Les années 2010 correspondent à l’âge d’or de la sélection chilienne. Après des années d’errance et de non-qualification pour la Coupe du monde (entre 1998 et 2010), la Roja a réussi à se qualifier pour le mondial sud-africain. Le miracle ? L’arrivée d’un certain Marcelo Bielsa sur le banc. Le sélectionneur argentin a révolutionné de fond en comble le football local en laissant un glorieux héritage à ses successeurs tout au long des années 2010. Un héritage synonyme de titres, chose qui n’était jamais arrivée auparavant dans l’histoire de l’équipe nationale du Chili….
La révolution Marcelo Bielsa
Au cours des années 2000, la sélection chilienne connait une grande traversée du désert. Les successeurs des Marcelo Salas ou Ivan Zamorano n’arrivent pas à qualifier la Roja pour un mondial. Le Chili n’arrive pas non plus à avoir de bons résultats sur la scène continentale. Lors de la Copa America 2004, les Chiliens sont éliminés dès le premier tour. Trois ans plus tard, lors de l’édition 2007 au Venezuela, le Chili arrache de justesse une qualification pour les quarts de finale (en tant que meilleurs troisièmes de la phase de groupe) avant de se faire balayer par le Brésil sur le score de 6-1.
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Malgré cette lourde défaite contre le géant et futur vainqueur de l’épreuve, l’année 2007 est un véritable tournant dans l’histoire du Chili. Tout d’abord, la sélection U20 termine troisième de la Coupe du monde avec une fabuleuse génération composée de futurs grands : Alexis Sanchez, Arturo Vidal, Claudio Bravo, Matias Fernandez ou encore Jorge Valdivia. Une belle équipe avec beaucoup d’automatismes puisqu’une grande partie de l’effectif jouait pour Colo-Colo. Une efficacité collective et une culture de la gagne était ainsi présente comme l’attestent ce podium lors du mondial U20, les quatre championnats du Chili glanés ainsi que la finale de Copa Sudamericana en 2006 avec le plus grand club du pays.
L’année 2007 est celle aussi de l’arrivée d’un certain Marcelo Bielsa sur le banc de la sélection. L’entraineur argentin, champion olympique en titre lors des JO 2004 d’Athènes avec l’Albiceleste, a la lourde mission de redresser la sélection chilienne et de se qualifier pour la Coupe du monde 2010 en Afrique du sud. Le natif de Rosario devient alors plus qu’un simple sélectionneur durant son mandat. Avec une génération dorée qui arrive, les premières bases de la révolution sont posées. Marcelo Bielsa s’appuie sur cette dernière : Mauricio Isla, Alexis Sanchez, Arturo Vidal, Matias Fernandez intègrent l’équipe type lors des deux premières rencontres en septembre 2007 contre la Suisse et l’Autriche.
Le choix de lancer cette nouvelle génération portera ses fruits puisque la Roja réalise une grande campagne qualificative pour le mondial sud-africain. Les coéquipiers d’Alexis Sanchez remportent leur ticket pour l’Afrique du sud en pratiquant un jeu offensif, spectaculaire et engagé, reconnu par un grand nombre d’observateurs dans le monde. Une réussite sur le plan international qui se traduit surtout par un véritable enchantement au Chili. Avec ses principes, Marcelo Bielsa a su redonner un nouvel élan au football chilien. Ce dernier se traduit à la fois par une modernisation du football local mais surtout par une fierté retrouvée chez les supporters de la sélection chilienne.
Les protégés d’El Loco se révéleront définitivement aux yeux du monde entier pendant la première Coupe du monde de l’histoire en Afrique. Dans une poule relevée composée de l’Espagne, du Honduras et de la Suisse, le Chili a dans un premier temps pour objectif principal de gagner un match. En effet, avant 2010, la Roja n’avait plus remporté de match d’une Coupe du monde depuis quarante-huit ans. C’était en 1962, au Chili, lors du mondial à domicile : une victoire en quart de finale contre l’Union soviétique sur le score de 2-1. Une première mission qui sera vite réussie puisque le Chili gagne ses deux premiers matches contre le Honduras et la Suisse sur le score de 1-0. La génération dorée parvient ainsi à se qualifier pour les huitièmes de finale malgré une dernière défaite contre l’Espagne. En huitième de finale, le Chili retrouve le Brésil comme en 1998, au même stade de la compétition. Malgré une belle prestation, les hommes de Marcelo Bielsa s’incline lourdement sur le score de 3-0.
