À l’intersaison 2016, Pep Guardiola prend les rênes de Manchester City, José Mourinho arrive dans le club rival et Antonio Conte s’installe à Chelsea. Et si un tel plateau nous laisse imaginer le retour de la rivalité entre Guardiola et Mourinho, le Portugais va plutôt s’encanailler avec Antonio Conte.
Une première confrontation entre les deux coachs a lieu en décembre 2009, alors que le technicien Italien se doit d’assurer le maintien de l’Atalanta en Serie A, les ambitions du Lusitanien sont à l’opposé. Si l’Inter ouvre la marque par l’intermédiaire de l’inévitable Diego Milito, la Dea accroche tout de même un point.
Antonio Conte et José Mourinho : deux grands noms attendus au tournant
Une première rencontre presque anecdotique, loin de leur rivalité à partir de 2016. Au sortir d’un championnat d’Europe 2016 plus que convaincant avec la Nazionale, au vu de l’effectif dont il disposait, Antonio Conte débarque à Stamford Bridge pour redorer le blason des Blues. En panne depuis l’obtention d’un cinquième titre de champion d’Angleterre en 2015 sous l’égide du Mou, Chelsea vit une saison catastrophique menant à l’éviction du coach portugais en milieu de saison. Le club londonien échoue alors à la dixième place du classement. Le défi est double : réussir à faire oublier son illustre prédécesseur et ramener Chelsea sur le devant de la scène.
Au nord de l’Angleterre, Mourinho reprend également un géant malade. Il succède à Louis Van Gaal qui après avoir longtemps convoité la place de manager du club mancunien n’a jamais vraiment réussi à fédérer le groupe autour de ses principes de jeu. Une difficulté à laquelle sera aussi confronté le Special One qui entretient une certaine filiation avec Louis Van Gaal dont il a été l’adjoint à Barcelone entre 1997 et 2000. Pourtant, celui qui clamait son amour de Chelsea n’a pas hésité à relever l’un des plus grands défis de sa carrière, faire oublier Sir Alex Ferguson. Après une piteuse cinquième place obtenue, l’objectif est a minima de réintégrer les Red Devils dans le Big Four duquel ils semblent s’éloigner au fil des années.
Les deux coachs se trouvent à un carrefour de leurs carrières respectives. Les succès nationaux de la Juventus d’Antonio Conte n’ont pas suffi à convaincre les observateurs anglais, surtout en l’absence de résultats sur la scène européenne. Pour le technicien portugais, la fin de son aventure à Chelsea a pu laisser penser qu’il était désormais devenu la caricature de lui-même, un has been en somme.
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Chacun cherche à appliquer ses principes les plus fondamentaux, Conte, obsédé par la réflexion tactique, cherche encore une formule stable. Si le 3-5-2 Italien a bien marché durant l’Euro 2016, Antonio Conte hésite encore et entame la saison avec un système à quatre défenseurs. Les deux rivaux rentrent efficacement dans leur saison avec trois victoires pour leurs trois premiers matchs.
Acte I : le gouffre tactique entre Mourinho et Conte
Mais, rapidement, les deux équipes perdent leurs premiers matchs clef (MU contre City et Chelsea contre Arsenal et Liverpool). Conte abandonne alors le 4-1-4-1 pour privilégier un 3-4-3 plus fulgurant. Chelsea se ressaisit à la 9e journée pour le retour de José Mourinho à Stamford Bridge, à la faveur d’une victoire 4-0 contre Manchester United.
L’acte fondateur d’une rivalité qui va s’étaler sur deux saisons. Immédiatement, les choix initiés payent, dans le 3-4-3 Pedro s’épanouit parfaitement et répète les appels vers l’intérieur en partant de son côté droit. Contre les Red Devils, il ouvre le score après quelques secondes de jeu à peine. Au fur et à mesure de la rencontre, les Blues font l’étalage de la cohérence tactique du système mis en place, quand les Mancuniens, déboussolés, tentent de tenir sans plus de vision. Une absence de cap qui se fera ressentir tout au long de la saison à Manchester, car si José Mourinho reste fidèle à un 4-2-3-1, les hommes, eux, tournent beaucoup et 19 joueurs jouent plus de 1200 minutes en Premier League.
