Si le football – du moins sa forme moderne – est d’obédience anglaise, il fut rapidement adopté par le reste de la planète. Les empires coloniaux, britannique en tête, permettent une large et rapide diffusion « balle au pied ». Le port, point de passage des marins, militaires et autres administrateurs, se transforme malgré lui en instrument de contagion.
Entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle, les empires coloniaux français et britannique sont à leur apogée territoriale. Les deux puissances européennes se départagent notamment les deux tiers du continent africain. Chacune exporte ses modèles sportifs. Une différence notoire sépare les deux pays au départ : la popularité du football. En effet, si les terrains sont largement fréquentés outre-manche, en France, il faut attendre le lendemain de la Première Guerre mondiale pour que la popularité du football décolle. L’exportation de ce dernier par le biais des flottes britanniques est fulgurante. On signale la trace de premiers jeux de ballons entre marins et soldats anglais dès l’année 1862 dans le port du Cap en Afrique du Sud.
L’auteur italien Stefano Jacomuzzi résume le colonisateur britannique par ces mots : « Partout ou se trouve une île, un îlot, un havre (…) là arrive l’Anglais, il dresse ses poteaux télégraphiques (…) son chemin de fer. Et il joue au football ». Ces quelques mots suffisent à faire comprendre les logiques sportives et coloniales qui se conjuguent dans les territoires sous domination européenne.
L’expansion du football tisse un lien particulier avec le soldat et par extension avec la guerre. En effet, le développement institutionnel de ce sport se fait dans un contexte politique particulier en Angleterre, celui de l’époque victorienne. Une époque qui loue des qualités comme l’abnégation et la philosophie stoïcienne. Nombre d’intellectuels religieux mettent en avant ce qui est nommé la « chrétienté musculaire ».
Un soldat peut apprendre les rouages de la guerre sur un terrain de football et appliquer ses enseignements, plus tard, sur le champ de bataille. Pour beaucoup, les succès militaires prussiens de la fin XIXème siècle ont en partie pour origine la pratique de la gymnastique. La chrétienté musculaire est perçut tel un moyen de motiver des succès militaires britanniques et une expansion certaine. Le champ de bataille était mondial et le sport, football en tête, était une des données à explorer.
Un match résume au mieux ce lien entre le football, le soldat et la mer. Celui-ci prend place le 25 Avril 1920 et oppose la sélection militaire de football britannique à son homologue française. Cette rencontre se dispute en la présence d’Adolphe Landry qui est, cela ne s’invente pas, Ministre de la Marine du 20 janvier 1920 au 16 janvier 1921. Pendant très longtemps, le football militaire, notamment en France, fut largement plus développé et performant que le football civil. Les militaires sont au premier plan des politiques coloniales et impérialistes.
De plus, ces derniers constituent un rouage essentiel du développement du football dans les empires. Ils sont bien souvent les plus nombreux et les premiers à arriver dans les nouvelles colonies. Le football était à la fois une culture martiale et un loisir communautaire, comme le rapporte l’historien Sébastien Darbon : « Dès qu’une poignée de Britanniques se retrouvait sur un sol étranger, un des moyens privilégiés de conserver des liens avec la métropole et de réactiver leur identité culturelle consistait à organiser entre eux des rencontres sportives ». Les marins, soldats et autres administrateurs coloniaux sont parfois le point de départ de clubs aujourd’hui réputés et répartis aux quatre coins de la planète.
Le club, vitrine portuaire et identitaire
Parfois, se sont les colonisateurs que l’on retrouve à la tête du développement du football et de la création des différents clubs, notamment au Caire, grande ville portuaire. Le 8 décembre 1905, est formé le Club des Hautes Écoles sous l’impulsion de fonctionnaires britanniques et d’étudiants se trouvant dans la capitale égyptienne. Deux ans plus tard, le club adopte le nom de d’Al Ahly. Il est l’un des premiers clubs africains de football.
