Artisan du développement du football sur le continent africain, l’ancien sélectionneur de l’Éthiopie a été le pionnier du ballon rond dans son pays. Engagé contre l’occupation italienne dans les années 1930, Tessema a voué sa vie au football et à l’Afrique. Soixante ans après la dernière participation de l’Éthiopie à la CAN, retour sur cette figure emblématique de la Confédération africaine de football.
LIRE AUSSI : Les Léopards de Mobutu, faste et décadence d’un football au service de la politique
En 1921, l’Impératrice Zewditou 1ère règne sur l’Empire d’Éthiopie depuis cinq ans. L’héritier du trône, Tafari Mekonnen dirige l’Empire en sous-main en sa qualité de régent de la Couronne. Celui qui deviendra l’Empereur Hailé Sélassié 1er à son couronnement en 1930, s’active déjà en coulisse pour consolider son pouvoir qu’il conservera d’une main de fer pendant 44 ans. C’est dans ce contexte politique mouvementé que naît Ydnekatchew Tessema. Fils Tessema Eshete, un poète de l’ethnie Amhara, il grandit au milieu de l’élite dorée de la capitale de l’Empire, Addis-Abeba.
Dans l’école Tafari Mekonnen, où il est scolarisé, il découvre le sport et le football. Doué avec ses pieds, il démontre ses qualités de leadership sur le terrain, et prends naturellement le brassard de capitaine de l’équipe de son école à seulement 8 ans. En 1935, deux étudiants de son bahut décident de mettre sur pied un club de foot composé uniquement de joueurs éthiopiens, le Saint-Georges. Parmi les recrues, on retrouve le jeune Ydnekatchew. Du haut de ses 14 ans, il est promis à un grand avenir dans le rectangle vert.
Le football contre la barbarie fasciste
Le Saint-Georges est l’un des premiers clubs éthiopiens où les joueurs locaux peuvent s’exprimer. Le football était réservé jusqu’alors à une élite étrangère – l’Olympiacos pour les Grecs, l’Ararat pour les Arméniens, ou la Juventus pour les Italiens. A la marge, les Éthiopiens sont exclus sous prétexte qu’ils ne connaissaient pas les règles, ou encore que le « public ne connaissait ni l’essence, ni l’esprit de ce sport ». Ces préjugés racistes sont répandus partout en Afrique, où les Empires coloniaux français, britannique ou belge occupent une large partie du continent. Fort de son identité, le Saint-Georges devient un symbole patriotique à Addis-Abeba. Le nom n’est pas choisi par hasard par les membres fondateurs : Saint-Georges était un héros éthiopien qui a triomphé lors de la bataille décisive d’Adoua, en 1896, contre l’envahisseur italien.
Quarante ans après Adoua, les troupes italiennes sonnent à nouveau la charge pour s’emparer de l’Éthiopie en 1936. La répression de l’armée de Benito Mussolini s’abat sur toute la société éthiopienne. Comme en Italie, le Duce écrase tout signe de contestation, et le football n’échappe pas à la règle. Les clubs éthiopiens doivent changer de nom, ce que fera le Saint-Georges – devenu Littoria Wufe Sefer. L’Office indigène des sports encadre ce dernier en diffusant l’idéologie fasciste. Ydnekatchew Tessema doit se résigner à obéir aux ordres des autorités italiennes.
LIRE AUSSI : Hussein Hegazi, le père du football égyptien
L’attaquant et ses coéquipiers sont contraints de jouer pieds nus pour correspondre à l’image rétrograde des colons. Néanmoins, la résistance s’organise au Saint-Georges. En signe de défiance au régime fasciste, les joueurs vont arborer un maillot jaune, vert et rouge, aux couleurs du drapeau éthiopien. Pour le chercheur Firehiwot Sintayehu, le joueur devient un symbole du nationalisme éthiopien, cherchant désespérément à se frayer un chemin face à l’oppression italienne : « Le leadership de Ydnekatchew Tessema, dit-il, fut la raison principale de la survie de l’équipe [de Saint-Georges] ».
Un leadership qui se traduit en politique
Pendant 23 ans, Tessema va porter les couleurs de Saint-Georges qui se battit une solide réputation dans l’Empire. Virevoltant sur les pelouses, il n’en est pas moins rapide dans sa reconversion. Le chemin est tout tracé : il est appelé à devenir l’artisan du sport éthiopien à travers le continent africain. Après avoir pris les rênes de son club de toujours, il dirige la sélection nationale avec laquelle il avait été sélectionné à quinze reprises. C’est sous ses ordres que les Walyas arrachent la Coupe d’Afrique des Nations, aux dépens de l’Egypte, en 1962, à domicile.
