Le premier championnat de soccer américain, la NASL, a une histoire particulière. Mal lancé sur ses premières années, il est devenu une attraction aux États-Unis, en faisant venir les plus grands noms du football mondial. L’envol a été aussi brutal que la chute, puisque la ligue s’est effondrée quelques années plus tard. Et malgré cet échec, la NASL provoque encore une certaine nostalgie chez ceux qui l’ont connue.
En 1967, le sport états-unien est loin d’en être à ses premiers balbutiements. En baseball, les Saint-Louis Cardinals viennent de remporter le huitième titre de NLB de la franchise depuis sa création en 1882. Les Green Bay Packers sont à nouveau sacrés dans la deuxième édition d’une finale opposant les vainqueurs des ligues de la NFL et de l’AFL, qui prendra un an plus tard l’appellation de « Super Bowl ». La NHL, championnat de hockey sur glace, connaît une expansion avec l’arrivée de six nouvelles franchises dans la ligue. Enfin, les 76ers de Wilt Chamberlain mettent fin à la série de huit titres consécutifs des Boston Celtics en NBA.
Mais avec une audience de plus d’un million de téléspectateurs devant la finale de la Coupe du Monde de « soccer » de 1966 en Angleterre, cet autre football semble avoir touché la population outre-Atlantique. Une ligue professionnelle est donc créée aux États-Unis : la North American Soccer League, abrégée NASL.
Faux départ
La NASL est au départ une fusion entre l’United Soccer Association et une ligue professionnelle indépendante, la National Professionnal Soccer League. Elle est officiellement créée le 7 décembre 1967. Pour sa première saison, elle comptera 17 franchises, dont 2 canadiennes. Seulement, il est assez difficile pour les dirigeants de cette nouvelle ligue de convaincre l’audience américaine de se tourner vers un autre sport que le baseball, le football américain, le hockey sur glace ou le basket-ball. Le soccer, déjà considéré comme le sport le plus populaire du monde, est pour les États-uniens une pratique réservée aux étrangers. Et cet engouement limité va coûter cher à la NASL, dès sa première saison.
Les franchises dépensent beaucoup plus qu’elles ne gagnent. Avec seulement 30 joueurs nord-américains pour les 17 équipes, les dirigeants s’appuient sur des joueurs étrangers aux salaires élevés. Les locations de stades surdimensionnés par rapport à leur fréquentation pour des matches de soccer coulent les clubs. À la fin de la saison, le bilan est lourd : la chaîne nationale CBS retire son contrat avec la NASL, pendant que 12 des 17 clubs décident d’abandonner l’aventure.
Soccer goes American
Les cinq années qui suivent contribueront à une certaine avancée. Les dirigeants de la NASL vont changer le championnat pour attirer de nouveaux intéressés. La culture sportive aux États-Unis diffère sur de nombreux points de l’Europe, et donc du football. Un certain nombre de règles sont modifiées afin que le public soit réceptif à ce nouveau sport. L’horloge est par exemple inversée, allant du 90 au 0, comme dans la majorité des sports américains, et le hors-jeu est déplacé de la ligne médiane aux 35 mètres. Inexistant en basket-ball ou en football américain, on supprime le match nul, qui est remplacé par une séance de tirs au but. Cette mesure permet d’éviter des cas extrêmes dans des phases finales, durant lesquelles la prolongation durait jusqu’à ce qu’une équipe marque.
Ce fût le cas en 1971 lors d’un match de play-off entre les Rochester Lancers et le Dallas Tornado. Dans le premier match d’une rencontre au meilleur de trois (la première équipe à deux victoires passe au tour suivant), les Lancers s’imposent dans la 6e prolongation, après 176 minutes de jeu. Lors du match 3, toujours à Rochester, la rencontre durera 148 minutes, et tournera à l’avantage de Dallas. Le Tornado finira champion, après 537 minutes jouées en 13 jours de phase finale. Soit à peu près l’équivalent de six matches. La règle des tirs au but est adoptée, et ceux-ci seront tirés d’une manière similaire… aux hockeyeurs de la NHL. La volonté « d’américaniser » le football est claire.
Et avec ces changements, amusants ou blasphématoires (c’est selon), la NASL, considérée comme semi-professionnelle, est plus appréciée. Le cas des Philadelphia Atoms est le plus parlant. Créée en 1973, la franchise fait vite parler d’elle pour son effectif à majorité états-unienne, un cas rare. À « Philly », le Veterans Stadium compte 11 500 supporters de moyenne par rencontre, et les Atoms font l’exploit de remporter le titre de NASL pour leur première saison. Les médias s’emparent du sujet, et Sports Illustrated présente sur sa une un joueur de soccer pour la première fois : Bob Rigby, gardien de Philadelphie. Le titre qui l’accompagne, marque aussi le coup : « Soccer goes American ». Des locaux ont réussi à faire parler de leur sport. Mais ce sont des étrangers, et pas n’importe lesquels, qui vont changer le statut de la NASL.
Le Roi et sa Cour arrivent
Un tremblement de terre frappe le championnat, le 10 juin 1975, lorsque Pelé signe au New-York Cosmos. Le businessman Steve Ross, fondateur de la franchise en 1971, vient de faire venir le footballeur le plus célèbre de l’histoire, vainqueur de trois Coupes du Monde. Dès les premiers jours, tout le monde le comprend : la NASL vient de changer de dimension. Des centaines de journalistes sont présents pour couvrir l’arrivée du Roi. CBS retransmet sa première rencontre en direct et attire plus de dix millions de téléspectateurs, un record évidemment. Pelé devient le sportif le mieux payé de la planète, et empoche 4,7 millions de dollars sur trois ans. A l’époque, le plus haut salaire de MLB (baseball) touche vingt fois moins. Le Cosmos devient l’équipe la plus suivie de la ligue, chose impensable quelques semaines plus tôt, comme l’atteste Shep Messing.
