« Il frappait de toutes les positions, ça faisait but. Pied droit, pied gauche, volée, demi-volée, tir classique… Aucun problème. Dès qu’il avait le ballon, ça pouvait partir. C’était abusé… En plus de ça, il fournissait des efforts extraordinaires parce que ce n’était pas un pur attaquant qui attendait le ballon dans la surface ». Pourrait-on faire meilleure description de Diego Forlán à l’aube d’un Mondial sud-africain historique pour le joueur et sa sélection ? Nabil Baha – ancien joueur de Malaga – ne s’y trompait pas : oui, Forlán représentait tout ça. Une frappe de balle exceptionnelle, une combativité dans la lignée de la tradition uruguayenne et un sens du but au-dessus de la moyenne.
Mais avant de chausser les crampons, Diego Forlán excelle dans ce qui restera son premier amour. Issu d’une famille de footballeur, Diego n’embrasse pas tout de suite le chemin de ses ainés et c’est sur les courts de tennis qu’il martyrise ses premiers adversaires. Alors qu’il envisage une carrière sur terre battue, le destin va en décider autrement à l’aube de ses 11 ans. En 1991, sa sœur ainée Alejandra est victime d’un terrible accident de voiture la paralysant à vie. Le traumatisme est réel pour le petit Diego qui promet à sa sœur qu’il « deviendrait une star du football, pour être sûr qu’elle puisse continuer à avoir une belle vie. » C’est de cette triste façon que débute l’histoire entre Diego Forlán et le football.
Le voici investi d’une mission, suivre les traces de son père et de son grand-père avant lui et triompher sur le carré vert. Mais de qui parle-t-on, au juste ? Petit retour historique sur les liens historiques qu’entretient la famille Forlán avec le ballon rond. Le grand-père maternel, Juan Carlos Corazzo, fut sélectionneur de l’équipe nationale uruguayenne à quatre reprises. A sa tête, il remporte deux fois la Copa América (1959 et 1967). Quant à son père Pablo, il fait partie de la mythique équipe du CA Peñarol des années 60 qui voit le club de la capitale remporter plusieurs fois la Copa Libertadores et marquer l’histoire du continent. Question football, les Forlán savent de quoi ils parlent et Diego pourra compter sur leurs précieux conseils tout au long de sa carrière.
Un exil pour débuter
Nous sommes en 1995 et Cachavacha (surnom donné en référence à une sorcière de BD sud-américaine) prend son envol pour la France à Nancy et débarque dans le froid de l’hiver lorrain. Il est mis à l’essai plusieurs mois par le club coaché par László Bölöni, sans succès. Il rentre alors en Amérique du Sud sans passer par la case Uruguay puisqu’il s’engage avec les équipes de jeunes du CA Independiente, ancien club de son grand-père. Premier clin d’œil familial rempli de symbolique. Rapidement intégré à l’effectif professionnel, le jeune uruguayen fait ses débuts pour le club de l’Avellanda à l’âge de 18 ans. Trois saisons et une quarantaine de buts plus tard, l’Europe lui ouvre ses portes. Manchester United rafle la mise et engage le jeune espoir uruguayen lors du mercato d’hiver 2002 pour la coquette somme de 11 millions d’euros.
Une adaptation difficile en Europe
L’acclimatation au championnat anglais est plus que difficile et Forlán souffre de la concurrence de Van Nistelrooy et de Solskjær. L’Uruguayen doit se contenter de miettes, et il faudra attendre huit mois et 27 matches pour le voir inscrire son premier but sous ses nouvelles couleurs. Malgré une attitude irréprochable en interne, les mois se succèdent et le néo international (il fête sa première sélection en 2002 et participe au premier Mondial Asiatique) ne parvient pas à renverser la hiérarchie. Les saisons suivantes laissent entrevoir les qualités d’un garçon combattif et volontaire mais encore maladroit et inconstant pour un club ultra compétitif du standing des Red Devils. L’arrivée du prodige anglais Wayne Rooney en provenance d’Everton en 2004 scelle définitivement le sort de Forlán à Old Trafford.
En dépit de quelques coups d’éclat comme ce doublé victorieux contre l’ennemi Liverpool à Anfield en 2001, le passage de Forlán laissera un goût amer aux supporters mancuniens. Il partira toutefois avec le respect de l’ensemble de ses coéquipiers et notamment d’un jeune Portugais nommé Cristiano Ronaldo, qui avouera avoir été impressionné par les qualités physiques de l’attaquant.
