Mai 1967. Deux ans après le second succès consécutif de l’Inter en Ligue des Champions, le club milanais est partout dans la presse : grands favoris de la finale qui approche, difficile de ne pas parler de leur future victoire quasiment acquise. Face à eux, le Celtic FC, club de l’une des plus grandes villes d’Ecosse : Glasgow. Affirmer que cette équipe est arrivée à ce stade de la compétition par miracle est un euphémisme : au lancement du tournoi, il semble inespéré pour les joueurs de Glasgow de passer le premier tour. Lorsque l’Estadio Nacional de la capitale portugaise se met à gronder pour le coup d’envoi, rien ne se passe comme prévu. Une légende nait alors : celle des Lions de Lisbonne.
LIRE AUSSI : Celtic FC – Rangers FC : Le Old Firm, quand un derby relie football, sectarisme et religion
A l’aube de la saison 1966-1967, le Celtic Glasgow ne pouvait se douter de l’épopée qu’il allait vivre et faire vivre à ses supporters, qui parcourront l’Europe pour encourager leur équipe. Avec des joueurs uniquement nés dans la ville de Glasgow ou dans sa banlieue, cette équipe faisait pâle figure face aux monstres européens qu’elle allait devoir affronter. Pourtant, au fil des jours et de la saison, Jock Stein parvenait à embellir et renforcer cette équipe de joueurs à peine professionnels. Zurich, Nantes, Prague… tous tombèrent sous la tactique de l’entraîneur écossais qui, parallèlement, régnait en maître sur son championnat et sa Coupe nationale. Le niveau écossais étant particulièrement faible, cela ne suffit pas pour alerter les amateurs de football européens : il n’y a rien d’exceptionnel à dominer ce championnat, et la qualification du Celtic Glasgow jusqu’en finale de la Coupe d’Europe des clubs champions et plus due à la chance qu’au talent.
En tout cas, c’est ce que les quotidiens sportifs italiens rapportent lorsque l’adversaire de l’Inter est connu : il n’y a pas de doute possible, le club milanais ne fera qu’une bouchée de ces ouvriers arrivés ici par erreur. Le mardi 23 mai 1967 donne alors naissance à une succession d’événements imprévus côté italien, mais totalement calculés côté écossais.
« Au début de la saison, la Coupe d’Europe ne faisait pas partie de nos plans. On voulait juste profiter de notre qualification et s’amuser au maximum à travers le continent. » Bobby Lennox, ailier gauche du Celtic cette saison.
Un avant-match aux goûts de condescendance et de mépris
L’Inter, supérieure en tous points à cette équipe de Glasgow, ne s’en est pas caché. Avant le match, les joueurs et l’entraîneur nerrazurri ont fait preuve de moqueries à l’égard des joueurs du Celtic, qui l’ont raconté dans divers médias à la suite de cet évènement. Arrivés le mardi matin à Lisbonne, deux jours avant la finale, l’entraîneur du club écossais commença alors sa partie d’échecs, avançant ses pions un à un et tendant un piège improbable à l’Inter. Le soir-même, il annonça la composition de son équipe et annonça que l’entraînement du club du lendemain se ferait dans le stade de la finale, avec les portes grandes ouvertes. La stratégie était en place.
Mercredi matin, les joueurs de l’Inter vinrent regarder l’entraînement du Celtic depuis les tribunes, riant aux éclats à chaque exercice.
Ils riaient bien en nous regardant. Je pense qu’ils étaient persuadés qu’ils allaient arriver sur la pelouse, gagner et repartir les mains dans les poches. Ils étaient là, assis, en train de se moquer de nous, alors le coach nous a dit « OK, on ne va quasiment rien leur montrer, on va se moquer d’eux », et il a réussi. » Stevie Charlmer, attaquant de pointe.
La stratégie de Jock ? Intervertir les postes de chaque joueur. Sachant que l’Inter allait forcément s’entraîner en fonction du comportement de l’équipe adverse, l’entraîneur décida de fausser l’entraînement, faisant jouer les joueurs à des postes qu’ils ne connaissaient pas du tout. L’Inter, évidemment, pensait alors que tout était déjà joué.
« Ils avaient gagné le trophée deux fois de suite sur les trois dernières années et avait également gagné la Coupe du Monde des clubs : ils avaient des joueurs exceptionnels. » Bobby Lennox.
Du côté écossais, la peur régnait forcément, comblée par la joie d’être parvenu jusqu’ici et d’avoir fait de son mieux. Le déséquilibre était énorme, et personne ne croyait à un éventuel succès de la part du Celtic Glasgow.
« Qui avait déjà entendu parler d’une équipe de joueurs venant tous de Glasgow allant jusqu’en finale de Coupe d’Europe ? Tout le monde pensait qu’il serait impossible de battre l’Inter. » Jackie Connor, bookmaker et ami de l’entraîneur du Celtic, Jock Stein.
Un climat de peur rapidement effacé par une rage de vaincre à toute épreuve
Lorsque les deux équipes s’approchent de la pelouse de l’Estadio Nacional de Lisbonne, les joueurs de Glasgow remarquent immédiatement la différence entre les deux camps.
