Pour beaucoup, le Cagliari Calcio n’évoque pas grand-chose. Un palmarès assez maigre pour un club qui, certes, n’a plus l’aura qu’il avait il y a quelques années, mais qui, encore aujourd’hui, est l’unique représentant de la Sardaigne en championnat. Pourtant, Cagliari a toujours constitué une valeur symbolique en Italie. De plus, le club a vu jouer sous ses couleurs de beaux noms du foot, comme Enzo Francescoli (idole d’un certain Zinédine Zidane), Gianfranco Zola, Daniele Conti, l’inoubliable Luigi Riva ou, plus récemment, Radja Nainggolan. Or, le 12 avril 1970 est une date inoubliable pour la Sardaigne. Pour la première fois, Cagliari est champion d’Italie. Retour sur une saison qui a marquée les plus belles pages de l’histoire de l’île.
L’histoire de Cagliari en Série A ne commence qu’en 1964, année de sa première montée. Au fil des saisons, les Casteddu confortent leur place en première division. Cette progression se confirme avec l’arrivée de Manlio Scopigno en 1966, un entraineur au profil particulier qui fait grandir l’équipe. Pour sa première année sur le banc sarde, Scopigno emmène Cagliari à la 7ème place. La deuxième saison est moins glorieuse, mais l’équipe finit tout de même à la 9ème place. L’objectif est réalisé, le maintien est assuré. C’est lors de sa troisième saison, l’édition 1968-1969, que le Cagliari Calcio prend un tournant. Pour la première fois, les Sardes luttent pour le titre face à la Fiorentina et au Milan. Après une saison intense, les Rossoblù finissent 2ème, derrière la Viola. Ceux-ci ont raté le coche de peu, mais les espoirs d’une saison encore meilleure sont désormais envisageables pour une équipe solide et en constante progression.
Un entraîneur « philosophe » et une équipe soudée
En effet, Manlio Scopigno, qualifié d’entraîneur « philosophe », pose les bases pour créer un Cagliari digne d’admiration et au niveau des grandes équipes du football italien. Avec des objectifs élevés, les dirigeants Efisio Corrias, son bras droit Andrea Arrica, et leur entraîneur mettent en place une équipe compétitive. Celle-ci qui se distingue dès l’année de sa 2ème place, en 1968. Grâce à une ossature solide, l’équipe renforce sa compétitivité : au gardien Albertosi, l’un des plus grands à son poste dans le football italien, s’ajoutent des éléments d’une grande efficacité, qui dans les cinq années qui ont suivi la montée du club en Serie A, se sont cimentés et transformés en champions : le rugueux et solide défenseur Niccolai, le trequartista Nené ou encore, l’incontournable et irrésistible buteur star de l’équipe, Luigi « Gigi » Riva. Le vrai chef d’œuvre de Scopigno résulte dans la création de son milieu de terrain, celui qui débloque la situation des matches : avec le capitaine Cera, capable de long ballons en profondeur pour Riva, le brésilien Nené, habile et imprévisible milieu de qualité, Greatti, formidable molosse, enfin, l’infatigable Domenghini, homme à tout faire de l’équipe sarde, qui se révélera comme l’homme clé, garantissant solidité, équilibre et création de beau jeu. Ajoutez à cela Gori, l’autre attaquant qui accompagne Riva, avec lequel il forme une grande entente sur le terrain. Ces joueurs forment une symbiose, et installent Riva dans de bonnes conditions pour lui donner le rôle de protagoniste dans l’obtention du titre. Un groupe unique donc, qui forme une mosaïque parfaite, avec un jeu appris par cœur, et qui s’entend sur le terrain les yeux fermés. Scopigno se révèle être l’homme de la situation. Son secret ? Un offreur de liberté et une gestion du vestiaire hors pair. Il construit son groupe, imperméable à toute tension, sur l’amitié. Angelo Domenghini se rappelle :
Nous respirions parce qu’il n’y avait pas la pression de la tv, des journalistes et des sponsors. Respirer signifiait aussi pouvoir jouer un beau football, authentique, simple, efficace, et divertissant. Aller sur le terrain la tête vide, nous apportait de la force et nous conduisait probablement vers la victoire. Alors qu’aller sur le terrain la tête pleine provoquait de la peur, de la tension, et probablement la défaite.
