Si les divertissements ne sont pas nombreux dans la France libérée, occupée à se reconstruire, le football professionnel est resté une valeur sûre et peut compter sur le LOSC pour offrir un peu de magie aux spectateurs. Retour sur une époque qui fit du club nordiste l’étendard du football français de l’après-guerre.
La naissance du club
Ce n’est qu’à la fin de l’année 1944 que le LOSC voit le jour, non sans mal. Il est résultat de la fusion entre l’Olympique Iris Club Lillois et le Sporting Club Fives, frères ennemis qui parviennent à s’entendre afin de concentrer les moyens en un seul et même club, voué à devenir le meilleur de l’Hexagone. En septembre, cette entité prend le nom de Stade Lillois et entame le championnat de France 1944-45 sous cette dénomination. Mais dès le mois de novembre, les discussions aboutissent à l’adoption d’un nom différent, le Lille Olympique Sporting Club, appelé à arborer fièrement le Lion des Flandres présent sur son écusson.
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Louis Henno et George Berry, respectivement anciens président et entraineur du SC Fives retrouvent leur poste au sein du LOSC. Parce qu’il se structure rapidement et qu’il regroupe les plus grands talents de la région, autrefois répartis dans les différentes équipes des environs, le club nordiste nourrit de grandes ambitions. Dans ses rangs, Julien Darui, meilleur gardien du monde à cette époque, René Bihel, meilleur buteur du dernier championnat de France – disputé selon une formule différente sous l’occupation – ou encore François Bourbotte, attaquant international français.
La saison 1944-45
Épaulés par des recrues qu’ils côtoient sous le maillot bleu, ces joueurs doivent rapidement mener le club au sommet. Pourtant, dans cette dernière édition d’un championnat de France divisé en deux poules (Nord et Sud), le LOSC ne termine qu’à la cinquième place, loin derrière le FC Rouen, futur champion. C’est avant tout en Coupe de France que les hommes de Berry brillent, atteignant la finale après avoir écarté Lyon, leader de la poule Sud.
À Colombes, le 6 mai 1945, un LOSC âgé de quelques mois seulement cherche à glaner son premier trophée face au Racing Club de Paris. Trop inexpérimentés à ce niveau, en témoigne la jeunesse du trio d’attaque Vandooren-Lechantre-Baratte, les Nordistes sont balayés 3-0 dans un match à sens unique. Au crépuscule de cette saison en demi-teinte, une déception légitime face aux ambitions nourries lors de la fusion, mais un parcours encourageant qui démontre la capacité du LOSC à rivaliser avec les meilleurs équipes.
Une deuxième saison pleine de succès
Si l’équipe perd Julien Darui à l’intersaison, elle ne perd pas le nord et débute la campagne 1945-46 tambour battant. Après dix journées, elle mène la poule unique de Division 1 juste devant l’AS Saint-Étienne et autres ténors du football français. Emboitant le pas de ces résultats exceptionnels, le public se masse dans les gradins des stades Henri-Jooris et Jules-Lemaire qui accueillent tour à tour les rencontres à domicile.
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Ce statu quo dure jusqu’au derby face au RC Lens du 17 février 1946. Lors de cette rencontre, une tribune surchargée par de nombreux spectateurs qui, n’ayant trouvé de place dans les gradins, s’étaient agglutinés sur le toit s’effondre. Par miracle, aucun mort mais plus d’une cinquantaine de blessés et un stade inutilisable pour le reste de la saison. Si l’incident n’empêche pas les Lillois de l’emporter 3-1 face au voisin, désormais les matchs à domicile n’aurait plus lieu qu’au stade Jules-Lemaire.
Pour Jean Lechantre, ce changement n’est pas de nature à perturber l’équilibre lillois qui règne depuis le début de la saison, au contraire : « La pelouse était loin d’être plate. Assez vite dans la saison, l’herbe disparaissait et le terrain était gras et gorgé d’eau. Dès qu’il pleuvait un peu, on jouait dans la boue », a-t-il décrit. Sans compter que l’entraineur des Nordistes, George Berry, était un Anglais qui connaissait bien la pelouse et le jeu sous la pluie : « Il enduisait le ballon et nos chaussures de mine de plomb et ça marchait plutôt bien ». Toutes les méthodes sont bonnes.
