La Coupe de France est une compétition historique et majeure du football français. Chaque année, les différents tours permettent de mettre en lumière les nombreux clubs amateurs qui font le ballon rond hexagonal. De la finale de Calais en 2000 à celle de l’U.S Quevilly en 2012, en passant par tous les matchs opposant un « petit poucet » à l’ogre professionnel, la « magie de la coupe » semble totale et sincère. Cependant, certaines polémiques nous poussent à prendre du recul sur ce qu’a été la Coupe de France et sur ce qu’elle est aujourd’hui.
Plusieurs épisodes concernant notre sacro-sainte Coupe de France secouèrent le monde du football français. Le premier, concerne l’Olympique de Marseille, qui, après avoir éliminé le club de Trélissac en 32es de finale, s’en était aller sans laisser sa part de la recette au club amateur comme le voudrait la « coutume ». Le pensionnaire de National 2, par l’intermédiaire de son président, ne manqua pas de le faire remarquer. Ce qui fit couler beaucoup d’encre et provoqua moult débats, en plus de provoquer une passe d’armes médiatique plutôt inappropriée entre les deux clubs.
Par la suite, le manque de souplesse des instances vis-à-vis de José Remi en choqua plus d’un. Ce dernier, pour fêter son but face au FC Metz, retira son maillot pour dévoiler celui de son ami, le joueur guingampais Nathaël Julan. Celui-ci était tragiquement décédé dans un accident de voiture quelques jours plus tôt. Comme le veut le règlement, le premier, pour son hommage au second, écopait d’un carton jaune pour ce geste. Les appels à la clémence afin de lui éviter de rater le tour suivant, opposant son club du FC Rouen au SCO d’Angers, ne furent pas entendus. Ces événements, bien que différents, relèvent d’un certain malaise entourant la Coupe de France et son « esprit populaire ».
Le divertissement populaire, voilà peut-être ce qui pourrait le mieux qualifier la représentation que se fait sans doute notre société de la Coupe de France. Les stades champêtres, les encouragements réservées aux joueurs des plus petites équipes et exploits sportifs de ces derniers sont autant d’éléments censés caractériser cette compétition qui fut très longtemps reine en France. Le Red Star FC, est un de ces clubs qui fit et qui fait l’histoire de cette coupe.
La coupe et l’étoile rouge
Hier, le club de Saint-Ouen disputait une rencontre de la plus haute importance. Celle-ci devait se dérouler dans son mythique Stade Bauer. En effet, il était prévu que les Audoniens reçoivent l’OGC Nice pour les 16es de finale. En raison de l’opposition de la Fédération Française de Football, la rencontre fut inversée – défaite pour les audoniens sur le score de deux buts à un à Nice. Une nouvelle décision inconcevable – des problèmes de sécurité furent invoquées pour un stade qui est logiquement homologué pour une telle rencontre selon les statuts de la FFF – , s’ajoutant aux précédentes, loin de servir les intérêts médiatiques de la Coupe de France. D’autant plus que pour l’étoile rouge, cette coupe signifie beaucoup et que l’an dernier, le Stade Malherbe de Caen, alors en Ligue 1, s’était effectivement rendu à Bauer.
Les succès des années 1920, de ce qui s’appelait alors le Red Star Olympique, occupent une grande place dans l’histoire. Le club audonien a écrit les plus belles pages de la sienne avec ses victoires dans l’épreuve. Des victoires qui s’élèvent aujourd’hui au nombre de cinq.
Retour dans le passé. Nous sommes le 24 avril 1921, le Red Star est en finale de la Coupe face au tenant du titre, l’Olympique de Paris. Dans le stade Pershing, se sont 18 000 personnes qui assistent au premier sacre du club à l’étoile rouge fondé par Jules Rimet, tout juste élu président de la FIFA – le 1er mars 1921. Ce premier succès marque le début d’une décennie dorée pour le club. L’année suivante, c’est un club de la province qui monte à Paris pour tenter de ravir sa couronne au tenant du titre : le Stade Rennais, qui s’appelle alors le Stade Rennais U.C (Université Club). Les Bretons peuvent compter sur nombre d’expatriés dans la capitale pour les soutenir. Mais il n’en est rien, le Red Star remporte sa deuxième Coupe de France devant 25 000 spectateurs. Dans ces années de victoires le club à l’étoile peut s’appuyer sur des joueurs aguerris et internationaux, à l’instar du gardien Pierre Chayriguès.
Les vert et blanc – qui ne le sont pas encore puisque les couleurs du club sont alors le bleu marine et le blanc – ne s’arrêtent pas en si bon chemin. L’année suivante, en demi-finale de l’édition 1922-23, le club retrouve une vieille connaissance, l’Olympique de Paris. Encore une fois, les Parisiens ne résistent pas aux joueurs audoniens et perdent le match 1-0. En finale, le Red Star croise le FC Sète – FC Cette en ce temps, tout comme le nom de la ville qui n’a pas encore été modifié. Les Héraultais sont menés de trois buts au bout d’une dizaine de minutes. C’est un match spectaculaire qui se termine sur le score de 4-2. Par la suite, le club remporte encore deux nouvelles éditions de la Coupe de France, en 1928 et en 1942.