« De ces années, je me souviens surtout du vestiaire. Nous nous aimions. Le temps passe et nous nous apprécions toujours », confie Riva.
Ainsi, l’enthousiasme commence à se faire sentir autour d’une équipe qui ne craint personne. L’assurance et la solidité du groupe impressionne les observateurs. L’équipe est jeune, mais possède des hommes d’expérience à tous les postes.
Une saison inoubliable
Le reste appartient à l’histoire. Cagliari repart sur les mêmes bases que la saison précédente. Grâce à un jeu explosif et effervescent, les résultats témoignent de la parfaite interprétation des mécanismes techniques et tactiques de cette formation. Dès la sixième journée, les Casteddu s’emparent de la première place, grâce à leur victoire 1-0 face aux champions d’Italie en titre, la Fiorentina. Ils ne la perdront plus. Cagliari est d’ailleurs champion d’automne à l’issu de la première partie de saison. La suite de la saison est riche en suspense et en émotions. La lutte pour le titre est acharnée entre Cagliari, la Juve et l’Inter. Lors des sept premiers matches de la phase retour, la Juve rattrape Cagliari, en marquant 13 points sur les 14 possibles. Les Turinois se retrouvent à un point seulement, le 15 février. Pendant un mois, une véritable course poursuite s’effectue entre les deux équipes, jusqu’à leur affrontement, le 15 mars, au Stadio Comunale de Turin.
Dimanche 15 mars 1970. Près de 70.000 spectateurs ont pris place pour assister au match de la saison entre les deux premiers du championnat. Cagliari n’a alors que 2 points d’avance sur son dauphin qui a l’occasion de revenir à égalité en cas de succès. La tension est à son comble. Le défenseur cagliaritain Niccolai débloque, malgré lui, la situation par un but contre son camp. 1-0 pour la Juve. Alors qu’il ne reste plus que quelques secondes à jouer en première mi-temps, l’inévitable Gigi Riva surgit de la tête sur corner et surprend le portier turinois. 1-1. La suite du match est une histoire de pénaltys. Au retour des vestiaires, la tension est toujours aussi forte. Peu après l’heure de jeu, l’arbitre concède un penalty aux Turinois. Une partie du championnat se joue dans ce face-à-face entre Ricky Albertosi et Helmut Haller. Le duel tourne à l’avantage du gardien, mais l’arbitre fait retirer le penalty, car Albertosi aurait quitté sa ligne avant le tir. Ce dernier, rattrapé par l’émotion, fond en larmes dans une véritable crise de nerfs. La Juve ne laisse pas passer sa seconde chance et transforme la nouvelle tentative. Si Cagliari semble abattu, c’est mal connaître les ressources de l’équipe Sarde, dont les efforts sont bientôt récompensés. En fin de match, Riva est bousculé dans la surface de réparation sur un duel aérien. L’arbitre siffle alors penalty. Rombo di Tuono se fait justice lui-même et s’offre donc un doublé. 2-2 : le score ne bougera plus. Certes, le championnat n’est pas encore acquis, mais la démonstration de force semble avoir convaincu les plus sceptiques sur le fait que les Rossoblù étaient suffisamment armés pour aller au bout de leur épopée. D’ailleurs, la semaine suivante, la Juve tombe à Florence, laissant ainsi la deuxième place à l’Inter, tandis que Cagliari confirme en s’imposant contre l’Hellas Vérone.
La suite du championnat est une formalité pour les Sardes et le 12 avril, dans leur stade de l’Amiscora, ils s’imposent sur le score de 2-0 contre Bari. La Juve, dans le même temps, est battue par la Lazio. C’est désormais officiel, Cagliari est champion d’Italie pour la première fois de son histoire. L’île est en liesse, tout le monde danse et est heureux. Six ans seulement après leur montée, les Casteddu apportent pour la première fois le titre dans le Mezzogiorno, loin des grandes villes du Nord et du Centre. Cette victoire est riche en symbolique pour la Sardaigne, trop souvent qualifiée d’île éloignée, repaire de bergers et de bandits. « Quand nous allions jouer à Milan ou à Turin, on nous qualifiait de bandits et de paysans », raconte Riva. Il y a désormais un sentiment de revanche, après des années d’isolement. La Sardaigne devient importante, les investissements des raffineurs de pétrole et par la suite, la découverte touristique détachent l’île de l’oublie de l’histoire italienne. L’écrivain et journaliste italien Gianni Brera, juste après l’obtention du titre de Cagliari, affirme :
Le scudetto de Cagliari représente la véritable entrée de la Sardaigne en Italie. C’est un évènement qui garantit l’introduction définitive de la Sardaigne dans l’histoire des mœurs italiennes. […] La Sardaigne avait besoin d’une grande affirmation et elle l’a eue avec le foot, en battant les équipes de Milan et de Turin, traditionnellement capitales du foot italien. Le scudetto a permis à l’île de se libérer d’anciens complexes d’infériorité et il a été un exploit positif, un évènement joyeux.
