Le 6 octobre dernier, le FC Séville a annoncé que Jorge Sampaoli était l’heureux élu pour remplacer Julen Lopetegui sur le banc de touche. Une décision étonnante mais qui n’est pas sans rappeler de très bons souvenirs aux supporters. Après une saison 2016-2017 remarquée mais inachevée, il est temps de boucler la boucle.
« C’est de la bombe ce mec ! De la bombe ! » Samir Nasri a, d’habitude, le regard malicieux mais c’est cette fois tout sourire qu’il évoque Jorge Sampaoli. Durant le confinement de mai 2020, l’ancien joueur de l’équipe de France et du FC Séville se confie au journaliste Walid Acherchour lors d’un live Instagram et ne tarit pas d’éloges à propos de son ancien entraîneur. Une seule saison commune, en 2016-2017, mais des souvenirs à la pelle.
Été mouvementé, objectifs élevés
Les deux hommes sont arrivés lors de la même intersaison en Andalousie. Le meneur de jeu avait tout de même eu le temps de faire connaissance avec Pep Guardiola à Manchester City, ce dernier lui conseillant d’aller s’épanouir sous les ordres de l’Argentin. Il sort de quatre années pleines à la tête de la sélection chilienne, avec laquelle il remporte notamment la Copa America 2015, mais ses expériences en club sont méconnues et essentiellement outre-Atlantique.
À Séville, Jorge Sampaoli prend la place d’Unai Emery, parti au PSG. Le Basque peut se targuer d’avoir gagné trois fois l’Europa League avec les Rojiblancos. A contrario, il termine une fois septième et deux fois cinquième de Liga, un résultat insuffisant pour les dirigeants qui ne sera pas pardonné à son successeur. Les objectifs sont plus élevés mais « Sampa » va prouver au club qu’il peut être plus qu’un outsider sans ambition.
L’effectif change énormément entre les années Emery et la saison 2016-2017. Exit Kevin Gameiro, Coke ou encore Ever Banega remplacés, notamment, par Wissam Ben Yedder, Steven Nzonzi ou Samir Nasri. Lors d’un entretien avec Jorge Valdano pour beIN Sports, l’entraîneur explique : « On a dû composer avec certains joueurs qui avaient des habitudes. C’est une approche différente pour des joueurs qui avaient déjà des habitudes de jeu. Le mien utilise plus les espaces et les duels. Mais je sens que le groupe assimile bien et que les joueurs sont épanouis. »
Une phase aller (presque) parfaite
L’assimilation se passe effectivement plutôt bien. Dès le premier match, les Sévillans frappent fort en battant l’Espanyol Barcelone 6-4. Un score haut en couleur qui en dit long sur les ambitions offensives mais également sur les errances défensives. Une prise de risque assumée qui va suivre l’équipe tout au long de la saison – même face à des adversaires mieux armés que les hommes de Quique Sánchez Flores.
En raison des nombreuses absences, la première sortie donne lieu à un 3-5-2 sous pression à chaque perte de balle. Au fil de la saison, c’est presque toujours une défense à quatre qui est alignée par Jorge Sampaoli. Mais son football se veut liquide et il n’est pas rare de voir cette base déformée durant les différentes phases de possession avec de plus en plus de stabilité. Face au FC Barcelone version MSN, Samir Nasri et ses coéquipiers – disposés en 4-1-4-1 – ont fière allure et font même tourner en bourrique les milieux et défenseurs centraux catalans par la qualité de leur jeu de passe. Malheureusement pour eux, Lionel Messi et Luis Suarez en avaient décidé autrement et ont permis au Barça de s’imposer 2-1.
Cette défaite ainsi que les deux autres face à l’Athletic et Grenade ne changent rien au style. Les autres résultats sont probants et permettent au FC Séville de terminer à la deuxième place du championnat lors de la trêve hivernale derrière le Real Madrid. Tout simplement la meilleure phase aller de l’histoire du club. Les Andalous s’offrent même le leader (2-1) au terme d’une prestation collective de très haut niveau. De la même façon, Sampaoli fait mieux que Emery en Europe puisqu’il atteint les huitièmes de finale de Ligue des Champions.
