Prometteuse quatrième de Ligue 1 en 2008 puis malmenée entre l’élite et la Ligue 2 dans les années 2010 avant de plonger, ce XXIe siècle ne représente pas l’âge d’or de l’AS Nancy Lorraine (ASNL). La plus belle page de son histoire s’écrit plutôt en 1978, lorsqu’une équipe unique permet au club créé onze ans plus tôt de graver son nom dans l’histoire de la Coupe de France. Souvenir.
En 1966, un Nancéien doit faire 60 kilomètres et se rendre à Metz pour voir une rencontre de football professionnel. Insupportable pour Claude Cuny, ingénieur de formation, qui a l’idée de fonder un nouveau club dans la ville. Il en parle à ses amis passionnés de football, travaille dans l’ombre, puis finit par partager son projet avec un journaliste de l’Est Républicain. Structures modernes, collaboration avec l’industrie et le commerce, aides de la municipalité : le dossier est solide. D’autant que l’aspiration populaire est là. Une initiative largement relayée par la presse permet de recueillir 18 000 lettres et cartes de Nancéiens qui approuvent la création d’un nouveau club.
Un modèle novateur
Ce nouveau club sera monté sous forme d’association et devra être l’antithèse du football de l’époque, apanage de mécènes plus que de dirigeants compétents. En effet, Cuny est le premier à parler d’organigramme, de budget prévisionnel, de « conservatoire du football », ancêtre des centres de formation. Les lecteurs de l’Est Républicain choisissent même à une importante majorité le nom du futur club. Ce sera l’AS Nancy Lorraine. Un maillot est dessiné et le dossier envoyé au Groupement du football professionnel (GFP). L’ASNL aspire bien à être sur la ligne de départ le 19 août 1967 pour le premier match de D2 de son histoire.
Mais le 10 juin, le GFP rejette le dossier, préférant la candidature du FC Lorient, plus traditionnelle, plus conformiste. Cuny s’entête. Soutenu par la ville, il invite l’un des patrons du football professionnel français et le convainc de donner son feu vert : c’est gagné, le dossier est accepté. Partie de rien, l’ASNL jouera bien en D2 l’été suivant.
Des joueurs sedanais, strasbourgeois ou d’anciens du FC Nancy signent un contrat avec le dernier né du football professionnel français. Les matchs de préparation donnent le ton avant une première rencontre en D2 face à Béziers qui sonne, hélas, la fin du conte de fées : défaite 4-0. Il faudra se battre pour se maintenir. C’est par son jeu attractif mené par l’ailier Eddy Dublin que l’ASNL réussit à s’offrir une belle dixième place pour la première saison de son histoire.
La montée en puissance
À l’été 1968, le club gagne en régularité et emménage au stade Marcel-Picot. L’ambition est désormais de monter au plus vite en D1. C’est manqué de peu à l’issue d’une saison 1968-69 qui voit l’ASNL finir troisième. En revanche, la saison suivante, c’est chose faite : après avoir lorgné sur la première place de l’OGC Nice toute la saison, c’est en tant que dauphin que les Nancéiens s’avancent dans les barrages d’accession à la D1. Dans un mini-championnat à quatre équipes, l’ASNL termine deuxième devant le SEC Bastia et l’Olympique Avignonnais et valide son ticket l’échelon supérieur.
Malgré une défaite inaugurale 5-0 contre l’AC Ajaccio, l’ASNL s’y maintient et finit douzième, bien aidée par le public de Marcel-Picot, élu meilleur de France. Les performances à domicile de l’équipe lui permettent de monter en puissance dans les années 1970, même si certains épisodes freinent cette progression. L’équipe est, par exemple, forcée de jouer un match loin de ses terres après l’éclatement d’une émeute : la réaction du public à plusieurs situations litigieuses lors d’un match contre le PSG forcent joueurs et arbitres à se terres dans leur vestiaire pendant que les forces de l’ordre tentent de faire revenir l’ordre. Bilan : 15 blessés, un spectateur éborgné.
