On compte aujourd’hui environ 60 millions de personnes d’origine italienne dans le monde. Ces descendants d’immigrés italiens vivent partout à travers les continents : en Europe, en Amérique du Sud, en Amérique du Nord, en Australie. Pour leur rendre hommage, l’artiste Paolo Del Vecchio a imaginé un maillot qui représenterait cette vague de migration italienne au XXème siècle. Entretien avec cet artiste messin sur la genèse de son projet, le rapport entre art et football et l’impact de cette migration dans le football. Car sans elle, Michel Platini n’aurait très certainement jamais fait les beaux jours de la France.
Comment est né le projet Squadra Diaspora ?
Tout commence en 2015. À l’époque, j’étais en école d’art et j’avais déjà ces questionnements sur l’immigration et les doubles cultures. À côté de mes études, j’écrivais régulièrement des articles de football pour Calciomio et je partageais sur les réseaux sociaux des projets relatifs à l’art et au design. Un jour, le journaliste Brandon Lattuca, qui connaissait mes deux pratiques, m’a contacté en me disant qu’une exposition sur le football allait avoir lieu en Belgique. Il m’a demandé si j’étais intéressé d’exposer là-bas. J’ai accepté et l’organisation m’a donné carte blanche pour créer une pièce et pour exposer. C’est alors à ce moment-là que je décide d’associer le football à l’immigration.
J’ai eu quelques mois pour réfléchir à la pièce. J’ai pensé que l’objet maillot était le plus approprié pour matérialiser ces questionnements parce qu’un maillot renvoie à une identité, à une histoire, à un territoire voire à un voyage.
D’ailleurs, le jour je l’ai exposé, c’était en même temps qu’un Belgique-Italie qui avait lieu en amical à Bruxelles. J’ai eu l’occasion d’aller à l’hôtel de l’équipe d’Italie le matin du match pour leur présenter le projet. Et lors de ce rassemblement, il y avait Roberto Soriano, né en Allemagne et fils d’immigrés italiens, qui était sélectionné et à qui j’ai pu parler de mon projet. C’est le premier moment durant lequel j’ai pu avoir un lien avec un joueur professionnel et notamment de l’équipe d’Italie.
Le projet est incarné par un maillot bien spécial. De quoi t’es-tu inspiré pour réaliser ce maillot ?
J’ai vraiment voulu créer le design de A à Z. La coupe du maillot reprend les coupes des maillots d’après-guerre, entre les années 1950 et 1978. À travers cette coupe, une trentaine d’années sont représentées. C’est une période où il y a eu énormément d’émigration italienne dans le monde, donc je trouvais intéressant de choisir cette période. Quant à la couleur, elle a traversé le temps car le maillot de l’Italie a été plus ou moins clair ou foncé en fonction des années. Mais ce bleu-là a ponctué l’histoire de l’équipe de l’Italie.
Quand j’ai pensé au projet, j’avais plusieurs idées en tête. Soit de faire une sorte de patchwork de tissus qui aurait pu venir de plein de zones du monde. Mais c’était compliqué à mettre en place. Finalement, je suis tombé un jour sur un tableau avec les pourcentages de présence des Italiens dans le monde. Ce tableau m’a donné l’idée d’une carte du monde sur laquelle je dessine une onde qui est plus ou moins resserrée en fonction de la présence des Italiens dans chaque pays.
Après avoir exposé le prototype en Belgique je me suis dit que ça aurait du sens de diffuser l’œuvre dans le monde entier et donc de la proposer à la vente. J’ai donc fait éditer le maillot à 500 exemplaires, numérotés avec un certificat d’authenticité. Il est commandable et personnalisable. Lors de l’achat, j’invite les acheteurs à personnaliser le maillot avec leur nom de famille italien ou celui de leur famille qui a migré puis à ajouter un numéro sur le maillot. Ce numéro est souvent significatif car il représente soit des années de migration ou un territoire. La personnalisation fait partie du projet.
La migration italienne du XXème siècle a marqué l’histoire de la Botte. Quel impact a-t-elle eu globalement sur le football italien ?
Elle a eu différents niveaux d’impact en fonction des années, des générations, des contextes politiques en Italie. Par exemple, sous Mussolini, quand l’Italie est championne du monde en 1934 et 1938, il y des oriundi (c’est à dire, un joueur étranger naturalisé dans le but d’évoluer avec la Squadra Azzurra et qui a – dans la grande majorité des cas – un ancêtre italien ndlr) souvent d’origine sud-américaine (comme Raimundo Orsi, argentin, 13 sélections pour l’Albiceleste avant de rejoindre l’Italie en 1929, ou encore Luis Monti, argentin, il dispute deux finales de Coupe du monde pour deux pays différents ; une avec l’Argentine en 1930 et une avec l’Italie en 1934 ndlr) qu’on renaturalisait italiens pour jouer dans l’équipe. À cette époque, c’était une aubaine pour Mussolini d’avoir des joueurs de très haut niveau pour gagner ces titres.
