Les joueurs les plus divertissants sont rarement parfaits. Juan Román Riquelme, légendaire numéro 10 argentin notamment passé par Boca Junior et le FC Barcelone, ne déroge pas à la règle. Loin d’être rapide et privilégiant la vision de jeu et la patience à la course, Riquelme était de ces joueurs capables d’anticiper chaque mouvement de ses adversaires. Seul véritable meneur de jeu au milieu des numéros 10 modernes du début du XXIème siècle, il a rapidement été qualifié d’Ultimo Diez (le dernier des 10). Retour sur la carrière de l’un des joueurs les plus incompris de l’histoire du football, qui n’a jamais cessé de flirter avec l’excellence.
« Les seules choses auxquelles je tiens sont ma mère et le ballon. » – Riquelme
Cette citation est probablement celle qui résume le mieux la carrière et la vie de Juan Roman Riquelme, enfant du football que le talent n’a jamais quitté. Alors qu’il a dix ans et joue dans les potreros de San José, il se fait repérer par Jorge Rodriguez, chercheur de talents qui persuade le père de Román d’emmener son fils à La Carpita, club de son quartier. Rapidement, le jeune Riquelme brille et attire le regard de grands clubs. Après un premier échec à Platense, c’est à l’âge de douze ans que Riquelme intègre les inferiores (l’équipe réserve) d’Argentinos. Il y restera jusqu’à ses quinze ans, y jouant au poste de numéro 5 et remportant deux Tournois internationaux de la ville de Gradisca en Italie, face à la Roma puis au Borussia Dortmund en finale. La saison 1995-1996 sera sa dernière au sein d’Argentinos, avant que le club dont il a toujours été hincha ne vienne changer sa vie.
Après Diego, la nouvelle âme de Boca
« Quand je suis arrivé à Boca, je croyais que j’allais jouer avec la réserve, mais Carlos Bilardo m’a dit « tu joues avec nous. » Il m’a sauvé la vie. Il m’a demandé où je voulais jouer, et je lui ai dit que je pouvais jouer n’importe où mise à part gardien ou défenseur. » – Riquelme
C’est dans des conditions optimales que Román est arrivé à Boca, lui qui n’en attendait pas tant. C’est en 1996 qu’il fait ses débuts pour le club, et qu’il marque son premier but deux semaines plus tard. Rapidement, il devient l’un des joueurs les plus souvent titularisés de l’équipe. Après une année fructueuse, Parme met une somme d’argent astronomique sur la table pour s’acheter le jeune argentin. Boca est tenté, mais Riquelme ne veut rien entendre : il reste, quoiqu’il arrive. C’est finalement sur la pelouse du Monumental, stade de River Plate, que Riquelme va entrer dans une nouvelle dimension. Son club est mené 1-0 contre les Millionarios à la mi-temps et, au retour des vestiaires, Diego Maradona est remplacé. Qui d’autre que celui qui était alors jugé comme son digne héritier pour le remplacer ? Riquelme a face à lui un stade plein à craquer, une ambiance débordante et 45 minutes pour briller. Ce qu’il fait. Il est partout, voit tout, élimine absolument tous ses adversaires. Le match continue et la tendance s’inverse : Boca égalise en début de seconde période, puis Martin Palermo marque le but de la victoire à la 67ème minute. Un match titanesque qui fait rentrer Riquelme dans la légende de Boca Juniors. Là-bas, il remporte d’abord trois championnats d’Argentine, une Coupe Intercontinentale et, surtout, deux Libertadores de suite. Il remporte, en 2001, le titre de joueur sud-américain de l’année, étant le principal artisan de cette conquête de la Libertadores. Malheureusement, en 2002, Riquelme ne s’entend plus avec les dirigeants du club qui décident de le vendre. Il tente encore une fois de s’y opposer, mais rien n’y fait : il est acheté par le FC Barcelone et doit quitter le club de sa vie contre son gré.
