Le 30 juillet 1966, l’Angleterre vient à bout de l’Allemagne de l’Ouest dans une finale épique. Récompensés par la reine Elisabeth II, les joueurs des Three Lions ont remporté la Coupe du monde dans leur pays. Derrière la joie du capitaine Bobby Moore et de ses partenaires, se cache un homme discret. Sir Alf Ramsey. Un manager flegmatique et révolutionnaire qui a connu ses premiers succès à Ispwich Town.
LIRE AUSSI : Coupe du monde 1966 : autopsie du fiasco des Bleus
Son histoire débute au début des années 1920. Alfred Ernest Ramsey grandit dans une famille de la working class anglaise. Très doué sur les terrains pendant son enfance, il décroche son premier contrat en 1943 avec Southampton. Ramsey est engagé dans les rangs de l’armée britannique depuis trois ans. Pendant la guerre, il découvre son pays, il voyage, mais surtout, se forge un caractère de leader qui fera de lui un entraîneur de renom.
Sa carrière de footballeur se poursuit après la guerre à Southampton, où il jouera encore trois saisons, avant de rejoindre Londres, et Tottenham, en 1949. A White Hart Line, le défenseur, se construit une solide réputation sur les pelouses anglaises. Titulaire indiscutable au poste de latéral, il est l’une des pièces maîtresses du dispositif d’Arthur Rowe. Le Push and run fait de passe rapide vers l’avant déstabilise les adversaires. En 1950, les Spurs terminent en tête de la deuxième division, synonyme de promotion. L’année suivante, les Londoniens sont irrésistibles, et décrochent le premier titre de première division de l’histoire du club.
« [Il n’était] pas particulièrement brillant dans les airs, car il n’avait pas la stature pour sauter. Mais c’était un plaqueur décent et un excellent passeur. Il savait si bien lire le jeu, c’était son gros atout. C’est pourquoi il est devenu un si grand manager. » Eric Day, coéquipier de Ramsey à Southampton
Du cauchemar de Belo Horizonte au match du siècle
Avant de raccrocher les crampons en 1955, Sir Alf Ramsey va porter à trente-deux reprises le maillot des Three Lions. Au milieu d’une génération dorée, emmené par l’illustre Stanley Matthews, le défenseur des Spurs va prendre part au Mondial 1950. Il participe à la première aventure de l’Angleterre en Coupe du monde. Un périple au Brésil qui va s’avérer désastreux.
Malgré une bonne entame face au Chili, et un statut de favori, les Anglais sont battus par les étasuniens dès le second match. La défaite 1-0 face à une équipe américaine, composée principalement de joueurs amateurs, fait tache outre-Manche. La sélection anglaise tombe de son piédestal dans le stade de l’Indépendance de Belo Horizonte. Alf Ramsey est de la partie, mais il est impuissant devant les offensives des Yanks. Les Three Lions se font éliminer prématurément du tournoi après une nouvelle défaite contre l’Espagne.
Trois ans plus tard, les Anglais vont subir une nouvelle humiliation. Positionné au poste d’arrière droit, Alf Ramsey est l’un des onze Anglais défiant la meilleure équipe du moment, la Hongrie. Dans un stade Wembley comble, les Three Lions sont dépassés par le jeu raffiné des Hongrois. Ramsey et ses coéquipiers sont balayés 6 à 3 dans ce qui restera comme le « match du siècle », ou la première défaite de la sélection anglaise sur son sol. Marqué par cette déroute, Ramsey va s’inspirer de la tactique hongroise pour construire le succès qu’il connaîtra à Ispwich Town.
Au crépuscule de sa carrière de joueur, Ramsey se tourne vers le coaching. Après une expérience estivale sous le soleil sud-africain en 1955, il est appelé par le petit club de troisième division d’Ispwich Town. La ville paysanne de 115 000 âmes n’a jamais connu la première division. Un petit club qui va mettre la main sur deux entraîneurs anglais mythiques : Alf Ramsey et Bob Robson. « La première chose que j’ai dû faire a été d’oublier mes idées sur la façon dont le football devait être joué, explique le manager des Tractor Boys qui pris ses fonctions en août 1955. Je n’avais connu que la première division. Je me suis vite rendu compte que ce à quoi j’étais confronté à Ipswich était très différent ». Les infrastructures n’ont rien à voir avec ses anciens employeurs de Southampton ou Tottenham. Ispwich Town a intégré les ligues professionnelles en 1938. Sous l’impulsion de la dynastie familiale des Cobbold qui règne sur la ville du comté de Sussex (dans l’est de l’Angleterre), propriétaire de la brasserie du même nom, le club ambitionne de se faire une place dans l’élite du football anglais.
La révolution est en marche
Défait 2-0 par Torquay United pour son premier match sur le banc, Alf Ramsey met en place un système qui va préfigurer son schéma au Mondial 66. En décembre 1955, il prend une décision qui va modifier la saison des Tractor Boys. Arrivé l’an passé de Brighton, Jimmy Leadbetter est un attaquant doué balle au pied. Mais sa lenteur est un frein aux offensives de son équipe. L’inter va migrer sur l’aile gauche. Le premier coup de tactique du maître Ramsey. « J’étais censé être l’ailier gauche, mais ce n’était pas mon jeu. J’étais placé plus bas, je récupérais les ballons de la défense – les arrières latéraux adverses n’allaient pas s’aventurer aussi loin de leur propre défense pour me marquer, alors j’avais de l’espace pour venir dans l’entre jeu, analyse l’attaquant écossais. Et quand je m’avançais, je pouvais attirer le défenseur hors de sa position. Il ne restait pas au milieu du terrain sans avoir personne à marquer ; il se sentait obligé de venir à moi. Cela créait un grand vide sur le côté gauche ». Les décalages créés par Leadbetter qui joue très bas désorientent les défenses, adeptes d’un marquage strict, et laisse de l’espace au buteur Ted Philips pour conclure les actions.