Ce Cagliari mémorable, est aussi le symbole de la liberté : « Durant la pré-saison estivale à Astiago, se souvient Pierluigi Cera, Scopigno entra dans une chambre où il trouva trois ou quatre d’entre nous à fumer comme des pompiers. Nous étions dans un vrai brouillard. Puis, il sortit une cigarette et nous demanda si par hasard il pouvait se joindre à nous.»
Avec ses 21 buts, Riva termine meilleur buteur de la saison. La convocation de six joueurs de Cagliari à la Coupe du Monde 1970 sonne comme la récompense ultime d’une excellente saison. Albertosi, Cera, Domenghini, Gori, Niccolai et Riva sont en effet du voyage au Mexique et atteignent la finale, où ils s’inclinent face au Brésil. L’équipe réalise un championnat quasi parfait, ne subissant que deux défaites (contre l’Inter et Palerme) et encaissant seulement 11 buts en 30 matches, ce qui représente encore aujourd’hui la moyenne la plus basse de buts encaissés par match, avec 0.37.
L’apogée de Gigi Riva
De 1967 à fin 1970 Riva connait la période la plus riche de sa carrière : un titre européen avec la sélection, une deuxième place avec son club en 1969, le scudetto en 1970, une deuxième place à la Coupe du Monde de la FIFA, Mexique 1970, une deuxième place au classement du Ballon d’Or 1969, et une troisième en 1970. Entre 1967 et 1970, il s’impose comme l’attaquant le plus régulier, remportant trois fois le titre de meilleur buteur.
Riva incarne son Cagliari à la perfection. Lui seul peut, par sa force et sa précision, changer le cours d’une rencontre. Intelligent tactiquement, fulminant dans ses mouvements, exceptionnel de la tête, Riva incarne la force d’une équipe organisée afin de mettre en valeur ses qualités. Toutefois, Riva n’est pas seul. Lui-même a besoin d’un collectif ô combien important. L’homme modeste et l’homme de vestiaire, il ne voit aucun problème à reconnaître combien ses coéquipiers furent essentiels pour ses 21 buts. Des transversales précises de Domenghini, aux espaces créés par Gori, aux longues passes de Cera et Nené. Riva terrifie les défenses adverses comme rarement d’autres en sont capables. Gaucher naturel, compact, 1m80 pour 80 kilos, il ne redoute jamais les contacts avec les défenseurs et fait souvent la différence avec son démarrage, un dribble court et sec, un redoutable jeu de tête, et quelques gestes techniques de haute volée. Mais sa grande force est sans aucun doute sa frappe soudaine, puissante et précise du gauche. Il est une force de la nature, une force sur le terrain, une idole pour tout une île, une légende gravée à tout jamais dans le cœur des Sardes.
Ce titre qualifie Cagliari en Coupe des clubs champions l’année suivante. La compétition commence bien pour les Sardes qui éliminent le grand Saint Etienne, champion de France en titre, au premier tour. Toutefois, les multiples blessures de Riva conduisent le club vers le déclin. Le 31 octobre 1970, l’Italien contracte une double fracture tibia-péroné, à la jambe droite. Sans son buteur, Cagliari est éliminé en Coupe d’Europe des Clubs Champions au tour suivant par l’Atletico Madrid et régresse au classement en championnat, en finissant la saison à une pauvre 7ème place. Une nouvelle fois, Riva récupère de ses blessures et revient au sommet lors de la saison 1971-72 en inscrivant 21 buts en 30 rencontres. Malgré les exploits de son buteur, le club sarde régresse dans la hiérarchie et joue plutôt le maintien. Si le club n’a jamais réussi à retrouver les sommets, sa performance n’en reste pas moins l’un des plus grands exploits du football italien.