Un soir de mars 1993 à Berlin, niché au cœur du parcage marseillais, Patrice de Peretti, plus communément appelé « Depé », harangue les supporters marseillais sous un froid glacial lors d’un match opposant l’OM à l’équipe russe du CSKA Moscou. Retour sur l’histoire d’un homme et d’un supporter pas comme les autres, qui incarnera mieux que quiconque la ferveur marseillaise au gré des années.
Patrice Christian de Peretti, de son nom complet, est un enfant de Marseille, un pur produit de la cité phocéenne. Né en 1972, sa passion pour l’OM lui vient très tôt, lui le minot des quartiers Nord. Un beau jour, ses parents décident de quitter le nord de Marseille pour migrer vers une zone plus « calme », Allauch. Le jeune Depé, ou Pépé pour les plus intimes, est très attaché à ses racines et a du mal à suivre ses parents, mettant en péril son avenir scolaire et professionnel. De liens d’amour, il ne tissera d’ailleurs jamais avec l’école. Le petit Patrice ne tient pas en place et n’a d’yeux que pour son Olympique, sur le point d’entrer dans une nouvelle ère avec la venue du charismatique Bernard Tapie à sa tête en 1986.
De maison à proprement parlé il n’a pas. Patrice n’a jamais été de ceux qui aiment la routine, malgré l’aide proposée par ses parents. Désormais, le jeune marseillais traine bien plus souvent aux abords du Stade Vélodrome, avec ses copains du quartier de la Belle de Mai qu’à la maison comme les enfants de son âge. Il ne suit pas la voie classique et décide finalement de stopper sa scolarité dès le collège. Non, il n’a pas de projet professionnel, et n’envisage pas une quelconque réorientation. Le minot veut se concentrer sur l’OM qui l’attire de plus en plus ardemment dans la passion, si particulière lorsqu’on parle de ce club.
Les débuts de Depé avec les ultras
Depuis sa première au Vélodrome en 1984, Patrice est magnétiquement attiré par ce milieu et s’inscrit doucement dans le paysage de l’enceinte du boulevard Michelet. En 1987, lui et sa petite bande de minots fondent le groupe ultra des South Winners. Ils prendront initialement place en tribune Ganay Sud, avant d’élire définitivement domicile au cœur du virage sud. « Win for us », le premier slogan utilisé par le groupe, donnera son nom aux South Winners, groupe marqué par sa volonté de rester indépendant dès sa fondation. Dans son sillage, la légende Depé est née.
Après la création du Commando Ultra dès 1984, puis des South Winners en 1987, d’autres groupes émergent très rapidement. Les Yankee Nord Marseille et les Fanatics sont ainsi respectivement créés en 1987 et 1988. Le mouvement ultra embrase le stade Vélodrome, et au sein des South Winners, le petit Depé prend rapidement du gallon. En 1987, il n’a que 15 ans mais sa voix déjà si particulière est reconnue par ses homologues. Au point que, petit à petit, il prend la tête d’une section… avant de prendre celle des South Winners au mégaphone. Cette nouvelle vague de jeunes fans s’inspire du modèle de supportérisme italien né entre la fin des années 60 et le début des années 70. Ils se démènent pour offrir un spectacle en virage, complémentaire à celui produit par les 22 acteurs sur la pelouse.
Identité marseillaise et combat contre le racisme
Actif aux tambours, brandissant drapeaux et bâches, Depé est comme un poisson dans l’eau dans ce monde où tolérance et solidarité sont deux maîtres mots, prônant le mélange des classes. Ce nouveau groupe de supporters lui permet de se rattacher à une identité au cœur de la ville et de la diaspora marseillaise, mais aussi de la défendre. Ses premiers faits d’armes seront justement de « nettoyer » une partie du virage sud. En effet, une minorité de membres des Ultras de l’époque ne partagent pas les valeurs véhiculées par ces minots, se rattachant plutôt à des courants d’extrême droite. Les « fafs » comme il les appelait, sont les ennemis de Depé et de ses amis, Rachid et Camille, eux aussi membres fondateurs des South Winners.
