Le 30 juin 1996, à Wembley, à la 95ème minute, Oliver Bierhoff délivre l’Allemagne en inscrivant le but en or. Ce titre fait indubitablement de la Mannschaft la plus grande équipe européenne du XXème siècle. Paradoxalement, ce troisième championnat d’Europe marque le début d’une période de disette pour le football allemand.
Une inquiétude monte outre-Rhin, l’absence de relève pour cette brillante génération allemande des nineties (Sammer, Matthäus, Klinsmann, Völler, Kohler…). Si Lothar Matthaus revient en sélection à l’approche de la Coupe du Monde 1998, Matthias Sammer tire sa révérence cette année-là. Aux yeux du reste du monde, l’Allemagne demeure un favori potentiel et ravive des souvenirs déplaisants à ses concurrents.
Le début du tournoi rassure la presse allemande, malgré un effectif vieillissant (un peu plus de 30 ans de moyenne d’âge) la Mannschaft dispose facilement des États-Unis (2-0) avant de partager les points avec la Yougoslavie (2-2) et de battre l’Iran (2-0). Assez pour s’adjuger la première place du groupe F. Rappelé depuis peu, Lothar Matthäus évolue désormais en libéro et, à 37 ans, devient le joueur ayant disputé le plus de matchs en phase finale de Coupe du Monde. Un symbole de longévité, mais surtout l’illustration d’une Allemagne qui peine à se renouveler. Le benjamin de la liste des 22, Jens Jeremies, est âgé de 24 ans.
La fin de l’ “esprit allemand”
En huitièmes de finale, les Allemands sont mis en difficulté par le Mexique mais s’en sortent, comme souvent, dans le dernier quart d’heure grâce à leur joueur décisif du moment, Oliver Bierhoff, déjà auteur d’un doublé salvateur en finale de l’Euro 1996. Tout laisse alors à croire que l’esprit allemand est toujours efficace, la véritable origine du succès germanique. Un fin mélange d’abnégation collective, de pragmatisme et de talent individuel. Durant les dernières décennies, la Mannschaft n’a cessé de se démarquer par sa capacité à renverser des situations. Même étourdie, l’Allemagne est toujours dangereuse. Une habilité à écoeurer un adversaire dominateur qu’aucune sélection n’a réussi à égaler.
Le 4 juillet 1998, à Gerland, la Croatie retrouve son bourreau de 1996 pour sa première participation à une Coupe du Monde. En plein élan nationaliste et sous les yeux du president de la République Franjo Tuđman, les Croates se prennent au rêve du mondial. Emmenée par Davor Suker et Zvonimir Boban, la Croatie est malmenée par l’Allemagne durant la première demi-heure. À la 31ème minute, sur la première occasion franche allemande, Oliver Bierhoff échoue à marquer. La Mannschaft s’endort et laisse les Croates manoeuvrer, quelques minutes plus tard Davor Suker pousse Christian Wörns à la faute. Carton rouge. Les Allemands perdent le fil et concèdent l’ouverture du score dans le temps additionnel de la première période.
Après le match Berti Vogts, le sélectionneur allemand, fait de la première mi-temps le tournant du match et déclare “Jusqu’au moment de l’expulsion, nous avons eu l’avantage, et l’Allemagne a joué son meilleur football depuis le début du Mondial, sans réussite.” Une justification un peu légère pour un mastodonte du football mondial comme l’Allemagne.
En infériorité numérique, l’Allemagne craque et subit la vitesse des Croates. Köpke sauve les siens à plusieurs reprises et multiplie les arrêts, la victoire semble si certaine pour les Croates que les supporters présents en tribunes commencent déjà à célébrer. Pourtant, à la 78ème minute, alors que la Mannschaft obtient un coup-franc bien placé, le score est toujours de 1 à 0. Le coup franc de Dietmar Hammam, dévié, finit sur le poteau, la chance allemande a définitivement tourné. Les assauts croates se font alors plus incisifs, Vlaovic puis Suker alourdissent la marque dans les dix dernières minutes du temps réglementaire. Même à 3-0 les Croates continuent d’attaquer et frôlent l’humiliation.