Le 3-4-3 offre une infinité de possibilités aux joueurs de Chelsea, Azpilicueta n’hésite jamais à monter et à s’insérer dans le milieu de terrain pour créer le surnombre et permettre à Kanté de se projeter dans un rôle de box to box qu’il affectionne. Diego Costa est un formidable point de fixation autour duquel Hazard trouve toute la liberté dont il a besoin, tandis que Pedro peut s’engouffrer dans l’espace libéré par les défenseurs adverses, obnubilés par Costa. Marcos Alonso et Victor Moses incarnent à la perfection le rôle de piston moderne qu’Antonio Conte essaye d’installer. Le volume de jeu, la capacité de débordement et la qualité de centre de ces deux joueurs sont pour beaucoup dans le succès du dispositif développé par le coach transalpin.
Outre l’humiliation et la leçon reçue, c’est bien le comportement d’Antonio Conte qui va faire sortir Mourinho de ses gonds. Le match avait pourtant débuté par une accolade amicale et un échange de sourire franc entre les deux hommes. Mais, dans le temps additionnel, alors que l’issue du match ne fait plus de doute, l’Italien harangue la foule, comme pour confirmer son nouveau statut. Humilié dans son ancien jardin, le Portugais ne se prive pas pour faire savoir à son homologue le fond de sa pensée. Une remarque à laquelle il répondra tranquillement au micro de SkySports Italia « J’ai été joueur je sais comment me comporter ». Cela ne fait plus de doute, le rival de Mourinho dans ce championnat n’est pas Guardiola mais bien l’entraîneur de Chelsea.
Fortunes diverses
Une rencontre qui marque un véritable tournant dans la saison de chacune des deux équipes. L’écrasant succès des Blues confirme Antonio Conte dans ses intuitions tactiques, Chelsea s’empare de la tête du championnat dès la douzième journée sans plus la lâcher. Manchester United reste coincé à la lisière du top 4. Mourinho n’arrive jamais vraiment à réveiller un effectif apathique, les rendements sont loin des sommes délirantes engagées lors de l’intersaison. Pogba, alors joueur le plus cher du monde, est mal utilisé par son coach qui le fait parfois quasiment évoluer en soutien de Zlatan Ibrahimovic. L’organisation tactique est trop minimaliste pour espérer performer en Premier League. Les Red Devils finiront la saison avec seulement 54 buts marqués et 15 matchs nuls.
Une frilosité en championnat que le Special One explique aisément à l’approche d’un quart de finale de FA Cup contre Chelsea en mars 2017. Si Manchester United accuse un retard important, c’est évidemment à cause du parcours que l’équipe est en train de réaliser en Europa League, alors que Chelsea ne dispute aucune compétition européenne. La mauvaise foi caractéristique du Portugais amuse au mieux, énerve au pire.
Pour contrer Conte, Mourinho aligne un également un 3-4-3 et cherche à isoler Eden Hazard en lui infligeant le marquage individuel d’Ander Herrera, en plus d’une grosse pression physique. Mais les coups tactiques ne semblent plus surprendre les adversaires. Herrera est expulsé à la 35e minute de jeu et les Red Devils s’inclinent un à zéro.
Pour le compte de la 33e journée, Mourinho tient une première revanche en faisant tomber les Blues (2-0) et en offrant la chance à Tottenham de revenir à quatre points de Chelsea. Un succès d’estime seulement pour Manchester United. Malgré une composition très défensive (Marcus Rashford et Jesse Lingard sont les seuls joueurs offensifs alignés), les Red Devils neutralisent les joueurs de Chelsea. Les Blues, habitués à cadrer plus de 5 tirs par match, ne parviennent pas à solliciter le moindre arrêt de David De Gea.
L’espoir de Mourinho
Outre la satisfaction de battre son rival transalpin, Mourinho peut se réjouir de la performance d’Ander Herrera, en difficulté le mois dernier. Auteur d’une passe décisive et d’un but, l’Espagnol incarne le sursaut d’orgueil recherché par l’entraîneur mancunien. Et rien de tel qu’un rival pour matérialiser cette réaction. Une saison achevée à une piteuse sixième place embellie par le succès en Europa League.
