Avant que sa talentueuse génération ne replace la Celeste sur les hauteurs du football international, une génération dorée avait déjà fait les beaux jours de « la Suisse d’Amérique du Sud » (un surnom donné en raison de la stabilité économique du pays). Coincée entre les géants argentins et brésiliens, l’Uruguay et ses trois millions d’habitants a réussi à se faire un nom aux yeux du monde entier au début du XXe siècle. Récit de l’une des équipes les plus titrées de l’histoire du ballon rond.
La domination sur l’Amérique latine
C’est en 1902 que la sélection uruguayenne naît. Introduit par des émigrés européens, comme dans beaucoup d’autres pays latino-américains, le football ne tarde pas à devenir un facteur important de la construction de l’identité nationale d’un pays officiellement indépendant depuis 1830. Mais avant de rafler trophée sur trophée entre 1916 et 1930, la Celeste s’oppose exclusivement à l’Argentine jusqu’en 1910 et un match contre le Chili.
En 1916, fini les trophées amicaux puisque Argentins, Chiliens, Brésiliens et Uruguayens s’accordent pour former la CONMEBOL (Confédération sud-américaine de football). Cet organisme va se charger de l’organisation du Campeonato Sul-Americano (Championnat sud-américain des nations), ancêtre de la Copa América. Pour la première édition en 1916, la Celeste reste invaincue et ouvre son compteur. Une victoire notable contre la Roja en ouverture (4-0) et un match nul (0-0) contre le rival argentin qui vient clôturer la compétition. Cette dernière rencontre est marquée par l’hostilité des supporters de l’Albiceleste et va un peu plus construire l’antagonisme entre les deux nations. Outre les cadors qu’étaient José Piendibene ou Isabelino Gradin, la sélection uruguayenne est emmenée par un étonnant duo joueur-entraîneur composé du défenseur Alfredo Foglino et du milieu de terrain Jorge Pacheco.
L’année suivante, c’est en Uruguay que le Championnat sud-américain des nations pose ses valises. A domicile, les hommes de Ramon Platero conservent leur titre en devançant encore une fois l’Argentine. Mais plus qu’un nouveau titre ajouté au palmarès du petit pays, cette compétition voit l’émergence d’Héctor Scarone. Celui qui sera une légende du football uruguayen quelques années plus tard fait, en effet, ses premiers pas avec la Celeste. Malgré ses deux buts, el Magico est devancé par son frère Carlos Scarone (3 buts) et son coéquipier Angel Romano (4 buts). En 1917 donc, à domicile, la « Suisse d’Amérique du Sud » maintient son statut.
En dépit de son caractère annuel, le Campeonato Sul-Americano n’est de retour qu’en 1919. L’ambition est toujours la même pour la Celeste : finir sur la première marche. Cependant, à égalité de points avec le Brésil après un match nul, une finale doit être organisée. Et cette fois, l’Uruguay des frères Scarone ne triomphe pas et s’inclinent le 29 mai 1919 face à des Auriverdes portés par Arthur Friedenreich (« le Tigre ») et Neco. Jusqu’en 1924 et les Jeux Olympiques, la Celeste ne laisse que des miettes à ses voisins. Huit éditions entre 1916 et 1924 et cinq titres pour cette dernière, qui s’impose comme la puissance footballistique du continent.
L’Uruguay s’exporte, et l’emporte.
Forte de son statut de Champion sud-américain, l’Uruguay reçoit une invitation à la première compétition qui réunit les sélections européennes et sud-américaines, le tournoi de football des Jeux Olympiques. Un an après son affiliation avec la FIFA (Fédération internationale de football association) en 1923, la Celeste traverse l’Atlantique pour aller disputer ce qui s’apparente à une Coupe du Monde.
En 1924, la France accueille les Jeux Olympiques d’été et vingt-deux sélections font le déplacement. Pour les Uruguayens, cette compétition constitue un test majeur et l’occasion de mettre en valeur les qualités du football sud-américain dont ils sont les seuls représentants. Peu connus par les observateurs et surtout très biens préparés, ces Uruguayens vont créer la surprise sur le sol français. Devant un millier de spectateurs venus au stade Olympique de Colombes, l’Uruguay donne le ton dès son premier match, contre la Yougoslavie. A l’heure de jeu, les Plavi (« Les Bleus ») sont déjà menés 6 à 0. Finalement, José Pedro Cea complètera son doublé à la 80e minute et la Celeste se dévoile. Un message envoyé, pour commencer, à leurs futurs adversaires qui ne les attendaient pas à ce niveau. Mais aussi au public qui va s’empresser d’aller au stade lorsque les premiers Sud-américains à participer à cette compétition vont fouler les pelouses françaises.
Ils n’étaient que 1000 à assister au tour préliminaire passé avec brio par les Uruguayens. Ils furent un peu plus de 10 400 lorsque ces mêmes joueurs ont affronté les Etats-Unis au Stade Bergeyre. Une fois de plus, la Celeste illumine le reste de la compétition. Étonnants, rafraîchissants, les Sud-américains apportent un nouveau style de jeu. Plus techniques et disciplinés dans le placement tactique, les coéquipiers de Pedro Petrone, auteur d’un nouveau doublé, vont ne faire qu’une bouchée des Etats-Unis. Un huitième de finale plié dès la pause avec trois buts dont un inscrit par le 20e « plus beau palmarès du football international » (classement établi par l’Equipe en 2002), Héctor Scarone. Avec cette victoire, les Uruguayens se hissent en quarts de finale et devront faire face aux hôtes, la sélection française.