« Quand on les a vus à côté de nous, ils mesuraient tous plus d’un mètre quatre-vingts, avec un bronzage parfait, des cheveux gominés et un sourire de publicité pour dentifrice. Ils s’étaient même parfumés. A côté, nous avions l’air de nains. Moi, j’avais déjà perdu mes dents. Pareil pour Bobby Lennox et Ronnie Simpson. Les Italiens nous regardaient de haut et nous, nous répondions avec des sourires édentés. Je pense sincèrement qu’ils croyaient que nous sortions d’un cirque ! » Jimmy Johnstone.
Au coup d’envoi, dans une ambiance folle et assourdissante, les pronostics se confirment. L’Inter obtient un penalty discutable qui crée la discorde sur le terrain, et Mazzola, la vedette italienne de l’époque, dépose le ballon au fond des filets sans difficulté. Jock Stein demande alors à ses joueurs de se relever et de laisser passer la frustration. Alors que le fameux catenaccio de Herrera se met en place, les écossais harcèlent les buts intéristes. Malheureusement, si les défenseurs ne parviennent pas à dégager, c’est le formidable Giulano Sarti qui sauve son équipe à coups de parades exceptionnelles. Tout se passe à merveille lorsque les deux équipes retournent au vestiaire : rien n’est passé et rien ne passera.
« Ils étaient la meilleure équipe et disposait du meilleur entraîneur du monde. S’ils marquaient, vous pouviez juste faire vos sacs et rentrer chez vous. Ils étaient invincibles. » Jackie Connor
Finalement, l’égalisation vient d’une frappe dévastatrice signée Tommy Gemmel, défenseur central du Celtic. Tout un symbole pour Jock Stein, qui triomphe sur le football défensif prôné par Herrera. A la 64ème minute, les deux équipes sont à égalité et tout est relancé.
Stevie Chalmers vient ensuite récompenser les efforts offensifs de son club en décochant un boulet de canon à quelques mètres de la cage. Ces anciens ouvriers, mineurs et agriculteurs reconvertis au football viennent de réaliser l’impossible : remporter l’un des trophées les plus prestigieux du football mondial. Le stade explose, et lorsque l’arbitre signe le coup de sifflet final, le stade est immédiatement envahi par les supporters.
Du côté des principaux acteurs de la rencontre, l’heure est au débrief.
Mazzola, unique buteur intériste de la rencontre, analyse cet échec : « On a été mis sous pression, surtout en deuxième période, et le match ne s’est joué que sur une seule cage : la nôtre. Eux, ils jouaient avec une variante offensive du classique 4-4-2 anglo-saxon, parce que leurs deux ailiers – Johnstone à droite et Lennox à gauche – jouaient véritablement comme des attaquants extérieurs. Du coup, Burgnich et Facchetti étaient sans cesse agressés par leur vitesse. Giacinto, qui représentait à l’époque notre attaquant-milieu-ailier-latéral, n’a pas pu monter une seule fois dans la moitié adverse. Ils avaient tout le temps le ballon. »
De l’autre côté, Jock Stein se félicite d’avoir gagné de cette façon. « Vous avez devant vous l’homme le plus fier du monde. Il est important de gagner, certes, mais c’est notre style que j’ai particulièrement aimé, au-delà du résultat. Nous avons pratiqué un vrai football, un football pur, spectaculaire et inventif »
Après plusieurs journées d’humiliation et de moqueries incessantes, les hommes de Jock Stein repartent avec la Coupe d’Europe des clubs champions, devenant ainsi la première équipe à réaliser le triplé Championnat – Coupe Nationale – Coupe d’Europe. Comme si cela ne suffisait pas, le Celtic remporte également la Coupe d’Écosse et la Coupe de Glasgow, soit la totalité des compétitions dans lesquelles le club était engagé. De longues minutes après la fin du match, les supporters du Celtic Glasgow continuent de danser, de boire et de célébrer leur victoire sur la pelouse du stade. Plus tard, ils envahissent les pubs de Lisbonne et font vivre à la ville une soirée magique, la plongeant dans un bain vert et blanc. Quelques mois après un début de saison sans intérêt particulier, les Lions de Lisbonne étaient nés.
« Sixty Seven,
In the heat of Lisbon,
The Celts they came in thousands,
To See the Bhoys Become Champions »
Sources :
- « Lions de Lisbonne, une légende bien vivante », FIFA.com.
- Chris Hunt, « In their own words: How Celtic’s Lisbon Lions shocked ‘unbeatable’ Inter in 1967 », FourFourTwo, 25 mai 2017.
- « Une tornade nommée Celtic », L’Équipe – 50 ans de coupes d’Europe, 2005.
- Markus Kaufmann, Antoine Donnarieix, « Le jour où le Celtic a vaincu le stratège Herrera », sofoot.com, 19 février 2015.
- Adam Kay, « The Lisbon Lions: Celtic’s most worthy heroes », These Football Times.
- These Football Times – Celtic.
- Adrien Debarque, « Mai 1967, le Celtic sur le toit de l’Europe », TLMSF, 6 mai 2013.
- « Lisbon Lions », Wikipédia.
Crédits photos : Icon Sport