Si vous lisez cette phrase d’introduction, c’est que vous vous trouvez sur le site du Corner. Un nom plutôt explicite pour symboliser un endroit dans lequel l’histoire du football est illustrée dans de nombreux articles, tout en faisant référence au fameux « coup de pied de coin ». C’est ce coup de pied arrêté qui va nous intéresser aujourd’hui, plus particulièrement le célèbre corner à la rémoise. En référence au premier club français qui a marqué l’histoire du football, cette façon de tirer les corners possède son histoire, ses avantages, ses inconvénients, ainsi que de nombreux exemples à travers les époques.
Tout d’abord, il est utile de rappeler, notamment pour les novices, à quoi correspond un corner à la rémoise. Si un corner est joué directement dans la boite pour aller chercher la tête du défenseur d’1m90 venu tout droit de sa surface pour aller gratter son but, le corner à la rémoise se joue à deux, avec un autre joueur venu chercher le ballon juste devant le point. Les objectifs de cette façon de faire sont diverses : il permet soit de pouvoir centrer en étant un peu plus proche de la surface soit de pouvoir reconstruire une nouvelle action à l’arrière de la surface. Si ce corner s’appelle ainsi, c’est en référence à l’équipe créatrice de cette façon de faire particulière, le Stade de Reims. Meilleure équipe française des années 50, que ce soit dans l’hexagone ou en Europe (double finaliste de la Coupe des clubs champions en 1956 et 1959), Reims a pu compter parmi ses rangs un certain Raymond Kopa, ancienne gloire française. Le Ballon d’Or 1958 a notamment joué sous les couleurs rémoises entre 1951 et 1956, club dans lequel il a inventé ce fameux corner. Dans une interview pour But! en 2012, Kopa expliquait la raison de ce choix de jouer le corner à deux :
« C’est moi qui ai inventé le corner à la rémoise. Tout le monde le dit et c’est vrai. Je préférais donner des balles courtes et me rapprocher des buts adverses, plutôt que de frapper directement n’importe où, comme on le faisait jusqu’ici. C’est une question de stature, c’est vrai (…) C’est une improvisation à un moment donné, qui a marché et on a continué après parce qu’il y avait une réussite au bout. (…) On l’a fait parce que c’était utile ».
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Just Fontaine, autre grande gloire française, arrivé juste après Raymond Kopa à Reims, a affirmé que le choix de jouer ce corner à deux était presque indispensable lorsqu’on observait la petite taille des joueurs de l’équipe : « De toute façon, le géant de l’équipe, c’était moi : 1,75 mètre sous la toise. Ça n’incitait pas à abuser du jeu aérien… ».
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Une façon de faire totalement novatrice à l’époque mais qui coulait presque de source dans cette équipe où les physiques n’étaient pas particulièrement grands. Malgré l’ancienneté du corner à la rémoise, celui-ci trouve toujours des adeptes aujourd’hui, malgré des physiques beaucoup plus imposants et des joueurs bien meilleurs de la tête qu’auparavant.
La surprise comme moyen de déstabilisation
Si aujourd’hui la grande majorité des clubs joue les corners de manière traditionnelle, certaines équipes, prônant le plus souvent le beau jeu, celui réalisé avec la possession du ballon, continuent d’employer cette méthode spéciale. Le Manchester City de Guardiola ou encore le Barça, qui sont deux équipes joueuses sur le papier, peuvent alterner les corners normaux avec ceux créés par Kopa. Et ça ne peut leur être que bénéfique étant donné leur façon de jouer qui ne passe que très rarement par les airs. En revenant en arrière de la surface, ces équipes peuvent facilement trouver des décalages, notamment grâce à des joueurs dont la vision de jeu permet de trouver des passes intéressantes dans des espaces très réduits, comme Kevin de Bruyne ou David Silva par exemple. Le fait de ne pas envoyer directement dans la boite perturbe aussi la défense adverse qui, alors qu’elle a l’habitude de marquer son joueur, se retrouve à devoir réorganiser tout son placement, pour le bonheur des attaquants adverses qui n’ont plus qu’à les assommer. C’est cette surprise que défend Jean-Marc Furlan ancien joueur, et actuel coach de l’AJ Auxerre :
« Quand tu as été défenseur central, tu sais que lorsque tu as une phase arrêtée, la situation est prévisible. Si tu es un bon défenseur, tu as 90% de chances de la prendre. Une situation de jeu, par essence, quand on parle d’une belle action, d’une belle combinaison, c’est parce que l’imprévisible est entré en compte. C’est l’avantage du corner à deux : tu passes d’une phase arrêtée à une phase de jeu. Après, il faut le faire avec un objectif précis : enlever un adversaire de la surface, ou deux, puis piéger certaines zones en créant l’inattendu. Souvent, j’entends les supporters demander pourquoi on joue les corners à deux. Je réponds que c’est un moyen radical de mettre la défense adverse en difficulté. Deux exemples simples : la distance entre le frappeur et le receveur est réduite et le deuxième poteau y est souvent fragilisé. »
Si cela parait simple dit comme ça, il est beaucoup plus difficile de le mettre en place en réalité lorsque les joueurs ne sont pas assez bons ou rapides pour jouer dans les petits espaces. Cette difficulté de trouver des opportunités, notamment quand l’équipe n’est pas entrainée par des coaches adeptes du jeu rapide et dans les pieds, pousse la plupart des équipes à jouer le corner normalement, d’autant plus que les joueurs travaillent de plus en plus leur détente ainsi que leur jeu de tête.
