Ce jour-là, le 9 octobre 1976, ni les joueurs, ni les sélectionneurs ne seront les vedettes. Ils vont devoir céder la lumière à un duo improbable : d’un côté, un commentateur sportif français, un certain Thierry Roland. De l’autre un arbitre écossais, un certain Ian Foote. Le premier insultera le second, en direct à la télévision française, au motif de décisions arbitrales contestables… en tout cas de l’avis des Français. Une insulte passée à la postérité !
Le contexte
Cela fait maintenant dix ans que l’Equipe de France n’a pas participé à une Coupe du Monde, et la dernière en date, en Angleterre en 1966, l’aura vu se faire éliminer dès le premier tour. La pression est donc bien présente, alors que l’on entame le tournoi de qualification pour la Coupe du Monde 1978, qui aura lieu en Argentine. Plusieurs éléments expliquent l’attente très importante autour de ce match. Pour commencer, c’est un nouveau sélectionneur qui dirige l’Equipe de France : Michel Hidalgo. Il est en poste depuis novembre 1975 et le départ de Stefan Kovacs dont il était l’adjoint depuis 1973. Il s’agit de son premier match en compétition officielle, après seulement quatre matchs amicaux. C’est un homme qui prône alors un jeu ouvert, axé sur l’offensive, bien aidé en cela par l’éclosion d’une génération dorée. C’est justement le second élément expliquant l’attente autour de ce match : les Bleus sont alors composés de joueurs pétris de talents dans tous les secteurs de jeu. Elle mêle ainsi expérience (Trésor, Synaeghel, Lacombe) et jeunesse décomplexée (Platini, Bossis, Rocheteau, Bathenay). Le porte étendard de cette génération est bien évidemment Michel Platini, meneur de jeu extrêmement prometteur déjà en cette année 1976. Il est également important de noter que l’ossature de cette équipe est essentiellement composée de joueurs de l’AS Saint-Etienne, qui, cinq mois plus tôt, ont frôlé la victoire en finale de Coupe d’Europe des clubs champions contre le Bayern Munich.
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Ces mêmes Verts venaient d’ailleurs de décrocher un nul encourageant le 15 septembre 76, contre le CSKA Sofia (0-0) à l’extérieur en huitième de finale de cette même compétition. Ils remporteront le match retour 1-0 à Geoffroy-Guichard le 29 septembre, se qualifiant ainsi pour les quarts de finale au détriment des Bulgares. On se dit alors que la combinaison entre un jeune sélectionneur qui prône « l’intelligence de jeu », l’ossature d’un des meilleurs clubs du continent et un meneur de jeu extrêmement prometteur devrait faire des étincelles. Lors de ce tournoi de qualification, l’équipe de France a évité les géants européens (tels que la RFA, les Pays-Bas, la Pologne ou l’Italie), mais elle est tombée dans un groupe comprenant seulement trois équipes. Elle se retrouve alors avec deux équipes qu’elle connaît bien, la République d’Irlande de Johnny Giles (ex-meneur du Leeds des années 70) et la Bulgarie de Hristo Bonev (fer de lance du Lokomotiv Plovdiv). Avec seulement quatre matches à jouer et au bout un seul qualifié, le moindre faux-pas risque d’être éliminatoire !
Attardons-nous à présent sur cette équipe de Bulgarie, redoutable et redoutée. Elle reste sur 4 phases finales consécutives de Coupe du monde entre 1962 et 1974, mais sans jamais passer le premier tour ni gagner le moindre match. Pour les Championnats d’Europe, la Bulgarie enregistra deux huitièmes de finale en 1960 et 1968. Elle est pourtant considérée, au même titre que la Yougoslavie, comme étant la bête noire de l’Equipe de France à cette époque. Par exemple, en 1976, on a encore en mémoire ce match d’appui remporté par les Bulgares à Milan, privant ainsi la France d’une Coupe du monde 1962 au Chili (les deux équipes ayant terminé ex-æquo en tête de leur groupe). Terrible souvenir pour le clan français, d’autant plus que lors de ce match, à la 89e minute, l’arbitre tchécoslovaque, M. Fencl, accorde un coup franc aux Bulgares. Le tir est renvoyé par le mur français. Mais M. Fencl le fait retirer. Cette fois, le ballon, dévié par un partenaire, arrive dans les pieds d’Iliev qui, certainement en position de hors-jeu, marque. L’arbitre siffle aussitôt la fin du match. La France entière crie au scandale. Il faut aussi savoir que, Sofia, et son stade Vasil Levski (du nom du révolutionnaire Bulgare, héros national du 19e siècle), est une terre hostile pour les Bleus. En dehors du premier match entre les deux équipes en 1932, qui voit la France triompher 5-3, les quatre matchs suivants, jusqu’à ce 9 octobre 1976, se soldent par autant de défaites !
