Suspendus dans le temps, ils arrêtent notre cœur, sans emprise sur le rythme du jeu effréné, et coupent notre souffle. Tranches infimes d’intensité palpable, les instants figés sont la richesse du football.
Métaux rares, ils surgissent d’un engourdissement bourbeux ou d’une tension stérile, en apparence. Imprévisibles, ils ne se détectent que par le prisme passionnel, en prêtant attention aux étincelles de magie qui les introduisent et dans lesquels ils se dissipent aussitôt. Les instants figés peuvent résulter d’un équilibre lourd mais fébrile ou, au contraire, d’un déséquilibre tragique. Tragique, oui, car il est des moments qui, sans même daigner s’inscrire précisément dans le temps qui est le nôtre, portent en eux plus de pathos et au moins autant d’acmé que le récit d’Antigone.
Ici, pas de deus ex machina. Les personnages ont été introduits d’emblée lorsque d’autres sont en coulisse. Les deux acteurs sont seuls sur scène. Ils ne se font pas face, car c’est un duel sans rituel, sans dialogue. Chacun face à son destin dans une passe d’arme qui ne pourra pas leur sourire à tous les deux. Ce combat est bien singulier, car l’homme à l’offensive n’est pas celui que l’on croit. Celui qui attaque est celui qui doit protéger son bien, celui qui défend est celui qui n’a rien à défendre. Mais à l’instant figé où leurs fers se croisent, tout cela ne veut plus rien dire. Là repose d’ailleurs toute la magie de l’instant : le destin peut rire au nez du déséquilibre, tout peut changer, se renverser.
Le défenseur connaît tous les enjeux. Il sait le combat inévitable. Présentement, il recule, mais ce n’est que pour mieux s’abandonner aux mains impénétrables de l’inertie une fois le moment venu. Dès lors, le destin n’aura plus que deux issues parmi lesquelles trancher. S’il n’est pas mené vers le sauvetage héroïque, le défenseur sera alors effacé, oublié, et, spectateur impuissant du triomphe de son adversaires au détriment des siens, on fera de lui le parangon de la naïveté et le responsable de la perte.
Pour faire tourner les vents en sa faveur, pas de secret. Un engagement qui ne tressaille pas face aux plus grands risques, et une humilité sans pareil. Avant d’espérer s’élever sur la dépouille meurtrie de son rival, il faut d’abord s’aplatir devant lui.
Le défenseur se départit de son rôle de chasseur pour adopter celui de la balle de fusil. Il se jette dans la fosse, tentant le tout pour le tout afin de protéger l’honneur de sa tribu. Le public, tritagoniste au sein du théâtre, assiste à la tragédie, impuissant. Le souffle coupé, un silence imperceptible, instantané, s’installe. Les cnémides s’entrechoquent, l’attaquant se voit dépossédé de son ptéryge et du cuir précieux qui faisait son orgueil. Déséquilibré, il tombe, découvrant à son tour la bassesse dont son vis-à-vis s’est extirpé. Fièrement paré de ses nouvelles armes, le défenseur s’est fait devant tous le sujet d’une métamorphose ovidienne. Tous les regards sont désormais tournés vers lui. Ils ont été arrachés sans pitié de l’attaquant tombé, laissé pour mort sur un champ de bataille qui, bientôt, reviendra sur ses pas. Lui, que tous admiraient ou jalousaient, soutenaient ou convoitaient, laisse désormais parfaitement indifférent, comme s’il était enterré dans l’herbe courte.
Soudain, le cours du temps peut reprendre, la pièce est finie et le vainqueur annoncé. Honte au perdant car les Dionysies tiennent leur nouveau champion.
Jonathan Tunik et Thomas Rodriguez-Onteniente
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