Et ce n’était pas uniquement pour faire le show. »
Il existe de très nombreux exemples de ces « désamorçages », comme au Mexique en 1971. Mais il en est un emblématique. Celui que tous les amateurs du ballon rond des années 90, ont vu et revu sur les bandes VHS du « foot en folie ». Il s’agit d’un match PSG-Auxerre en 1989. Guy Roux, l’entraineur de l’AJA est nerveux, et vocifère debout le long de la ligne de touche. La tension monte sur le terrain et dans les tribunes. Comme à son habitude Wurtz cherche alors à surprendre, à déstabiliser, afin d’apaiser tout le monde. Alors que le ballon part en touche, il se met à courir vers Roux, et se jette à genoux sur le sol détrempé, à la manière d’un joueur célébrant un but. Wurtz se retrouve alors à genoux devant Guy Roux et joint ses mains en une prière afin que Guy Roux veuille bien regagner son banc. Roux allait s’exécuter quand il changea rapidement d’avis, et s’agenouilla à son tour devant l’arbitre rendant la scène hilarante et mémorable. Les spectateurs, sourirent, applaudirent, et Roux regagna sa place. Le jeu pu reprendre dans un climat serein. Une fois de plus l’objectif est atteint.
Ces scènes d’anthologie, cette gestuelle à la limite du ridicule, aurait pu faire passer Wurtz pour une saucisse, mais il n’en était rien. Il inspirait un profond respect, par la maitrise de son art, et par le souci de toujours désamorcer les relations conflictuelles.
Wurtz mit un terme à cette formidable carrière le 17 mai 1990 lors d’un Montceau-Dijon en deuxième division.
Il s’orientera alors vers une carrière dans la relation client. Mais pour cet homme qui disait « en fait, je faisais du théâtre là où il est interdit d’en faire… », il n’était admis pour personne qu’il puisse se tenir éloigné des caméras. Il endossera de nouveau le costume noir et le rôle d’arbitre pour l’émission Intervilles, à partir de 1998 et jusqu’à 2007, où il fit un AVC, heureusement sans séquelles.
Robert Wurtz a toujours réfuté l’idée que le meilleur arbitre est celui qu’on ne voit pas pendant 90 minutes. Il a un palmarès conséquent, mais surtout une personnalité inégalée. Il est considéré comme le meilleur arbitre de sa génération, et il est sans nul doute le plus remarquable arbitre français de tous les temps. Né de parents tous deux artistes, il aurait dû être un enfant de la balle, il décidera finalement d’être le daron du ballon, et pour le bonheur de tous !
Crédit photos : IconSport
Sources :
- « Nous les avons tant aimés : le Nijinski du sifflet », Racingstub.
- Florian Cadu, « Wurtz : « où est passée la personnalité de l’arbitre ? », So Foot.
- Maxime Brun, “Amor l’arbitre… Quand le sifflet fait le show », Passe-D.
- Robert Wurtz, Au Cœur du Football, 25 ans d’arbitrage.