Evoquons à présent nos commentateurs français, protagonistes involontaires de cette journée. Avant de former un duo mythique avec Jean-Michel Larqué (alors joueur de l’ASSE et des Bleus, mais forfait pour ce match) sur TF1, Thierry Roland est aux commentaires aux côtés de Bernard Père sur Antenne 2. Le match est alors retransmis en direct. Dès la prise d’antenne, avant le début du match, Bernard Père prédit d’emblée un match âpre et disputé. Il déclare même que « l’arbitre aura un rôle important à jouer, on connaît le jeu des Bulgares on l’a vu avec le CSKA Sofia, sur le terrain ils ne font pas de cadeaux ». L’arbitre en question est écossais, se nomme Ian Foote, et a 43 ans. Il effectue déjà une carrière à l’échelle internationale depuis l’année 74-75, avec des matchs de Coupe de l’UEFA, ainsi que des éliminatoires pour l’Euro 76 (en Yougoslavie).
Le match
Le samedi 9 octobre, c’est sous un chaud soleil d’automne que les deux équipes entrent sur la pelouse du stade Vasil Levski à 16h.
Dans les premières minutes, le pressing bulgare est intense et les Français se contentent de faire tourner dans leur moitié de terrain. Ce n’est une surprise pour personne, le match est tendu et les tacles sont pour le moins appuyés des deux côtés. Après une première demi-heure disputée, les Bleus sont de plus en plus présents dans le camp adverse. A la 37e minute, une faute de Bonev est sanctionnée à 25 mètres plein axe. Un coup franc indirecte est sifflé. Bathenay décale pour Platini, qui envoie la balle dans la lucarne du gardien bulgare Krastev. Première banderille plantée peu avant la mi-temps, c’est une bonne affaire. 0-1 pour l’Equipe de France. Vasil Levski pousse, gronde, mais les Bleus ne se laissent pas impressionner et plantent la seconde banderille à la 40e minute : cette fois c’est Platini qui trouve Bathenay sur une belle ouverture, ce dernier allume Kratsev qui relâche le ballon, mais Lacombe a suivi, 0-2.
Il reste alors cinq minutes à tenir avant la mi-temps. A la 43e minute, Jean Gallice fait une faute sur Vassiliev. Coup franc pour les Bulgares à l’entrée de la surface. Malheureusement, Lacombe dévie le tir de Bonev et prend Baratelli à contre-pied, 1-2. Le but « casquette » juste avant la pause…
Avec seulement un but de retard, les Bulgares entament la seconde période pied au plancher ! Les débats restent équilibrés jusqu’à ce que l’arbitre écossais, Ian Foote décide de se mettre lui aussi en lumière. Dans cette seconde mi-temps, son arbitrage semble à sens unique, notamment sur les nombreux contacts. Les Bulgares se font de plus en plus pressants, et se créent alors coup sur coup deux énormes occasions : à la 65e minute une tête de Panov trompe Baratelli et c’est Lopez qui repousse le ballon sur la ligne. Puis à la 66e c’est au tour de Bonev de voir sa tête repoussée par… la barre ! A noter que les poteaux de Vasil Levski sont carrés, comme à Glasgow l’année précédente en finale de Coupe des clubs champions. Mais cette fois-ci, personne ne s’en plaint. Ian Foote entame alors une série de décisions très contestables (et contestées), qui finira de braquer exclusivement la lumière sur sa prestation. On peut dire qu’il obtiendra même la foudre…
Tout commence à la 68e minute par une séquence où Platini se présente dans la surface de réparation bulgare. Il passe devant Stankov puis crochète Kratsev mais se fait sécher d’un croche-pied flagrant par le gardien. L’arbitre ne sifflera pas. Pire, dans la continuité de l’action, les Bulgares égalisent alors que deux de leurs joueurs semblent en position de hors-jeu, 2-2 ! Un combo de décisions qui rendra les Bleus furieux. Ils sentent le match leur échapper et les vingt dernières minutes sont irrespirables pour tous les Français, qu’ils soient sur le terrain, en tribune, devant le poste de télévision ou devant le micro ! Les Bleus poussent malgré tout et enchainent quelques occasions de reprendre l’avantage au score. Le but victorieux semble alors possible, mais ils manquent de réalisme. Dans les dix dernières minutes, le public bouillant de Vasil Levski semble ne plus y croire.
