Il est des joueurs dont il arrive encore de mentionner les noms aujourd’hui, quand bien même une minorité des amateurs de football dans le monde ont eu la chance de voir de leurs propres yeux ces footballeurs jouer en leurs temps. Diego Maradona, Johann Cruyff, Pelé… joueurs de légende considérés comme les tous meilleurs de l’histoire ! En se les remémorant, on aborde des moments, des matchs d’anthologies, des actions, des polémiques, des records. Assurément, Just Fontaine est de ces joueurs. Tout comme un certain Raymond Kopa, il appartient à une génération de joueurs français au talent immense et aux records fameux. Un record, Fontaine en possède toujours un, et pas n’importe lequel. Il est, encore aujourd’hui, le joueur ayant marqué le plus de buts au cours d’une seule Coupe du monde, avec 13 réalisations. Ces buts, Fontaine les inscrit lors des six matchs de la Coupe du monde de 1958, en Suède, durant laquelle l’équipe de France connaît une belle et impressionnante épopée.
Qui es-tu, Just Fontaine ?
Just Fontaine voit le jour en 1933 au Maroc, alors protectorat français. Son père est français et sa mère espagnole. Cette dernière lui donne le surnom de « Justo », qu’il garde toute sa vie. Sa première expérience du football professionnel, Fontaine la vit au club colonial de l’Union Sportive Marocaine (ou USM) à Casablanca. Il y passe trois saisons de 1950 à 1953 et affole déjà les compteurs avec 62 buts marqués en 48 rencontres. Ces performances hors du commun le mènent en France, où il s’engage avec l’OGC Nice en 1953. Avec les Aiglons, Just Fontaine continue sur sa lancée et inscrit 42 buts en 83 rencontres de championnat et de coupes, sa carrière étant fréquemment interrompue à cette période par son service militaire. Même à l’armée, Fontaine ne s’éloigne pas du ballon rond et devient le capitaine de l’équipe militaire française. Libéré du service militaire en 1956, le talentueux attaquant peut se consacrer pleinement sur sa carrière professionnelle et s’engage, à 23 ans, avec le Stade de Reims. Là-bas, il a la très lourde tâche de remplacer un autre attaquant déjà légendaire : Raymond Kopa, qui vient de faire ses valises pour Madrid. En effet, l’ambitieux président rémois Henri Germain, avec l’argent du transfert de Kopa, veut construire une équipe compétitive et équilibrée : Just Fontaine est la première recrue du projet. Il ne déçoit pas, puisque dès sa première saison au club, l’attaquant inscrit 30 buts en 31 matchs.
Un an après, à l’été 1957, Reims débourse 25 millions de francs pour s’accorder les services de Roger Piantoni, attaquant du FC Nancy, et recrute également le gardien niçois Dominique Colonna et l’arrière Bruno Rodzik. Avec ces renforts, le Stade de Reims connaît l’une des meilleures saisons de son histoire. Menée par l’entraîneur Albert Batteux, les Rémois réalisent le doublé championnat-coupe, avec sept points d’avance sur Nîmes, Monaco et Angers, et en battant ces mêmes Nîmois sur le score de 3-1 en finale de Coupe de France. Il s’agit d’une équipe complète et forte à tous les postes et menée par des cadres expérimentés tels que Colonna aux cages, le défenseur central Robert Jonquet, le milieu de terrain Armand Penverne et les attaquants Piantoni, Lamartine, Bilard, Vincent et Fontaine. A eux cinq, ils marquent cette saison là 89 buts, dont 34 sont signés de la botte de Just Fontaine. Plus impressionnant encore quand on sait que le joueur manque une partie de la saison à cause d’une blessure contractée à un ménisque.
Après cette saison toute en triomphes et en buts, la Coupe du monde est en vue. Elle est organisée en Suède en 1958. Just Fontaine n’est pas inconnu à l’équipe de France, il y est sélectionné ponctuellement depuis 1953. Là-bas, il fréquente l’homme avec lequel il fera des merveilles, avec le maillot tricolore et sous les couleurs rémoises lors du retour de celui-ci en 1959 : Raymond Kopa. Pourtant, rien ne promettait aux deux attaquants qu’ils évolueraient ensemble lors de la Coupe du monde, à laquelle l’équipe de France ne se rendait d’ailleurs pas dans les meilleures conditions.
