Ces dernières saisons, le football de clubs croate est représenté en Europe par le mythique Dinamo Zagreb. Le club de la capitale s’octroie une grande majorité des titres nationaux et ne laisse que quelques miettes à ses concurrents. Parmi ces derniers, un autre géant du pays, l’Hajduk Split. Le club de la côte dalmate est ainsi considéré comme le principal rival du club de la capitale. Tant est si bien que l’on parle de derby croate quand les deux institutions s’affrontent. Retour sur l’histoire de l’une des plus belles rivalités en Europe.
Pour revenir sur l’origine des deux clubs, le Dinamo Zagreb est fondé le 9 juin 1945 par les autorités communistes yougoslaves. Le club de la capitale prend le nom de Dinamo pour tenir compte de l’amitié entre la Yougoslavie de Tito et l’URSS de Staline. Trois années après sa fondation, le Dinamo Zagreb remporte son premier championnat de Yougoslavie en 1948. Un titre de champion que le club de la capitale remporte à quatre reprises par la suite. Autre fait notable, le Dinamo devient le premier club croate (et toujours le seul à ce jour) à remporter une Coupe d’Europe en 1967.
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De l’autre côté, l’Hajduk Split est fondé en 1911…. en Bohême austro-hongroise. Le club de la côte dalmate a été créé par un groupe d’étudiants croates à Prague. C’est dans la brasserie U Fleku que l’autre géant du football croate voit le jour. Le nom de Hajduk est scellé le 11 février 1911 alors que le tout nouveau groupe se réunit au café Troccoli de Split. Un nom trouvé par un certain Josip Barac, professeur de lycée à Split. Cette dénomination fait ainsi référence aux Haidouks, bandits sévissant autrefois sur la côte dalmate. L’Hajduk Split connaît un âge d’or dans les années 1920 avec l’acquisition de deux championnats yougoslaves. Un trophée qu’il remporte neuf fois. Contrairement au Dinamo, l’Hajduk n’a jamais gagné de titre européen mais a tout de même brillé sur la scène du Vieux Continent, avec notamment une demi-finale de Coupe UEFA en 1984 et une autre en Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupe en 1973.
La Yougoslavie, terre d’ultras
Le Dinamo Zagreb et l’Hajduk Split ont été considérés comme deux géants du football yougoslave pendant des décennies. Il était notamment question d’un groupe de quatre clubs dominants en Yougoslavie : le Dinamo, l’Hajduk, l’Étoile Rouge de Belgrade et le Partizan. À l’époque yougoslave, la rivalité entre le Dinamo et l’Hajduk n’était pas aussi prononcée qu’aujourd’hui. Même si l’hégémonie croate était importante, les rencontres entre les deux clubs étaient surtout l’occasion de se retrouver entre supporters croates. Comme l’affirmait Slaven Bilic en 2007 : « C’était le seul moyen qu’avaient les Croates pour célébrer leur identité nationale. Les supporters chantaient les mêmes chansons, c’était incroyable ».
Du côté du Dinamo, les Bad Blue Boys sont fondés le 17 mars 1986 et regroupent diverses factions issues de la capitale Zagreb. Un nom qui fait référence au film de Sean Penn, Bad Boys sorti dans les salles de cinéma en 1983. Côté Hajduk, nous retrouvons la Torcida de Split. Ce mouvement ultra fondé en 1950 est considéré comme un des premiers groupes en la matière sur le continent européen. Les Dalmates s’inspirent directement de la culture du supportérisme brésilien en opposition à l’influence davantage britannique des Bad Blue Boys.
Si aujourd’hui les deux groupes s’opposent dans le cadre du championnat de Croatie, les relations étaient bien différentes au temps de la Yougoslavie. À cette époque, la fraternité nationale croate prenait le pas sur la haine. L’ennemi commun était ailleurs, du côté de Belgrade, où tout ce qui touchait la capitale était mal perçue. Il n’était pas surprenant alors d’apercevoir des supporters du Dinamo présents au stade Poljud de Split et vice-versa des supporters de Split au Maksimir de Zagreb. Néanmoins, tout va changer au moment de l’éclatement de la Yougoslavie en 1991.