Néanmoins, l’essentiel est là. Le Chili compte de nouveau sur l’échiquier du football mondial. Avec son jeu offensif rempli de panache, la Roja a définitivement conquis les aficionados du football, comme le montre cette déclaration de Johan Cruyff pendant la compétition :
« La plus belle sélection que j’ai vue est celle du Chili. Offrir quelque chose de plus aux supporters à toujours été l’une de nos qualités, mais je dois admettre que le Chili a pris la relève. L’équipe a déjà montré beaucoup de qualités et elle a très bien compris que même si les possibilités d’un sacre sont faibles, elle a la possibilité de faire en sorte que le public prenne du plaisir à la voir jouer ».
Après une telle déclaration du triple Ballon d’Or néerlandais, la génération dorée chilienne peut rêver de grands lendemains victorieux….
Jorge Sampaoli, un héritier victorieux
Après cette très belle Coupe du monde sud-africaine, la génération dorée chilienne pouvait rêver d’aller encore plus haut. Grâce au travail de Marcelo Bielsa, de nombreux joueurs de la sélection brillaient dans les meilleurs championnats européens. En 2011, Arturo Vidal quitte le Bayer Leverkusen pour la Juventus. Son coéquipier Alexis Sanchez quitte lui la Serie A et Udine pour rejoindre la meilleure équipe d’Europe : le FC Barcelone de Pep Guardiola.
Malheureusement, les choses vont s’obscurcir pendant deux ans entre 2011 et 2012. Dans un premier temps, il y a eu l’éviction surprise pour raison politique de Marcelo Bielsa en janvier 2011. Un évènement malheureux qui intervient à quelques mois de la Copa America en Argentine où le Chili fait partie des grands outsiders. C’est un autre Argentin, Claudio Borghi, qui prend la tête de la Roja. Malheureusement ce dernier a décidé de renier les principes de Marcelo Bielsa. Si le Chili parvient à finir premier de son groupe lors de la Copa America 2011, il se fait sortir sans gloire contre le Venezuela (2-1) en quart de finale.
Une déception immense, surtout après avoir mis fin au principe de jeu instauré par El Loco. En plus de cela, de nombreux problèmes de comportement affectent la sélection. Certains joueurs se retrouvent liés à des scandales qui perdureront quelques années plus tard chez certains dont Arturo Vidal. En l’espace de quelques mois, le fabuleux travail sportif et politique de Marcelo Bielsa se retrouve gâché. C’est pour cela qu’après un an de tergiversation et de stagnation, la fédération chilienne opte de nouveau pour la révolution. Jorge Sampaoli, encore un Argentin, est nommé sélectionneur du Chili avec pour principal objectif la qualification pour le mondial 2014 au Brésil. Des qualifications où le Chili est plutôt mal embarqué.
En nommant Jorge Sampaoli, la fédération décide aussi de renouer avec les valeurs mises en place sous Bielsa. Sampaoli jouit d’une grande réputation dans le football sud-américain mais surtout chilien. Il a notamment construit une formidable machine collective avec l’Universidad de Chile. Disciple de Marcelo Bielsa, Jorge Sampaoli décide mettre en place un 3-4-3 avec deux blocs apparents. Son idée est de défendre à quatre et d’attaquer à six. Avant les mises en place tactiques, le nouveau sélectionneur doit d’abord remobiliser ses troupes. C’est lors d’une tournée en Europe pour rencontrer les cadres de la sélection que Jorge Sampaoli convainc ces derniers avec sa philosophie.
