Après avoir traité des cas de l’Olympique de Marseille, de l’AS Monaco puis du Paris Saint Germain, il est désormais temps d’aborder le cas de l’autre club phare de la période, les Girondins de Bordeaux. Club majeur du championnat de France dans les années 1980, Bordeaux est ensuite dépassé par son grand rival marseillais qui, on l’a vu, se frotte au début des années 1990 à Monaco puis au PSG avec qui naît une rivalité. Cependant, les Bordelais, qui subissent une relégation administrative en 1991, suivie d’une remontée immédiate, reviennent dans la course à l’Europe, compétition à laquelle ils ont goûté durant leurs grandes années.
LIRE AUSSI – Girondins de Bordeaux : premier promu et premier champion
Ne manquant le podium qu’à deux reprises durant toute la décennie 1980 (une 4ème et une 13ème places), remportant trois titres et deux coupes (dont un doublé en 1987), les Girondins de Bordeaux sont réellement le club phare du championnat de France, à l’aube de la décennie dorée du football français au niveau européen. Au niveau européen par ailleurs, les Girondins y sont puisqu’ils atteignent les demi-finales de la C1 en 1985 – année où ils parviennent à conserver leur titre de champion de France – et les demi-finales de la C2 en 1987, année du doublé. Menant huit campagnes européennes d’affilée, participant aux trois coupes européennes, les Girondins font le jalon entre les heures de gloire des Verts, qui apparaît lointaine, et les diverses épopées des années 1990. De plus, les Girondins vont eux-mêmes avoir le droit à leur propre épopée.
En effet, de retour en première division en 1992, les Girondins se replacent immédiatement dans le haut du championnat, à la quatrième place derrière – comme un symbole – l’OM, le PSG et Monaco. Cette année là, le meilleur buteur du club en championnat (10 buts) est un certain Zinédine Zidane, qui permet aux Marines et Blancs de retrouver des couleurs. Les Bordelais retrouvent logiquement la Coupe de l’UEFA la saison suivante, parvenant en huitièmes de finale après avoir éliminé les Bohemians et le Servette. A nouveau quatrièmes au terme de la saison 93-94, les Bordelais font moins bonne figure en UEFA la saison suivante en éliminant seulement les modestes Norvégiens de Lillestrøm puis chutant face aux Polonais de Katowice. Cette saison est décidément décevante puisque les Aquitains chutent à la septième place du championnat.
Cette septième place permet aux Girondins de participer à une « nouvelle » compétition la Coupe Intertoto. Ainsi le parcours européen des Bordelais va commencer très tôt durant l’intersaison, dès le mois de juillet. Le premier match européen des Aquitains lors de cette saison 1995-1996 va se jouer contre Norrköping, vénérable club suédois. Ce premier match se termine sur un score fleuve de 6 buts à 2 en faveur des quadruple champions de France. Lors du second match de poule de cette Intertoto, les Bleus et Blancs retrouvent les Irlandais de Bohemian qu’ils battent 4-0 en Irlande. C’est ensuite au tour des modestes Danois d’Odense de subir la loi des Bordelais à Lescure avec un nouveau 4-0. Enfin, pour le dernier match de poule, les Bordelais ramènent un point d’Helsinki et terminent cette phase de poule à la première place.
LIRE AUSSI : La Coupe Intertoto, une compétition (in)justement disparue ?
Viennent ensuite les huitièmes de finale. Cette fois-ci un plus gros morceau attend Bordeaux puisque c’est l’Eintracht Francfort qui se déplace en Aquitaine. Néanmoins les Allemands repartent la queue entre les jambes : défaite 3-0. En quarts, ce sont les Néerlandais d’Heerenveen qui vont perdre 2-0 à Bordeaux. C’est finalement l’heure des demi-finales, dernier tour de la compétition, et un nouveau club allemand se trouve sur la route de Bordeaux, le Karlsruher SC, qui avait lui aussi terminé premier de son groupe mais avait été un peu plus accroché en huitièmes et en quarts. Cette fois-ci la rencontre se joue en format aller-retour, les Girondins s’imposent 2-0 en Allemagne puis concèdent le nul 2-2 à domicile. Ainsi, ils remportent la première Coupe Intertoto organisée par l’UEFA et surtout, se qualifient pour la Coupe de l’UEFA. A noter que Strasbourg est l’autre vainqueur de la compétition cette année-là – à partir de la saison suivant il y en aura trois comme l’explique l’article cité plus haut – et qu’en quarts de finale on avait eu le droit à un derby contre Metz.