Le tournant de l’indépendance croate, et l’apparition de la rivalité Dinamo/Hajduk
La Croatie obtient son indépendance le 25 juin 1991 et les choses vont vite changer dans le paysage du football croate. La Croatie atteint les quarts de l’Euro 1996 et les demies du mondial 1998, l’Hajduk Split parvient même à atteindre les ¼ de finale de la Ligue des Champions en 1995. L’indépendance du pays est également un tournant important pour le Dinamo Zagreb. Avec l’initiative de Franjo Tudjman, le club de la capitale change de nom en 1993. Le HDZ, principal parti nationaliste croate, veut en finir avec le passé yougoslave et ses symboles. Le nom de Dinamo est retiré pour laisser place à celui de Croatia. Un nom qui selon Tudjman devait pour le mieux représenter la Croatie sur la scène européenne. Pour l’anecdote, sous la pression des ultras et après le décès du leader nationaliste croate, Zagreb reprendra le nom de Dinamo en 1999.
Le tournant de l’indépendance croate est également sportif. Alors que l’Hadjuk était le club croate le plus titré durant la période yougoslave, la tendance va nettement s’inverser à partir des années 1990 ainsi que durant les années 2000. À l’époque du championnat yougoslave, l’Hajduk a remporté neuf titres de champion ainsi que neuf coupes. Le Dinamo Zagreb a quant à lui, durant la même période, remporté quatre fois le championnat de Yougoslavie et sept fois la coupe. Depuis l’indépendance de 1991, le Dinamo Zagreb a remporté en tout vingt-trois titres de champion de Croatie alors que l’Hajduk n’en a remporté que six. Un tournant sportif qui sera aussi marqué par un changement d’attitude entre les deux groupes ultras.
Avec l’éclatement de la Yougoslavie, le Dinamo et l’Hajduk se retrouvent seuls face à face dans le modeste championnat croate. Orphelins des deux clubs de Belgrade, Zagreb et Split passent rapidement de la fraternité à la haine. Il faut dire que le poids du Dinamo Zagreb a rapidement pesé dans la balance au moment de l’indépendance croate.
Le Dinamo Zagreb est resté après 1991 comme le club symbolisant le nationalisme croate. Une institution soutenue en encouragée par le HDZ de Franjo Tudjman. Ce dernier qui s’est réapproprié le Dinamo Zagreb dès son arrivée au pouvoir. Déjà avant le début de la guerre civile, quand le Dinamo a acquis son dernier titre de champion de Yougoslavie en 1982, son entraineur Miroslav Blasevic soulignait l’importance de l’orgueil national croate dans cette victoire.
Le Dinamo symbolisait également cette résistance nationaliste croate face au yougoslavisme. Un exemple flagrant est celui du match contre l’Étoile Rouge de Belgrade au Maksimir le 13 mars 1990. Une rencontre marquée par les émeutes entre ultras serbes et croates dans lesquelles Zvonimir Boban était intervenu. Comme le souligne Loic Tregourès dans son ouvrage Le football dans le chaos yougoslave, le Dinamo Zagreb devient le « champion du pays » et l’unique représentant du pays sur la scène européenne. Une injustice perçue par les supporters de l’Hajduk Split qui va d’ailleurs au-delà du football.
Une opposition socio-économique : Zagreb, la capitale contre Split « la méditerranéenne »
Derrière la rivalité sportive entre le Dinamo et l’Hajduk, se cache également des contrastes socio-économiques et géographiques entre les deux villes de Zagreb et de Split. La capitale Zagreb est davantage organisée et sous l’influence d’une capitale comme Vienne. C’est tout le contraire de Split où l’esprit méditerranéen persiste. Pour résumer de façon imagée et simplifiée, Zagreb symbolise la puissance économique du pays et Split la « douceur de vivre » ou une certaine réticence au travail pour certains.
Il faut dire que la Croatie est vite apparue comme un Etat centralisé depuis son indépendance. Un pays organisé autour de sa capitale Zagreb. Dans un article du Courrier International datant de 2007, le journaliste Zdravko Reic basé à Split déclarait :
« Zagreb est devenue la capitale et nous avons retrouvé un État centralisé, comme au temps du communisme. Si vous voulez bénéficier d’une bonne éducation, vous devez aller étudier à l’université de Zagreb. Si vous voulez un emploi décent, c’est à Zagreb qu’il faut aller. Je paie mes impôts à Split et tout mon pognon part à Zagreb, c’est ça qui me dégoute… »
Si on retourne du côté du football, pendant longtemps la fédération croate avait par exemple snobé le stade Poljud de Split. Une préférence pour le stade Maksimir du Dinamo Zagreb qui avait irrité de nombreux ultras de la Torcida. Face à ces mécontentements, la première instance du football croate s’était alors décidée à organiser une rencontre amicale entre la Croatie et l’Allemagne en marge de la préparation pour l’Euro 2004. Rencontre qui sera boycottée par la Torcida qui réclamait que l’équipe nationale puisse jouer des matches officiels à Split.
