11 mai 1976. La star de la chanson Elton John secoue le monde du football anglais en annonçant prendre la présidence du Watford FC, alors ruiné et relégué en quatrième division anglaise. Durant plus de deux décennies, le fantasque chanteur va tenter de faire du club du Hertfordshire une référence du Royaume. Cette love story va permettre à Watford de sortir de l’anonymat et à Elton John de lutter contre ses démons intérieurs.
L’histoire liant Elton John au club de Watford remonte à l’enfance. Reginald Kenneth Dwight de son vrai nom, a en effet vécu à Pinner, une ville voisine de Watford. Dès le plus jeune âge, son père l’emmène à Vicarage Road pour assister aux rencontres des Hornets. Son amour pour le football est également lié à son environnement familial. Son cousin, Roy Dwight, a remporté la FA Cup 1959 avec Nottingham Forest, inscrivant même l’un des deux buts vainqueurs. La reprise du club n’est donc pas un énième caprice de la star, mais résulte de son profond attachement au Watford FC. Dès 1974, l’artiste organise d’ailleurs un concert à Vicarage Road afin de venir en aide au club, proche du dépôt de bilan. Un événement qui marque l’entrée d’Elton John dans le monde du football.
It ain’t gonna be easy
Le parcours initiatique auquel va être confronté Elton John en tant que président est difficile. En effet, dans un milieu aussi conservateur que celui du football, l’homosexualité du chanteur a entraîné de nombreuses réactions homophobes. Rappelons que dans l’Angleterre des années 1970, l’homosexualité est simplement tolérée. Cette haine contre les homosexuels causera d’ailleurs le suicide de Justin Fashanu, premier footballeur ayant révélé son homosexualité en 1990.
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L’âge d’Elton John pose également question. Le chanteur achète Watford à seulement 29 ans et certains supporters craignent que l’inexpérience du néo-président soit défavorable à leur club. Mais il n’en est rien, l’artiste étant également propriétaire des Los Angeles Aztecs avec lesquels il s’est offert les services du génial et sulfureux George Best. Cependant, un problème de taille va s’imposer à Elton John : l’éloignement géographique. Entre sa vie de star à Los Angeles et ses tournées internationales, difficiles de gérer les affaires de son club.
The One
Elton John débarque pourtant avec l’ambition d’installer Watford dans l’élite du football anglais. Ce projet est rendu possible grâce à la fortune de l’artiste, multimillionnaire, et au sommet des Charts dans les années 1970. Son objectif est retardé lors de sa première saison, en 1976-1977, la faute aux résultats insuffisants qui ne permettent pas aux Hornets d’obtenir une promotion à l’échelon supérieur. L’entraîneur, Mike Keen, fait alors les frais de cet échec et est limogé par son président. Pour le remplacer, Elton John s’intéresse tout d’abord à Bobby Moore, emblématique capitaine de West Ham et des Three Lions lors de la Coupe du monde 1966. Mais face à l’inexpérience de Moore dans les divisions inférieures anglaises, Elton John opte finalement pour un jeune entraîneur rôdé aux joutes de troisièmes et quatrièmes divisions : Graham Taylor. Agé de 33 ans, Taylor avait permis à son ancienne équipe, Lincoln City, d’être promu en troisième division. Son travail avait d’ailleurs attiré certains clubs de First Division. Taylor décline d’ailleurs une offre de West Bromwich Albion pour rejoindre le projet d’Elton John.
Rocket Man
Le duo Taylor-John va alors se constituer une équipe compétitive dotée d’une solide colonne vertébrale. Graham Taylor va ainsi chercher le gardien Steve Sherwood à Chelsea et le défenseur central Ian Bolton à Notts County. Le jeune défenseur central arrive pour 12 000 £ et est décrit par Taylor comme le meilleur transfert qu’il ait réalisé. Le club s’appuie également sur de solides joueurs comme Ross Jenkins et surtout sur le jeune avant-centre Luther Blissett. Avec cette équipe, Watford remporte aisément la quatrième division lors de la saison 1977-1978. La saison suivante, les Hornets deviennent vice-champions de troisième division et rejoignent l’antichambre de la First Division.