Voici donc les Girondins en Coupe de l’UEFA pour la troisième année de suite depuis leur remontée. Cette compétition, qu’ils commencent à bien connaître, ils se sont cette fois-ci battu plus qu’auparavant pour y parvenir puisqu’ils ont joué tout l’été, allant jusqu’en Irlande et en Finlande, afin d’obtenir leur qualification. Ils ne sont pas les seuls représentants français puisque pas moins de six clubs sont sur la ligne de départ dont le plateau est on-ne-peut-plus relevé. Voici une liste non-exhaustive des gros poissons présents lors des trente-deuxièmes de finale de cette édition 95-96 de la Coupe de l’UEFA : Inter et AC Milan, Bayern, Liverpool, Barcelone, Benfica, Manchester United… Et encore, en s’arrêtant là on n’a même pas cité tous les anciens vainqueurs de C1. C’est dire à quel point cette compétition pouvait être relevée et excitante avant que la transformation de la Ligue des Champions n’en ait raison.
Malgré la richesse du plateau, les Girondins ne tombent au premier tour que sur les Macédoniens du Vardar Skopje. Vainqueurs 2-0 à l’aller, le 1-1 concédé à Lescure ne les empêche pas d’accéder au tour suivant. Tour suivant qui fait voyager les Bordelais encore plus à l’Est puisque ce sont aux Russes de Volgograd qu’ils vont être confrontés. Vainqueurs 2-1 à l’aller et 1-0 au retour, les partenaires de Bixente Lizarazu continuent leur parcours qui n’est toujours pas entaché d’une seule défaite. En huitièmes, c’est le Real Betis qui va tenter de faire tomber le club au scapulaire. Comme au tour précédant, Bordeaux reçoit au match aller, remporte le match (2-0), mais perd cette fois-ci au match retour (2-1). Si la qualification est assurée, c’est la première défaite bordelaise depuis le début de leur campagne européenne en juillet. Ils étaient alors des centaines de clubs en lice, Bordeaux fait maintenant partie des huit derniers. A noter que ces huitièmes de finale ont été fatals aux deux autres derniers clubs français.
Alors que le parcours des Girondins de Bordeaux n’était déjà pas original, il va prendre une autre dimension avec ces quarts de finale, en raison de l’adversaire dont ils héritent. Sont encore en lice : Nottingham Forrest, l’AS Roma, le PSV, le Slavia Prague, le FC Barcelone, le FC Bayern et l’AC Milan. C’est sur ce dernier club que tombe Bordeaux et c’était peut-être le pire tirage possible. Pour rappel, les Rossoneri ont remporté la C1 en 1989, 90 et 94, ont été éliminé en quarts par l’OM en 91, ce qui a entraîné leur exclusion en 92, et ils sont finalistes de cette même C1 en 93 et 95. Ils sont donc vice-champions d’Europe en titre et alignent sur le terrain Maldini, Baresi, Dessaily, Baggio et le dernier Ballon d’Or George Weah.
LIRE AUSSI : Les sept clubs français qui ont tutoyé les sommets #4 : l’OM 1990-1991
Un quart de finale aux allures de finale
Comme attendu, le match aller, à San Siro, ne se passe pas bien pour les hommes de Gernot Rohr, puisque les Milanais battent facilement les Bordelais 2 à 0. Une formalité pour ces joueurs de classe mondiale qui font preuve de dédain vis-à-vis de leurs modestes homologues. Pour préparer la réception de l’AC Milan, l’entraîneur allemand amène ses joueurs au bassin d’Arcachon pour la mise au vert. Défaits à l’aller, mal en point en championnat, éliminés des coupes nationales, la situation ne se présente pas sous les meilleurs auspices. La Coupe d’Europe est la seule compétition qui réussit aux Bordelais depuis le début de la saison, ils y ont consacré une préparation spécifique du fait de la Coupe Intertoto qui se déroulait tôt dans la saison. C’est néanmoins un groupe soudé qui se retrouve au cap Ferret, un groupe de potes qui n’a plus grand-chose à perdre puisqu’ils restent sur deux défaites de suite dans la compétition. De plus, un autre élément de ce match fait que les joueurs peuvent encore croire à l’exploit : c’est le public. Le Collectif Virage Sud, regroupant Ultras et Devils, formé récemment, s’occupe de l’animation, lui qui a suivi son équipe depuis le début de cette campagne européenne un peu folle. Mais au-delà des supporters les plus fervents, c’est tout un peuple girondins qui pousse derrière les siens dès la sortie de l’hôtel. Lescure est comble bien avant le coup d’envoi et annonce la couleur à ses joueurs lorsque ceux-ci entrent sur la pelouse pour l’échauffement. La concentration des partenaire de Liza’ contraste alors avec la décontraction jugée provocatrice des Milanais. Gernot Rohr, qui garde dans sa poche la perle d’une huître trouvée à Arcachon, est positif et donne pour consigne à ses joueurs de marquer très rapidement s’ils veulent croire à l’exploit.