Cependant, après quelques années en Espagne, Riquelme revient à Boca. Les hinchas sont totalement fous : leur idole revient, pour un peu plus marquer l’histoire. D’abord sous forme de prêts consécutifs de Villareal à Boca, avant une signature définitive. En 2007, il participe à l’immense victoire de Boca sur Gremio en finale de Copa Libertadores en marquant trois des cinq buts de son équipe, ce qui pousse le club argentin à le racheter. En 2008, il est désigné « joueur le plus populaire de l’histoire de Boca Juniors », devant Diego Maradona. La même année, il remporte un nouveau championnat d’Argentine, puis un autre en 2011. Finalement, il quitte définitivement Boca en 2014 pour rejoindre Argentinos Juniors, son club formateur.
« J’ai dit au président que je ne continuerai pas. J’aime ce club. Je serai toujours reconnaissant, mais je me sens vide et je ne peux plus rien donner. Je me suis toujours impliqué à fond, je ne peux jouer qu’avec la moitié de mes capacités. J’ai joué pendant seize ans, mais je n’ai plus rien à donner au club. »
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Le méprisé de Barcelone devenu idole de Villareal
L’arrivée de Riquelme à Barcelone avait été anticipée comme peu de fois auparavant. Avec l’arrivée des vidéos en ligne, les supporters catalans avaient pu voir le joyau qu’ils venaient de recruter en action : un talent pur. L’amour du FC Barcelone pour les joueurs sud-américains est connu, et les espoirs reposant sur Román, à son arrivée, étaient nombreux. Pour la première fois, les supporters pouvaient voir le talent de leur recrue de leurs propres yeux, au lieu de le lire avant de pouvoir en profiter d’eux-mêmes. De fait, Riquelme était vu comme l’une des recrues les plus prometteuses du club de Liga. Un poids trop lourd pour les épaules de Riquelme ? Louis Van Gaal, entraîneur du FC Barcelone à cette époque, n’a jamais eu confiance en lui. Il traitera le joueur de « signature politique », le jugeant incapable de faire partie de son plan de jeu. Cela empêchera Román de pleinement conquérir le cœur des blaugranas, et mettra un terme définitif aux comparaisons avec Maradona. En Argentine, il fut grandement critiqué, jugé responsable de son absence de temps de jeu. L’arrivée de Ronaldinho à l’été 2003, faisant dépasser la limite de joueurs extra-communautaires au club, mit définitivement fin aux espoirs de voir Riquelme exploser sous les couleurs barcelonaises. C’est lors de ce même été que Benito Floro Sanz, nouvel entraîneur de Villareal, fit le pari de bâtir son équipe autour de Riquelme. Un vent de fraîcheur pour l’international argentin, qui vit son temps de jeu décupler.
Riquelme fut donc au centre de l’équipe qui parvint à se hisser dans la première partie du tableau de Liga, après deux années consécutives à la 15ème place. Cependant, c’est lors de l’été 2004 que le destin de Riquelme à Villareal fut changé : Manuel Pellegrini fut désigner comme coach de l’équipe, et Diego Forlan rejoignit le club. Diego Forlan parle lui-même de ce changement dans sa carrière.
« Je les ai rejoints en 2005. Riquelme était l’une des grosses raisons pour lesquelles j’ai choisi Villareal. Je voulais jouer avec lui en attaque, lui en tant que 10 pour me donner les ballons et moi en tant que buteur. […] Nous nous sommes directement complétés sur le terrain. Nous avions tous les deux eu des périodes compliquées dans nos clubs précédents, mais Manuel Pellegrini nous a redonné le goût du football. Riquelme anticipait chacun de mes appels de balle et parvenait presque toujours à me la glisser. Et moi, j’arrivais presque toujours à marquer. » – Diego Forlan
Les deux joueurs se sont parfaitement complétés lors de leur temps à Villareal, et le succès du club pendant cette période a forcé les supporters à tomber amoureux de Riquelme. En 2004-2005, il parvient à emmener Villareal à la troisième place de Liga, remportant le titre de meilleur joueur de Liga – succédant ainsi à Zinédine Zidane – et qualifiant son club pour la première Ligue des Champions de son histoire. L’épopée européenne de 2006 se finira par un échec contre Arsenal, en demi-finales, lors duquel Riquelme rate un penalty. Principal artisan de la réussite européenne du club espagnol, il ne sera cependant pas réellement blâmé.