Le nationalisme égyptien y voit très rapidement une fenêtre de tir pour y faire avancer ses idées. D’ailleurs, l’un des premiers présidents de ce Club des Hautes Écoles est Omar Lofti Bey, un proche de Mustapha Kamil, grand leader nationaliste égyptien. Sous sa présidence ce club est utilisé comme un moyen de lutte symbolique contre l’occupant britannique. La section football du club voit le jour en 1911. Un des premiers actes présidentiels est de transformer le statut du club qui devient civil et mixte (au sens des nationalités). Ses couleurs sont le rouge et le blanc, celles de l’Egypte et du pouvoir royal. Puis, à partir de 1925, la mixité disparaît. Le club devient exclusivement égyptien, avant d’être placé sous la protection du roi Fouad quatre ans plus tard. Le tableau est complet, au départ création de fonctionnaires coloniaux, le club est devenu la plus égyptienne des équipes et est un symbole anticolonial et de résistance, encore aujourd’hui.
Les anglais, avant de poser leur valise et leur ballon dans les ports africains, ile firent aussi en Europe. En 1872, des travailleurs britanniques du port du Havre fondent Le Havre Athletic Club. Celui qui possède symboliquement le surnom de « doyen des clubs français » est donc une création indirecte de la « Perfide Albion ». Encore aujourd’hui, le qualificatif Athletic orthographié à l’anglaise rappelle les origines insulaires du vainqueur de la Coupe de France 1959.
De l’autre côté des Pyrénées, en Espagne, la patte anglaise s’agite et se mêle aussi des affaires footballistiques. La ville basque de Bilbao, à l’instar du Havre, profite d’une influence anglaise pour développer ce sport.
En effet, à la fin du XIXème siècle, en plus des dockers et marins anglais présents dans le port, Bilbao voit le départ de nombre de ses étudiants pour l’Angleterre. En revenant dans leur pays natal, ceux-ci importent de nouveaux modes de vie et divertissements, dont le football fait partie. En 1898 est fondé l’Athletic Club, plus connu sous l’appellation d’Athletic Bilbao. Il est à noter que le 26 Avril 1903, d’autres étudiants basques expatriés, cette fois-ci à Madrid, fondent l’Athletic Club de Madrid. Celui-ci est aujourd’hui connu et reconnu comme le Club Atlético de Madrid.
De son côté, le club basque adopte une philosophie particulière. Dès 1912, il est décidé que plus aucun non basque ne jouerait pour l’Athletic. Cette règle est toujours en vigueur aujourd’hui (une mesure largement remaniée à travers l’histoire mais qui perdure tout de même). Malgré ces contraintes de recrutement, un siècle plus tard, le club n’a jamais été relégué et demeure l’un des symboles de l’identité très forte du Pays Basque. En 2010, un sondage révélait que 93% des socios souhaitaient toujours conserver cette philosophie propre à leur club et qui fait figure d’exception sur l’ensemble de la planète. Un club particulier, né par le port et les échanges, comme beaucoup d’autres.
La mer est une des voies principales par laquelle le football s’est répandu à travers toute la planète et ceci, dans un temps très court. Le port, porte d’entrée naturelle de beaucoup de villes industrielles et commerciales de la fin du XIXème siècle, permit la diffusion de ce sport et la création de très grands clubs. En plus de clubs européens et africains, on peut aussi évoquer le club de Boca Juniors, fondé par des immigrés génois à Buenos Aires. Certains avancent même que ses couleurs furent choisies par l’intermédiaire d’un navire suédois et son drapeau. Le port est également un marqueur territorial du football des villes, l’opposition entre le Panathinaïkos et l’Olympiakos Le Pirée le rappelle. Enfin, notre imaginaire même est influencé : la ville fictive accueillant les aventures des personnages de la sérié animée Foot 2 Rue se prénomme Port-Marie. Nombreuses sont les scènes se déroulant dans le port de cette cité fictive.
Sources :
- Peter Alegi, Laduma! Soccer, Politics and Society in South Africa, University of KwaZulu- Natal Press, Durban, 2004.
- Sébastien Darbon, Diffusion des sports et impérialisme anglo-saxon, Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 2008.
- Pierre Bouvier, « Colonisation et pratiques sportives », Journal des anthropologues, 16 Juillet 2014
Crédits photos : Icon Sport