Watford atteint également la demi-finale de League Cup en 1978, éliminant notamment le grand Manchester United à Old Trafford sur le score de 2 buts à 1. Il s’agit alors du plus grand exploit jamais réalisé par le club du Hertforshire. Les hommes d’Elton John s’inclineront en demi-finale 3 buts à 1 face à Nottingham Forest, l’une des plus grandes équipes d’Europe à cette période. Mais Watford ne parvient pas à franchir un nouveau cap et végète durant trois saisons en deuxième division jusqu’à l’arrivée d’un certain John Barnes.
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Can you feel the Love tonight
Repéré par hasard alors qu’il joue au football dans un parc londonien, Barnes n’a que 17 ans lorsque Graham Taylor le met à l’essai avec l’équipe réserve. Barnes impressionne Taylor, qui pousse son président à signer le jeune avant-centre. Dès sa première saison avec les Hornets, Barnes dispute 44 rencontres et inscrit 13 buts en championnat. Son entente avec l’autre attaquant Luther Blissett fait des ravages et le duo magique permet à Watford de glaner de bons résultats. Graham Taylor a trouvé avec Barnes la pièce manquante de son échiquier. Le club parvient enfin à passer un cap et termine à la seconde place synonyme de promotion en First Division.
Malgré la distance, Elton John continue de suivre scrupuleusement ses protégés. Par téléphone, il écoute en direct les résultats des Hornets. Le jeune président est peu présent pour son équipe et place donc sa confiance en son manager. Graham Taylor est alors libre au niveau du recrutement et des choix tactiques qu’il opère. Cette entente, que les deux hommes qualifieront ensuite de fraternelle, peut être résumé par cette phrase de Taylor : « Nous avions un accord selon lequel s’il [Elton John] ne me disait pas quelle équipe choisir, je ne lui dirais pas quelles chansons chanter. Cela a bien fonctionné ».
Go on and on
Watford débarque pour la première fois de son histoire en First Division lors de la saison 1983-1984. La promotion des Hornets dans l’élite du football anglais concrétise le projet amorcé sept ans auparavant par Elton John lorsqu’il rachète le club en 1976. Dorénavant, l’objectif est d’inscrire le club dans la durée et donc d’éviter une relégation à l’issue de cette saison 1982-1983. Avec des moyens sommes tout modestes, difficile de voir les protégés d’Elton John se maintenir. L’entraîneur Graham Taylor s’appuie alors sur les cadres de la saison précédente pour tenter de réaliser une grande saison dans l’élite.
Après une victoire 2 buts à 0 à Vicarage Road contre Everton pour leur premier match parmi l’élite, les Hornets s’imposent ensuite 4 buts à 1 sur la pelouse de Southampton. Les hommes de Taylor, remportent cinq de leurs sept premières rencontres, dont une victoire 8 à 0 contre Sunderland. Un excellent départ qui permet à Watford d’espérer mieux qu’une lutte pour le maintien. Les Hornets surprennent de semaines en semaines et font tomber des cadors du championnat. Ils battent Arsenal par deux fois, s’imposent à White Hart Lane contre Tottenham et contre Liverpool à domicile. Le duo Blissett-Barnes fait une nouvelle fois des étincelles. Blissett termine d’ailleurs meilleur buteur du championnat avec 27 réalisations. Grâce à son duo magique et son football offensif, Watford défie tous les pronostics et termine à la seconde place du championnat derrière Liverpool. Cette place de dauphin signifie également que le club est qualifié pour la Coupe UEFA 1983-1984.
Don’t let the sun go down on me
Après l’exceptionnelle saison 1982-1983, difficile pour le club du Hertforshire de remettre les pieds sur terre. En effet, de nombreuses difficultés vont s’imposer aux Hornets. A l’aube de cette nouvelle saison, les protégés d’Elton John vont devoir faire face à un calendrier dantesque comprenant des matchs de championnat, de Ccoupe d’Angleterre et de League Cup ainsi que de Coupe d’Europe. Le président doit également compenser le départ de son joueur vedette, Luther Blissett, parti pour un montant d’un million de livres à l’AC Milan.
