Le Mouloudia Club d’Alger, plus connu sous l’appellation de Mouloudia, est un des clubs les plus titrés d’Algérie. Bientôt centenaire, ce dernier est considéré comme le premier club « musulman » de l’histoire du pays. En effet, le Mouloudia possède une histoire particulière, ponctuée de péripéties politiques et sportives. Une histoire qui débute durant la colonisation française, au temps d’un autre football.
La France est présente en Algérie à partir de 1830. En 1848 le territoire algérien s’organise en trois départements : Alger, Oran et Constantine. C’est sur cette base que s’est construit le championnat colonial sur le territoire : trois ligues départementales avec plusieurs divisions.
Les autorités coloniales encadrent drastiquement le bon déroulement de ces trois ligues. Celles-ci veulent éviter les incidents, mais aussi la remise en cause de l’autorité à travers d’éventuelles victoires sportives « indigènes ». Tout au long des années 1930, une série de circulaires vont dans ce sens. Les autorités coloniales tentent de « fusionner » le football européen et musulman. Une première circulaire en 1930 impose le recrutement obligatoire d’au minimum trois joueurs européens dans les équipes musulmanes. Ce chiffre monte à cinq dans une circulaire de 1935. Cette dernière circulaire impose aussi la mixité dans les instances dirigeantes. Le Mouloudia se plie à ces exigences et recrute des joueurs européens dans les années 1930 comme Costa, Macia (deux européens) et Albor (un argentin). Du côté des dirigeants, c’est Louis Roze, un non-musulman, qui intègre le bureau central du Mouloudia, complété par Brahim Derriche et Mohan Tiar, ce dernier assurant la présidence.
La Seconde Guerre mondiale est un tournant pour le ballon rond en Algérie. Le contexte de guerre oblige l’autorité coloniale à suspendre les circulaires, dans le but de contenir les mécontentements et d’apaiser les tensions. Les associations musulmanes se multiplient, ainsi que les clubs. Au lendemain de la guerre, le renouveau du nationalisme algérien pousse les autorités à définitivement abandonner les circulaires sur la mixité dans le football algérien. Le 30 mars 1936, le général Henri Giraud, à la tête de la division militaire d’Oran, déclarait la chose suivante à L’Echo d’Oran : « Le sport doit être le lien qui permet d’unir Français et Musulmans dans le même désir de performances et de nobles aspirations, en éliminant toute rivalité de religions et de races ». C’était sans compter sur des clubs comme le Mouloudia qui transforment cet objectif en vœu pieux.
Doyen et symbole du football musulman
Le Mouloudia Club Algérois naît officiellement le 7 août 1921. Une date où il obtient son statut auprès des autorités coloniales. La création du club est le fruit de jeunes de la Casbah (ou médina, correspondant à la vieille ville d’Alger), avec à leur tête, Abderrahmane Aouf. Ces jeunes parviennent à surmonter toutes les barrières administratives pour réaliser leur rêve : créer leur propre équipe de football. Le club adopte le nom de Mouloudia Club d’Alger (MCA) en 1930.
L’article premier du club indique qu’ « il est constitué une société entre jeunes gens musulmans à dater du 31 juillet 1921 » et l’article 2 précise que « ce groupement a pour but de réunir tous les jeunes musulmans désirant pratiquer les sports ». Le MCA cultive une symbolique islamique et nationaliste, tout d’abord par ses couleurs : le vert et le rouge. La première est la couleur historique de l’islam tandis que la seconde est dans la tradition, « la couleur favorite du Prophète ». Le Prophète Muhammad à qui l’on rend également hommage par le nom « Mouloudia ». Un nom qui fait référence au Mawlid, une fête célébrant la naissance du Prophète, au douzième jour de Rabia al Awal, le troisième mois du calendrier musulman.
En 1921, le club intègre le bas niveau du football algérois. Quinze longues années et trois barrages plus tard, le Mouloudia atteint l’élite de la Ligue algéroise. C’est lors de son accession en première division que le MCA voit émerger un nouveau voisin, qui deviendra plus tard son rival, l’Union Sportive de la Médina d’Alger (USMA), fondée le 5 juillet 1937.
Par deux fois, en 1940 et 1945, le Mouloudia l’emporte en première division de la Ligue d’Alger. Il est le seul club musulman à réussir une telle performance. Néanmoins, il demeure dans l’ombre des clubs européens, comme l’A.S Saint-Eugène et le F.C Blidéen, respectivement six et sept fois champions de la Ligue d’Alger. Mais l’important est ailleurs, particulièrement dans les tribunes. Dans les années 1950, les incidents se multiplient lors des rencontres du Mouloudia, particulièrement après les événements de ce que l’on nomme aujourd’hui « La Toussaint Rouge » – Plusieurs attentats commis par le Front de Libération Nationale le 1er novembre 1954, une date marquant rétrospectivement le début de la Guerre d’Algérie.
Le club est très populaire auprès de la jeunesse musulmane de la ville. Lors d’un match opposant le Mouloudia à l’A.S Saint-Eugène, le 11 septembre 1955, le commissaire d’Alger, évoque dans son rapport une « tribune visiteuse de 5000 personnes ». La semaine précédente, le Mouloudia affrontait l’Olympique Hussein-Dey. Cette fois-ci, le commissaire de Saint-Eugène parle de 3000 personnes, en majorité « supporters musulmans du Mouloudia ». Surtout, les matchs sont le théâtre d’incidents à connotation politique et ethnique. Lors du premier match, le commissaire Jean Builles rapporte la chose suivante : « les supporters du Mouloudia se font remarquer en insultant les joueurs musulmans jouant pour l’équipe européenne ».