« Les fafs, ils pouvaient avoir un maillot de l’OM sur le dos, ça ne changeait rien pour Depé. À côté, le mec de banlieue avec son maillot de Paris, il n’en avait rien à foutre », se remémore Anton Coste, proche de Depé et membre des MTP.
Ainsi, Depé et ses amis enchaînent les opérations « coup de poing », au sens propre du terme, afin d’asseoir leur légitimité. Et de se débarrasser de ces « vieux » supporters gangrénant les travées du Vélodrome et de ses environs. Tandis que l’OM bataille sur le terrain, Depé remporte sa bataille à lui en tribunes. Pour le plus grand bien de son club chéri, il est un vecteur de l’inclusivité et de l’antiracisme. En témoigne également cette image forte lors de la saison 1989/1990 à l’occasion du choc face au PSG : les South Winners décident de retourner leurs bombers pour marquer leur opposition à la poignée de fascistes occupant la tribune Boulogne au Parc des Princes. Cet évènement fût également le point de départ de l’adoption emblématique de la couleur orange par ce groupe.
Les ambitions nationales et les rêves européens
Comment parler de cette période sans parler du renouveau qui touche l’OM sur le terrain. L’arrivée du fantasque Bernard Tapie au club en 1986 change la face du club olympien. Un vent d’ambition nouveau souffle sur la Canebière. Tapie reprend le club dans un piteux état et jure de lui faire remonter la pente. Ce dernier ne vise pas seulement le panthéon français, mais aussi les sommets européens. Le premier titre de champion de France arrive en 1988/1989, avant quatre autres couronnes. Depé est pleinement acteur de la montée du mouvement ultra à cette période. Il apprend vite. Il côtoie les Ultras Marseille et les Fanatics (le « FUW » pour Fanatics Ultras Winners) avec lesquels les Winners participent aux déplacements des plus fervents supporters.
La réussite de l’OM sur la scène nationale au tournant des années 90 s’accompagne d’une montée en puissance vers les sommets européens. Les ambiances incandescentes se succèdent au stade Vélodrome et à l’extérieur. Telles des rock-stars en tournée, les ultras accompagnent les hommes de Tapie, de Prague à Bari, en passant par Athènes. C’est aussi l’occasion pour les supporters marseillais de découvrir ce qu’il se fait de mieux en Europe. Clin de l’œil de l’histoire (la cité phocéenne ayant des origines grecques), c’est lors de la venue de la venue du club de l’AEK Athènes que le jeune Depé sera le plus « émerveillé » devant le spectacle proposé par les Grecs. Ces derniers semèrent le chaos dans Marseille avant puis pendant le match, torses nus, encourageant leur équipe pendant 90 minutes. Dès lors, Depé adoptera lui aussi cette « tenue », qui deviendra sa marque de fabrique. Torse nu, écharpe nouée autour du cou, chantant à pleins poumons. En oubliant parfois presque de jeter un œil au match derrière lui.
Un Depé à tout faire et une reconnaissance nationale
A cette époque, Depé devient une figure du Vélodrome, mais aussi du tissu marseillais. Sa démarche et son apparence si singulière font de lui quelqu’un à part, en marge de la société mais aussi très impliqué. Cheveux longs, t-shirt dépareillé, chaussures usées, voix rauque, tout le monde connait Depé à Marseille. Au-delà de le connaître, tout le monde admire Depé.
Berlin, parlons-en à nouveau. En 1993, l’OM se déplace dans la capitale allemande pour affronter le CSKA Moscou. Fidèle à son nouveau style vestimentaire simpliste, Depé fait tomber la chemise sous les caméras de TF1. Pendant 90 minutes, il « chauffe » le parcage marseillais, sous une température de -12 degrés. Au point de risquer sa santé selon les dires de son pote de toujours, Rachid Zeroual, co-fondateur et toujours leader des South Winners : « Sur le retour de Berlin, il était fiévreux, on avait peur de le perdre ». Fada, vous avez dit ?