La coupe de monde de 1958
Une équipe de France loin d’être favorite…
La qualification pour la Coupe du Monde de 1958, l’équipe de France se l’était assurée dès le début de la saison 1957-58, en allant battre à Reykjavik l’Islande (5-1) et en allant faire match nul contre les Belges à Bruxelles (0-0). Après ça, les matchs de préparation ne laissent rien prévoir de bon. La France connaît l’une de ses plus mauvaises campagnes de matchs internationaux, en allant successivement perdre face aux Hongrois à Budapest en octobre (0-2), face aux Anglais à Wembley en novembre (0-4), avant de recevoir les Bulgares au Parc des Princes le 25 décembre avec un décevant 2-2, et de répéter ce même score face à l’Espagne en mars 1958. En avril, l’équipe n’y est toujours pas et fait match nul contre la Suisse (0-0). La seule victoire de sa préparation, l’équipe de France l’obtient en mai face à une sélection anonyme de joueurs de football parisiens, dont la majorité n’était probablement pas professionnelle. Même ici, la victoire s’obtient dans la douleur (2-1). On retient donc de tous ces matchs l’inefficacité de cette équipe, dont les cadres sont fatigués de leur longue saison en club, qui n’arrive à marquer en six matchs que six buts (dont les deux face aux parisiens anonymes), et en en encaissant dix.
Ce n’est donc pas la fleur au fusil que les joueurs français partent pour la Suède. Pire encore, le groupe dans lequel l’équipe se trouve (le groupe 2) est particulièrement corsé. On y retrouve le Paraguay (tombeur de l’Uruguay, double champion du monde), l’Écosse (qui avait notamment éliminé l’Espagne) et la redoutable Yougoslavie, qui laissait à la France des souvenirs amers datant des deux Coupes du Monde précédentes (1950 et 54). Tant et si bien que la Fédération Française de Football n’emporte dans ses valises que trois maillots par joueur, bien convaincue que l’équipe allait disputer les trois matchs de poule sans grand succès avant de prendre le chemin de la maison.
Dans ce contexte difficile, Just Fontaine n’est pas assuré de figurer parmi les onze joueurs titulaires. En effet, le sélectionneur Paul Nicolas lui préfère alors son coéquipier rémois René Bliard. La raison est simple, Bliard a évolué aux côtés de Raymond Kopa lors de ses années rémoises. On cherche donc à mettre le talentueux madrilène dans les meilleures conditions, en le faisant évoluer auprès de joueurs qu’il connaît. Seulement coup du sort, René Bliard est victime d’une entorse et ne peut disputer la Coupe du Monde. Ce sera donc Just Fontaine qui sera associé à l’avant à Kopa, et ce duo fera plus d’étincelles qu’on ne pouvait possiblement prévoir.
… et pourtant
Le dimanche 8 juin 1958 à Norrköping, la France affronte le Paraguay pour son premier match de poule. Les Sud-américains emballent le match et marquent à la vingtième minute. Aussitôt, Fontaine répond en marquant deux buts pour prendre la tête. On se dirige vers la fin de la première période, quand les Paraguayens reviennent au score sur penalty, 2-2. Il ne faut que cinq minutes en deuxième période pour que l’avant-centre Romero mette le Paraguay devant, mais Piantoni (encore un attaquant rémois) à la 52ème marque à son tour, 3 partout. A partir de là, l’équipe de France va faire preuve d’une détermination et d’une condition physique impressionnantes, en renversant totalement le match. Wisnieski marque, il est suivi par Fontaine (qui signe donc un triplé) et par Kopa. Jean Vincent conclut, le score est sans appel : l’équipe de France, qui a à peine su marquer six buts en autant de matchs de préparation, vient d’en marquer sept en un seul match de Coupe du monde. Fontaine, auteur d’un triplé, fait sensation et laisse entrevoir au reste de l’équipe un dénouement plus heureux que prévu.