Le retour de l’exigence est aussi présent. A l’instar de ce qu’il se passait sous l’ère Marcelo Bielsa, tout est analysé dans les moindres détails, que cela soit du côté des joueurs ou des adversaires. Ce qui permet à chaque membre de la sélection d’avoir une préparation individualisée. Alors que le Chili était mal embarqué pour participer au mondial brésilien, la sélection de Sampaoli réalise une remontada avec quatre victoires en cinq matches agrémentées d’un jeu flamboyant et spectaculaire. La recette tactique est la suivante : retour d’un numéro cinq comme meneur de jeu reculé avec Marcelo Diaz devant la défense. Des latéraux ultras offensifs et un pressing incessant et de forte intensité. Jorge Sampaoli peut compter sur un milieu de terrain indéboulonnable composé d’Arturo Vidal et de Charles Aranguiz. Il rappelle aussi le banni Eduardo Vargas à la pointe de l’attaque. La magie se trouve avec Alexis Sanchez mais surtout avec la présence de Jorge Valdivia en numéro dix.
Après avoir terminé troisième des qualifications, le Chili arrive au Brésil avec le plein de confiance et d’ambition. Les Chiliens se retrouvent tout de même dans un groupe relevé composé des deux derniers finalistes : l’Espagne et les Pays-Bas. Et pourtant, les coéquipiers d’Alexis Sanchez parvienne à sortir de ce groupe de manière brillante. Une première victoire éclatante contre l’Australie (3-1) en ouverture et une contre l’Espagne (2-0) permettent aux Chiliens de se qualifier pour les huitièmes de finale comme en 2010. Malheureusement, la première place du groupe leurs échappe suite à la défaite contre les Pays-Bas. Pour la troisième fois de son histoire, le Chili va donc disputer son huitième de finale de Coupe du monde contre le Brésil. Une sélection qui ne leur réussit pas vraiment puisque les deux premières fois en 1998 et en 2010, la Roja s’est inclinée sur le score de 3-0. Cette fois-ci, le Chili résiste et ne se fait éliminer qu’aux tirs au but après un brillant 1-1 contre la sélection hôte.
Malgré cette nouvelle élimination contre le Brésil en huitième de finale, ce mondial 2014 a permis au Chili confirmer son retour au plus haut niveau international mais aussi de poser les bases de ses victoires à venir. En effet, un an plus tard, en 2015, le Chili accueille la Copa America avec pour ambition de remporter la compétition à domicile. Le 3-4-3 est confirmé durant la et la sélection de Sampaoli parait encore plus équilibrée qu’auparavant avec en plus le soutien de son peuple. La génération dorée écarte l’Uruguay en quart de finale, le Pérou en demie, avant de venir à bout de l’Argentine de Lionel Messi en finale après une intense séance de tirs au but. A Santiago de Chile, la Roja remporte la première Copa America de son histoire et par la même occasion son premier titre.
À l’issue de la rencontre, les joueurs de la sélection n’hésitent pas à rendre hommage à Marcelo Bielsa, comme c’est le cas d’El Mago Jorge Valdivia :
« Bielsa arrive à une période où le Chili est au fond du trou, avec beaucoup de difficultés pour gagner des matches. Il donne une philosophie à la sélection qui a perduré au fil du temps. Celui qui est à l’origine de tout cela, c’est Bielsa. Il nous a beaucoup marqués. Il nous a donné la philosophie et Sampaoli nous a menés la gloire ».
Car oui en effet, comme le déclare le numéro dix de la sélection, si Sampaoli a fait du Chili une sélection victorieuse, c’est bien en retrouvant les principes instaurés par Marcelo Bielsa que celle-ci a su retrouver son meilleur niveau après l’avoir perdu pendant deux ans.
Juan Antonio Pizzi, une hégémonie sur le continent sud-américain avant la chute…
Malheureusement le succès de Jorge Sampaoli ne fera pas long feu. En effet, malgré l’effervescence de la victoire finale en Copa America, la sélection chilienne connait quelques problèmes internes. En particulier des relations houleuses entre Jorge Sampaoli et Arturo Vidal. Il faut dire que le milieu de terrain de la Juventus n’a pas eu un comportement adéquat pendant la compétition chilienne. Pendant celle-ci, il s’est retrouvé dans une histoire d’accidents de voiture. Si son sélectionneur a voulu éteindre le feu pendant la Copa America, Arturo Vidal reste sous la menace de sanctions sportives.