Repérée par les médias, sa notoriété progresse, au point de devenir une figure pour le club dans le cadre de son rayonnement culturel. On associe Depé aux succès de l’OM. Il devient finalement un salarié à part entière de son club de cœur, dans le rôle d’un homme à tout faire voulu par Bernard Tapie en personne (officiellement, il devait assurer le lien entre la direction du club et les différents groupes de supporters). Cette collaboration gagnant-gagnant prend de l’ampleur. La « marque » Depé sert plutôt bien les intérêts de l’OM et de sa présidence de l’époque. En effet, Bernard Tapie souhaitant s’inscrire de manière pérenne dans la ville de Marseille, il s’appuie sur Patrice de Peretti pour diffuser le courant socialiste au sein des tribunes du Vélodrome.
Depé, lui, peut pleinement vivre de sa passion et est très proche de l’environnement du club, se liant même d’amitié avec certains joueurs. « Depuis le terrain, on le reconnaissait très distinctement. Alors quand on le croisait ensuite, on s’arrêtait pour bavarder », raconte l’ancien emblématique capitaine de l’OM, Didier Deschamps. Centre d’entraînement, siège du club, stade (même en-dehors des jours de match), Depé avait accès à tout. Il était reconnu comme partie prenante du club dans les plus hautes sphères organisationnelles de l’OM. Il avouera d’ailleurs que le lever du soleil vu du Stade Vélodrome est son spot préféré de la ville. L’on raconte même qu’un jour de reprise de championnat, Depé est interpellé et retenu au commissariat. Les joueurs olympiens auraient alors prétendu refuser de jouer si Depé n’était pas relâché… Tapie obtiendra plus tard sa libération.
Prise de responsabilités et nouveau départ
Cette importance au sein du club atteindra son apogée à la suite de la victoire de l’Olympique de Marseille en Ligue des Champions, lors de la saison 1992/1993. Depé participe aux festivités avec les joueurs. Il est même reçu avec l’équipe à la cérémonie organisée par le Conseil Régional. Lors de cette cérémonie, Tapie réalisa un geste qui restera dans les mémoires. Celui-ci démontrera l’importance de Depé pour l’OM et Marseille, et inversement. « Nanard » se saisit du micro et s’adresse à la foule :
« Avant que vous ne remettiez la médaille suivante, j’aimerais offrir ma médaille à celui qui symbolise tellement cette ville, Depé ! »
Depé est au paradis, dansant comme un gamin avec la Coupe aux Grandes Oreilles. Une image invraisemblable lorsqu’on sait que Depé n’est qu’un « simple » supporter sur le papier. Mais non, Depé était bien plus que ça pour ce club et cette ville. Tout Marseille se reconnaît dans la personnalité et la générosité de ce personnage.
🎖 Quand Bernard Tapie 🇫🇷 remettait sa médaille à Depé, tout en lui permettant de soulever le prestigieux trophée de la Ligue des Champions. 🏆 ⭐️#TeamOM | #ChampionsLeague pic.twitter.com/q4XctDnGiY
— Édition Marseille (@EditoMarseille) March 10, 2023
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La suite est moins rose pour l’OM, l’affaire VA-OM pointe le bout de son nez. Bernard Tapie ne survit pas à ce tourbillon, entraînant le club olympien dans sa chute. L’OM est rétrogradé administrativement à la fin de la saison 1993/1994, le collectif FUW se sépare. Depé voit une opportunité pour prendre un nouveau départ. Il le souhaitait déjà après le succès de 1993. Le feu follet avait besoin de plus de responsabilités, de leadership. Malheureusement, il ne trouvera pas le soutien escompté au sein des South Winners. Ces derniers ne pouvant pas faire confiance à « un type capable d’oublier les recettes d’un déplacement sur le siège du métro »… Par la suite, Depé quitte le local. Certains de ses amis le suivent et l’encouragent à fonder son propre groupe. Cette relégation tombe presque à point nommé pour la petite bande de la Plaine : bonjour les MTP pour « Marseille Trop Puissant ».