Le mythe allemand s’effondre, car si la Mannschaft est inapte à renverser la situation, comment peut-elle justifier de subir autant et de se procurer si peu d’occasions de buts contre des adversaires de son niveau ? Pire, aucun talent majeur ne semble émerger pour prendre la suite. Et pour un moment, la fameuse phrase de Gary Lineker n’a jamais semblé aussi fausse. Suite à ce fiasco, Berti Vogts, qui avait pourtant alerté sur le problème de la formation allemande, cède sa place de sélectionneur à Erich Ribbeck en vue de l’Euro 2000.
L’important c’est pas la chute
Un Euro 2000 préparé sans grande remise en question. Klinsmann, Köpke, Kohler ou Möller prennent leur retraite sportive après 1998 tandis que Matthäus s’accroche et participe à l’Euro 2000. Oliver Kahn est propulsé numéro un et Mehmet Scholl fait son retour après 1998, une révolution de palais rien de plus.
La meilleure illustration du rapport de la sélection allemande aux nouveaux talents appartient sans doute à Sebastian Deisler. Habituée à être portée par ses prodiges, la Mannschaft lorgne envieusement les nouveaux talents. Et il faut dire que dans le cas de Sebastian Deisler, toute l’Europe avait les yeux rivés sur le jeune milieu offensif du Borussia Monchengladbach. En 1999, le Hertha Berlin réalise le gros coup et signe le joueur de 19 ans. Adoubé par les légendes de la sélection et intégré rapidement en équipe nationale, on annonce déjà Deisler comme le joueur allemand majeur de la prochaine décennie.
Le rêve ne se réalisera pas, entre une blessure au genou et une pression insoutenable l’Allemand ne parviendra jamais à devenir celui qu’on attendait. Victime d’un modèle défaillant, Sebastian Deisler met un terme à sa carrière à 27 ans.
Malgré la participation de Sebastian Deisler et de l’autre prodige du football allemand, Michael Ballack, L’Allemagne se déplace sans certitudes. Opposée à la Roumanie en ouverture, la Mannschaft joue déjà gros avant de rencontrer l’Angleterre et le Portugal. Pourtant, dès la cinquième minute et l’ouverture du score de Viorel Moldovan, l’Allemagne comprend que la Coupe du Monde 1998 n’était pas qu’une mauvaise passe. L’esprit allemand n’opère plus et après un match nul contre la Roumanie, les hommes de Ribbeck s’inclinent contre l’Angleterre.
Alors que la Mannschaft peut encore se qualifier en cas de victoire, le Portugal déjà qualifié se permet de laisser Rui Costa et Luis Figo au repos pour l’ultime match du groupe A. Mais les Allemands craquent mentalement, Sergio Conceição passe un triplé à Oliver Kahn auteur d’une triste performance. Humiliée 3-0, ils sortent par la petite porte avec un seul but inscrit et un seul point au compteur.
Le géant vacillant est K.O. Un cruel retour à la réalité pour les autorités allemandes, persuadés que 1998 n’était qu’un échec épisodique et circonstanciel. En parallèle, l’Allemagne a tout fait pour obtenir l’organisation de la Coupe du Monde 2006, allant jusqu’à acheter des voix. Confrontée au risque d’afficher un visage désastreux en 2006, la Deutscher Fußball-Bund (DFB) est contrainte à une remise en question profonde.
L’heure de la remise en question
En 2000, la DFB décide de miser largement sur la jeunesse en reprenant le contrôle de la politique de formation auparavant assurée par chaque Länder, et plus directement par les clubs. Le plan de la fédération nécessite la mise en place d’une importante politique de formation par les clubs professionnels. En pleine financiarisation du football et alors que la Bundesliga cède à la starification et aux transferts clinquants, la DFB souhaite aller à contre-courant et propose un modèle plus pérenne et plus viable économiquement.