Effectif huilé et heureux
Pour mener à bien son projet de jeu, le natif de Casilda s’appuie sur un staff plus que fourni et sur un collectif qui a bel et bien assimilé son style. Autour de lui, d’abord, se dresse une armée de onze adjoints ! Le plus connu et le plus important n’est autre que Juanma Lillo. Déjà à ses côtés au Chili, il est le maître à penser du jeu de position. À côté de l’incontrôlable argentin, l’Espagnol apporte sa sérénité, le feu Sampaoli et la glace Lillo. Tous deux vont en tout cas dans le même sens avec l’enthousiasme comme point d’orgue.
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« Amusez-vous ! » peut on entendre au bord des terrains de la la Ciudad Deportiva José Ramón Cisneros Palacios, centre d’entrînement du club. Lors de l’interview beIN Sports, l’entraîneur offre les coulisses de ce laboratoire du football plaisir : « Je demande toujours aux joueurs : « Comment tu te sens sur la pelouse ? Ça te plaît ? Tu te sens impliqué ? » Je me rends compte de la qualité du groupe sportivement et humainement. »
Longtemps catégorisé comme élément perturbateur des différents vestiaires qu’il a côtoyé, Samir Nasri s’éclate à Séville. « Avec Jorge Sampaoli, c’était une relation de potes et Juanma Lillo c’était une situation père-fils », explique-t-il lors du live Instagram. Au cours de cet échange, il raconte également une anecdote hilarante à propos du coach argentin lors de son arrivée : « Il n’y a que le terrain qui compte, le reste je m’en fous. Tu veux sortir ? Sors. Tu veux te bourrer la gueule ? Bourre-toi la gueule. Tu veux rester avec une femme le soir et ne pas venir le lendemain ? Aucun problème. Appelle-moi, je prendrai toujours ta défense vis-à-vis du club. Il faut juste que, le week-end, sur le terrain, tu me fasses gagner les matchs et je vais à la guerre avec toi ». Gêné, le meneur de jeu indique qu’il n’y aura aucun problème de ce genre.
En plus d’un Samir Nasri retrouvé, le FC Séville peut compter sur un collectif très bien huilé. Un autre français fait partie de la colonne vertébrale : Steven Nzonzi. Autrefois jugé comme un milieu au rôle essentiellement défensif, il devient une véritable tour de contrôle par laquelle tous les ballons passent et les attaques démarrent. Sur les côtés, Sergio Escudero et Mariano sont également des pièces maîtresses. Le deuxième, insaisissable dans le couloir droit, apporte danger, créativité et imprévisibilité. Devant, Wissam Ben Yedder prouve qu’il est davantage qu’un avant-centre de Ligue 1 en terminant meilleur du club lors de cette saison avec quinze réalisations.
Les problèmes arrivent
Si la phase aller du FC Séville est quasi-parfaite, la deuxième partie de saison remet les pieds sur terre à beaucoup de supporters. Ils se sont surpris à croire à la première place mais les résultats hivernaux permettent au Real et au Barça de se détacher en tête. Si Sampaoli et ses hommes avaient posé des problèmes lors des matchs face aux deux géants, ils sont sèchement battus 3-0 au Camp Nou et 4-1 au Bernabéu. Rien de catastrophique pour un club peu habitué à faire partie de la course au titre et terminant tout de même à une honorable quatrième place. Synonyme de qualification directe en Ligue des Champions.
La cassure se fait justement en coupe d’Europe. Opposé à Leicester City, le FC Séville s’avance dans la peau du favori mais va tomber de haut. À Sanchez Pizjuán, les Rojiblancos réalisent l’un de leurs meilleurs matchs de la saison en offrant une véritable illustration du jeu de position. Toutefois, ils ne creusent pas l’écart, ne s’imposent que 2-1 et vont se faire piéger au retour en perdant 2-0.