Retour aux sources avec les MTP…
En 1994, à 22 ans et à l’aide de ses amis, Depé fonde les MTP et se retrouve meneur de ce groupe. Une aubaine pour lui, qui retrouve le feu sacré. Il passe ses journées à la recherche de nouveaux membres, visant particulièrement les jeunes. Depé convainc également le président des Dodgers, un groupe du Virage Nord né en 1992, de céder un emplacement aux MTP. « Il faut que tu me rendes service. Je veux monter mon groupe de supporters mais je n’ai pas de place au stade. Personne ne veut de moi mais quoi qu’il arrive je serai un jour dans ce stade » relate Christian Cataldo, président des Dodgers et ami de Depé. S’en suit une période dorée pour Depé et ses MTP qui se développent rapidement. Les déplacements sont folkloriques et les anecdotes multiples. Un trajet à 18 dans une Peugeot J9, un déplacement à Epinal qui tourne au bain de minuit dans la fontaine municipale… Depé et son noyau passent du bon temps. Mais peu à peu, le leader charismatique des MTP perd de sa superbe.
… et des rêves d’ailleurs, avant une chute brutale
Depé goûte très peu au football business. Il a besoin de se rattacher à des valeurs, de s’identifier aux joueurs. « Le foot, le jeu, c’était vraiment secondaire pour lui. Il y avait des matchs où il ne savait même pas qui était l’équipe en face », explique Anton. Il déteste le virage que prend son sport. Les joueurs devenus des mercenaires, les maillots dorés, … Au point que Depé ne reconnaisse plus son club. En 1997, il emploiera en premier le terme « Footix » pour désigner un « faux » supporter. Depé rêve d’autres horizons. Le jeune marseillais rêve d’Argentine et de vivre sa passion auprès des ardents supporters de Boca Juniors. A 27 ans, il est toujours le même, possédant très peu, malgré le fait que ses parents soient toujours proches de lui et prêts à l’aider. Secrètement, Depé se donne deux ans pour quitter l’aventure MTP.
Les résultats de l’OM sont en bernes. Le club s’apprête à vivre sa pire saison depuis l’ère Tapie. Celle-ci, Depé ne la vivra pas. Au matin de l’ouverture du Championnat et en marge de la réception de Troyes au Vélodrome, Depé est retrouvé sans vie au domicile de son ami Anton, le 28 juillet 2000. Marseille est secoué par une onde de choc. Depé laisse ainsi un vide énorme au sein du Virage Nord. Le Vélodrome décide de lui rendre un vibrant hommage ce jour-là. Ainsi, les joueurs, très marqués et accompagnés par Eric Di Meco, alors directeur sportif, décident de se placer face au Virage Nord torses nus. Comme un symbole, la bâche des MTP brulera avant le match. Comme si Depé avait décidé de dire au revoir à sa manière à ses paires, au Vélodrome, à Marseille et à une passion qui l’aura brulé et consumé jusqu’à son dernier souffle…
Une légende du paysage marseillais
L’adage « vivre comme une rock star » ne pouvait pas mieux coller à la peau de Depé. Le gamin des quartiers Nord avait un style de vie débridé et ne tenait pas en place. Mais il « irradiait » de bonheur et d’énergie ceux qui l’entouraient, se remémore le photographe Alain Sauvan, qui l’a rencontré à ses débuts. En général, les jeunes et le public dans son ensemble s’identifient à des joueurs ou des entraineurs. Cependant, à Marseille, Depé a sa place dans la postérité au moins autant que les Basile Boli, Didier Deschamps et consorts. De ce fait, Depé est un cas unique. Il suffit ainsi de mettre un pied au Vélodrome pour s’en rendre compte. Fresques murales, chants, tifos, t-shirts à son effigie… les ultras ont même fait renommer le Virage Nord en son honneur deux ans après sa disparation.
Jusqu’à aujourd’hui, il est unanimement reconnu comme le supporter numéro 1 de l’OM, et son nom résonne encore sur toutes les lèvres, surtout en Virage Nord – Patrice de Peretti, d’où s’élève la ferveur du peuple marseillais.
Sources :
- Qui était Patrice de Peretti, dit Depé, icône des Ultras de l’OM, SoFoot.
- OM : 22 ans après sa mort, la légende Depé toujours intacte, La Provence.
- Vingt ans après, Marseille chante encore comme Depé, Le Temps.
- « Un supporter icône de l’Olympique de Marseille« , Ludovic Lestrelin.