Dans son pays, Tessema est partout. Secrétaire général de la Fédération éthiopienne de football pendant 33 ans, il est membre du Comité olympique éthiopien. Il va aussi occuper divers postes au gouvernement pour la promotion du sport. Un homme aux casquettes multiples qui va avoir une influence encore plus grande à l’échelle continentale.
Déjà en 1957, il était à l’origine de la création de la Confédération Africaine de Football. Représentant de la fédération éthiopienne, il était l’un des quinze membres-fondateurs, comme l’expliquent les chercheurs Alan Tomlison et Simon Kofe : « Il avait été l’un des membres-fondateurs de la CAF trente ans auparavant. Sur une photo des 15 fondateurs, il se distingue : âgé d’à peine 35 ans, il est assis au premier rang, vêtu d’un pantalon blanc, d’une chemise blanche à col ouvert surmontée d’une veste de sport décontractée, ne portant que des sandales légères et une mallette posée entre ses pieds ».
LIRE AUSSI : CAN 1962 : l’Ethiopie sur le toit de l’Afrique
Vice-président de l’instance panafricaine, il va en prendre la direction en 1972. Un mandat qui va s’étendre jusqu’à sa mort en 1987. Pendant sa présence, il va être l’un des artisans, avec le Ghanéen Ohene Djan, du boycott de la Coupe du monde 1966 par les nations africaines.
Le match politique de la CAF
Moins d’une place pour seize équipes. Le Mondial 1966 fait la part belle aux sélections européennes. Dix places pour le Vieux continent. Trois continents doivent se contenter d’un seul billet : l’Océanie, l’Asie et l’Afrique. Une miette de pain qui agace de plus en plus sur le continent africain. Seul l’Egypte a représenté le continent en 1934. Pourtant, plusieurs sélections peuvent prétendre à faire bonne figure en Angleterre. Double champion d’Afrique en titre, le Ghana est l’une d’entre elles. Dans les bureaux de la CAF, la colère monte. Tessema dénonce la décision de n’attribuer qu’une seule place pour trois continents comme « un simulacre d’économie, de politique et de géographie ».
Dans les années 1960, un vent de changement parcourt l’Afrique à mesure que les pays obtiennent leurs indépendances. « Dès qu’un pays africain devient indépendant, il adhère aux Nations unies, puis à la CAF – il n’y a pas d’autres organisations », souligne Fikrou Kidane, un ancien collègue de Tessema. En l’absence d’une organisation intergouvernementale – l’Union africaine remplira ce rôle à partir de 2000 -, la confédération de football africaine possède un certain pouvoir politique, avant tout symbolique.
La FIFA refuse de garantir une place pour l’Afrique. Une demande loin d’être déraisonnable que ne veut pas entendre la FIFA. Tessema et ses collègues décident de boycotter la Coupe du monde. La décision est difficile mais nécessaire. « C’était une question de prestige. La majeure partie du continent luttait pour son indépendance et la CAF devait défendre les intérêts et la dignité de l’Afrique », poursuit Fikrou Kidane.
Au Caire, en septembre 1982, quelques années avant de sa mort, il livre un discours qui fera date dans l’histoire de l’instance africaine : « La CAF considère sa mission comme un devoir politique, social et humanitaire au service de la paix, de l’égalité et de la fraternité entre les hommes […] une fédération bien structurée, solide sur ses bases et capables d’assumer sa mission dans le cadre de la construction d’une Afrique unie et puissante. » La carrière institutionnelle de l’ancien sélectionneur des Walyas va se poursuivre dans d’autres instances. Président de l’Union des Confédérations Africaines des Sports, il va aussi être membre du comité exécutif du Conseil Suprême des Sports en Afrique et membre du Comité international olympique. Une vie bien remplie qui s’achèvera en 1987.
Ydnekatchew Tessema a laissé un grand héritage au sport africain. Le symbole d’un homme qui a lutté pour l’Afrique à travers le sport. 60 ans plus tard, pour le Mondial 2026, l’Afrique bénéficiera de 9 voire 10 places. Une avancée qui a pris ses racines dans les prises de positions de l’illustre président de la CAF.
Crédits photos : EthioSports (une) / Icon Sport
Sources :
- BBC, How Africa boycotted the 1966 World cup, 11 juillet 2016.
- Benoît Gaudin, « Athlétisme et nationalisme dans l’Éthiopie des années 1920-1960. », Sciences sociales et sport, vol. 1, no. 1, 2008, pp. 49-78.
- FIFA, History Makers : Ethiopia’s rôle in the creation of CAF, 22 octobre 2012.