Au lendemain de la signature de Frenkie de Jong au FC Barcelone, Josep Maria Bartomeu, président du club catalan, déclarait : “Le Barça et l’Ajax sont comme des frères, de Jong est le fils de cette philosophie”. Rien ne peut mieux résumer la relation qui unie ces deux clubs qui paraissent totalement différents. L’un fait parti des cadors européens tandis que l’autre, bien que connu d’un grand nombre de personnes, n’a pas l’aura qu’à le FC Barcelone sur le monde du football actuel. Les amoureux du football, en revanche, l’apprécient beaucoup. Pourtant, les deux clubs possèdent le même ADN, insufflés par les mêmes protagonistes.
Les deux clubs sont intimement liés par une certaine philosophie de jeu développée dans les années 1970 et qui continue de se perpétuer. Tout a commencé avec Vic Buckingham. Entraîneur anglais, il arrive à la tête de l’Ajax en 1959. Il remporte le championnat et la coupe avant de retourner coacher sur son île. Il fait son retour en 1964, regagne au passage le championnat mais surtout, il lance un certain Johan Cruyff dans le grand bain. Adepte d’un football attractif, il n’ira cependant pas assez loin pour son ancien joueur et futur remplaçant, Rinus Michels. Maître du “football total”, celui qui a été désigné par la FIFA comme le meilleur entraîneur du XXe siècle va révolutionner le jeu de l’Ajax et remportera une Coupe d’Europe et quatre championnats. Mais où est le rapport avec le Barça ici ? Et bien Vic Buckingham se verra confier en janvier 1970 les rênes du club catalan, constituant ainsi la première relation entre les deux équipes. Après de bons résultats obtenus, il devra quitter ses fonctions pour des soucis de santé, et son successeur se nomme … Rinus Michels, encore lui, ramenant en Espagne ses principes de jeu innovants et remplis de succès.
L’héritage du hollandais volant
Rinus Michels peine cependant à faire appliquer ses idées de jeu aux catalans, habitués à plus de liberté. En 1973, ses dirigeants vont lui faire un énorme cadeau. Ils recrutent Johan Cruyff, contre une indemnité d’environ 2 millions d’euros, un record pour l’époque. En arrivant, il déclare avoir préféré signer au FC Barcelone plutôt qu’au Real Madrid car le club était soutenu par le dictateur Franco. De quoi se mettre les supporters dans la poche dès le début. Au terme de sa première saison, les blaugranas sont sacrés champions, chose qu’ils n’avaient plus connus depuis 1960, une éternité. Point culminant de la saison, la victoire 5-0 au stade Santiago Bernabeu face au rival de toujours.
Johan Neeskens rejoindra lui aussi le Barça en provenance de l’Ajax à la fin de l’exercice 1973-1974. Mais le bilan sportif ne sera pas si conséquent, les catalans ne remporteront finalement qu’une coupe du roi supplémentaire avant le départ du “Prince d’Amsterdam”, en 1978, pleinement adopté par les supporters. Son dernier match sous les couleurs blaugranas ? Un amical contre l’Ajax Amsterdam évidemment. Avant de partir jouer aux Etats-Unis, il aurait fait une ultime recommandation à son président, Josep Lluis Nunez, celle de construire un centre de formation pour les jeunes joueurs. Le président écoutera le néerlandais et fondera La Masia, avec tout le succès qu’on lui connaît.
S’en suivront des années de dérive sportive pour Barcelone et surtout, une rupture des liens avec l’Ajax.
Pendant ce temps, Johan Cruyff fait ses gammes en tant qu’entraineur dans son club de formation. En 1988, il est appelé par ce fameux Josep Lluis pour prendre les rênes de l’équipe catalane. Et l’axe Amsterdam – Barcelone reparti de plus belle. Avec l’hollandais volant, la philosophie de jeu apprise aux Pays-Bas allait définitivement être inculquée aux barcelonais pour perdurer jusqu’à aujourd’hui. La meilleure façon d’apprendre ses principes de jeu aux joueurs est de le faire dès leur plus jeune âge, à travers La Masia. C’est ainsi que Johan Cruyff façonnera à sa manière les futurs joueurs de son équipe, le plus célèbre étant Pep Guardiola. Mais il n’a pas oublié d’emmener dans ses valises quelques bataves pour parfaire son arsenal. Ainsi le célèbre Ronald Koeman et Richard Witschge signeront au Barça respectivement en 1989 et 1991. Ils présentent tous les deux la particularité d’avoir évolué à l’Ajax. Evidemment. Cette “Dream Team” offrira à la Catalogne sa première Ligue des Champions face à la Sampdoria, grâce à un but de Ronald Koeman. Pour l’anecdote, les hommes de Cruyff évoluait ce soir avec un maillot orange, loin des couleurs habituelles mais proche de celles de la sélection hollandaise.
