L’été dernier se déroulait, en France, la huitième édition de la Coupe du monde féminine de football sous l’égide de la FIFA. Un an plus tôt, les garçons disputaient déjà, en Russie, leur vingt-et-unième édition. C’est le témoignage d’un premier décalage. Comment une telle différence dans le nombre d’éditions officielles peut-elle exister ? La réponse se trouve dans les balbutiements du football international féminin durant les années 1960, au temps d’un autre football et surtout, d’une autre considération.
S’il y a bien un point dans lequel nos deux football sont égaux, c’est celui du terrain des polémiques. L’édition masculine fut critiquée pour son lieu d’organisation (la Russie de Vladimir Poutine), et de manière générale, la compétition est méprisée par certains pour son manque de « valeurs » et sa trop grande marchandisation, loin des « principes » véritables du sport.
De son côté l’ultime édition féminine n’est pas en reste. Elle fut notamment utilisée par certains pour directement attaquer son homologue masculin. Le football féminin serait plus authentique et bien éloigné des dérives du ballon rond masculin. Pourtant, comme toute compétition internationale de sport, cette Coupe du monde 2019 se faisait largement le relais de grandes marques et autres opérations promotionnelles et taillait la part belle aux réflexes nationalistes. Qu’importe, le symbole passait avant toutes ces considérations mercantiles et sociales. Cette compétition était un des rouages du combat pour la liberté et l’égalité, chose absolument louable et fondée, mais parfois contredite dans les faits. En effet au cours du match Argentine-Ecosse certaines supportrices arborèrent des vêtements et autres foulards de couleur verte. Cette couleur, fut le symbole de la lutte pour la légalisation de l’IVG en Argentine au moment des faits. Nombre de témoignages rapportent des stadiers confisquant des effets personnels ou demandant aux personnes concernées de ne point les agiter en tribune.
En dehors de ces considérations, bon nombre de réactions visèrent directement le football féminin. Certaines se voulant « techniques et objectives » démontraient en sous-texte un mépris encore présent pour tout ce qui se rapproche de près ou de loin de la pratique féminine du sport le plus populaire du monde. Cela rappelle que malheureusement, la première Coupe du monde officielle de football féminin se disputa simplement en 1991, plus de soixante ans après la première édition masculine. Cependant, d’autres Coupes du monde existèrent avant celle de la fin du siècle dernier. Celle-ci justement exista sûrement grâce à des premières expériences officieuses. C’est ce que nous raconte Thibault Rabeux, dans son ouvrage : Football féminin : Les Coupes du monde officieuses.
Les débuts mitigés d’une première grande fédération
Si le football féminin a du mal à s’imposer sous une forme internationale, c’est tout d’abord une question d’époque et par extension de mœurs différents d’aujourd’hui. Thibault Rabeux nous rapporte par exemple les propos de Michel Castaing, journaliste du journal Le Monde ; « démontrer que dans ce domaine également les femmes étaient capables de renvoyer la balle. Elles ont, à notre étonnement, nous l’avouons, réussi ». Le journaliste commentait alors un championnat d’Europe féminin officieux se déroulant en Italie en 1969.
Ce championnat d’Europe nouveau genre se disputait sous l’égide de ce qui s’appelle alors la FICF (Federazione Italiana de Calcio Femminile). Cette fédération, non reconnue par la FIFA, était composée d’hommes d’affaires et autres avocats, bien éloignés des premiers intérêts premiers du sport féminin. Ces hommes voyaient en ces footballeuses, des opportunités mercantiles non négligeables. Cette FICF après sa compétition européenne souhaite cette fois-ci organiser une Coupe du monde. Dans ce but elle change de nom et devient la FIEFF (Fédération Internationale et Européenne de Football Féminin).
Cette Coppa del mondo s’organise l’année suivante et se déroule bien évidemment en Italie. Celle-ci jouit d’un certain succès (40 000 spectateurs en finale), mais dans le même temps des faits prouvent le côté malsain de l’utilisation commerciale de la compétition. En effet, l’Italie et le Danemark doivent se rencontrer en demi-finale. Problème, les promoteurs italiens de la FIEFF voient d’un mauvais œil ce qu’ils considèrent comme une finale avant l’heure entre l’équipe hôte – l’Italie – et la meilleure équipe européenne féminine d’alors – le Danemark. Le tirage au sort est tout simplement annulé et tout est fait pour que ces deux sélections se rencontrent en finale. C’est ce qui arrive et les Danoises s’imposent 2-0 face à leurs homologues Italiennes. Cet appât du gain manifeste provoque la fureur de la FIFA. Cette dernière somme aux différentes fédérations de refuser toute éventuelle invitation pour participer à une nouvelle édition organisée par la FIEFF.