Le stade en ébullition exalte les joueurs bordelais qui jouent en marine et bordeaux. La consigne de l’entraîneur est respectée puisque à la treizième minute, Richard Witschge, à droite réalise une longue transversale pour servir son capitaine, Lizarazu, qui centre pour Didier Tholot qui permet à Bordeaux d’ouvrir la marque. Survoltés, les Bordelais dominent leurs prestigieux adversaires. La réussite est souvent la compagne de l’exploit et elle sera en effet du côté girondin ce soir-là. En deuxième mi-temps, après l’heure de jeu, un coup-franc de Zidane est déviée par l’arbitre. Opportuniste, Christophe Dugarry frappe et marque. Revenus à égalité, dans un stade en fusion, les Bordelais commencent à réaliser la portée de ce qu’ils sont en passe d’accomplir. Heureusement pour eux, ils n’ont pas le temps de douter puisque à peine 5 minutes plus tard on retrouve Zidane et Dugarry à la manœuvre pour inscrire le but du 3 à 0. Les Milanais, étourdis, sont incapables de réagir et d’inscrire le but qui pourrait encore les qualifier. Les Girondins filent en demi-finale de Coupe d’Europe pour la troisième fois de leur histoire, renouant avec l’époque dorée des années 1980 où ils avaient déjà goûté à cette joie en C1 et en C2. C’est un exploit comparable à celui de l’OM en 91 que réalisent les Bordelais puisque, après avoir été défaits 2-0 à San Siro ils renversent contre toute attente la tendance pour s’imposer héroïquement 3-0 au Parc Lescure.
En demi-finales, les Huard, Lizarazu, Zidane et autres Dugarry, héritent du Slavia Prague qui réalise alors sa meilleure performance européenne (jusqu’à ce jour) après être venu à bout de la Roma grâce à un précieux but inscrit au Stadio Olimpico au match retour. Les Girondins vont remporter les deux matchs sur le score de 1 à 0, se hissant ainsi pour la première fois de leur histoire en finale d’une Coupe d’Europe, neuf mois après le début de leur campagne. Ils deviennent ainsi le sixième club français à atteindre réaliser cette performance et seront suivis seulement deux jours plus tard par le PSG, qui se qualifie pour la finale de la Coupe des Coupes.
LIRE AUSSI : Les sept clubs français qui ont tutoyé les sommets #7 : le PSG 1995-1997
En finale, Bordeaux s’apprête alors à affronter, en format aller-retour, le Bayern Munich qui a éliminé le FC Barcelone 4-3 en cumulé en demi-finale. Le Bayern, trois fois vainqueur de la C1, vainqueur également de la C2, est à la recherche de la dernière coupe d’Europe lui manquant. Bordeaux, qui dispute sa première finale fait bien sûr figure d’outsider. Cependant, ils ont l’avantage de recevoir au match retour ce qui leur a plutôt réussi face au grand Milan de Capello. Soutenus par près de 5 000 supporters ayant fait le déplacement, les Bordelais sont battus à l’Olympiastadion de Munich sur le même score qu’à San Siro en quarts : 2-0 pour les partenaires de Lothar Matthäus. Les 35 000 spectateurs de Lescure, qui se pare de ses plus belles couleurs, n’y feront rien. Scholl, Kostadinov puis Klinsmann enfoncent leurs adversaires et le but de Dutuel n’y changera rien.
Si le PSG a remporté quelques jours plus tôt la deuxième Coupe d’Europe du football français, trois ans après la première, Bordeaux renoue avec un cycle de défaite qui s’était enclenché en 1956 et qui n’avait été interrompu que par une parenthèse enchantée de trois années. Néanmoins ces deux finales européennes de deux clubs français, en seulement quelques jours, représentent bien la force du football français au niveau européen durant ces belles années 1990 avec une cinquième finale en cinq ans et encore une à venir.
Sources :
Crédits photos : Icon Sport