Par la suite, on peut noter d’autres effets positifs. Si on prend le rayonnement du foot italien dans le monde, la diaspora italienne a fait beaucoup puisque énormément de descendants d’Italiens dans le monde continuent à suivre le championnat d’Italie et l’équipe nationale que ce soit aux États-Unis, en France, en Australie etc.
En termes de résultats, il y aussi eu l’apport de Camoranesi en 2006 qui a été champion du monde avec l’Italie et de Jorginho qui fut l’un des maitres à jouer de la sélection lors de l’Euro 2021.
Entre les années 30-60, un grand nombre de ces oriundi ont d’abord joué pour leur pays natal avant de défendre, l’espace de quelques matchs, les couleurs de l’Italie. Comment expliquer ce choix ?
En discutant avec toutes les personnes qui ont rejoint le projet Diaspora, je m’aperçois que tout le monde garde un attachement spécifique à ses origines et même parfois quand certaines familles immigrées ont totalement rejeté leur passé. Finalement, ces personnes reviennent toujours un moment donné à l’Italie. Peut-être était-ce pareil pour ces joueurs. J’ose imaginer qu’ils ont pris plaisir à défendre les couleurs de l’Italie et que ce n’était pas dû à des pressions de la part des politiques ou bien à une question d’argent.
Comment expliquer qu’on retrouve encore ce phénomène aujourd’hui avec certains joueurs de la Nazionale ?
Cela dépend des cas. Mauro Camoranesi a fait facilement son choix puisque l’Argentine ne l’a jamais appelé. Nicola Sansone, né en Allemagne a refusé la sélection en équipe U16 car il a toujours voulu porter le maillot de l’Italie. Giuseppe Rossi, originaire du New Jersey, a aussi refusé les Etats Unis. Très récemment, il y a eu Cristian Volpato de la Roma, né en Australie, qui a refusé la sélection australienne.
Donc les cas sont différents, certains ont choisi l’équipe d’Italie, d’autres ont un peu subi le fait de ne pas être appelés avec la sélection de leur pays de naissance. Dans l’exemple inverse, je pense par exemple à Franco Vasquez qui avait annoncé avoir regretté d’avoir accepté la sélection avec l’Italie car il se sentait argentin. Étant donné qu’il n’a joué que des matchs amicaux avec l’Italie, il a finalement pu intégrer l’équipe argentine.
Revenons à l’aspect artistique du projet, pourquoi avoir choisi de concilier l’art et le football ?
Cela tombe presque sous le sens. Le football est devenu un modèle représentatif de la société. Il est universel, omniprésent et l’art ne peut pas passer à côté de ce phénomène. On observe, depuis quelques années, que de plus en plus d’artistes traitent la question du football et de son impact dans la société.
À titre personnel, quand j’étais en école de design et en école d’art, j’ai mis du temps à faire comprendre pourquoi je parlais de football. Dans ces écoles, un peu élitistes, le football est considéré comme le sport du peuple, un phénomène populaire loin de la culture. Moi je me bats pour prouver le contraire. Je dis que l’art ne peut pas passer à côté du football. Je travaille beaucoup sur cette question, il y a tellement de choses à dire et sur plein d’aspects différents : l’économie, la politique, la géopolitique, les identités… Voilà pourquoi j’ai choisi de concilier l’art avec le football.
Assembler la mode et le football était pour toi le meilleur moyen de rendre hommage à cette migration italienne ?
Pour matérialiser le concept, je trouvais qu’un maillot était l’objet le plus parlant et le fort de sens. Néanmoins, le projet ne se limite pas qu’au maillot. Je considère le compte Instagram comme une galerie du projet. On peut voir, à travers ce compte, une carte du monde avec des vidéos, des interviews, des photos récoltées des quatre coins de la planète que m’envoient ceux qui achètent le maillot, dans le lieu où leur famille a migré. Tous ces aspects font autant partie du projet que le maillot lui-même. Le fait d’impliquer les personnes dans l’œuvre fait sens et c’est aussi important que le maillot.
Comment concrétises-tu ce projet ?