Autour de ces résultats peu probants, deux affaires agitent l’Andalousie. On apprend de diverses sources que la fédération argentine a contacté Jorge Sampaoli pour que celui-ci prenne les rênes de la sélection nationale. Un rêve pour Sampa, la fin de celui de Séville. Sa star, Samir Nasri, est également touchée de près par un autre embarras. Malade durant un séjour familial, il décide de se faire injecter une dose d’une vitamine autorisée par l’UEFA. Tout de même alertée par la photo d’une infirmière, cette même instance décide d’ouvrir une enquête et découvre que le seuil requis est dépassé. Le joueur est alerté et s’effondre instantanément : « Je sais que je vais être suspendu. À ce moment-là, je n’ai plus envie de jouer. La saison est terminée pour moi. » Elle était alors parfaite jusque-là.
A peine mis au courant de sa future suspension, qui n’est pas encore rendue officielle, il joue le huitième de finale retour. Lors d’un accrochage avec Jamie Vardy, le Français s’emporte et fait un geste s’apparentant à un coup de tête. Il est exclu et sort du terrain dans une colère noire jamais vue depuis ses débuts. La fin de l’aventure andalouse tourne au vinaigre et l’UEFA le suspend d’abord pour une durée de six mois avant d’alourdir la sanction à dix-huit.
Jeu de positon version Sampaoli
Pour l’entraîneur comme pour le meneur de jeu, la sortie n’est pas aussi belle qu’espérée. Malgré tout, dans le cœur et l’esprit des supporters sévillans, cette saison 2016-2017 reste magique. Elle est également symbolique de la montée d’exigence envers l’équipe lors des exercices suivants. Le coach argentin a prouvé que le club pouvait être plus qu’un trouble fête passager. « Nous ne voulons pas avoir peur, nous ne voulons pas être dans l’attente, nous voulons du protagonisme et rechercher le but adverse plus que le nôtre », clamait-il haut et fort après la victoire (1-0) face à l’Atletico.
Pas question de subir, même face à plus grand que soi. Le jeu est parfois étonnant, en tout cas il détonne toujours. Pas encore aidé par la règle du 6 mètres instaurée en 2019, le FC Séville tente de ressortir de derrière. Dans le jeu de position prôné par Jorge Sampaoli, la largeur est primordiale dès cette base arrière. Ainsi, lorsque les centraux s’excentrent dans les couloirs, c’est Steven Nzonzi qui vient chercher les ballons dans l’axe dépeuplé. Devant, les joueurs de talent s’entassent : Nasri, Vitolo, Sarabia, Vietto et Ben Yedder la plupart du temps.
S’ils ne se marchent pas sur les pieds, c’est grâce à la liberté offerte par le tacticien. Parmi les préceptes de base, le dépassement de fonction est sans nul doute le plus important. Nzonzi décroche entre ses centraux, Nasri descend pour récupérer et remonter le cuir, Mariano entre dans l’axe pour laisser le couloir à son ailier, Rami n’hésite pas à monter balle au pied tout en poursuivant l’appel, etc. Avec et sans ballon le style est risqué. En témoignent les phases de pressing avec une forte densité côté ballon, une nouvelle fois même face aux gros qui ont d’ailleurs été bien gênés face à la pression haute. Demandez à Keylor Navas et Raphaël Varane s’ils se souviennent des quelques sueurs froides en enchainant les passes dans leur surface tout en voyant monter le bloc rouge et blanc.
Les amoureux de football, eux, s’en souviennent. Ils se sont même remis à rêver lors de la récente annonce du FC Séville à propos du remplacement de Julen Lopetegui par Jorge Sampaoli. Même si ces dernières expériences ne sont pas aussi enthousiasmantes, l’association ne peut qu’évoquer ces souvenirs d’une saison spéciale. Elle avait commencé par un joli 6-4 contre l’Espanyol pour se terminer sur un cinglant 5-0 sur Osasuna. C’était définitivement de la bombe.
Sources :
- Christophe Kuchly, « Séville : les clés d’une transformation réussie », Les cahiers du football
- Josselin Juncker, « Le FC Séville de Sampaoli, un doux parfum de Bielsismo », So Foot
- « Jorge Sampaoli: L’équipe a trouvé son identité », YouTube
- « OM / Séville FC : Sampaoli, Une Expérience Courte Et Mitigée En Espagne », Furia Liga
Crédits photos : Icon Sport