M. Foote se chargera alors de leur redonner de l’espoir à la 87ème minute. Un dernier coup de théâtre qui vaudra la postérité pour l’arbitre.
Bonev tente une percée devant Bossis. Il semble pousser son ballon un peu trop loin, c’est alors que le malin Bulgare termine sa course par ce qui ressemble étrangement à un plongeon, mais pas pour Ian Foote, qui montre le point de pénalty. C’est la stupéfaction chez les Bleus. Lopez et Janvion se ruent vers l’arbitre. Puis on voit Lopez se prendre la tête dans les mains, quand Janvion et Tresor eux lèvent les bras au ciel de désespoir. Bossis lui, reste coi, puis dégage le ballon avec fureur…
C’est alors que se produit l’impensable. Au micro d’Antenne 2, Thierry Roland perd complètement le contrôle et insulte l’arbitre avec cette phrase qui restera le moment le plus marquant de ce match (et probablement de la carrière de Roland, au moins jusqu’en 98) :
« Ah c’est pas possible ! Ah, ce n’est pas croyable qu’il accorde le pénalty là-dessus. Mais c’est invraisemblable, à 3 minute de la fin de la partie… Alors ça, je n’ai vraiment pas peur de le dire, M. Foote, vous êtes un salaud !! ».
Des mots terribles, le ton très rude. C’est un cri du cœur. Finalement Bonev décide de se faire « justice » lui-même… et rate le cadre ! Le ballon passe à ras du poteau droit de Baratelli. On en reste à 2-2 et ce match historique est terminé. La charge émotionnelle de Roland ne redescend pas.
A la vue du pénalty manqué, ivre de joie, il rajoutera même :
« À côté ! Eh bien il y a vraiment un bon dieu croyez-moi. Quel scandale cet arbitrage, c’est invraisemblable, jamais vu un individu pareil, il devrait être en prison, pas sur un terrain de football ! ».
Quant à Père, il semble tout aussi abasourdi et en colère que son compère mais il l’exprimera pourtant différemment :
« Je suis prêt à parier qu’il n’arbitrera plus de match international, comme M. Fencl qui avait volé aussi la France de la même manière. Il n’accorde pas un penalty contre Platini, il accorde un but sur hors-jeu aux Bulgares et accorde un penalty qui n’existe pas. C’est difficile de faire mieux. »
Du côté des joueurs, on ne décolère pas non plus. Michel Platini, dira à la fin du match au micro d’Antenne 2 :
« J’ai eu beaucoup de choses à dire à l’arbitre, je lui ai dit une partie, j’ai de la chance qu’il ne comprenne pas trop le français, mais c’est pas permis d’arbitrer un match comme ça, c’est trop important ! ».
Hidalgo et les joueurs ne prendront connaissance des propos de Roland que dans la soirée, juste après avoir appelé leurs familles qui ont assisté au match devant la télévision.
Après le match, l’Equipe de France poursuit ces éliminatoires « coupe-gorge » : dans la foulée de leur très bon match de Sofia, les Bleus l’emportent face à la République d’Irlande en novembre au Parc (2-0). Mais ils s’inclinent en mars à Dublin (0-1), et comme la Bulgarie prend trois points sur quatre contre les Irlandais (0-0, 2-1), une victoire est impérative en novembre 1977 pour la revanche de Sofia. L’équipe de France l’emporte 3-1 et se qualifie pour le Mundial argentin.
Qu’adviendra-t-il de nos deux protagonistes ?
Ian Foote, malgré la prédiction de Bernard Père, poursuivra une carrière d’arbitre international. Il va ainsi arbitrer une quinzaine de match jusqu’au début des années 80 : Coupe de l’UEFA, Coupe d’Europe des clubs champions, éliminatoires de la Coupe du Monde 82, Jeux Olympiques 1980, etc. Il décidera alors de mettre un terme à sa carrière en 1982 pour se consacrer à sa 2e activité : la vente de thé. Il est décédera en 1996 à 63 ans. Thierry Roland, quant à lui, poursuivra sa carrière de commentateur sportif. Il deviendra la vedette de TF1 des années durant avec Jean-Michel Larqué. Il passera même sur M6 au milieu des années 2000. Une longue et riche carrière faite de nombreuses autres saillies marquantes en tout genre ! Il est décédé en 2012, à 74 ans.