Un premier accroc sans conséquence
Un évènement qui ne remet pas en cause la suprématie nancéienne à domicile. La progression de l’équipe passe aussi par le recrutement de jeunes joueurs façonnés au conservatoire du football avant d’intégrer l’équipe première, comme ce fut le cas pour le jeune Michel Platini, 17 ans, en 1972. Mais l’arrivée du prodige ne peut empêcher l’invraisemblable relégation en mai 1974. À la lutte avec l’ASNL pour le maintien, l’AS Monaco perd son dernier match de la saison 8-4 contre Reims mais obtient un point pour avoir marqué au moins 3 buts (règle en vigueur depuis 1968 et retirée à l’issue de cette saison 73-74). Point qui lui permet de rejoindre les Lorrains avec 41 points et de se maintenir à la différence de buts !
Révoltée, l’ASNL ne traîne pas et remonte de suite en D1 la saison suivante. Un début de saison compliqué dans l’élite propulse alors Jean-Michel Moutier, 20 ans, dans les cages : il y gagne rapidement le surnom de « Moumout », dont les arrêts éblouissants participent au renouveau de la défense nancéienne. Mais désormais, c’est surtout Platini qui fait les beaux jours du club : bien épaulé par Olivier Rouyer et Paco Rubio, il anime un jeu offensif dans un championnat qu’ils achèvent à la septième place et une Coupe de France où ils atteignent les demi-finales, seulement stoppés par l’OM.
LIRE AUSSI – L’archange Platini
Dans le sillage de Platini, les jeunes prennent le pouvoir : Jeannol, Moutier et Rouyer gagnent la confiance de Cuny et enchainent les bonnes performances. Comme lorsqu’ils remportent le choc face à l’ASSE à Marcel Picot en décembre 1976 devant 30 000 spectateurs, record absolu dans l’enceinte. Après une frustrante quatrième place finale, l’ASNL rêve grand, l’ASNL rêve d’Europe, l’ASNL rêve de titre.
Une saison sans relief ?
Lors de la saison 1977-78, les performances en dents de scie de l’équipe laissent les supporters sur leur faim : bien qu’elle pérennise son statut en D1, elle ne termine que sixième. Progressivement, c’est plutôt le parcours en Coupe de France qui va faire se lever les foules. À l’orée de la saison, l’entraineur et ancien joueur Antoine Redin rumine la défaite au premier tour de la saison précédente face à Strasbourg. Ce fut une vraie déception. L’ambition de la saison est de redorer le blason en coupe, c’est-à-dire d’atteindre les demi-finales, comme lors de la saison 1975-76.
Mais on a du mal à imaginer les Nancéiens aller au bout. D’abord, parce qu’ils déçoivent en championnat. Ensuite, parce que Michel Platini annonce, contre toute attente, qu’il ne prolongera pas son contrat qui le lie jusqu’en juin 1979 à l’ASNL. Malgré les engagements qu’il a pris envers le président Cluny les mois précédents, il s’envolera vers d’autres cieux à l’issue de la saison suivante. Un lien se rompt entre le président et son protégé. Le climat se tend.
Le premier tour face aux Alsaciens de Vauban ne rassure d’ailleurs personne. Cette victoire étriquée 1-0 d’un ASNL passif n’aurait pas été possible sans un gros match de Moutier dans les buts. Mais l’important en coupe, c’est de passer au tour suivant. Par la grande ou par la petite porte, aucune différence. D’autant que le sort semble épargner l’ASNL en seizième de finale avec une double confrontation contre Saint-Brieuc, club de D3. La folie Platini s’étant emparée de la petite ville de Bretagne, elle pousse les dirigeants à maintenir le match aller sur un terrain marécageux. L’équipe assure l’essentiel avec une victoire 2-0 qu’elle confirme à domicile sous la neige. Pas encore du grand football mais ça gagne.
Commencer à y croire
Martigues (D2) en huitième de finale donne plus de fil à retordre aux Lorrains. La victoire 2-0 à domicile n’est en rien gage de qualification. Au retour, les Martégaux étaient « agressifs, méchants, on sentait les mecs qui voulaient nous taper », se souvient Rouyer. Mais l’ASNL tient le match nul 1-1 et retrouve Valenciennes (D1) au tour suivant. Score nul et vierge . Tout se joue au match retour. Et quel match retour. Les Valenciennois posent de sacrés problèmes à Platini et les siens qui, même en menant 1-0, sont sur un fil.