Si Antonio Conte réussit à s’adjuger le titre dès sa première année, le Lusitanien attend souvent la deuxième saison. Le match à distance commence dès le tournoi de pré-saison par voies de presse interposées. Le coach des Blues tire le premier en rappelant la piteuse saison de Chelsea après le titre de 2015, et surtout sa volonté d’éviter ça. The Special One répond subtilement : « Je pourrais répondre de bien des manières, mais je ne veux pas perdre mes cheveux en parlant d’Antonio Conte ». Allusion à la transplantation capillaire du transalpin.
La pression monte, les insultes continuent de fuser jusqu’à ce que les deux équipes se rencontrent à Stamford Bridge pour la 11e journée. Les Red Devils ont mieux commencé la saison que leurs rivaux, mais Conte va une nouvelle fois écœurer son adversaire. Chelsea supérieur et dominateur l’emporte sur la plus petite des marges malgré un David De Gea en grande forme. Au coup de sifflet final, le Transalpin se précipite sur le terrain pour féliciter ses joueurs et esquive la poignée de main avec Mourinho. La tension est palpable et les deux rivaux sont condamnés à se battre pour les places européennes plutôt que pour le titre promis à des cityzens invulnérables.
À l’approche de leur prochaine rencontre, en février, le petit manège recommence. Le Portugais qualifie de « comportement de clown » l’attitude d’Antonio Conte sur le banc de touche. Réponse instantanée : le Mancunien est pris de « démences séniles ». Plusieurs rounds d’insultes qui accoucheront d’une rencontre bien plus civilisée à Old Trafford.
Pas de prise de bec au bord de la pelouse, mais Chelsea domine le début de rencontre. Le duo Anthony Martial – Romelu Lukaku, très inspiré, permet finalement aux Red Devils de l’emporter devant leur public. Paradoxalement, après cette rencontre, la rancœur et l’animosité entre les deux entraîneurs semblent se dissiper, et ce alors que leur duel le plus important reste à venir.
Retour au calme et à la courtoisie
Wembley accueille ce dernier duel, le 19 mai 2018, le dernier match de la saison, et sans doute le plus important pour sauver une saison bien terne de part et d’autre. Manchester United accroche la seconde place du championnat, 19 points derrière Manchester City, sans jamais s’être mêlé à la lutte pour le titre.
D’entrée de jeu, la vivacité d’Eden Hazard laisse présager un match difficile pour Phil Jones. Le Belge, très libre dans le 3-5-1-1, fait exploser la charnière centrale mancunienne à la moindre accélération. L’inévitable finit par arriver dès la 22e minute, Jones fauche Hazard dans la surface, qui joue intelligemment le coup, et obtient un penalty décisif. Hazard transforme tranquillement et oblige United a une physionomie de match à laquelle ils n’étaient pas préparés. Manchester monopolise le cuir, la possession se traduit par une profusion de centres, d’une qualité inégale. Mourinho, en alignant Rashford et Sanchez en pointe et Matic et Pogba au milieu voulait attendre Chelsea dans son camp pour profiter de la vitesse de ses attaquants en contre et la qualité de passe de ses milieux.
Bien aidé par un Courtois en pleine forme, Manchester ne parvient jamais à renverser la tendance, la faute, sans doute, à un manque d’automatisme lorsque les Red Devils doivent construire. Loin d’être le plus représentatif des affrontements, pourtant il apporte bien une confirmation, Antonio Conte a chamboulé la Premier League en à peine deux saisons tandis que The Special One n’a jamais réussi à séduire les observateurs par un jeu terriblement frustrant au regard de l’effectif à disposition.
Alors que ce passage raté à Manchester entérine le déclin de la carrière d’entraîneur de José Mourinho, presque devenu une caricature de lui-même. Antonio Conte renforcé dans ses principes s’envole faire les beaux jours de l’Inter Milan.
Sources :
- GAULT Matt, « The making of Antonio Conte : a journey from Lecce to Chelsea », These football times, 10 janvier 2019.
- PATRICK Callum, « The demise of José Mourinho : a six years journey of feuds, pragmatism and time passing him by » These football times, 10 janvier 2019.
- SMITH Cain, « How Antonio Conte won the Premier League with a back 3 », World football index, 21 mars 2020.
- TAZÉ-BERNARD Thierry, « Premier League – Manchester United – Chelsea : Mourinho – Conte, rivalité au paroxysme », Franceinfo.fr, 25 février 2018.
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