À la fin du match contre l’Olympique Hussein-Dey, le commissaire concerné évoque des scènes d’émeutes entre les gendarmes et « 300 supporters qui se sont massés à l’entrée du stade ». Ces matchs et incidents mettent en scène l’affrontement entre jeunes algérois et forces de l’ordre, mais aussi celui symbolique entre supporters musulmans et clubs « européens » puissants comme l’A.S Saint-Eugène.
En 1956, advient une séparation définitive entre football musulman et européen. Le 11 mars 1956 L’A.S Saint-Eugène et le Mouloudia s’opposent une nouvelle fois. La rencontre se termine sur un score nul. Des bagarres éclatent entre supporters lors du but égalisateur du MCA. Prise de colère, la foule les tribunes envahit le terrain. La police intervient et de nombreux supporters sont blessés et arrêtés. La direction du Mouloudia proteste et menace de retirer son équipe des compétitions officielles. Une menace mise à exécution 13 mars 1956.
Le club est soutenu et suivi dans sa démarche par son voisin de la Casbah, l’USMA. Par la suite, profitant de ce mouvement contestataire, le FLN appelle l’ensemble des clubs musulmans à un boycott général des compétitions. L’ensemble des clubs musulmans algériens décident de suivre cet appel. La rupture est consommée. Les équipes musulmanes réapparaitront le 7 octobre 1962, pour le premier championnat de l’Algérie indépendante.
Après l’indépendance, les sommets
Au sortir de la Guerre d’Algérie, le Mouloudia constate la mort de nombreux de ses joueurs comme Basta Ali, ce qui renforce son image de club anticolonial. En 1962, le football reprend ses droits et se déroule la première édition du championnat algérien. L’Algérie indépendante adopte une nouvelle formule de compétition, légèrement modifiée. Si les trois ligues persistent, celles-ci s’organisent de manière autonome. Chaque ligue se forme de plusieurs groupes. Le vainqueur d’un groupe se qualifie pour un deuxième tournoi dans lequel est désigné le champion départemental. Le Mouloudia se hisse jusqu’en finale départementale pour cette première édition du championnat algérien, mais s’incline face à son voisin de la médina, l’USMA. Celui-ci s’impose face aux autres champions départementaux et devient le premier champion d’Algérie. Pour la saison 1964-65, le championnat abandonne cette formule et se dispute nationalement, sans ligues intermédiaires.
Hormis cette première finale, le Mouloudia ne fait pas partie des poids-lourds du football algérien des années 1960. Le meilleur est à venir, le club atteint son apogée durant la décennie 1970-1980. Le MCA remporte au cours de cette période cinq de ses sept titres de champion d’Algérie (1972, 1975, 1976, 1978 et 1979) qu’il possède, ainsi que trois coupes d’Algérie (1971, 1973 et 1976). L’année 1976 est celle de l’apothéose : en plus tu titre national et de la coupe, le Mouloudia remporte la Coupe d’Afrique des clubs champions (actuelle Ligue des champions de la CAF), la coupe continentale réunissant les plus grands clubs d’Afrique.
Lors de cette édition, le Mouloudia élimine tour à tour le géant égyptien d’Al-Ahly en quart de finale et le géant nigérian d’Enugu Rangers en demi-finale. En finale, le scénario est tout aussi épique. Le Mouloudia affronte le club guinéen d’Hafia Conakry, le match aller se déroule en Guinée, les algériens sont défaits 3-0. Au retour, les algérois renversent la situation de manière spectaculaire en l’emportant 3-0 avant de s’imposer 4 tirs au but à 1. S’il y a un joueur à retenir de cette décennie dorée, c’est le grand buteur Omar Betrouni (1968-1980), qui est notamment l’auteur d’un doublé lors de cette finale continentale retour de 1976. Cette année-là, qu’importe les poteaux carrés de Glasgow et la défaite de Saint-Etienne face au Bayern Munich, le Mouloudia Club d’Alger était le plus grand club africain et une équipe magnifique qui venait de remporter sa seule Coupe d’Afrique des clubs champions.
Après un âge d’or incroyable, le Mouloudia tombe dans un « âge de plomb » d’une vingtaine d’années. Le club algérois se contente d’une victoire en coupe en 1983 et d’un titre de champion en 1999. Au cours des années 2000 et 2010, il réapparaît timidement sur le devant de la scène. Dans le même temps, le MCA est éclipsé par les succès continentaux et nationaux de son voisin de la Casbah et de l’Entente Sportive de Sétif. Néanmoins, le Mouloudia demeure une institution de premier plan et un symbole puissant. Surtout, il déchaîne toujours les passions, en témoigne le huit-clos imposé par les autorités pour le centième derby des frères ennemis que sont le Mouloudia et l’USMA, en 2016.
Sources :
- Paul Dietschy et David-Claude Kemo-Keimbou, Le football et l’Afrique, Editions EPA, Paris, 2008
- Lahcène Belahoucine, La saga du football algérien, Hibr Edition, Alger, 2010
- « Le commissaire Jean Builles de la circonscription d’Alger à Monsieur le préfet de la police générale », 11 septembre 1955, Archives nationales de l’outre-mer, Aix-en-Provence (ANOM)
- « Le commissaire principal chef de la circonscription de Police de Saint-Eugène à Monsieur le commissaire divisionnaire de la circonscription d’Alger », 8 septembre 1954, Archives nationales de l’outre-mer, Aix-en-Provence (ANOM)
Crédits photo : Mouloudia Club d’Alger