Faut-il encore savoir faire preuve de caractère lors des déplacements périlleux à Marseille, Sète ou Saint-Étienne. Et si les résultats à l’extérieur sont loin d’être aussi bons qu’à domicile, c’est aussi parce que les conditions de transport étaient une épreuve. Les voyages en train dans une France qui reconstruit ses gares bombardées sont interminables et poussent parfois les joueurs à la débrouillardise, comme lorsque l’effondrement d’un viaduc empêche le train qui les transportent à Rennes de traverser. Franchir le ravin à pied et monter dans un autre train, voilà quel était le crédo.
Chaque point pris à l’extérieur est un pas supplémentaire vers le titre tant l’équipe est intraitable à domicile, maitresse sur sa pelouse esquintée et portée par un engouement populaire inégalé. Alors qu’à la 32e journée, l’ASSE est encore leader, le LOSC l’emporte à Strasbourg et arrache deux nuls à Marseille et Sochaux qui lui permettent de glaner le premier championnat de son histoire, un point devant les Verts. En Coupe de France, l’équipe démontre à nouveau qu’elle acquiert un ADN particulier dans cette compétition : après avoir notamment éliminé le FC Rouen, dernier vainqueur de la D1 et le RC Paris, son bourreau de la saison précédente, le LOSC se défait du Red Star (4-2) en finale devant 60 000 spectateurs au stade olympique Yves-du-Manoir.
Un souvenir inoubliable pour les joueurs comme pour les fans procuré par le LOSC qui réussit le premier doublé de son histoire et s’installe dans le paysage du football français. Cette saison particulière laisse un souvenir indélébile chez les joueurs, les supporters et plus globalement tous les suiveurs du football qui parlent d’une « machine de guerre » à la pointe de laquelle René Bihel a inscrit 28 buts.
Une pérennisation au plus haut niveau
À l’orée de la saison 1946-47, le club essuie cependant plusieurs pertes. D’abord, son entraineur George Berry claque la porte, lassé de ses querelles avec l’interventionniste président Henno, qui nomme André Cheuva, ancien de l’Olympique Lillois, à sa place. Mais plusieurs joueurs quittent également le navire : René Bihel rejoint Le Havre, Georges Hatz s’envole pour Rennes et Henri Tessier va étoffer le milieu de terrain du FC Metz.
Malgré ces changements, le LOSC croit ouvrir sa campagne de Division 1 idéalement en menant 3-0 face au voisin lensois à dix minutes de la fin du match. Toutefois, le champion sortant se fait rejoindre et concède le nul (3-3) à Bollaert. Un match frustrant qui symbolise à lui seul la saison décevante du club qui ne peut faire mieux qu’une 4e place, loin derrière le CO Roubaix-Tourcoing qui conquiert le seul et unique titre de champion de son histoire. À nouveau, c’est en coupe que les Lillois entrevoient une éclaircie et affirment leur statut de place forte du football français : tenants du titre, ils concluent une campagne probante par une victoire finale face au RC Strasbourg (2-0).
Le club ne s’arrête pas là. Si en championnat, les Nordistes enchainent les deuxièmes places (derrière l’OM, le Stade de Reims, les Girondins de Bordeaux ou l’OGC Nice, souvent pour un cheveu), leurs performances en coupe récompensent la régularité des joueurs à un très haut niveau et permet de garnir ostensiblement l’armoire à trophée du club. Entre 1945 et 1949, il est de toutes les finales et s’impose à trois reprises, en 1946, 1947 et 1948. Une domination telle que les supporters achetaient leur billet pour la finale de la compétition dès le début de la saison.
Un symbole du grand LOSC : Marceau Somerlinck
Durant cette période, le LOSC fournit la majorité des joueurs de l’équipe de France : Jean Baratte, Jean Vincent, André Strappe ou, plus tard, Yvon Douis (entre autres) brillent aussi bien sous le maillot bleu qu’avec la tunique rouge et blanche. Ils participent tous à faire du LOSC la plaque tournante du football français. Mais, si la plupart vont et viennent, un seul effectue toutes ses classes parmi les Dogues et a rendu son nom indissociable de celui du grand Lille de l’immédiat après-guerre, Marceau Somerlinck.