Les Tractor Boys s’accrochent au trio de tête, mais terminent à la troisième place, à deux petits points de la promotion. Champion de troisième division sud la saison suivante, Ramsey réussi son pari de mettre sur pieds une équipe solide – 101 buts inscrits pour 20 encaissés en 46 matchs. Basé sur un jeu rapide vers les côtés, le coach explique être « en faveur d’une sortie de balle rapide depuis la défense ». Pour lui « une équipe est plus vulnérable lorsqu’elle vient d’échouer en attaque », car elle n’a pas le temps de se replacer et se met à la merci d’une contre-attaque éclair. Adepte d’une sortie de balle en trois passes, il instigue ce style de jeu peu spectaculaire à ses joueurs pour exploiter au mieux les largesses du W-M. Les trois défenseurs centraux sont obligés de suivre les attaquants de pointe et donc si le latéral se fait éliminer, un trou se crée dans la défense.
LIRE AUSSI : Angleterre 1966, une victoire contestée
Ramsey continue son chantier et envoie Ispwich en première division en 1961. Champion au bout de leur première saison en First Division devant Burnley, le petit club rural détonne dans le football anglais. A la manière de Leicester en 2016, personne n’aurait pu prédire une telle ascension. Alf Ramsey attire les projecteurs. Malgré une saison suivante décevante avec une 17e place, l’ancien joueur de Southampton est le candidat numéro un pour prendre la place de Walter Winterbottom à la tête des Three Lions. L’élimination en quart de finale du Mondial 62 face au Brésil déplaît à la fédération anglaise qui cherche désespérément à trouver l’entraîneur qui sacrera l’Angleterre sur ses terres en 1966. Le coach d’Ispwich accepte le poste en octobre 1962 pour donner un nouveau tournant à sa carrière.
Après deux rencontres sous l’étroite surveillance du comité de la fédération qui choisit les joueurs, l’Angleterre n’y arrive pas. Une défaite 5-2 contre l’équipe de France finit de convaincre le comité de donner les pleins pouvoirs à Ramsey. Le W-M est mis au placard au profit d’un 4-2-4 plus moderne. En 1964, les choix tactiques du sélectionneur payent sur le terrain. Les États-Unis perdent 10 à 0. Une revanche pour Ramsey qui avait vécu le drame de Belo Horizonte en 1950. Mais la tournée en Amérique du Sud est moins prolifique. Bousculés par la technique des Argentins et des Brésiliens, les Anglais ont eu beaucoup de mal à récupérer le ballon en phase défensive. Le Mancunien Bobby Charlton et le Liverpuldien Peter Thompson se partagent les ailes, tandis que Jimmy Greaves (Tottenham) et Johnny Byrne (West Ham) occupent le front de l’attaque. Problème : le quatuor n’est pas avare des efforts défensifs.
En février 1965, les résultats des Three Lions ne convainquent pas la presse anglaise. Les victoires sont poussives. Pourtant, le sélectionneur essaie un 4-3-3 asymétrique qui donne naissance aux Wingless Wonders. « Avoir deux joueurs totalement écartés sur les ailes est un luxe qui réduit une équipe à neuf quand le jeu va contre elle ». Nobby Stiles à la récupération, Alan Ball et Martin Peters sur les côtés, le milieu à quatre avec Charlton séduit le coach anglais. Les quatre abattent un gros travail défensif et n’hésitent pas à monter pour apporter le surnombre en attaque. Un changement radical qui permet à l’Angleterre de battre l’Allemagne de l’Ouest, la Suède ou l’Espagne. Sans véritable ailier, les Anglais peuvent compter sur les projections de Peters et Ball pour venir en aide à Geoffrey Hurst et Roger Hunt.
1966. Les Beatles sortent l’album Revolver. La révolution culturelle éclate en Chine alors qu’un coup d’État militaire renverse la démocratie en Argentine. Au beau milieu de tout ça, la Coupe du Monde attire l’attention du monde entier depuis l’Angleterre. Une victoire pour le pays du football qui sera couronnée par le sacre des Three Lions avec à sa tête Alf Ramsey. Un entraîneur aux concepts novateurs dans un football anglais conservateur qui va connaître la gloire, puis l’échec, avec la sélection.
Sources :
- Régis Delanoë, Ispwich Town, la confédération paysanne, SoFoot.com, 2014.
- ESPN, Documentaire sur Sir Alf Ramsey, Youtube, 2012.
- Jonathan Wilson, La Pyramide Inversée, Hachette Editions, 2018.
- Leo McKinstry, Sir Alf : A Major Reappraisal of the Life and Times of England’s Greatest Football Manager, HarperSport, 2006.
Crédits photos : Icon Sport