J’ai déjà organisé trois parties de football en France. La première en Moselle, un territoire où il y a eu beaucoup d’immigration italienne et les deux suivantes à Paris et à Saint Denis. Désormais, je souhaite vraiment faire voyager le projet à l’international. Tout récemment, on a eu l’occasion d’organiser un match en Italie contre l’AS Velasca, au stade Pier Luigi Penzo, à Venise. Ce match, que je considère comme un chapitre supplémentaire du projet Diaspora, avait un thème : rendre hommage aux personnes qui avaient choisi de retourner en Italie sur les terres de leurs ancêtres pour y vivre. Ce phénomène de « re-migration » est intéressant à analyser pour ces personnes qui veulent retourner sur leurs terres d’origine.
Désormais, l’idée est de faire voyager le projet au maximum. Je suis sûr d’organiser mes prochains matchs en Allemagne, en Belgique, au Luxembourg, en Suisse et un jour je l’espère aux Etats-Unis, au Canada, au Brésil, en Argentine et en Australie. Je veux me rendre dans les lieux emblématiques où la migration italienne fut importante. Découvrir ces endroits, organiser des visites culturelles dans des lieux où les Italiens sont arrivés, ont travaillé, ont évolué et d’aller rencontrer toutes ces réalités, c’est ce qui fait sens avec le projet.
Quand j’ai l’occasion, j’essaye de faire des petites interviews avec les personnes qui entrent dans le projet en achetant le maillot où en participant aux matchs. Par exemple pour ce dernier voyage en Italie, j’ai interviewé le photographe au Guiti News, Federico Iwakawa, argentin d’origine italienne et japonaise. Il a raconté son histoire, son parcours. Tout cela participe à la richesse du projet.
Combien d’oriundi ont déjà rejoint ton projet ?
55 personnes ont joué les matchs sur les quatre éditions que j’ai organisées. Parmi elles, on trouve des Français, des Belges, des Allemands, des Brésiliens, des Péruviens et des Argentins d’origine italienne. Il y a également des personnes qui sont nées en Italie puis qui ont migré sur le tard comme Simone Rovera, par exemple, arrivé en France il y a près de 10 ans mais qui fait partie de la diaspora. Ce sont des migrations de plusieurs époques qui se rencontrent.
Également, il y a plusieurs personnes qui ont décidé d’acheter le maillot mais qui n’ont jamais joué de rencontre. Avec plus de 263 maillots immatriculés dans le monde, on vient de dépasser la moitié des maillots vendus !
Des noms célèbres défendent-ils les couleurs de la Squadra Diaspora ?
Le plus célèbre d’entre eux est certainement Nicola Sansone, international italien à trois reprises avec l’équipe d’Italie. Il est le premier que j’ai eu l’occasion d’interviewé, qui a eu le maillot et qui a accepté de m’aider. Il est le capitaine symbolique du projet.
Il y a d’autres footballeurs professionnels comme Felipe Saad (passé par l’En Avant de Guingamp, le RC Strasbourg ou encore le FC Lorient ndlr), Franck Signorino (passé par le FC Metz ou le Stade de Reims ndlr), Lorenzo Callegari (formé au PSG ndlr) ou encore Sébastien Flochon qui a joué pour Chambly en Ligue 2, qui a atteint la finale de la Coupe de France en 2018 avec les Herbiers et qui avait été invité par Thiago Silva à soulever la Coupe, lors de la remise du trophée, en tant que capitaine.
Il y a également des journalistes sportifs connus comme Simone Rovera (RMC Sport), Valentin Pauluzzi (correspondant l’Equipe et Europe 1 en Italie). Le projet réunit quand même de jolis noms.
Quel oriundo du passé aurais-tu rêvé d’avoir dans ta squadra ?
Peut-être Mauro Camoranesi, car il participé et remporté le Mondial 2006.
Sinon, et même s’il n’est pas un oriundo, Michel Platini qui est peut être l’un des plus grands représentants de la diaspora italienne du monde en termes de niveau footballistique. Comme moi, il est franco-italien, originaire d’une ville à quelques kilomètres de chez moi en Moselle. Pour son histoire avec la Juventus, le fait d’avoir décidé de retourner en Italie pour son travail. Son histoire est forte. Mais au contraire de lui, j’ai plus d’attachement à l’équipe d’Italie. Platini a toujours défendu les couleurs de l’équipe de France. Il bat d’ailleurs l’Italie à la Coupe du Monde 86, match dans lequel il marque un but. Footballistiquement parlant, ça serait lui le joueur le plus emblématique du passé.
Propos recueillis par Julien D’adamo
Retrouvez le projet Squadra Diaspora sur :
Twitter : @SquadraDiaspora
Instagram : squadra.diaspora
Crédits Photos : Icon Sport et Federico Iwakawa