Trois jours plus tard cependant, l’équipe de France bute encore et toujours contre la Yougoslavie. Sur le terrain de Västerås, « Justo » trouve encore le chemin des filets, dès la quatrième minute du match. A la suite de cela, les Yougoslaves prennent la tête en marquant deux buts. A la 85ème, l’inimitable Fontaine égalise, 2-2. L’équipe entière, enthousiasmée par ce but, cherche à emballer les dernières minutes de la partie pour aller chercher la victoire. Mal leur en prend, les attaques répétées des Français ouvrent des espaces dans lesquels s’engouffre l’ailier Veselinović (déjà auteur d’un but yougoslave), qui marque en toute fin de match. L’équipe de France est donc battue 3-2 et n’a d’autre choix que de battre l’Écosse si elle veut progresser dans la compétition. Fontaine, lui, en est déjà à cinq buts en deux matchs…
Le dimanche 15 juin à Örebro, le match crucial entre Français et Écossais se joue. Ces derniers ont auparavant fait match nul contre la Yougoslavie mais ont été battus par le Paraguay. Comme nous, ils doivent gagner pour se qualifier. Les Français entament bien leur rencontre, et une combinaison entre Piantoni, Fontaine et Kopa voit ce dernier catapulter le ballon au fond des filets écossais d’une reprise de volée, à la vingtième minute. A la demi-heure de jeu, un penalty est sifflé en faveur des Écossais. John Hewie envoie un ballon puissant sur le montant et ne peut concrétiser cette occasion. Fontaine, toujours lui, alourdit le score juste avant la mi-temps et l’équipe de France se rend aux vestiaires avec une confortable avance de 2-0. Avance qui ne sera que réduite par les Écossais en seconde période, le match se finissant sur le score de 2 à 1. L’équipe de France est donc qualifiée pour les quarts de finale avec deux victoires et une défaite. Elle est première de son groupe devant les Yougoslaves, à égalité de points mais avec une différence de buts favorable (11 buts marqués en 3 matchs, dont 6 par Fontaine). Le staff de l’équipe de France doit relaver et recoudre les trois maillots déjà portés par les joueurs…
En quart de finale, la France rencontre l’Irlande du Nord. Cette dernière est menée par Danny Blanchflower, milieu de terrain légendaire de Tottenham, et par le gardien de but Harry Gregg, rescapé de la catastrophe aérienne de Munich de février 1958, où bon nombre des Busby Babes de Manchester United avaient trouvé la mort (voir aussi: http://www.lecorner.org/manchester-et-ses-busby-babes-dold-trafford-aux-etoiles/). Les Irlandais luttent vaillamment mais sont dépassés par des Français conquérants. A la mi-temps, les Bleus mènent 1-0 (une réalisation de Wisnieski). En deuxième mi-temps, les Bleus font complètement sauter les verrous de la défense irlandaise, qui cède à trois reprises avec un but de Piantoni et un doublé de Fontaine. Raymond Kopa, particulièrement étincelant sur cette rencontre, organise le jeu français, dont les ralentissements et les accélérations soudaines sont vites irrésistibles pour les adversaires.