Orphelins de leur meilleur buteur, les Hornets débutent péniblement l’exercice 1983-1984. Les recrues offensives George Reilly et surtout Paul Atkinson, recruté à Oldham contre un chèque de 175 000 £ ne parviennent pas à faire oublier Blissett. Les joueurs de Taylor ne prennent que deux petits points lors de leurs quatre premiers matchs de championnat. Début novembre, Watford n’a remporté que deux matchs de First Division et reste englué dans les dernières positions du classement.
Return to Paradise
Graham Taylor réagit et parvient à convaincre son président d’acheter un autre attaquant. Taylor jette alors son dévolu sur un jeune attaquant écossais, Mo Johnson. Elton John débourse 210 000 £ pour s’attacher les services de l’attaquant du Patrick Thistle. Cette signature va remettre le club sur de bons rails entraînant une amélioration des résultats. Johnson inscrit 20 buts en seulement 29 rencontres de championnat et permet à Watford de terminer loin de la zone de relégation.
Les Hornets découvrent également les joies des soirées européennes lors de cette saison 1983-1984. Lors des 32e de finale, Watford affronte Kaiserslautern, sixième du dernier championnat allemand. Les hommes d’Elton John s’inclinent 3 à 1 en Allemagne avant de balayer leur adversaire 3 buts à zéro dans leur antre de Vicarage Road. En 16e de finale, Watford hérite du Levski Sofia. Après deux matchs nuls sur le score d’un but partout, les Hornets prennent l’avantage en prolongation et remporte la rencontre 3 buts à 1. L’aventure s’arrête dès les 8e de finale contre le Sparta Prague. Taylor et ses hommes s’inclinent 7 buts à 2 sur l’ensemble des deux matchs, sonnant ainsi le glas de l’unique aventure européenne du club.
Saturday night’s alright for fighting
Malgré une saison très moyenne en championnat et une élimination précoce en UEFA, cette saison 1983-1984 va pourtant marquer l’apogée du club de la banlieue londonienne. Watford réalise en effet un incroyable parcours dans la plus ancienne des compétitions, la Coupe d’Angleterre. L’aventure débute lors du troisième tour de contre Luton Town, autre pensionnaire de First Division. Après un match nul 2 buts partout à Luton, les Hornets s’imposent 4 à 3 à Vicarage Road. Lors du quatrième tour, le club dispose de Charlton Athletic sur le score de 2 à 0. Puis Watford élimine successivement Brighton et Birmingham 3 buts à 1 pour se hisser en demi-finale.
Avant la grande finale, Elton John et ses hommes doivent s’imposer face à Plymouth, club de troisième division et bourreau de West Bromwich Albion et Derby County. La rencontre, très fermée, va se réduire à un simple but, inscrit par l’attaquant des Hornets George Reilly. Watford tient la première finale de coupe de son histoire. Elton John nage alors en plein rêve.
Don’t go breaking my heart
Le 19 mai 1984, Watford dispute le match le plus important de son histoire. Elton John est d’ailleurs présent à Wembley pour encourager ses joueurs. Lors de l’entrée de son équipe sur la pelouse, sur la traditionnelle chanson du club « Abide with me », l’artiste fond en larmes. Son rêve est à portée de main. Mais la marche est trop haute pour les Hornets. Watford est défait 2 buts à 0 par Everton qui s’adjuge la coupe. Cette défaite marque le début de la fin pour le club qui ne parviendra plus à exceller sous la présidence d’Elton John.
Watford enchaîne les saisons insignifiantes et les pertes de joueurs majeurs, malgré le retour au club de Luther Blissett. Ian Bolton quitte le club pour rejoindre Brentford à la fin de la saison 1983-1984. La saison suivante, Mo Johnson rejoint le Celtic Glasgow et Steve Sims signe à Notts County. Néanmoins, c’est le départ conjugué de John Barnes à Liverpool et surtout du manager Graham Taylor à Aston Villa qui marque la fin de l’aventure pour Elton John qui vend ses parts à Robert Maxwell en 1988.