Le match bascule à la 49e minute, sur un indcident apparemment anodin. Le juge de touche est victime d’un claquage, il faut le remplacer. Mr. Casse, arbitre de la ligue de Lorraine, s’en charge. Peu après, VAFC égalise mais René Vagliani, arbitre principal, refuse le but pour faute préalable sur Carlos Curbelo, défenseur central de l’ASNL. À la 63e minute, Jeannol double la mise pour les Lorrains. C’est alors que les Valenciennois entourent et bousculent Mr Casse pour réclamer un hors-jeu. Le but sera accordé. Le troisième but de Rouyer dans les arrêts de jeu est anecdotique. L’ASNL est en demi-finale.
Redin avait annoncé la couleur en début de saison, l’objectif est atteint. Pas question de s’en satisfaire lorsqu’on est à deux matchs du Parc des Princes. Face à Sochaux (D1), le match aller à Bonal est très physique. Les Sochaliens font mieux que bousculer l’ASNL et l’emportent 1-0. Ils auraient même pu porter le score à 2-0 si « Moumout » n’avait pas fait un énorme match, repoussant notamment un pénalty. Le match retour est un autre histoire. Privés de Posca, bête noire de Rouyer qui dit de lui qu’il le « terrorisait », Sochaux tombe sous les accélérations de l’ailier nancéien : 2 buts et 2 passes décisives pour lui. L’ASNL l’emporte 5-0. 20 000 spectateurs sont en furie.
LIRE AUSSI – Le FC Sochaux, club ouvrier victime du football business
Le rendez-vous est pris au Parc des Princes cinq jours plus tard. Pour écrire l’histoire. L’ASNL se frottera à l’OGC Nice, tombeur de l’AS Monaco : rivaux en D2 huit ans auparavant, les deux équipes vont se battre pour écrire leur nom au palmarès de la Coupe de France.
Et le Parc exulta
Dès le lendemain de la qualification, les demandes de billets affluent au siège du club lorrain qui n’a, en tout, que 5 500 places à distribuer. Elle en récupère 1 000 que les Niçois n’ont pas vendues. Des trains, des dizaines de bus et de voitures convergent vers la capitale : le Parc sera rouge et blanc. Charles Gasparini, premier professionnel de l’histoire de l’ASNL, est invité par le club à cette finale. Pour se souvenir.
Pour leur barrer la route, le Nice de Baratelli, Rouve et Bjekovic part favori. Même s’ils finissent huitièmes du championnat cette année-là, l’expérience internationale de leurs cadres et les investissements massifs faits dans le club permettent aux Azuréens de lorgner sur leur troisième Coupe de France (après 1952 et 1954). Oui mais voilà, l’OGC Nice des années 1970 rate toujours ses rendez-vous, malgré les ambitions démesurées de ses dirigeants. Toujours bien placés, jamais vainqueurs. L’occasion d’inverser la tendance face à la jeune garde nancéienne ? Leur parcours porte à le croire : miraculés au premier tour face à Épinal, ils ont ensuite écarter plusieurs grosses écuries (PSG, FC Nantes, AS Monaco) pour se hisser en finale.
Les Niçois paraissent maîtres d’entrée de jeu, sans pour autant dominer outrageusement les débats. La première mi-temps est fermée et Moutier « laisse passer l’orage », selon ses propres termes. Pas de quoi s’inquiéter. D’ailleurs, « en allant aux vestiaires, on savait qu’on n’allait pas perdre » rappelle Rouyer. Cette jeune équipe majoritairement issue du conservatoire du football nancéien (8 joueurs sur 13) a un supplément d’âme et le démontre en seconde mi-temps. À la 57e minute, Platini, numéro 9 le temps d’un soir, contrôle, pivote, marque. Ce but dont il a le secret fait chavirer le Parc. Le temps est figé. Lorsqu’il repart, plus rien ne peut arriver aux Nancéiens. Coup de sifflet final.