Néanmoins, une seconde Coppa del mondo a bien lieu, l’année suivante, au Mexique. En dehors du pays hôte, cinq autres équipes acceptent l’invitation : la France, le Danemark, l’Italie, l’Angleterre et l’Argentine. Cette nouvelle édition est un succès et la médiatisation est au rendez-vous.
Une nouvelle icône mondiale
Cette nouvelle Coppa del Mondo (ou Mundial, terme plus adapté au contexte local) se déroule entre le 15 Août et le 5 Septembre 1971. Un an plus tôt avait lieu la neuvième Coupe du monde masculine dans le même pays. Celle qui vit la victoire de Pelé, Jairzinho, Gérson et consorts pour ce qui est fut la troisième victoire mondiale du football brésilien. Un an plus tard c’est une autre personne qui fait parler d’elle, il s’agit de Susanne Augustesen, une Danoise simplement âgée de 15 ans au moment de la compétition. Bien loin des impératifs des stars mondiales masculines, la jeune fille a besoin de l’autorisation de ses parents pour effectuer un long voyage et rater un mois de classe.
Elle n’est pas la seule adolescente dans la compétition, on peut aussi citer la jeune anglaise Leah Caleb âgée de 13 ans au moment de la compétition. Cette dernière est par exemple impressionnée par l’accueil qui est réservée à son équipe à l’aéroport de Mexico : « Notre bus était bloqué par la foule. On nous saluait et nous applaudissait. C’était totalement surréaliste ». Même son de cloche chez les joueuses françaises, qui sont en réalité pour la plupart celles du Stade de Reims, meilleure équipe française féminine de l’époque. La Fédération française de football les envoya en plus de quelques joueuses champenoises afin de ne pas contrevenir aux consignes de la FIFA au sujet de cette compétition officieuse.
Sur le terrain, les Danoises sont une nouvelle fois les meilleures et se qualifient sans grande difficulté pour les demi-finales. Les Françaises sont éliminées dés le premier tour, bien aidées dans cette tâche par les tonitruantes danoises qui étaient dans le même groupe. La finale oppose une nouvelle fois le pays hôte, qui est le Mexique, et le Danemark. La finale est sans appel, 3-0 pour les Danoises. La buteuse n’est autre que Susanne Augustesen qui signe un triplé, elle qui avait failli ne jamais poser les pieds au Mexique. A son retour en Europe, c’est une véritable héroïne. A ses dix-huit ans elle décide de lancer sa carrière en Italie. Vingt années sur les terrains pour terminer six fois championne d’Italie et huit fois meilleure buteuse du championnat.
Du côté des tribunes, c’est une réussite. Le match d’ouverture attire plus de 80 000 spectateurs et le reste de la compétition est dans le même esprit. Pour la petite finale entre l’Angleterre et l’Albiceleste (Argentine) se sont 50 000 personnes qui se bousculent dans les tribunes. L’apothéose survient lors de la finale entre le Mexique et le Danemark, une foule de 110 000 personnes prend place dans le stade Azteca. Ce Mundial est une réussite sur de nombreux points. Néanmoins, les reproches faits à la première Coppa del mondo en 1970, sont similaires à ceux qui surviennent pendant et après le Mundial 1971.
En effet, encore une fois, l’organisation fit en sorte que le pays hôte, en l’occurrence le Mexique, soit en finale. L’arbitrage de la demi-finale entre l’Italie et le Mexique qui fut largement en défaveur des Italiennes souleva de grandes polémiques. La FIEFF termina de perdre toute crédibilité et ne parvint pas à organiser une nouvelle Coupe du monde en 1972 (année de disparition de cette organisation qui plus est). Le relais est alors repris par d’autres organisations, la Fédération chinoise de football entre autres, qui continuèrent d’organiser des compétitions internationales non-officielles de football féminin.
Ces « Coupes du monde officieuses » comme les nomme Thibault Rabeux sont importantes à connaître. Savoir que l’avènement de la première Coupe du monde féminine officielle sous l’égide de la FIFA (1991) était dû à un mouvement de fond qui débuta dans les années 1970 et qui s’est poursuivi dans la décennie 1980. Un mouvement qui interpella les instances internationales du football sur cette anomalie qu’était l’absence de compétitions officielles pour les femmes. L’importance de l’ouvrage présenté et de cette histoire se justifie par les faits récents qui secouent le football féminin. Notamment les grèves qui eurent lieu à l’initiative des joueuses nationales norvégiennes et danoises au cours de l’année 2017 pour obtenir l’égalité salariale. Dernière preuve de ces deux époques se regardant ; le 20 Mars 2017, Susanne Augustesen entre dans le Hall of fame de son pays, 45 ans après son triplé de 1971.
Sources :
- Thibault Rabeux, Football féminin : Les Coupes du monde officieuses, 2019