La renaissance en Espagne
C’est alors Villarreal qui mise sur l’Uruguayen de 24 ans qui est déjà à un premier tournant de sa carrière. Rapidement à l’aise avec la tunique jaune, Forlán marque dès ses débuts contre Valence et enchaine les titularisations. Lui qui devait se contenter de bouts de matches en Angleterre renait et la confiance que lui accorde son coach Manuel Pellegrini se ressent sur le terrain. Dès sa première saison, il remporte le trophée de Pichichi (meilleur buteur du championnat espagnol), au nez et à la barbe de Samuel Eto’o qu’il supplante avec un triplé mémorable au Camp Nou en fin de saison qui permet à Villarreal de se qualifier pour la phase finale de la Ligue des Champions pour la première fois de son histoire. Du haut de ses 25 buts en championnat, il partage même le Soulier d’Or avec Thierry Henry.
La saison suivante confirme les belles promesses entrevues. Au cours d’un exercice plus neutre sur le plan statistique (13 buts toutes compétitions confondues), son entente avec le génie Juan Román Riquelme fait des étincelles et permet au club d’atteindre les demi-finales de la plus prestigieuse des compétitions européennes. Battu de justesse par Arsenal après le fameux pénalty raté par Riquelme à la 88ème minute du match retour qui aurait pu envoyer les deux équipes en prolongation, le sous-marin jaune jette toutes ses forces dans cette compétition au détriment du championnat. Héroïques en coupe d’Europe, les pensionnaires du Madrigal terminent à la septième place en Liga. A l’issue de sa troisième saison, Forlán retrouve sa justesse devant le but et l’Atlético de Madrid n’hésite pas à débourser 21 millions d’euros à l’été 2007 pour s’accaparer le buteur. Le passage de Forlán dans la région valencienne est une franche réussite et lorsqu’il quitte le club, c’est avec le statut de meilleur buteur de son histoire (record dépassé par Giuseppe Rossi quelques années plus tard).
Changement de dimension
En signant chez les Colchoneros, Forlán se sait investi d’une mission à la hauteur de son talent et de ses ambitions. La tâche n’est pas simple : orpheline de l’idole Fernando Torres parti à Liverpool, l’Atlético voit en Forlán le digne héritier d’El Niño.
Les débuts sont prometteurs avec cinq buts lors de ses neuf premiers matches et déjà des premiers frissons procurés. Il participe activement à la bonne saison de son équipe et le Vincente Calderón entrevoit le début d’une complicité naissante avec un ancien de la maison Independiente, le jeune Sergio Agüero. 23 buts et une qualification en Ligue des Champions plus tard, Forlán aborde l’exercice suivant en pleine confiance. Résultat : des prestations de haut vol, des buts à la pelle et une saison de championnat bouclée avec 32 buts en 33 matches ! Cachavacha remporte son deuxième Soulier d’Or et il attire logiquement le regard des plus grands, Barcelone et Real Madrid en tête. Les deux géants du foot espagnol sont prêts à débourser 40 millions d’euros à l’été 2009 mais les négociations avortent. Affecté par ce transfert raté, Forlán débute la saison doucement avant de monter en régime crescendo pour se retrouver en pleine bourre lorsque les matches comptent le plus. Il qualifie les Rojiblancos pour la finale de l’Europa League en inscrivant les trois buts de son équipe contre Liverpool en demi-finale (1-0 à Madrid puis 1-2 à Anfield) et récidive en finale contre Fulham avec un doublé (2-1 score final). Grand artisan de la saison historique du club madrilène, Forlán aborde le Mondial 2010 en plein confiance et semble plus fort que jamais.
La Coupe du Monde 2010, une prestation quasi parfaite
Lorsqu’elle arrive en Afrique du Sud en Juin 2010, on ne sait trop quoi penser de cette équipe d’Uruguay. 5ème des qualifications de la zone Amérique du Sud, elle se qualifie à l’issue des barrages contre le Costa Rica (2-0 et 1-1) sans convaincre. La Celeste hérite d’un groupe ouvert au sein duquel la France connaitra le triste épisode Knysna (France, Afrique du Sud, Mexique). C’est donc sans réelles garanties que Forlán et les siens débarquent sur le continent africain. Alternant entre le 4-3-3 et le 4-4-2, l’équipe entrainée par le grand Óscar Tabárez peut très vite compter sur la polyvalence de son attaquant qui évolue dans un rôle de maitre à jouer derrière le duo Suárez-Cavani. Ce rôle de meneur de jeu lui sied à merveille et l’Uruguay se qualifie tranquillement pour les huitièmes avec un Forlán agissant comme un véritable mentor pour les deux jeunes buteurs.
Lors de cette compétition, le néo-trentenaire apparait plus fort que jamais et semble inarrêtable. Au-delà de son influence dans le jeu, il se montre décisif en inscrivant cinq buts dont trois en dehors de la surface (premier joueur depuis Lothar Matthäus en 1990 à réaliser cet exploit en Coupe du Monde). Ces buts, tous plus beaux les uns que les autres mettent en lumière la qualité de frappe remarquable de Forlán qui possède la précieuse particularité d’être ambidextre. Ses coups de canon face à l’Afrique du Sud, le Ghana, les Pays-Bas et l’Allemagne marquent les esprits et permettent au double vainqueur de la Coupe du Monde d’atteindre le dernier carré de la compétition pour la première fois depuis 40 ans. Plus qu’un simple buteur, le colchonero marche littéralement sur l’eau et démontre qu’à 31 ans, il fait partie des meilleurs joueurs de la planète.
