Il est des générations qui ont marqué l’histoire du football. Des générations de joueurs, guidées la plupart du temps par un entraineur de renom, par un leader qui révolutionna la pratique de ce sport. Bien avant le Barça de Guardiola, le Milan de Sacchi ou encore le Nottingham Forrest de Brian Clough, l’une des premières générations dorées faisaient les beaux jours du football de l’après-guerre. Pour cela, il faut se rendre à Manchester et plus exactement auprès du club de Manchester United. Ce dernier, a vu passer dans ses rangs les Busby Babes : une bande de jeunes fougueux, effrontés, dans la force de l’âge, terreurs des stades. Retour sur un groupe de légende au destin tragique.
Les années avant la Seconde Guerre mondiale sont compliquées pour le club anglais. Dans les années 30, celui-ci est relégué deux fois en deuxième division et est proche de la banqueroute. Malgré tout, l’équipe se maintient en première division à la veille du conflit. La fin de la guerre marque donc le retour du football en Europe. Le 19 février 1945, le club engage comme nouvel entraîneur un certain Matt Busby. L’Écossais, ancien joueur de Manchester City et de Liverpool, avait officié pendant la dernière guerre en tant qu’entraîneur pour l’armée. Pourtant, son destin aurait pu être bien différent.
La naissance des Busby Babes
Après la guerre, son ancien club, Liverpool, souhaite le rapatrier en lui offrant un poste d’entraineur assistant. Néanmoins, sa première expérience du métier donne à Busby une nouvelle vision du football et de la manière dont il doit être joué. Celui-ci souhaite former l’avenir. Il rêve de jeunesse, de jambes fraiches et de joueurs modelés à son image. Pour lui, les jeunes sont la clé, ceux qui révolutionneront le football de demain. Lorsqu’il découvre que sa conception de ce sport ne rejoint pas celle de Liverpool, Busby s’engage finalement pour l’équipe mancunienne. Avec lui, Busby amène Jimmy Murphy un ancien collègue à l’armée, à qui il offre le poste d’adjoint et qui doit prendre en charge la réserve, notamment en prêtant attention à l’équipe jeune. L’Écossais demande alors à être directement impliqué dans les activités du club, à savoir les entraînements, les compositions d’équipe mais aussi concernant le choix des joueurs à acheter ou à vendre, sans aucune intervention de la part des dirigeants. Un tel management est inédit en Angleterre, et le président accepte.
Dès leur première saison, Matt Busby et Jimmy Murphy permettent à Manchester United de terminer vice-champion d’Angleterre, derrière Liverpool. En un peu plus de deux ans, Busby bâtit une équipe offensive qui parvient très vite à s’imposer sur tous les terrains du pays. La patte Busby permet rapidement au club de remporter son premier trophée depuis plus de 40 ans, lorsqu’en 1948, les Red Devils s’adjugent de la FA Cup. Ce titre est l’ébauche du football offensif prôné par leur entraîneur. Manchester réalise plusieurs saisons réussies marquées par une constance impressionnante car le club est vice-champion en 1947, 1948, 1949 et 1951. En 1952, l’équipe réussit enfin par remporter le championnat d’Angleterre. Ces deux trophées majeurs sont les premiers depuis 1911 et sont synonymes du renouveau tant attendu pour le club qui naviguait durant toute l’entre-deux guerres entre la première et deuxième division. Toutefois, le groupe est trop âgé pour Busby, et le temps est venu pour lui d’intégrer, à son équipe vieillissante, des jeunes, notamment issus du centre de formation.