Entre 1945 et 1957, il disputa plus de 300 matchs sous les couleurs rouge et blanche et fut de toutes les victoires durant la décennie dorée du club nordiste. Passé dans sa jeunesse par l’haltérophilie, le cyclisme ou encore la gymnastique – il a notamment participé aux JO Ouvriers d’Anvers en 1937 avec la sélection française – il finit par signer sa première licence au SC Five. Il y reste fidèle jusqu’en 1943 et une brève apparition avec l’EF Lille-Flandres dans le championnat fédéral 1943-44 mis en place par Vichy.
L’année suivante, il intègre le LOSC dès la fusion entre l’Olympique Lillois et le SC Fives et participe à tous les succès du club jusqu’en 1957. Mieux, il est même son porte-bonheur puisque les seules finales perdues par les Nordistes (1945, 1949), sont celles auxquelles il n’a pas participé.
En 1954, un dernier exploit
En 1953, il est bien présent pour offrir au LOSC sa quatrième Coupe de France aux dépens du FC Nancy (2-1), tout comme il est un acteur majeur des performances régulières du club en championnat entre 1946 et 1953 (4 fois deuxième, 1 fois troisième, 2 fois quatrième). Cette régularité dans les très hautes sphères du football français est récompensée en 1954 par une nouvelle victoire finale en championnat, d’un souffle devant le Stade de Reims du grand Raymond Kopa.
Cependant, Somerlinck est impuissant à empêcher le déclassement du LOSC lors de la saison 1954-55 : minée par l’affaire Zakariás (le club engage un légionnaire tchécoslovaque qui se fait passer pour l’immense défenseur hongrois József Zakariás et laisse filer son roc défensif Cor van der Hart), l’arrière-garde lilloise ne fait plus le poids et plombe l’équipe qui ne finit qu’à la 16e place. C’est alors la pire performance de l’histoire du club.
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Pourtant, comme un baroud d’honneur, ces mêmes joueurs remportent la cinquième Coupe de France du LOSC à l’issue d’un parcours qui les a notamment vu écarter le Stade de Reims. Mais cette victoire peine à faire illusion et marque le dernier coup d’éclat de l’âge d’or du club nordiste. Si la victoire en barrage face au Stade Rennais lui a permis de conserver sa place dans l’élite, la saison suivante est une descente aux enfers : une nouvelle 16e place finale le condamne à disputer les barrages pour la deuxième année consécutive. Face à l’US Valenciennes-Anzin, les Dogues rendent les armes et sont condamnés à la descente en D2. Une chute brutale.
Aux conséquences sportives évidentes succèdent de graves conséquences économiques qui marquent un déclin sportif et financier durable pour les protégés de Louis Henno, qui quitte le navire en 1959. S’en suivent des périodes d’irrégularités qui voient le club alterner entre Division 1, Division 2, et même par la case amateur en 1970 avant de retrouver durablement l’élite en 2000. Ce n’est que lors du doublé de 2010-11 que le LOSC consacre son retour au premier plan et imite la performance de 1945-46, sans compter qu’il rappelle que l’histoire est un perpétuel recommencement.
Les succès du LOSC de l’après-guerre ont marqué le football français. 10 ans durant, Somerlinck et ses coéquipiers tutoient les sommets, jusqu’à ce que la génération se termine et que l’équipe peine à capitaliser sur sa progression des années précédentes ; démontrant par là même que la progression d’un club, loin d’être linéaire, est entravée par de nombreux accrocs.
Sources :
HURSEAU, Paul et VERHAEGHE, Jacques, Lille Olympique Sporting Club: 1944-2004, le soixantenaire, Sutton éditions, 2004.
« Aux racines du LOSC », Eurosport, 27 mai 2011.
« 17 février 1946: le toit de la tribune s’effondre lors d’un derby Lille-Lens », La Voix du Nord, 17 février 2016.
« Somerlinck est mort », L’Équipe, 15 novembre 2005.
Crédits photos : Icon Sport