Malgré l’élimination des siens en demi-finale face aux Hollandais, Forlán sera désigné meilleur joueur de la compétition et co-meilleur buteur. Le temps d’un été, il a été le joueur le plus craint par les défenses du monde entier de par son imprévisibilité et son activité. Un mois de folie qui lui assure enfin le statut qu’il mérite, celui d’un attaquant de classe mondiale. Son expérience et sa forme éblouissante lors de l’événement le plus suivi au monde lui ont assuré une place parmi les grands de ce sport.
Cinquième du ballon d’or à l’issue de sa meilleure année en professionnel, l’ancien mancunien effectue une dernière saison plus sobre sous les couleurs de l’Atlético. En sélection, il s’éclipse peu à peu pour laisser briller la nouvelle vedette du pays, Luis Suárez, lors de la Copa América 2011. Auteur d’un doublé en finale face à une surprenante équipe du Paraguay, l’homme à la chevelure blonde remporte son premier titre avec la Celeste, couronnant une carrière internationale déjà riche.
Forlán le globetrotter
Cet été marque alors la fin du très haut niveau pour la légende uruguayenne. Il s’engage avec l’Inter Milan à la fin du mercato 2011. Jamais vraiment au niveau et souvent blessé, le joueur recalé par Nancy ne marque pas les esprits des supporters Nerazzurri et quitte le club à l’issue de sa première saison. Il rejoint alors le club brésilien du SC International pour deux saisons avant de filer au Japon. Forlán connait alors son sixième championnat et son troisième continent en signant pour le Cerezo Osaka. Il découvre la J League et goûte à l’AFC Champions League puis décide de rentrer au pays en 2015.
« Enfin chez toi ! » clament les 40.000 socios du CA Peñarol. Diego revêt enfin le maillot de son équipe de cœur, 45 ans après que son père l’ait quittée. L’image est forte et Forlán vient pour insuffler une nouvelle dynamique pour les Jaunes et Noirs. Pas question de faire de la figuration, le plus grand club uruguayen est de retour en Libertadores et s’apprête à inaugurer son nouveau stade. Énième clin d’œil de l’histoire, c’est Diego qui marquera le premier but au Estado Campeón del Siglo. La magie opère et l’enthousiasme qui accompagne son arrivée permet à Peñarol de soulever son 50ème titre de champion, trois ans après son dernier sacre. Même si la saison n’est pas parfaite (élimination en Libertadores dès les poules), Forlán continue d’écrire sa légende. Souverain dans son pays, il décide alors qu’il est temps de quitter son club de cœur, une saison seulement après son arrivée : « Je m’en vais parce que ce football est compliqué. Un jour les choses vont bien, le lendemain non. Si tu gagnes, tu es beau, si tu perds, tu es laid. Je pense qu’à 37 ans, ici en Uruguay, c’est le meilleur moment pour quitter le club. J’ai appris une chose : Peñarol est ma maison. »
La suite est anecdotique. Trois mois en Inde puis une quinzaine de matches à Hong-Kong plus tard, Forlán tire sa révérence et prend sa retraite de footballeur à l’été 2019 et s’en va presque anonymement. Il ne tardera pas à refaire surface puisqu’il est nommé entraineur de Peñarol quelques mois plus tard en décembre 2019. Bien que courtisé en Argentine, le nouveau tacticien a privilégié « sa maison » comme premier défi dans sa nouvelle carrière.
L’élégant attaquant à la chevelure blonde aura marqué le football par son abnégation et son impressionnante frappe de balle. Une carrière parsemée de quelques embuches qu’il aura su surmonter pour devenir l’un des attaquants les plus spectaculaires de notre siècle avec comme point d’orgue cette Coupe du monde 2010 légendaire. Acteur majeur du renouveau de l’Atlético de Madrid sur la scène internationale et légende de sa sélection, Cachavacha aura fait l’unanimité partout, même auprès de Sir Alex Ferguson qui se souvient d’un « bon garçon et un magnifique professionnel ». Une chose est sûre, Diego Forlán est un homme déterminé et ce n’est sûrement pas sa sœur Alejandra qui dira le contraire.
Sources :
- So Foot – Le mois où Forlán était le meilleur joueur de la planète
- Eurosport – Ce que le football doit à Forlán
- Lucarne Opposée – Le dernier cadeau de Diego Forlán
- PlanetFootball – How Diego Forlan fought to become a Manchester United cult hero
Crédit photos : IconSport