Pour renouveler l’équipe, il remplace ses joueurs les plus âgés par de jeunes footballeurs de 16 ou 17 ans. Il recrute notamment le défenseur Eddie Colman, l’arrière droit Bill Foulkes, les milieux de terrain Mark Jones et Jackie Blanchflower, les ailiers Albert Scanlon et David Pegg ainsi que l’attaquant Liam Whelan. La recrue la plus importante de United est Duncan Edwards, considéré comme l’un des joueurs les plus talentueux de son époque, celui qui deviendra le meilleur. Bobby Charlton, son ami et coéquipier, le décrivait comme « le meilleur joueur que j’ai jamais vu sur un terrain. J’inclus là-dedans tous mes coéquipiers, mais aussi tous les adversaires qu’il m’a été donné de côtoyer. C’était le joueur complet par excellence : excellent du pied gauche, du pied droit, dans le jeu long, dans le jeu court. Aujourd’hui, il n’aurait pas de prix. » Il était « le seul joueur qui me faisait me sentir inférieur », racontait le champion du monde 1966.
L’apothéose d’un « boys band » : de la conquête de l’Angleterre à l’Europe
C’est à partir du titre de 1956, que les Busby Babes prennent une ampleur considérable. Ce surnom fut donné par Tom Jackson, journaliste au Manchester Evening News, pour désigner ce groupe de garçons guidés par leur père spirituel en la personne de Matt Busby. Cette saison-là, les Mancuniens terminent invaincus à domicile et remportent le championnat avec 11 points d’avance sur leur dauphin, Blackpool. Rappelons qu’à l’époque, une victoire valait deux points et, chose plus exceptionnelle encore, la moyenne d’âge de l’équipe n’était que de 22 ans. À l’issue de la saison, Robert « Bobby » Charlton rejoint la bande. Maître en son pays, Manchester avait désormais des ambitions plus grandes : s’imposer en Europe.
Avec la création de la Coupe des clubs champions en 1955, Busby entend s’inviter sur l’échiquier européen. Problème, la Fédération anglaise s’oppose à ce que les équipes du Royaume prennent part à la compétition, afin de ne pas nuire au championnat. Malgré tout, à force de persuasion, le Manchester de Busby finit par faire céder la fédération, et devient le premier club anglais à participer à la Coupe d’Europe, lors de l’édition 1956-1957. « Il faut ouvrir les yeux. Le football est devenu un jeu mondial. Nous ne pouvons plus nous contenter de jouer entre nous », confiait l’entraîneur écossais. L’histoire européenne des Red Devils débute en septembre 1956 par une double confrontation en tour préliminaire contre Anderlecht. Les Bruxellois, triples champions en titre et sept fois vainqueurs de leur championnat, dominent largement le football belge. Pas de quoi inquiéter les poupons de Busby. Avec un groupe extrêmement jeune (20 ans de moyenne d’âge), les Anglais s’imposent 2-0 grâce à des buts de Dennis Viollet et Tommy Taylor. Deux semaines après le déplacement en Belgique, les Red Devils accueillent le match retour dans le stade de son rival City, au Maine Road, et non chez eux à Old Trafford, car les projecteurs n’étaient pas encore installés. Cela n’empêche pas les Mancuniens de livrer une performance exceptionnelle. Déjà buteur à l’aller, Taylor marque un doublé avant que Whelan ne l’imite. Pegg et Berry ajoutent leur pierre à l’édifice mais l’homme du match s’appelle Viollet, auteur d’un quadruplé ce soir-là. Le score est sans appel : 10-0, net et sans bavure. Ce soir là, il est clair que onze étoiles brillaient sur le terrain comme le confie leur entraîneur. « Les garçons ont gagné 10-0, un score incroyable qui laisse supposer qu’Anderlecht était une équipe faible. Mais ce n’était pas une petite équipe de Malte ou d’Islande, racontait Busby. La Belgique est une nation forte de football et Anderlecht sont ses champions. Je dois dire que c’est un résultat qu’on retrouve plus dans les rencontres de cricket que de football. J’avais l’habitude de voir bien jouer les gars récemment, mais ils se sont surpassés cette nuit. ». Une première européenne réussie donc. D’ailleurs, il s’agit de la plus large victoire de Manchester en match officiel. La suite de la compétition demeure une réussite. Le groupe atteint les demi-finales, après avoir battu le Borussia Dortmund et l’Athletic Club. Sur sa route, le premier champion d’Europe en titre : le Real Madrid. L’aventure s’arrête avec une élimination sur le score cumulé de 5-3, mais surtout une grande leçon d’apprentissage pour les Busby Babes.