A ce moment précis, la presse internationale encense l’équipe de France. Le Daily Telegraph écrit : « Les Irlandais ont été battus par la meilleure équipe, celle qui gagnera la Coupe du Monde si elle peut maintenir son rythme jusqu’au bout ». La Svenska Dagbladet ajoute : « Il faut remonter très loin dans l’histoire du football suédois pour retrouver une équipe aussi élégante que celle de ces Français qui s’étonnent eux-mêmes… et sont bien capables de gagner la Coupe du Monde ! ». En France aussi, on s’enthousiasme pour cette belle équipe et ses meneurs de jeu, Kopa et Fontaine. Les femmes et les familles des joueurs vont retrouver leurs hommes à Stockholm avant la demi-finale face à un adversaire redoutable : le Brésil, qui venait de battre en quart de finale le Pays de Galles par 1 à 0, un but d’un jeune attaquant de dix-sept ans, un certain Pelé…
Un adversaire trop fort et un mauvais coup du sort
Le 24 juin 1958, environ 27 000 personnes s’amassent au Rasunda Stadion de Stockholm pour assister à la rencontre entre ce Brésil si impressionnant sur le papier, et cette belle et prolifique équipe de France. Les Auriverdes sont disposés en un 4-2-4 inspiré du prestigieux football hongrois des années précédentes. Au milieu, Zito et Didi régalent de ballons leur quatuor d’attaque : Garrincha, Vavà, Pelé, Zagallo. Les Français partent mal et laissent les Brésiliens inscrire un premier but signé Vavà dès la deuxième minute. Mais très vite, Just Fontaine égalise sur une sublime ouverture de Kopa. Il s’agit du premier but concédé par le Brésil depuis le début de la compétition ! Malheureusement, la suite du match ne sourit pas aux Français. A la 35ème minute, le défenseur français Robert Jonquet se blesse violemment à la jambe droite sur un contact avec Vavà. A l’époque, la règle veut qu’aucun remplacement n’est autorisé, ce sont les onze joueurs sur le terrain qui disputent la totalité du match. Jonquet est contraint de sortir, en larmes, laissant ses coéquipiers réduits à 10 contre 11. Tout le monde descend d’un cran, le milieu marseillais Jean-Jacques Marcel passe en défense centrale, et Jean Vincent se met au milieu.
Même avec cette réorganisation, le sous-nombre pénalise trop l’équipe de France dans le jeu, et Didi porte la marque à 2-1 seulement quelques minutes après la sortie de Jonquet. En deuxième période, c’est l’un des plus grands talents de l’histoire mondiale du football qui s’exprime et, déjà à 17 ans, Pelé marque un triplé lumineux et porte la sélection or et vert à 5-1. Le score sera brillamment réduit par Roger Piantoni en fin de partie, mais ce n’est évidemment pas assez pour revenir dans le match, et les Français s’inclinent 5-2. Dans le stade, les spectateurs suédois se réjouissent : leur équipe vient de battre l’Allemagne de l’Ouest par 3-1 dans l’autre demi-finale: elle sera battue en finale par le Brésil sur le même score que la France, 5 à 2.
Pour les Bleus, le rêve de disputer une finale de Coupe du Monde s’arrête là, mais la compétition n’est pas encore finie ! Il reste le match pour la troisième place, face à l’Allemagne de l’Ouest.
Le 28 juin à Göteborg, la France triomphe de l’Allemagne en s’imposant 6-3. Fontaine, étincelant, inscrit quatre buts lors de cette rencontre (Kopa et Yvon Douis se chargent des deux autres). En plus d’une très honorable troisième place mondiale, Just Fontaine porte son record de but à treize sur les six matchs disputés lors de la compétition.
A la suite du match contre l’Allemagne de l’Ouest, les coéquipiers de Just Fontaine le félicitent et le portent en triomphe devant la foule. Lui s’exprime sobrement : « Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai réalisé ma performance. Mais, trente secondes après ce mini-tour d’honneur, tout était oublié. Je préférais retenir notre troisième place plutôt que ma première ». L’attaquant français se voit offrir, après la Coupe du monde, un fusil de chasse dernier modèle par la FIFA, symbolisant ses talents de tireur face au but. Aujourd’hui encore, les footballeurs de la planète s’efforcent tous les quatre ans d’égaler ou de dépasser le record de buts de Fontaine sur une seule Coupe du monde. Joueur brillant de talent et d’élégance, jamais égoïste ou obsédé par le but malgré de formidables statistiques, il est, avec Raymond Kopa, parmi les premiers d’une longue lignée de grands joueurs de football français ayant marqué l’histoire de leur sport et ayant donné à l’équipe de France ses lettres de noblesses.
Sources :
- P. Delaunay, J. de Ryswick, J. Cornu, D. Vermand, 100 ans de football en France, éditions ATLAS, 1993.
- 1958, le « gag grandiose » de Just Fontaine, Cahiers du Football.
- Site officiel de la FIFA.
Crédits photos : Icon Sport