« Le New-York Cosmos attirait moins de monde que les films pornos diffusés dans les cinémas de la 8e avenue. » Shep Messing, gardien du Cosmos en 1974.
Mais la NASL ne s’arrête pas, et compte bien sur d’autres recrues. « Il est devenu à la mode de courir après le Cosmos », racontait le président des San Diego Sockers, Jack Daley. « Tout le monde devait avoir un Pelé ». En quelques années, les superstars déclinantes du Vieux Continent s’exportent en Amérique. La légende portugaise Eusebio rejoint Boston. « Le cinquième Beatles », George Best, signe aux Aztecs de Los Angeles en 1976, avant de déménager chez les Strikers de Fort Lauderdale (dans la région de Miami). Gerd Muller le suivra plus tard, même si les deux ne joueront pas ensemble. C’est Johan Cruyff, nouvelle icône, qui deviendra le visage des Aztecs. Il y obtiendra un titre de MVP en 1979. Il sera même rejoint par son entraîneur et mentor Rinus Michels. Le Cosmos fait coup double en ajoutant Franz Beckenbauer à son effectif, créant un duo pour le moins étonnant avec Pelé.
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La fin des années 70 est une période d’effervescence complète en NASL. Les affluences dans les stades se multiplient et de nouvelles franchises rejoignent la ligue. Certaines équipes, sans posséder de stars, soulèvent des foules entières. Les Minnesota Kicks attirent plus de 20 000 supporters par match durant 4 saisons, entraînant un folklore inédit autour du football. Cette explosion a offert au soccer ses plus belles heures. Elle sera aussi le principal acteur du naufrage de la NASL, à peine 10 après l’arrivée du Roi Pelé.
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Chute libre
Si les stars sud-américaines et européennes bénéficient de salaires mirobolants, ce n’est pas le cas pour tous. Dick Howard, gardien canadien qui a connu la naissance de la ligue, peut en témoigner. Son plus haut salaire n’a jamais dépassé les 21 000 $ (actuels) par saison. Même s’il ne s’en plaint pas, affirmant que « l’argent n’avait pas d’importance, et qu’il fallait avoir cette passion pour le jeu », les déséquilibres restaient énormes. Les Metro-Croatia de Toronto, champions en 1976, avaient fait appel à des dons de supporters dans une église pour payer le salaire de leurs joueurs.
En se lançant dans une course aux ex stars des grands championnats, la NASL est devenue instable économiquement. Les franchises de football américain dépensaient à l’époque 40 % de leur budget dans le salaire des joueurs. En NASL, la moyenne dépassait les 70 %. L’apparition d’une compétition de football en salle, la Major Indoor Soccer League, vient aussi augmenter les dépenses, en offrant une concurrence à la NASL pour s’offrir les meilleurs joueurs. Pour plus d’attractivité, les salaires grimpaient encore.
Les propriétaires ne s’y trompent pas. En voyant les bilans financiers des franchises chuter, les investisseurs décident de se retirer. Après la saison 1981, le championnat passe de 21 à 14 équipes. Seuls 9 franchises sont prêtes à jouer pour la saison 1984. Ce sera la dernière. La NASL est suspendue et ne reprendra pas.
Échec cuisant, souvenir impérissable
La fin brutale de la NASL a marqué les esprits, tant les excès financiers des franchises semblaient grossiers, et tant cette chute était inévitable. Mais bien que cette première ne soit pas une réussite pour les observateurs, elle a laissé un souvenir unique, particulièrement lors des années qui suivent l’arrivée de Pelé. Steve Marshall, membre du staff du Cosmos, en est nostalgique : « Ça a été Woodstock pendant dix ans. On a fait la fête comme des stars du rock ».
Même si la ligue n’a pas duré dans la longueur, elle a rempli son rôle : importer le soccer aux États-Unis. Et s’il n’a jamais pu atteindre une popularité comparable à celle des autres sports majeurs aux US, les États-uniens connaissaient désormais ce sport, et ses stars.
« La NASL en tant que croisée a été une magnifique réussite. En tant qu’entreprise, elle a finalement échoué en tant qu’entité unique. Mais ce qu’elle a laissé derrière elle, c’est une connaissance et un enthousiasme pour le jeu qui n’existait même pas dans ce pays auparavant. » Clive Toye, président du Cosmos lors de la signature de Pelé.
Le soccer mettra dix ans pour revenir dans le pays de l’Oncle Sam. Conditionnée par la création d’un nouveau championnat national, la Coupe du Monde 1994 est organisée aux États-Unis. Elle récoltera un immense engouement, et sera à l’origine de la création de la MLS, lancée officiellement en 1996. Cette nouvelle ligue reprendra les codes de la NASL en récupérant d’anciennes gloires des championnats européens. Mais cette fois, elle évitera une faillite rapide et retentissante.
Sources :
– Michael Lewis, « Comment la naissance et la mort de la NASL ont changé à jamais le football américain« , The Guardian
– Yann Buxeda, « NASL, la bulle spéculative du soccer nord-américain », France 24
– Pierre Godon, « Le football est arrivé en Amérique » : comment Pelé a téléporté les New York Cosmos dans une autre galaxie », France Info
– Éric Maggiori, « Il y a 50 ans, le match le plus long de l’histoire », So Foot
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