En plus de son excellente épopée européenne, Manchester parvient à conserver son titre de champion national. Cette fois, ils distancent leur premier poursuivant à huit longueurs, et inscrivent 103 buts au cours du championnat. Seule déception, la défaite en finale de la Coupe d’Angleterre, contre Aston Villa. Malgré tout, les Red Devils semblent plus forts que jamais. Les hommes de Busby forment une équipe impressionnante et produisent un jeu qui régale tout le continent. Grâce à un mélange d’insouciance due à leur âge et de football offensif et spectaculaire, les jeunes Mancuniens n’ont peur de rien : gagner le championnat d’Angleterre, remporter la Coupe d’Europe, tout semble possible. La jeune équipe de United est si performante que le club ne recrute que l’attaquant Tommy Taylor ou le gardien Harry Gregg en l’espace de cinq ans.
Un destin brisé en pleine gloire
Busby et ses protégés entament la saison 1957-1958 avec d’importantes ambitions au niveau national et européen. L’équipe est en perpétuels progrès et entame bien sa saison. En Coupe des club champions européens, les Busby Baby déroulent avec des scores cumulés de 9-2 contre les Irlandais de Shamrock Rovers au tour préliminaire et de 3-1 contre le Dukla Prague en huitièmes de finale. En championnat, les succès leur sourissent tout autant. En février 1958, les Red Devils occupent la quatrième place du classement mais restent sur une série de 13 matches pour une seule défaite. En témoigne ce match de championnat face à Arsenal, le 1er février, où la troupe de Matt Busby débarque à Highbury pour étendre un peu plus sa domination sur le football national. Ce jour-là, les hommes de Busby offrent un festival offensif. Les Mancuniens s’imposent 5-4 avec un doublé de Tommy Taylor, un but de Charlton, un autre de Duncan Edwards et un dernier de Dennis Viollet. Symbole du cœur des Busby Babes, cette « partition d’artistes » fut remportée en partie par les cerveaux enfantins de Busby, Charlton et Edwards, et le talent montant du jeune Eddie Colman. Le génie de Charlton était grand et le talent d’Edwards sans limite. Ce dernier était à l’image de son Manchester United. Il était joueur, génial et déstabilisant. Ainsi, un match de préparation idéal avant d’aller défier, quatre jours après, l’Etoile rouge de Belgrade, en quarts de finale retour de la Coupe d’Europe. À l’aller, les Mancuniens s’étaient imposés 2-1, à Old Trafford. Les Red Devils font le nécessaire en Yougoslavie. Un match nul 3-3 leur permet d’assurer une qualification pour le dernier carré de la Coupe d’Europe pour la deuxième année consécutive. Plus rien ne semble arrêter la furia des Busby Babes et un sacre européen n’est plus un rêve si lointain.
Le lendemain, le 6 février, l’équipe est au beau fixe et se prépare à rentrer en Angleterre. Un petit contretemps survient néanmoins, quand l’ailier John Berry perd son passeport retardant l’heure du décollage de l’avion de la British European Airways. Pendant le voyage, celui-ci se pose à Munich afin de le ravitailler en carburant. En Bavière, la météo est effroyable. Le vent est fort, la neige s’acharne, la piste est glissante, mais l’avion tente de repartir. Il s’élance une fois, puis deux. Sans succès, le temps est trop mauvais. Les passagers sont débarqués et on se demande alors s’il ne faut pas repousser le départ. Certains joueurs, mais aussi les journalistes présents dans l’avion, proposent de rester à Munich pour la nuit. Après les deux tentatives manquées de décollage, le pilote et copilote de l’avion décident, en accord avec un ingénieur, de tenter un troisième essai. Comme pour les deux précédentes tentatives, la troisième est un échec. Pire encore, cette tentative est fatale : l’avion roule sur la piste mais, ralenti par une plaque de neige sur le tarmac, il ne parvient pas à décoller. Lancé à pleine vitesse, il ne peut éviter de percuter une maison et termine sa course dans un entrepôt de carburant. Il est 15 h 04, l’équipe est décimée.