« Nous avons loupé un petit peu le championnat cette année, nous nous sommes rattrapés par la Coupe de France », résume Platini en après-match. Il n’aurait pas pu mieux décrire cette saison qui se termine en apothéose. L’habituel numéro 10 de l’ASNL vient d’offrir au club la plus belle page de son histoire. Une victoire finale qu’il veut partager avec la bande de copains qui l’entoure mais un protocole calme ses ardeurs : Platini est seul autorisé à aller en tribune présidentielle aux côtés du président Giscard d’Estaing. Une immense frustration pour tous les autres joueurs qui regardent « comme des cons », selon Rouyer, leur capitaine brandir le trophée depuis la tribune.
À Nancy, des milliers de supporters sont dans les rues. Une nuit d’euphorie se prépare et la place Stanislas se trouve habillée de rouge et blanc. C’est sur cette même place que les joueurs présentent, trois jours plus tard, la coupe à des milliers de Nancéiens en transe. C’est la consécration pour cette jeune génération, la bande du « lycée papillon », qui rêve désormais de sommets européens.
Et après ?
La saison 1978-79, dernière annoncée de Platini sous le maillot rouge et blanc, se dessine sous les meilleurs auspices. En prévision de la coupe d’Europe, l’ASNL recrute plusieurs internationaux tricolores : Robert Pintenat, Bernard Zénier et Alain Merchadier en tête d’affiche. Mais les héros de l’épopée victorieuse restent sur leur faim. Ils auraient aimé « un meilleur recrutement, une équipe renforcée, pour passer un cap », admet Rouyer, fraichement revenu du Mundial 78 à l’époque.
LIRE AUSSI – Argentine 1978, la dictature championne du monde
Force est de constater qu’il avait vu juste. La construction de gradins couverts à Picot n’aidera pas les joueurs dans leur quête de résultats en Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupe, les blessures non plus. Elles se multiplient et écartent Merchadier puis Platini loin des terrains pour une grande partie de la saison. Avant de tirer sa révérence, le dernier troisième au classement du Ballon d’Or permet au printemps 1979 à l’ASNL de finir onzième. Mais il ne jouera jamais le moindre match de coupe d’Europe sous les couleurs nancéiennes.
Pourtant, le club aurait eu bien besoin de lui. Au premier tour contre Copenhague, l’ASNL revient brillamment à domicile et l’emporte 4-0 après la défaite du match aller. Mais face au Servette Genève, la marche est trop haute. Solidaire et guerrière comme il est nécessaire de l’être en coupe d’Europe, l’équipe manque du talent de son chef. Le parcours en Coupe de France, qui s’arrête en huitième de finale, ne rattrape pas, cette fois, une saison décevante.
Le départ attendu de Platini à l’ASSE en fin de saison sonne la fin d’un cycle, qui n’aura pas été aussi vertueux qu’espéré. Cuny, dévasté par le départ de son protégé, est en plus pris à partie par le public qui le cible comme responsable de la fuite du prodige. Injurié après une défaite à Marcel-Picot, il décide de démissionner en mars 1980. Même la plus belle page se tourne.
Au-delà de ce goût d’inachevé, le souvenir d’une jeunesse dorée qui écrit la plus belle page de l’histoire de l’ASNL perdure. Souvent réduite à Platini, cette équipe représente surtout le triomphe d’un modèle novateur dans le football français et d’une bande de copains qui grandit ensemble et offre au peuple nancéien le bonheur d’une victoire inégalée.
Sources :
– HOPP, Jean-Pierre, Histoire de l’AS Nancy Lorraine, Paris, Horvath, 1988, 132p.
– « La victoire de Nancy en Coupe de France : l’artiste et l’ordinateur », Le Monde, 19 mai 1978, p.4.
– LERMUSIEAUX, Jocelyn, « Plié sous la table », L’Équipe, 5 février 2017, p.29.
– MAUMON DE LONGEVIALLE, Antoine, « Et Platini souleva la coupe », L’Équipe, 4 janvier 2017, p.22-23.
– ROCHARD, Christian, « Platini et Nancy européens! », L’Équipe, 15 mai 1978, p.2-8.
Crédits photos : Icon Sport