Encore aujourd’hui, le Red Star Football Club est l’un des clubs français les plus titrés en Coupe avec ses cinq titres. Il est d’ailleurs le premier club à conserver sa coupe d’une année à l’autre et le seul à remporter la compétition trois années d’affilée avec le LOSC des années 1940 et le PSG des années 2010. Par ces chiffres, le Red Star se positionne indéniablement comme un des grands noms de la Coupe de France. Il fait partie des grandes histoires qui font cette compétition, une histoire qui aurait mérité de s’écrire de nouveau sur la pelouse du Stade Bauer, hier.
Une lente agonie ?
La Coupe de France reste une témoin privilégiée de grands moments. Elle qui fut remise par le général de Gaulle à Rachid Melkhloufi en 1968 alors que celui-ci était encore, quelques années auparavant, un rebelle séparatiste ayant rejoint l’équipe du FLN (Front de Libération Nationale) durant la Guerre d’Algérie. Elle est aussi celle qui vit l’épopée fantastique de Calais, celle de Quevilly, ou encore celles des Herbiers et de Chambly en 2018. Des épopées qui sont autant de points sur la carte, parfois oubliés par le reste du territoire et qui réapparaissent ponctuellement grâce au football.
Tout comme le Tour de France en cyclisme, la participation des équipes amatrices permet au football de faire son propre tour de la France. Alfred Wahl, historien français spécialiste du football et de l’Allemagne contemporaine, considère que c’est au moment ou « le ballon rond a rencontré la France paysanne » qu’il a « parfait sa conquête de la société ».
Ces dernières années, la domination presque sans partage du Paris Saint-Germain dévalue l’appétit du passionné pour cette Coupe de France dont le suspense se meurt – le club de la capitale a remporté quatre des cinq dernières éditions. Dans le même temps, l’intérêt du simple spectateur est décuplé. C’est un constat que l’on peut tirer en regardant la teneur des tribunes de Ligue 1 qui se remplissent rarement complètement, hormis lors de grandes affiches.
La situation est bien plus criante lorsque l’affiche en question concerne la Coupe de France et un modeste club amateur. Le supporter local veut autant affirmer sa fierté d’appartenance à une ville, voire souvent à une région – dixit l’engouement entourant Les Herbiers et la Vendée en 2018 – que profiter d’un spectacle. Les mots de Christian Bromberger, ethnologue et auteur de plusieurs ouvrages sur le football, résument parfaitement la situation : « cette passion pour le club et sa ville n’excluant cependant pas le désir caché de voir de près les exploits des vedettes de l’équipe adverse ».
Si une crise de symbolique couve au-dessus de la tête de notre chère coupe, celle-ci peut révéler la crise en toile de fond qui se joue dans le monde amateur. Ces dernières années, les subventions publiques concernant le sport ne font que baisser. La polémique olympienne au sujet de la recette peut être révélatrice de cette crise de confiance et pécuniaire. La Coupe de France est une véritable opportunité pour ces clubs amateurs, sur le plan sportif, mais également sur le plan financier. L’écart se creuse entre les périphéries et les villes et fatalement, par extension, entre le football professionnel et le football amateur.
Si les éliminations d’équipes professionnelles semblent se multiplier ces dernières années, celles-ci pourrait s’expliquer par la place toujours importante qu’occupent les clubs amateurs, ou du moins l’importance sportive – et matérielle, comme expliqué précédemment – que représente l’épreuve dans l’imaginaire desdits clubs. Mais si tel est le cas, il est important de souligner que l’attrait que possédait cette compétition pour les clubs professionnels semble révolu. La priorité reste aujourd’hui le championnat. Le maintien pour les uns et la course à l’Europe pour les autres.
La puissance du PSG explique en partie la situation. Sans doute, les supporters les plus passionnés des clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 sont les derniers à considérer cette épreuve. La joie du peuple rennais l’an dernier peut remettre en cause ce constat, et ceci, de la plus belle des manières. Cependant, la trop longue absence de titres pour le Stade Rennais et une victoire en finale contre la toute-puissance parisienne peuvent être deux des grandes raisons de cette effusion joyeuse. La magie de la Coupe réside aussi en cela. Rappeler que dans le football, tout est possible le temps d’un match.
La vie et cette lente mort symbolique de la Coupe de France sont l’incarnation des évolutions du football mais aussi de notre société. Professionnalisation, marchandisation et métropolisation incessantes sont les facteurs des changements que subissent cette coupe, jadis tant convoitée. La disparition actée de sa sœur illégitime, la Coupe de la Ligue, prouve qu’une épreuve artificielle ne peut décemment vivre sans passion populaire et générale. Cette fameuse « magie de la coupe » survit tant bien que mal grâce aux exploits et à la participation du monde amateur, colonne primordiale de notre football et de la société de tous les jours.
Sources :
- Nicolas Rehany, « Football et représentation territoriale : un club amateur dans un village ouvrier », Presses Universitaires de France, « Ethnologie française », 2001
- Christian Bromberger, « Le football, entre fierté urbaine et déterritorialisation », Métro politiques, 2016
- Pierre Laporte et Gilles Saillant, Red Star, Mémoires du football, Sutton, 2005
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