Le crash est si violent qu’au total, 23 personnes (journalistes, personnel de bord, joueurs et staff de Manchester) périssent dans l’accident. Huit joueurs de l’équipe première : le capitaine Roger Byrne, Tommy Taylor, Eddie Colman, David Pegg, Liam Whelan, Mark Jones et Geoff Bent. Ces sept-là décèdent sur le coup. Le huitième, Duncan Edwards, succombe à ses blessures 15 jours plus tard à l’hôpital. Le coach, Matt Busby, est donné pour mort à deux reprises. Seulement neuf joueurs sont rescapés dont Harry Gregg qui sauva ses coéquipiers Bobby Charlton et Dennis Viollet en les faisant sortir de l’avion. Johnny Berry et Jackie Blanchflower survécurent également, mais durent arrêter leur carrière sportive à la suite de leurs lourdes séquelles. Bobby Charlton n’a rien, ou presque : assis à l’avant de l’appareil, il a été éjecté, toujours attaché à son siège.
La génération dorée n’est plus, le football vient de perdre une immense équipe. En quelques secondes seulement, la plus grande formation anglaise du moment est arrachée à tous. Un groupe tellement jeune (tous avaient moins de 30 ans), si fort et talentueux, qui avait tout l’avenir devant lui et dont certains joueurs, il est sûr, auraient fait les beaux jours de la sélection anglaise. Wilf McGuinness lui, a échappé au drame. Blessé, il a appris la nouvelle à l’hôpital, alors qu’il se remettait d’une opération. « Ils auraient été la meilleure équipe de United de tous les temps. En fait, ils ont été la meilleure équipe. Ils auraient tout gagné », assura l’ancien international dont la carrière s’est brusquement arrêtée deux ans plus tard, après une fracture de la jambe. Un événement qui fait écho à la tragédie de Superga, 9 ans plus tôt, où 18 joueurs de l’équipe du Torino, cinq fois d’affilée champion d’Italie, ont trouvé la mort dans un accident d’avion.
Il faudra du temps pour que Manchester se reconstruise et retrouve de sa splendeur. Dans la foulée, les dirigeants réunissent les jeunes du club pour préparer la prochaine rencontre. Jimmy Murphy, survivant du crash reprend l’équipe immédiatement après la tragédie, en attendant le rétablissement de Busby. Quelques mois après la tragédie, l’Écossais était de retour sur le banc d’une équipe de Manchester remaniée, qui s’apprêtait à disputer la finale 1958 de la FA Cup. Ce jour-là, Bolton s’impose 2-0 face à une formation mancunienne qui comptait quatre survivants de Munich : Bill Foulkes, Harry Gregg, Dennis Viollet et Bobby Charlton. Avec les Busby Babes survivants, il dispute et perd la demi-finale de Coupe d’Europe contre l’AC Milan. Très vite, l’Europe devient la quête de Matt Busby et de son adjoint, Jimmy Murphy, qui partent rebâtir une équipe digne de ce nom aux quatre coins de l’Angleterre.
Telle fut la légende des Busby Babes. Il faudra cinq ans aux Reds Devils pour remporter un nouveau trophée. Dix ans pour remporter la Ligue des Champions avec deux survivants : Billy Foulkes et Bobby Charlton, devenant ainsi, le premier club anglais champion d’Europe. Malgré leur courte carrière, fauchée en pleine gloire, il est indéniable que ces jeunes ont forgé Manchester United et laissé leurs empreintes dans l’histoire de la ville. Un destin tragique, mais dont les joueurs sont entrés dans la légende du club et ce, pour l’éternité.
Sources :
- Hayden Saerens, « Anderlecht et le chef-d’œuvre des Busby Babes« , sofoot.com, 20 avril 2017.
- « The birth and rise of the Busby Babes », manutd.com.
- « 6 février 1958 : La légende des Busby Babes« , FIFA.com, 6 février 2020.
Crédits photos : Icon Sport