Le dernier épisode de la série Traditionsvereine nous emmène à Hambourg. Si le mythique club du HSV n’a connu la descente de l’élite qu’en 2018, la crise qu’il traverse dure depuis plus de 10 ans et paraît tellement profonde, que les craintes d’une véritable descente aux enfers sont réelles. Explications.
Si les dinosaures ont disparu il y a quelques 65 millions d’années, le dernier d’entre eux est tombé de son piédestal le 12 mai 2018, à la suite d’une énième saison aux portes de la relégation. Autoproclamé Dino (pour dinosaure) de Bundesliga, le Hambourg SV était fier d’être le seul et unique club membre fondateur de la Bundesliga à avoir disputé l’intégralité des saisons de l’élite depuis 1963, soit 54 ans, 261 jours, 00 heures, 36 minutes et 02 secondes. Un temps indiqué sur la fameuse horloge du Volksparkstadion mais qui n’a aujourd’hui plus lieu d’être, puisque le HSV a manqué la remontée directe en 2018-2019. Malgré sa 3e place lors de la suspension de la compétition cette saison, rien ne dit qu’il retrouvera la Bundesliga l’an prochaine. Bien loin de ses nombreux succès des années 1970 et 1980, les Rothosen se sont peu à peu perdus. « Depuis 30 ans, Hambourg SV est à la recherche de lui-même », explique Daniel Jovanov, journaliste spécialiste du HSV. « Le club n’a pas trouvé sa propre philosophie et identité, et n’a pas su instaurer de continuité sportive. Il s’est toujours raccroché à son passé sans objectivité ni remise en question », poursuit-il. Il faut dire que ce passé était pour le moins glorieux.
Le tube des années 1980
Fondé en 1887, le Hamburger Sport Verein (HSV) compte six titres de champions d’Allemagne et trois Coupes d’Allemagne. Mais surtout, il a remporté en 1983 la plus grande des compétitions de clubs avec la ligue des champions face à la Juventus, trois ans après avoir perdu en finale contre Nottingham Forest. Emmenés par le légendaire Felix Magath (324 matches en rouge et blanc), les Rothosen rentraient dans l’histoire face à la troupe de Dino Zoff et Michel Platini. Un triomphe qui en fait l’un des trois clubs allemands vainqueurs de la C1, avec le Bayern Munich et le Borussia Dortmund, et qui a couronné une décennie de succès, avec également une C2 en 1977 et trois deuxièmes places en Bundesliga. De quoi attirer de grandes gloires du football mondial, et notamment l’attaquant anglais Kevin Keegan, qui remporta le Ballon d’Or à deux reprises sous les couleurs du HSV en 1978 et 1979. « J’ai emmené mon fils voir jouer le HSV lorsqu’il avait 6 ans. C’était la rencontre face à Liverpool, pour les débuts de Keegan à Hambourg. Un événement pareil reste ancré à jamais », s’émeut Moshe Zimmermann, historien et fervent supporter d’Hambourg. Tombé amoureux du club en 1972 lors de son arrivé en Allemagne comme doctorant, Zimmermann appréciait l’identité prolétaire du club, capable de remporter de grands succès en travaillant dur et avec application. « Des joueurs comme Uwe Seeler, ‘notre Uwe’, ou Uli Stein, incarnaient le club et sont devenus de véritables icones », raconte l’historien. En 20 saisons au HSV, Seeler dispute 476 rencontres et inscrit 404 buts, de quoi en faire la véritable légende du club.
Mais après tous ces succès sont venus des temps moins réjouissants. « En tant que fan, on doit toujours souffrir. Mais avec le HSV, on souffre particulièrement beaucoup, surtout depuis 1984 », confesse Zimmermann. Une descente aux enfers lente et douloureuse, durant laquelle le club du nord de l’Allemagne a enchaîné les mauvaises décisions et consumé son histoire glorieuse. Jusqu’en 2005, le HSV atteint deux fois le podium de Bundesliga, mais termine régulièrement entre la 8e et la 13e place, bien loin de ses espérances. S’il retrouve des couleurs à partir de 2005, en réintégrant le top 5 et les places européennes, c’est en 2009 que commence la véritable chute du Dino, d’après Daniel Jovanov. Dans son ouvrage co-signé avec Tobias Escher, le journaliste voit la double-élimination en demi-finale de Coupe d’Allemagne et de Coupe de l’UEFA face au rival historique, le Werder Brême, comme le point de renversement. Alors qu’il pouvait retrouver les succès, le HSV entame une période néfaste. « C’est à partir de ce moment-là que les dirigeants se sont trompés continuellement, en agissant sans remise en question et sous le coup de l’émotion », analyse Daniel Jovanov.
Un club instable
Et pour cause. Depuis cette fameuse saison 2008-2009, pas moins de 18 entraîneurs se sont succédés sur le banc hambourgeois, parmi lesquels quelques techniciens réputés comme Bruno Labbadia, Markus Gisdol ou Bert van Marwijk. Le manque de régularité des performances, lié au manque de patience des dirigeants mais aussi de leur incompétence dans la gestion des transferts et du centre de formation rendent le club instable. Considérant leur club comme un ténor qui n’en était pourtant plus un, les décideurs enchaînent les mauvais coups, mais le plus marquant reste le retour manqué de l’ancienne gloire du club, Rafael Van der Vaart, en 2012. Pour s’attacher ses services, l’investisseur Klaus-Michael Kühne insiste pour rappeler un des artisans du retour du club en Europe dans les années 2000. Il débourse 13 millions d’euros pour le milieu offensif de 29 ans. Un choix contraire à celui du directeur sportif de l’époque, Frank Arnesen, qui avait repéré Christian Eriksen, encore méconnu à l’Ajax. Les ventes rapides de joueurs formés au club comme Jonathan Tah (parti au Bayer Leverkusen à 19 ans) ou plus récemment Fiete Arp (acheté par le Bayern à 19 ans en 2019) empêchent quelconque entraîneur de construire sur le long terme.
Après plusieurs saisons à flirter avec la relégation, le HSV finit donc par tomber en mai 2018. « A force de penser au passé et d’agir de façon émotionnelle, avec le soutien des médias et de nombreux fans, le club ne s’est jamais remis en question et jamais repensé », enchaîne Jovanov, pour qui Hambourg pourrait connaître le même sort que Kaiserslautern ou Munich 1860. « Le risque, c’est de se croire trop grand pour connaître le même sort. Mais le FCK a aussi pensé la même chose, et pourtant… » ajoute le journaliste.
Malgré une communauté de supporters extrêmement solide, le HSV doit changer de politique s’il veut retrouver sa place dans l’élite du football allemand. Que ce soit Kaiserlautern, Munich 1860 ou le FC Magdeburg, tous s’appuient sur de fervents supporters, sans pour autant réussir à retrouver leur lustre d’antan. Comme quoi la ferveur et la tradition ne suffisent pas toujours aux succès.
Sources :
Tobias Escher, Daniel Jovanov: Der Abstieg. Wie Funktionäre einen Verein ruinieren, Rowohlt 2018
Crédit photos : IconSport