Vainqueurs de la Lettonie sur un score fleuve (7-0), les Français seront incapables de résister face à la machine uruguayenne. Scarone ouvre le score dès la deuxième minute et l’égalisation de Paul Nicolas dix minutes plus tard ne sera qu’un écran de fumée pour les 45 000 spectateurs venus au Stade Olympique. L’attaque de la Celeste régale et s’impose 5 à 1 grâce à Scarone, Petrone et Alfredo Angel Romano. Tout le monde attend l’équipe de Leonardo De Lucca pour le dernier carré où ils devront affronter les Pays-Bas. Considérée comme une des sélections prétendantes au sacre, ces derniers ne parviennent pas à accéder à la finale et ce malgré l’ouverture du score par Kees Pijl.
Le 9 juin 1924, l’Uruguay affronte la Suisse, sérieux prétendant au titre, devant plus de 40 000 spectateurs. Ni même l’enjeu, ni même le public adulant la « Merveille Noire », José Andrade, n’arrivent à atteindre la confiance uruguayenne. Trois buts dont un du meilleur buteur du tournoi Pedro Petrone, pour conclure une compétition qu’ils auront survolés, pour le plus grand bonheur des Français enthousiasmés par la technique sud-américaine.
À Amsterdam, la Celeste confirme
De retour en Europe pour les Jeux Olympiques de 1928, les Uruguayens n’ont remporté qu’un seul Championnat sud-américain des nations. Ils arrivent d’Amérique latine avec leurs voisins argentins et chiliens mais surtout après avoir « lâché » deux titres continentaux à l’Albiceleste. La rivalité est à son paroxysme au début du tournoi organisé à Amsterdam.
Les deux sélections sud-américaines ne déçoivent pas et font un parcours sans faute. Alors que l’Uruguay se défait des Pays-Bas (2-0) en huitième de finale, puis de l’Allemagne (4-1) et enfin de l’Italie en demi-finale (3-2), l’Argentine déroule. 11 buts inscrits aux Etats Unis, six à la Belgique puis de nouveau six buts aux Égyptiens qui s’étaient hissés dans le dernier carré. Dans l’enceinte du Stade Olympique d’Amsterdam, la Celeste, égratignée lors des derniers Championnats sud-américains, a très à cœur de démontrer sa supériorité sur les Argentins. Mais le 10 juin, les deux formations se neutralisent. Un but de l’inarrêtable Pedro Petrone auquel répond l’argentin Manuel Ferreira. Les prolongations n’existant pas, un match d’appui est organisé pour départager les deux sélections. Trois jours plus tard, les Uruguayens arrivent à bout de leurs rivaux sur un score serré de 2 à 1 et soulèvent une deuxième fois d’affilé le trophée olympique.
La Coupe du Monde 1930 : l’apogée
Voyant le succès des tournois internationaux de football, la FIFA souhaite, dès 1928, organiser sa propre compétition. La fédération internationale confie donc l’organisation de cette compétition à l’Uruguay pour fêter le centenaire de l’indépendance du pays mais aussi pour des raisons économiques. Après le krach d’octobre 1929 et le début de la crise économique globale, l’Uruguay accepte de payer les frais de participation des équipes et de construire un nouveau stade, le stade Centenario. Seul quatre équipes européennes font le déplacement et les neuf sélections américaines viennent compléter les 13 participants.
Pour les Uruguayens, le chemin est tout tracé. La fête de l’indépendance, la confirmation de son statut établi sur les derniers Jeux Olympiques et la position d’hôte. Et pour cette première édition de la Coupe du Monde, la Celeste ne déçoit pas. Elle produit un jeu qui n’a jamais été aussi efficace et les joueurs de Suppici sont presque tous à leur meilleur niveau. L’Uruguay commence par écraser la concurrence roumaine et péruvienne de la poule 3. Et du fait des nombreux désistements de certaines sélections, les phases de groupes précèdent directement les demi-finales. Andrade et ses coéquipiers se retrouvent face aux Yougoslaves. Et comme lors du tournoi olympique de 1924, les Uruguayens s’en défont facilement sur le score de 6 à 1.
Comme un symbole, c’est l’Argentine qui est la première à atteindre la finale. Rejoint par l’Uruguay, toute l’Amérique du Sud attend la confrontation. 93 000 spectateurs et une ambiance étouffante attendent les joueurs en cette après-midi du 30 juillet 1930. John Lagenus, accepte d’arbitrer mais exige qu’un bateau soit prêt à partir une heure après la fin du match en cas de débordement. Menée par l’emblématique José Nasazzi, la Celeste ouvre le score. Le stade explose mais redescend très rapidement lorsque, huit minutes plus tard, Peucelle (20e) répond à Pablo Dorado. L’Albiceleste prend même l’avantage à quelques minutes de la pause grâce à Guillermo Stabile (37e). Mais les Uruguayens sont habitués à gagner, notamment face aux Argentins. La deuxième mi-temps est uruguayenne et Cea, Iriarte puis Castro en toute fin de match donnent sa première étoile à « la Suisse de l’Amérique du Sud ». Jules Rimet remet la première Coupe du Monde à Raul Jude (président de l’Association uruguayenne de football) et la Celeste entame son tour d’honneur, pour l’éternité.
Entre 1916 et 1930, l’Uruguay est sans aucun doute l’une des meilleures sélections au monde. Titrée, aimée et produisant un jeu novateur centré autour de buteurs prolifiques et de prodiges techniques, la Celeste est la référence. A l’aube de la fin d’une génération qui a redoré le blason de la sélection, il est vital de se rappeler de l’héritage lourd à porter qu’ont laissé les Pedro Petrone, Héctor Scarone, José Leandro Andrade et autres Isabelino Gradin.
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