Loin de faire l’unanimité
Historique, surprenant, situationnel et parfois efficace, le corner à la rémoise est bien loin de satisfaire les spectateurs. La premier souci est le manque de spectacle de cette pratique. Lorsqu’un fan achète son billet, parfois à des prix mirobolants pour aller voir son équipe, il demande à voir un spectacle, notamment sur corner qui est normalement l’un des coups de pieds arrêtés qui permettent de voir de l’action dans la surface. Cela a notamment eu du mal à passer chez les fans de Manchester City étant donné le style de jeu très direct de leur championnat qui est forcément perturbé par une façon de faire beaucoup plus construite et organisée que d’habitude.
Le second problème du corner à la rémoise, c’est que peu d’équipes osent le tenter en match, ce qui permet aux adversaires de prévoir un peu mieux contre qui et comment ils devront s’organiser pour désamorcer l’offensive adverse. Si cette méthode était un peu plus démocratisée, la plupart des équipes auraient l’opportunité de tirer un de ces corners à la rémoise, ce qui empêcherait l’adaptation des adversaires.
Enfin le troisième et dernier problème, c’est l’obsession un peu trop excessive de certains coaches pour la construction du jeu, et donc pour le corner à la rémoise. Le manque de spontanéité dans certaines situations chaudes a plus desservi qu’autre chose des équipes en position défavorables. C’était le cas du FC Barcelone de Pep Guardiola, en demi-finale retour de Ligue des champions 2010 face à l’Inter Milan. Alors qu’il ne reste que 10 secondes à jouer, les Blaugranas obtiennent un corner. Au lieu de mettre directement dans la boite, en espérant qu’un des 11 Catalans parvienne à mettre le ballon au fond des filets, les hommes de Guardiola ont joué le corner à la rémoise, pour construire une dernière action. Manque de chance, le centre est considéré comme nul par l’arbitre qui siffle la fin du match. Un bel exemple que le manque de spontanéité peut parfois tuer l’esprit du football.
Même si certains clubs ou championnats sont très réfractaires à l’idée de jouer un corner à la rémoise, certains joueurs ont pu s’inspirer de cette méthode historique pour tromper l’équipe adverse, ce qui prouve bien qu’il y a encore du bon à tirer de ce coup de pied arrêté. L’un des exemples de corner à la rémoise « remixé » les plus connus est celui de Manchester United face à Chelsea en 2009 entre Rooney et Giggs. Le dénouement ne sera pas celui escompté, mais le coup de génie de cette action restera à jamais gravé dans les mémoires.
A la base utilisé pour les équipes n’ayant pas la possibilité de centrer dans la boite par manque de présence devant le but, le corner à la rémoise a bien changé. Dans une époque où de nombreux coaches veulent contrôler le moindre mouvement du ballon sur le terrain, ce type de corner surprend mais surtout permet de contrôler encore un peu plus un sport qui perd peu à peu de sa spontanéité. Une nouvelle façon de voir le football mais qui a ses limites dans un sport dont la popularité résulte aussi de l’inattendu.
Sources :
- Nom d’une pipe, à quoi sert le corner à la rémoise ?
- Le corner joué à deux
Crédit photos : IconSport