« Nous jouons pour Riquelme comme nous jouions pour Zidane à la Juve. Zizou et Román rendent le jeu plus simple. Si vous êtes sous pressions, vous leur passez la balle et tout s’arrange ! » – Alessio Tacchinardi, passé par la Juve de Zidane et par Villareal, en compagnie de Román.
Finalement, lors de l’été 2007, après un véritable succès dans son second club espagnol, 46 buts et 45 passes décisives plus tard, l’international argentin retourne à Boca Juniors, pour une fin de carrière que nous connaissons bien. Diego Forlan, lui, quitte Villareal quelques mois plus tard, avec 65 buts au compteur, dont un grand nombre offerts par Riquelme.
El Ultimo Diez, le dernier de la dynastie
Si sa carrière est mémorable pour tout fan de Boca ou amoureux du football argentin, c’est surtout à travers les émotions qu’il pouvait procurer sur le rectangle vert que Riquelme s’est fait sa réputation : celle du dernier véritable numéro 10, capable d’enflammer un stade en quelques secondes et faisant tourner le jeu autour de lui. « Pourquoi devrais-je courir alors que le ballon peut le faire ? » C’est ainsi que Riquelme définissait sa manière de jouer et de voir le football : sprinter et tout miser sur la vitesse n’avait pas de sens pour lui. Le plus important consistait à se placer correctement, et à avoir une vision du jeu optimale. C’est ainsi que Wenger le définissait, juste avant la première confrontation entre Villareal et Arsenal en demi-finales de Ligue des Champions : « Riquelme ralentit volontairement le jeu, attend la faille, et vous tue ! »
Roberto Mancini, lui, était tout aussi élogieux : « Il ne défend pas, mais il est toujours parfaitement positionné. Et, lorsqu’il récupère la balle, il ne la perd jamais ! » Si sa carrière peut sembler faible par rapport au talent dont il disposait, Riquelme a fait l’unanimité des entraîneurs qu’il a déjà affronté, et le seul qui n’aura jamais misé sur lui restera Louis Van Gaal. Le profil de Román était particulier. Lent sur le terrain, il voyait pourtant tout. Et si un chemin simple se dressait en face de lui, il préférait opter pour la difficulté. C’est ainsi que Jorge Valdano, international argentin de 1975 à 1990, le définissait.
« Si nous devions voyager d’un point A à un point B, nous prendrions tous l’autoroute pour y être le plus rapidement possible. Tous, sauf Riquelme. Il choisirait la route sinueuse de montagne qui remplit vos yeux d’images de superbes paysages. »
Dans le jeu, toutes proportions gardées, Riquelme était semblable à Zidane, et les comparaisons entre les deux joueurs étaient nombreuses. Ses dribbles, sa vision, ses passes, ses transversales et sa combativité ont fait de lui l’un des joueurs les plus complets ayant jamais existé. Pour tout amateur de football, il représentait à la perfection ce qu’on aime dans le ballon rond : la fidélité à ses couleurs et la facilité sur la pelouse. Quand Riquelme jouait, on se taisait, on observait, on appréciait. Mais bien au-delà des mots élogieux que nous pourrions dresser pendant des heures, l’essentiel du talent de Riquelme ne se lit pas, mais se regarde.
Quand Riquelme se jouait de Veron, Figo et Cambiasso 🤩pic.twitter.com/w9R8FXsRrJ
— BeFoot (@_BeFoot) November 14, 2019
« Je n’ai jamais voulu de reconnaissance. Ni des fans, ni d’autres joueurs, ni des médias. Ce n’est pas pour cela qu’on commence à jouer au football. Je voulais juste savoir que je faisais mon travail, et que ceux autour de moi savaient ce que j’apportais. C’est cela qui me rendait heureux. » – Juan Román Riquelme, el Ultimo Diez.
Sources :
- FourFourTwo, My perfect 10: Juan Roman Riquelme
- Lucarne Opposée, Juan Roman Riquelme : il était un Ultimo Diez
- SoFoot, Hasta siempre, Riquelme
- These Football Times, Juan Roman Riquelme: the dream comes first
- These Football Times, Boca Juniors
Crédit photos : Iconsports