La République est proclamée au Brésil le 15 novembre 1889. Jusque dans les années 1960, l’armée obtient toujours un rôle important dans les crises politiques mais n’est jamais prééminente au point de s’imposer au pouvoir devant les civils. C’est pourtant le cas en 1964 lorsque se met en place un régime militaire. L’État se transforme peu à peu en une administration d’officiers, la société civile se voit privée de ses droits. Malgré des crises et une variation d’intensité, la dictature militaire se prolonge jusqu’en 1985. Nous pouvons la qualifier de répressive, ultranationaliste, populiste et surtout anti-subversive. Cependant, des Brésiliens luttent de l’intérieur et s’opposent à cette dictature. Parmi eux, le footballeur Afonsinho.
Né en 1947 à São Paulo, Afonso Celso Garcia Reis devient Afonsinho. Cet étudiant en médecine voit donc la dictature arriver dans son pays natal alors qu’il est adolescent. Lors de ses études, il fréquente des milieux de gauche et prend conscience de la gravité politique du régime dans lequel il vit. Il manifeste et constate la répression menée par les militaires à cheval dans les rues du Sudeste. Pour s’engager concrètement contre la dictature, il choisit le football. Afonsinho dit que son amour du football et du ballon est absolu. La liberté a été un des principes fondamentaux de son éducation, il en apporte donc dans son sport qu’il pratique en famille, à l’école ou sur les plages. Il est décrit par ses pairs comme un joueur extraordinaire, jouant avec la tête avant les pieds. Afonsinho accorde autant d’importance à la vision et à la prise de conscience de l’espace. Son jeu est d’avoir la même perception du terrain de football que de la vie.
Parallèlement à Afonsinho, Gilberto Gil, né en 1942, connaît le même besoin d’engagement que le jeune étudiant en médecine. Le chanteur brésilien est influencé par les Beatles et souhaite apporter de l’universalisme dans une musique brésilienne traditionaliste et archaïque. Pour militer, il s’inspire de Lennon et McCartney et utilise la musique populaire pour fédérer autour de la résistance à l’oppression. Le point commun entre Afonsinho et Gilberto Gil est la subversion. Celle-là même que la dictature militaire réprime. Pourtant, à travers le football et la musique, ces deux Brésiliens changent les choses.
Comparé par son entraîneur à un chanteur de yé-yé, Afonsinho porte la barbe et les cheveux longs. Il évolue à Botafogo depuis 1965 dans un club aux dirigeants conservateurs. A la fin de la décennie 1960, son club lui demande de se raser puisque son physique est à l’opposé du modèle promulgué par le régime militaire. Le joueur brésilien refuse. Sa pilosité est un acte politique, il dit d’ailleurs s’être inspiré de Che Guevara pour sa barbe. Il est alors écarté du groupe entre 1968 et 1970 mais est forcé de jouer au football pour payer ses études : il évolue à Olaria avant de revenir au club carioca en 1971. S’il joue pour Botafogo, son salaire est suspendu. Afonsinho attaque alors son club en justice : il réclame le droit de négocier ses contrats et de choisir où il peut être transféré (oui, vingt-cinq ans avant l’arrêt Bosman !). Le joueur rebelle n’hésite pas aujourd’hui à comparer la situation des footballeurs de l’époque à celle d’esclaves. Ce manque de liberté d’aller et de venir est une atteinte aux Droits de l’homme.
Au même moment, Gilberto Gil continue à chanter ses textes engagés socialement et politiquement avec son ami Caetano Veloso. Ils sont emprisonnés en 1969 et finalement s’exilent à Londres. Cela permet à Gilberto Gil de chanter aux côtés de groupes comme Pink Floyd et Yes. Il poursuit son travail d’intégration de l’universalisme dans la musique brésilienne face au nationalisme régnant. Cette lutte donne naissance à un mouvement artistique : le tropicalisme. Le chanteur va notamment participer à l’intégration du rock et du reggae au Brésil.
Afonsinho de son côté gagne son procès face à Botafogo. Il est donc libre de négocier lui-même et de décider de la suite de sa carrière avant la fin de son contrat. Il profite de cette victoire pour enchaîner les clubs afin de promouvoir ce combat qui au-delà de lui, concerne tous les footballeurs et symbolise une libération au sein de ce métier. Afonsinho n’a jamais joué en Europe et n’a jamais été convoqué avec la Seleção étant donné la relation étroite entre la Fédération et l’État. Pourtant, il est considéré comme un grand joueur. Il ne fait pas tâche aux côtés de Pelé lorsqu’il joue à Santos et de nombreux Brésiliens estiment que sans son engagement politique, il aurait été des Coupes du Monde 1970 et 1974. Aujourd’hui, Afonsinho n’a pas de regret sur son choix, il argumente même en disant que le Brésil n’a rien gagné entre 1970 et 1994. Romário, champion du monde en 1994, regrette qu’il y ait trop peu de joueurs comme Afonsinho dans l’histoire du football brésilien. Le joueur subversif a donc marqué l’histoire de son sport dans son pays bien qu’il n’ait jamais porté le mythique maillot jaune. Il poursuit ses études et devient psychiatre. Il s’occupe de l’insertion des handicapés mentaux dans la société et utilise notamment le football pour le faire.
En 1973, Gilberto Gil sort d’une tournée aux États-Unis et écrit le titre Meio de Campo. Cette chanson est dédiée à Afonsinho. Elle évoque ce joueur insoumis qui s’est dressé face à la dictature militaire et est chantée par un artiste qui, lui aussi, a su lutter au grand jour face à un régime répressif.
Traduction de la chanson Meio de Campo :
Cher ami Afonsinho
Je continue à perfectionner l’imparfait en prenant du temps
en méprisant la perfection.
Que la perfection est un but défendu
par le gardien qui joue dans la sélection
et je ne suis ni Pelé ni rien
mais si c’est trop, je suis Tostão.
Marquer un but dans ce match n’est pas facile, mon frère.
Dans les années 1980, un autre «docteur» va marquer l’histoire du football brésilien et faire passer Afonsinho dans l’oubli : Sócrates. Aujourd’hui, Afonsinho transmet toujours son amour du football et sa vision de ce sport aux jeunes Brésiliens. Il demeure un symbole de résistance à l’instar de Gilberto Gil. Les deux subversifs ont su lutter face à la dictature. Quand Romário regrette le manque de joueurs comme Afonsinho, il évoque peut-être aussi ce manque de subversion dans le football et dans un monde pourtant fourni en régimes politiques nationalistes, populistes et répressifs.
Sources :
-ENDERS Armelle, Nouvelle histoire du Brésil, Editions Chandeigne, 2008
-MINONZIO Pierre-Etienne, Petit manuel musical du football, Le mot et le reste, 2014
-PESSANHA Ricardo & CONTEIRO Carla Cintia, Gilberto Gil, L’enchanteur tropical, Editions Demi-Lune, 2014
et également
–Passe Livre, CALDEIRA Oswaldo, 1974
–Les Rebelles du foot, 13 Productions & Canto Bros Productions