Une philosophie commune bien définie
Un pressing sans ballon constant, des joueurs polyvalents capables de se projeter vers l’avant à tout moment mais aussi de revenir défendre, des permutations incessantes. Voilà comment on pourrait définir simplement le football total, prémisse sur lequel la philosophie ajacide-barcelonaise est fondée. Remodelée par la suite par Johan Cruyff et son amour pour le beau jeu, celle-ci perdure jusqu’à nos jours. L’hollandais volant va reprendre le travail de son ex-entraîneur, Rinus Michels, pour le perfectionner à sa manière. Avec lui, la possession du ballon devient essentielle, étant une arme autant offensive que défensive. « Si nous avons le ballon, les autres ne peuvent pas marquer” avait-il déclaré. Logique. De plus, le premier défenseur est l’attaquant et le premier attaquant est le gardien. Tout le monde doit participer au jeu. L’objectif principal de son équipe est d’apporter le ballon dans les 30 derniers mètres adverses et de laisser les joueurs créatifs trouver la solution. Les attaquants ne sont jamais bridés offensivement. En détaillant cette philosophie, on semble définir la seconde « Dream Team », celle de Pep Guardiola, double vainqueur de la C1 en 2009 et 2011, ou bien même la promotion ajacide de 2018-2019, forte de sa demi-finale en Coupe d’Europe. Les héros de cette épopée avaient même été qualifié de “petits-fils de Cruyff” par De Telegraaf, un journal néerlandais.
Au-delà de la manière dont laquelle ces deux équipes jouent au football, il y a aussi la façon dont on leur apprend à jouer. La formation est au coeur de la philosophie des deux clubs. Dès leurs plus jeunes âges, les enfants sont poussés à réfléchir sur le terrain, avec et sans le ballon. L’intelligence tactique est développée très tôt, formant ainsi des joueurs habiles balle au pied, mais surtout, qui savent quand effectuer la passe, ou bien où se positionner sur le terrain exactement. Johan Cruyff, encore lui, résume parfaitement cette doctrine : “Quand vous jouez un match, il est statistiquement prouvé que les joueurs n’ont la balle que trois minutes en moyenne. Le plus important, c’est donc ce que vous faites pendant ces 87 minutes où vous n’avez pas la balle. C’est ce qui fait que vous êtes un bon joueur ou non.”
L’Ajax de Barcelone
Louis Van Gaal est lui aussi d’une certaine manière un disciple du football total. Alors quand il prend les rênes de l’Ajax Amsterdam en 1991 et bénéficie d’une génération dorée, il peut réaliser des miracles. C’est ainsi qu’à la surprise générale, ou pas, son équipe remporte la Coupe d’Europe en 1995 et parvient à se hisser de nouveau en finale l’année suivante.
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Vous l’aurez compris, quand il quitte les Pays-Bas, c’est pour devenir l’entraîneur du FC Barcelone. Au cours de son mandat, il fera venir ses anciens protégés, en la personne de Patrick Kluivert, les frères De Boer, Michael Reiziger, Jari Litmanen, Edgar Davids (lors de son second bref passage en 2002-2003), Winston Bogarde et Marc Overmars. Ce contingent énorme de joueurs hollandais donnera un surnom au club : l’Ajax de Barcelone. En dépit de deux titres de champion d’Espagne, cette équipe ne restera pas dans les annales et l’entraîneur sera fortement critiqué par la presse et par … Johan Cruyff. Celui-ci lui reprochera principalement de faire venir trop d’hollandais et donc de ne pas faire jouer les jeunes catalans du club, bien que Carles Puyol, Xavi et Andres Iniesta ont effectué leurs débuts avec Van Gaal. Il ne se gêne pas non plus pour critiquer son système de jeu chaque semaine dans sa chronique quotidienne, La Contra, publié dans le journal La Vanguardia. Les derniers mots de Louis Van Gaal à la presse seront “Amis de la presse, je m’en vais. Félicitations.”
Il faut toujours écouter Cruyff
En 2003, Joan Laporta, alors nouveau président du Barça, demande conseille à Johan Cruyff pour choisir le futur entraîneur. Il lui recommande alors Frank Rijkaard, ancien joueur formé à l’Ajax, cela va de soit. Désormais reconverti entraîneur, il reste sur une demi-finale lors de l’Euro 2000 avec la sélection hollandaise et une relégation avec le Sparta Rotterdam, club pourtant historique du pays qui n’avait jamais connu la seconde division auparavant. Maigre bilan pour lui mais Joan Laporta décide de lui faire confiance, conscient que sa philosophie de jeu correspond à celle de l’Ajax, et donc à celle du Barça. Et une fois de plus, un président a bien fait d’écouter la légende néerlandaise.
Quand le Barça retrouve son fameux style de jeu, il retrouve toujours le chemin du succès. Frank Rijkaard quitte la Catalogne en 2007-2008 avec à son palmarès deux Liga et surtout, une Ligue des Champions remportée au Stade de France aux dépens des Gunners d’Arsène Wenger.
Depuis, nombreux sont les joueurs qui sont passés par les deux clubs au cours de leurs carrières. Luis Suarez, Zlatan Ibrahimovic, Maxwell, Bojan, Thomas Vermaelen et le plus récent donc, Frenkie de Jong, symbole du style de jeu unique et de la relation qui unie les deux clubs. Marc Overmars, désormais revenu à Amsterdam pour y être directeur sportif, a confirmé qu’un partenariat officiel devrait voir le jour entre son club et celui de Barcelone. Il ne fait nul doute que les liens qui unissent ces deux frères perdureront encore longtemps dans le temps.
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