Thierry Roland reviendra sur cet épisode de sa vie de commentateur dans son livre intitulé « Mes plus grands moments de football » sorti en 2012 (l’année de son décès). Il y écrit : « cette phrase me colle encore à la peau 45 ans après ». Il décrit le match de cette manière :
« La 2e mi-temps arrive, et M. Foote qui avait jusque-là bien arbitré le match, fait n’importe quoi. Il commence par refuser un pénalty flagrant à Platini, puis il accepte un but égalisateur alors qu’il y avait deux magnifiques hors-jeux, et enfin le comble, à la 88e minute, juste avant la fin, il accorde un pénalty imaginaire à la Bulgarie ! Heureusement le pénalty est manqué, il passe à la droite du but de Baratelli. Mais là à cette 3e décision totalement injustifiée de l’arbitre, j’ai les plombs qui ont sauté. Je cherche un mot violent qui exprimerait ma colère, mais un mot qui soit quand même dans le dictionnaire. Le premier qui me vient à l’esprit est « enculé », mais je pense alors qu’il ne figurait pas dans le Larousse. Alors je le traite de « salaud ». Ça a fait sensation. ».
Il se justifie en disant qu’il a alors dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. A une exception près, celle du directeur de l’actualité télévisée, Charles Baudinat. De l’aveu de M. Roland, ce dernier aurait voulu l’appeler immédiatement mais les lignes téléphoniques avaient été coupées. Roland rentrera avec l’Equipe de France et Hidalgo l’aurait alors assuré de son soutien. Le lundi les couvertures des journaux, d’après Roland, sont plutôt de son côté et titrent « le voilà le salaud » ou encore « voilà celui qui a failli faire perdre la France. ». A la vue de toutes ces réactions, il n’héritera finalement comme il le dit lui-même que d’un « carton jaune », aucune sanction. Il dira même avoir reçu des milliers de courrier de soutien !
Messieurs Foote et Roland ne sont pas rancuniers, et se reverront à deux occasions.
Tout d’abord devant les caméras de télévision, neuf ans après les faits. A l’initiative de Thierry Roland, le « coupable » est invité à venir s’expliquer dans Téléfoot.
M. Foote y jouera le jeu. Chaque action litigieuse est décortiquée, y compris celle qui lui a valu un nom d’oiseau. Pour commencer, le pénalty non sifflé sur Platini, M. Foote dira dans un premier temps que son juge de touche n’avait pas signalé la faute sur le coup. Il dira avoir estimé que le gardien bulgare jouait le ballon. Il finira par concéder sur le plateau que c’était du « 50-50, ça dépend comment on le voit ». Ils poursuivent avec le but égalisateur bulgare, entaché vraisemblablement d’un double hors-jeu. M. Foote déclarera « là je suis d’accord avec vous, il y a deux bulgares qui sont hors jeu. Dans ce genre de cas on fait confiance au juge de touche… ». Pour finir, le fameux pénalty. Roland lui montre là aussi l’action, à trois reprises et déclare : « ah il tombe vraiment tout seul, personne ne le touche ».
Ce à quoi M. Foote répond :
« vu la position où je me trouvais à ce moment-là, moi il me semble qu’on lui avait fait un croc-en-jambe. Il y avait deux joueurs français là. Mais là il y a vraiment un doute, même quand on le regarde sur l’écran il y a un doute toujours. On aurait très bien pu lui faire un croc-en-jambe en l’occurrence ».
Puis M. Foote précise que les arbitres doivent prendre des décisions rapidement et que les caméras ne sont pas situées comme lui l’a été sur le terrain. Il reconnait donc à demi-mot qu’il n’y avait pas pénalty. Et les deux hommes font la paix.
Ils se verront donc une deuxième fois, loin des caméras. Roland invitera l’arbitre au millième match du Variété Club de France. C’est là que M. Foote aurait avoué au commentateur, qu’il avait eu peur du public bulgare, n’étant séparé de lui que par une petite barrière. Le mot de la fin revient à Roland, extrait de son livre :
« M. Foote a eu peur de se faire agresser par les supporters. Je comprends très bien et respecte tout à fait cette crainte qu’on peut avoir de la foule. Mais si ma colère était tout à fait défendable, je reconnais que je n’aurais pas dû user d’une telle liberté de langage… ».
Sources :
- Hugues Sionis, « Monsieur Foote, le «salaud» du match en Bulgarie », L’Equipe
- « Ian Foote », World Referee.
- Thierry Roland, Mes plus grands moments de football, Larousse, 2012.
Crédits photos : IconSport