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I’m still standing
Mais l’histoire d’amour entre Watford et Elton John n’est pas encore terminée. Débarrassé de ses différentes addictions grâce à sa cure de désintoxication en 1990, l’artiste se reconstruit et revient sur le devant de la scène internationale. Voyant son club de toujours enchaîner les mauvaises saisons, il décide d’agir. Elton John rachète le club en 1997 alors que celui-ci se morfond en troisième division. Cependant, le football est en pleine mutation. L’arrêt Bosman bouleverse considérablement le marché des transferts et le montant des transactions augmente considérablement. Chaque transfert est désormais un véritable pari et le second mandat d’Elton John s’inscrit donc dans ce contexte nouveau.
Pour l’aider dans sa mission, Elton John rappelle son fidèle manager et ami Graham Taylor pour tenter d’accéder à la Premier League. En seulement deux saisons, l’objectif est atteint. Les Hornets décrochent le titre de champion de troisième division en 1997-1998 et s’imposent contre Bolton 2 buts à 0 pour remporter les play-offs de deuxième division la saison suivante. Mais, malgré plus de trois millions de livres dépensés pour leur retour dans l’élite, la saison de Watford est un terrible échec. La marche est trop haute pour le club qui termine dernier de Premier League.
Goodbye yellow Brick Road
Cet échec fait prendre conscience à Elton John que le football laisse désormais peu de place aux clubs modestes. Watford ne parvient plus à remonter en Premier League ce qui le pousse à la vente en 2002. Désormais éloigné des affaires du club, Elton John supporte à distance son club de cœur et se rend parfois à Vicarage Road lors des matchs importants. Il obtient même une tribune en son honneur, la Sir Elton John Stand, en 2014. Il devient également président à vie du club. En 2010, alors que la santé financière de Watford est en péril, l’artiste organise un concert à Vicarage Road pour aider son club de toujours. L’argent récolté servira au recrutement d’un jeune attaquant de Walsall, Troy Deeney.
Elton John contribue également à faire entrer Watford dans la culture populaire. Le club, totalement inconnu à son arrivée, va connaître la notoriété grâce à la star britannique. L’artiste rend hommage aux Hornets sur la pochette de son album A Single Man en 1978, en portant une cravate aux couleurs du club. On aperçoit également un match de Watford dans le clip de la chanson Nikita sortie en 1985. Pour sa part, le club a modifié la musique d’entrée de ses joueurs par I Still Standing en honneur de son ancien président.
Someone saved my life tonight
Dans son autobiographie Me, parue en 2019, Elton John révèle avoir « été président [de Watford] pendant la pire période de [sa] vie : des années d’addiction et de déprime, de relations ratées, de mauvaises décisions, de procès et de tourments sans fin ». Mais, pour lui, « Watford a été une constante source de bonheur ». Il admet également que « Watford pourrait bien [lui] avoir sauvé la vie ». Malgré ses excès, il avoue que tous les matchs de Watford « sont gravés pour toujours dans [sa] mémoire ».
La présidence de Sir Elton John a marqué l’histoire du football anglais. La passion de l’artiste pour Watford a fait basculer son club dans une autre dimension. Son association avec Graham Taylor a permis au club du Hertforshire de passer des tréfonds de la Football League à la Coupe UEFA. Ce passage est également cathartique pour Elton John qui parvient à lutter contre ses démons intérieurs grâce au club.
Sources :
- Joffrey Pointlane, « Elton John, Watford dans la peau », Eurosport
- Brice Miclet, « La folle histoire d’amour entre Elton John et le Watford FC », Slate
- Thibault Dreze, « Elton John et Watford, still standing », Box To Box
- Richard Coudrais, « I’m only the piano player », Le Footichiste
- Will Magee, « Remembering the unlikely and endearing friendship between Graham Taylor and Elton John », Vice
Crédits photos : Icon Sport