Il faut aussi dire que la Dalmatie a toujours été un cas particulier dans l’histoire par rapport aux autres territoires peuplés de croates (Croatie et Slavonie). Longtemps enclavé, ce territoire a toujours été perçu comme une région stratégique entre deux influences impériales. Celles de l’Empire d’Autriche et celles de l’Empire ottoman. Économiquement, et ce malgré l’apport non négligeable du tourisme, la Dalmatie reste moins active par rapport à la capitale Zagreb.
Les années 2010, Bad Blues Boys et Torcida de nouveaux réunis contre le système Mamic
Si depuis l’indépendance croate les deux groupes d’ultras du Dinamo et de l’Hajduk entretiennent une rivalité, nous avons pourtant vu quelques signes d’apaisement ces dernières années. Notamment lorsque les fans des deux clubs se sont mutuellement soutenus pendant l’affaire Zdravko Mamic.
L’ancien ambitieux et sulfureux président du Dinamo Zagreb, s’est retrouvé face à la justice croate au sujet de ses activités d’agents plus que douteux. L’entrepreneur est entré au club dans les années 1980 grâce à ses liens amicaux avec le mythique entraineur Miroslav Blazevic. Il devient président du Dinamo Zagreb en 2003 avec la promesse faite de « remporter les dix prochains championnats ». Si la présidence de Zdravko Mamic a été une franche réussite sportive, les scandales n’ont pas manqué. Des déclarations houleuses et des comportements plus que limites qui se sont ajoutés à de sombres histoires d’agents.
En effet, dès son arrivée en 2003, Mamic fonde sa propre société de management sportif avec son fils à sa tête. Une entreprise qui sera à l’origine du fameux « système Mamic » dans lequel tous les joueurs signant au Dinamo ont également pour ordre de s’engager avec la société. Ainsi, plusieurs joueurs du centre de formation de Zagreb ont dû signer un contrat civil les obligeant à reverser une partie de leurs revenus au Président Mamic. Une influence de l’entrepreneur croate qui se retrouve jusqu’en sélection nationale. Les rumeurs évoquant notamment une obligation pour le sélectionneur de faire jouer des membres de l’« écurie Mamic ».
Proche du HDZ et par conséquent des milieux nationalistes, Zdravko Mamic a réussi à gagner une certaine crédibilité auprès de la mairie de Zagreb mais aussi auprès des Bad Blue Boys. Une confiance qui sera peu à peu perdue auprès de ces derniers. En effet, les supporters de Zagreb reprochent à leur président de vendre trop de joueurs au détriment des ambitions sportives. Malgré une bonne santé financière et de bons résultats, les Bad Blue Boys décident petit à petit de s’engager contre le système Mamic.
En 2014, en marge d’une rencontre entre le Dinamo et l’Hajduk au Maksimir de Zagreb, Mamic décide de bannir les ultras de Split du stade. Chose inacceptable pour les Bad Blue Boys qui se montrent alors solidaires des ultras dalmates en décidant de boycotter le derby éternel. Une action qui sera par la suite suivie d’une marche dans Zagreb pour protester contre le système Mamic avec les groupes d’ultras des deux clubs.
L’histoire du derby éternel est fortement liée à l’histoire de la Croatie et de l’espace yougoslave en général. Si la solidarité entre le Dinamo Zagreb et l’Hajduk Split a été présente dans un objectif de solidarité nationaliste croate face à Belgrade, dès l’indépendance en 1991 il a été question d’hégémonie sportive sur le territoire national. Parallèlement, si Split dominait en terme de palmarès à l’époque yougoslave, le Dinamo Zagreb proche du HDZ est rapidement devenu le club phare du pays dès l’indépendance acquise. Un statut légitimé par les nombreux titres gagnés et les campagnes européennes.
Sources :
- Aladay Adam, « Hajduk Split vs Dinamo Zagreb: Croatia’s Eternal Derby Dominated by Politics », 90 min, Mai 2020.
- Billingham Neil, « La rivalité Split-Zagreb. Peu de foot, beaucoup de haine », Courrier International, Août 2007.
- Trégourès Loïc, Le football dans le chaos yougoslave, Paris, Éditions Non Lieu, 2019.
Crédit photos : Icon Sport