Dès 2001, l’institution accélère et impose aux 36 clubs professionnels de disposer d’un centre de formation. Une nouvelle étape après l’introduction, en 1998, de la règle du 50+1 qui oblige les clubs à être détenus majoritairement par leurs adhérents. Même si la Bundesliga de cette période est attractive, la Fédération allemande entend aussi modifier les bases tactiques.
À partir de l’été 2002, la DFB commence à implanter plus de 350 centres locaux de formation gérés par la fédération sur tout le territoire avec pour objectif d’être en mesure de proposer une formation de la meilleure qualité, encadré par des entraîneurs agréés sur l’ensemble du territoire. La stratégie vise à faciliter le repérage des talents notamment chez les 11-14 ans. La facilitation de l’intégration d’un centre de formation permet alors d’augmenter le nombre de jeunes joueurs en professionnel. Le “Talent development program” propose également d’augmenter substantiellement le nombre de coachs tout en procédant à une révolution tactique. Une approche faisant la part belle au collectif trop souvent oublié dans une formation allemande souvent assurée par les clubs amateurs.
L’ambitieux programme entendait également résoudre la fracture entre l’Est et l’Ouest. La réunification de 1990 a rapidement pris des allures d’absorption plus que de symbiose entre deux ensembles. Pour la fusion des championnats en 1991, seules deux équipes de RDA (Hansa Rostock et Dynamo Dresde) sont intégrées à la Bundesliga. Dix ans plus tard, le constat est le même, la sélection nationale reste majoritairement composée d’Allemands de l’Ouest. Matthias Sammer faisant figure d’exception.
2002, un dernier trompe l’oeil
Le timing du lancement du “Talent development program” n’a rien d’anodin, la Coupe du Monde 2002 a confirmé le bien-fondé de la remise en question entamée par la DFB. En 2002, la Mannschaft retrouve de la solidité grâce à Oliver Kahn, auteur d’un tournoi exceptionnel, et est portée par un grand Michael Ballack. Le plus gros talent du football allemand est originaire d’Allemagne de l‘Est, comme une confirmation de l’ampleur de la remise en question nécessaire.
La Mannschaft bénéficie certes d’un tableau favorable mais ne démérite pas et découvre un nouveau buteur, Miroslav Klose. La finale, aussi cruelle soit-elle, dépeint fidèlement les faiblesses de l’approche allemande. Posséder quelques-uns des meilleurs joueurs du monde n’est pas toujours un gage de sécurité. Oliver Kahn, après une performance inoubliable en quarts de finale, offre le premier but à Ronaldo. Le buteur de la demi-finale, Michael Ballack est lui suspendu. Même si la Mannschaft ne démérite pas face au Brésil, la dépendance à quelques joueurs clés se fait ressentir.
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Si la deuxième place obtenue en 2002 est flatteuse, le renouveau requiert du temps et de la patience. Rudi Völler fait appel à Philipp Lahm (20 ans), Bastian Schweinsteiger (19 ans) et Lukas Podolski (19 ans) pour montrer le nouveau visage de la Mannschaft au Portugal pour l’Euro 2004. Malgré un nul encourageant en ouverture contre les Pays-Bas, l’Allemagne ne décolle jamais. Tenus en échec par la Lettonie, les joueurs allemands laissent filer la qualification face à la République Tchèque et sont une nouvelle fois éliminés dès la phase de poule du Championnat d’Europe.
Un baptême fondateur pour la nouvelle génération jeunesse allemande qui prend rapidement ses marques en sélection. Sous la houlette de Jürgen Klinsmann, nouveau sélectionneur de la Mannschaft, Lahm, Schweinsteiger et Podolski deviennent incontournables. Les résultats suivent avec une coupe des Confédérations 2005 encourageante et un mondial 2006 enthousiasmant. Après 2006, la DFB continue dans la direction ouverte en 2010, pour le succès qu’on connaîtra.
Sources :
- Stuart James, How Germany went from went from bust to boom on the talent production line, The Guardian
- Raphael Honigstein, How German football rose from the ashes of 1998 to become the best in the world, The Guardian
- Matt Gault, The troubling career of Sebastian Deisler, one of Germany’s great natural talents, These football times
- Talent development program, DFB.de
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