Jorge Sampaoli décide même de l’écarter après la compétition au nom des valeurs introduites par Marcelo Bielsa. Une décision refusée par la fédération chilienne qui souhaite défendre le milieu de terrain. Un épisode qui acte la fin de l’aventure chilienne de Jorge Sampaoli. En plus de l’affaire avec Arturo Vidal, le sélectionneur argentin doit faire face à la crise que traverse la fédération chilienne. Le président Sergio Jadue est démis de ses fonctions suite au scandale du FIFAgate en 2015. Le sportif n’est également plus au rendez-vous depuis l’arrivée de Juanma Lillo dans le staff technique. Le Chili n’y arrive plus et se noie dans le dogme de la possession. C’est dans ce contexte politico-sportif que fin janvier 2016, Juan Antonio Pizzi succède à Sampaoli sur le banc de la Roja. La génération dorée se retrouve dans la même situation qu’en 2011 avec l’arrivée d’un nouveau sélectionneur à quelques mois d’une Copa America, celle du centenaire, disputée aux Etats-Unis où le Chili rêve de faire le doublé.
Malgré une défaite inaugurale contre l’Argentine, le Chili réalise de nouveau un superbe parcours en Copa America. La génération dorée écarte le Mexique sur le score de 7-0 en quart de finale avant de se défaire la Colombie (2-0) en demi-finale. La Roja se retrouve une nouvelle fois en finale contre l’Argentine. Même scénario qu’en 2015, le Chili remporte la Copa America contre l’Albiceleste aux tirs au but après un score de 0-0. Un doublé historique pour le Chili qui se prend à rêver d’un sacre mondial en Russie en 2018. Il faut dire qu’après ce doublé continental, le Chili apparait désormais comme une nouvelle puissance du football international et par conséquent comme un potentiel prétendant au titre mondial.
La nouvelle victoire en Copa America est aussi synonyme de qualification pour la Coupe des Confédérations qui a lieu en 2017 en Russie. Répétition générale avant le mondial, elle est l’occasion pour le Chili de lancer un message à la planète football un avant les hostilités. Ce sera bien le cas, puisque les protégés de Juan Antonio Pizzi parviennent à atteindre une nouvelle fois la finale après un parcours remarquable. Les Chiliens sortent d’une poule relevée composée du champion du monde en titre l’Allemagne, du champion d’Afrique le Cameroun et du champion d’Océanie l’Australie. La Roja a même tenu tête à la Nationalmannschaft en phase de groupes. En demi-finale, les Chiliens écartent le Portugal, champion d’Europe en titre, dans leur exercice préféré les tirs au but. Malheureusement, le Chili ne remportera pas sa troisième finale consécutive en grande compétition internationale. Le réalisme allemand vient à bout de cette sélection chilienne.
La Coupe des confédérations 2017 apparait comme prometteuse pour la sélection chilienne qui a réussi à tenir tête à des grandes sélections européennes comme l’Allemagne ou le Portugal. Néanmoins, le 2 juillet 2017, date de la finale de la compétition, on ne le sait pas encore mais la génération dorée effectue sa Last Dance. Quelques mois plus tard, Alexis Sanchez et les siens ne parviendront même pas à se qualifier pour la Coupe du monde en Russie alors qu’ils faisaient partie des favoris. À partir de ce désastre sportif, la génération dorée ne fera que de décliner malgré une dernière demi-finale de Copa America en 2019. Tout cela avant d’échouer une nouvelle fois à se qualifier pour la Coupe du monde 2022 au Qatar.
Les années 2010 constituent bien l’âge d’or de la sélection chilienne. Grâce aux travaux entrepris par Marcelo Bielsa à la fin des années 2000, la Roja est devenue l’une des meilleures sélections de la planète football. Avec deux victoires en Copa America (2015 et 2016), une finale de Coupe des Confédérations (2017) et deux Coupes du monde spectaculaires (2010 et 2014), le Chili a su conquérir le cœur des observateurs du sport le plus populaire au monde. Au-delà de ça, elle a aussi profondément transformé la société chilienne en lui léguant certaines valeurs : le courage, l’abnégation ou encore le sacrifice.
Sources
- Une génération dorée, Eurosport, Juillet 2011
- Lamrani Salim, Marcelo Bielsa et la sélection chilienne : un regard rétrospectif, Centre de recherche sur la mondialisation, Juillet 2017
- Cougot Nicolas, L’Histoire sud-américaine de Jorge Sampaoli, Lucarne Opposée, Février 2021